Vivre la vie…

19 octobre 2025

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« … La vieille dame voudrait savoir si les choses se passent ainsi en Europe, s’il y a aussi beaucoup de saints et de protecteurs que les gens vont prier. Quand elle avait vingt ans, elle aimait bien faire de petits voyages avec des amis dans des temples ou sanctuaires réputés de la région. Il y avait du monde, c’était la fête. Elle faisait ses dévotions avec les autres, sans trop se préoccuper de savoir de quelle divinité il s’agissait. Avec l’âge, elle s’est restreinte à des prières plus ciblées sur le bonheur et la santé de sa famille…

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… Une présence n’est jamais innocente, même celle d’un chat. Comme dans tout être, une puissance invisible en émane, qu’on ne perçoit pas forcément mais qui est bien là.

Qui plus est, la frontière n’est pas toujours étanche entre l’animé et l’inanimé, le sujet et l’objet. D’ailleurs, si on place dans les vitrines des magasins des statues de maneki-neko, ce « chat qui invite » de la patte levée le chaland qui passe à entrer dans la boutique, c’est qu’il y a une raison. Les porte-bonheur ont tous une histoire et les légendes ne naissent pas de rien…

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… L’écriture d’un journal a une tradition millénaire au Japon. On n’y prend pas ce genre très au sérieux, mais ces « choses qu’on raconte », comme on les appelle ici, peuvent être d’un grand agrément quand on les goûte en prenant son temps. Elles peuvent aussi canaliser les peines, les sortir de soi.

La vieille dame fait comme faisait sa mère, elle tient un journal, un gros cahier où elle consigne les faits du jour s’ils lui paraissent importants, significatifs. Elle trouve les mots qui les feront revivre, où elle pourra se resituer. Elle en relit parfois des passages pour son plaisir ou sa peine… ».

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Extraits de « Lettres d’Ogura »  2022   Hubert Delahaye.

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« … Elle savait bien, elle avait toujours su qu’une vie n’est qu’un état transitoire. Comme dit le poète, elle se disperse au premier vent et tombent les pétales. Il en va ainsi pour toutes les choses du monde, petites et grandes, belles et laides, et même pour sa maison…

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… Hatsumi voit passer une étoile filante. Passage trop bref pour avoir le temps de faire un vœu, mais ce n’est pas grave : elle forme en permanence celui du bonheur de ses filles. La nuit est claire, sans lune, et les lumières de la ville ne viennent pas perturber le ciel nocturne d’Ogura. Dans l’espace vertigineux, le Bouvier et la Tisserande se sont encore écartés un peu plus de la rivière d’étoiles de la Voie lactée. Ils s’aiment, s’attirent, mais doivent se quitter ainsi chaque année en juillet depuis toujours.

Y-a-t-il plus beau symbole de la fidélité ? Quand elle était jeune et romantique, cette fête de Tanabata était sa préférée. Elle en connaissait tous les contes et leurs variantes et elle écrivait à cette occasion un poème sentimental qu’elle accrochait à la branche d’un bambou derrière la maison, dans un endroit caché afin que personne ne pût découvrir ses pensées secrètes. Son petit mot pouvait s’adresser à la Tisserande pour lui demander talent et bonheur, à l’instar des petits o-mikuji de papier que l’on noue aux branches des arbres dans les temples et les sanctuaires.

L’automne se précise. Le matin, une fine rosée embue les tuiles sur le toit de la maison. Les dernières cigales se sont tues et ne chanteront plus jusqu’à l’été prochain. La nature est redevenue presque silencieuse. Dans les rizières moissonnées, on a évacué l’eau, on retourne à la terre. La nuit a retrouvé un début de fraîcheur... »

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Extraits de: « Fantômes d’Ogura »  2024  Hubert Delahaye.

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Deux petits livres magnifiques et complémentaires, une succession de tableaux et d’images participent à leur beauté.

Imaginez une petite vallée près de Kyoto, au fond, un village isolé, Ogura. Au pied d’une montagne, un champs de kakis, « fruits des dieux pour l’âme sur terre » et une maison traditionnelle japonaise.

Lettres d’Ogura raconte l’histoire d’une vieille dame. Elle vit seule, la maison familiale s’est vidée petit à petit de sa mère, son époux, ses trois filles, son chat. Elle se souvient du passé avec une pudeur extrême, elle peint la société japonaise hyper codifiée et hyper ritualisée, elle en observe les changements. Tout est doux et calme dans ce récit, elle accepte ce qui la chagrine un peu sans jamais l’exprimer…

Dans Fantômes d’Ogura, Hatsumi, la vieille dame n’est plus, elle a quitté la vie terrestre à l’age de 86 ans, elle se promène de façon fantomatique dans les rues du village, elle est libérée des règles de bienséance mais demeure respectueuse. Une immense tristesse l’envahit quand elle constate que le jour de la Fête des morts, ses filles ne se déplacent pas, mais elle leur pardonne. Elle veille sur sa maison, est curieuse au sujet des voisins, joyeuse quand la vie est vibrante…

La fin de cette histoire est touchante, j’ai trouvé ces deux lectures exquises, riches quant à ce que l’auteur nous dit avec délicatesse sur les us et coutumes au Japon… Un très joli moment, vous verrez.

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Illustrations : 1/ « Escaliers au parc de  Maruyama »  2/ « Après la pluie »  Alfred East  1844-1913  3/ « Kakis »  Wada Eisaku  1874-1959.

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Honorer le vivant…

BVJ – Plumes d’Anges.

Flamboyer…

12 octobre 2025

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Rêve éveillé

Une saison nouvelle s’offre à nous, généreusement,

au soir le ciel s’embrase avec majesté.

Un invisible alchimiste semble réaliser son souhait :

dissoudre l’ombre, purifier le monde,

opérer sa transmutation pour qu’il devienne OR.

Le précieux métal coule et imprègne les feuillages,

un feu se propage dans la forêt des songes puis s’éteint.

Aux premières lueurs du jour, l’astre renouvelé apparait,

sur le sol gisent quelques étoiles,

elles témoignent de la magie : notre vision du monde peut changer…

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« En cette nuit, 

en cet instant de cette nuit,

je crois que même si les dieux incendiaient le monde, 

il en resterait toujours une braise

pour refleurir en rose

dans l’inconnu.

Ce n’est pas moi qui l’ai pensé ni qui l’ai dit,

mais cette nuit d’hiver,

mais un instant, passé déjà, de cette nuit d’hiver. »

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Philippe Jaccottet  1925-2021  dans « Cahier de verdure« .

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Photos BVJ – Montagne de Lure – 8 et 9 octobre 2025.

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Croire aux signes de la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Choix…

5 octobre 2025

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Petite histoire...

« C’est un moine bouddhiste, un jour, qui dit à ses élèves : si tu portes une tasse de café et que quelqu’un te bouscule, pourquoi est-ce que le café est renversé ? Et tous ses élèves, sans exception, répondent : « Parce qu’on m’a bousculé ! »

Et il dit :  non. C’est parce que c’était du café qu’il y avait dans la tasse. S’il y avait eu de l’eau, s’il y avait eu du thé, c’est de l’eau ou du thé qui aurait été renversé, et là il ajoute quelque chose de profond, il dit : « Si la vie te bouscule et ça va arriver, ça arrive tout le temps, c’est ce que tu portes en toi qui va être répandu, si tu portes de la peur de la jalousie de la colère ou de la cupidité, c’est ça qui va se répandre, si tu portes de l’amour de la compassion de la douceur ou de la gentillesse, c’est ça qui va se répandre.

Alors chaque matin, fais une pause avant de commencer ta journée et demande-toi ce qu’il y a dans ta tasse. »

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Subtil et si vrai… Tout est vibratoire, chaque jour, chaque nuit,

des moments se succèdent, des tableaux se peignent,

ils sont teintés de nos émotions profondes,

qui attirent les mêmes émotions profondes…

Nous pouvons éclairer celles-ci, prendre du recul, y réfléchir…

Décider de celles que nous cultiverons dans le présent,

de celles que nous abandonnerons,

nous pourrons choisir la musique que nous jouerons,

elle emplira l’espace, notre espace.

Ceci me semble vrai dans notre vie personnelle mais aussi dans la vie publique.

La conscience collective imprègne et dirige l’évolution d’une société,

faisons les choix qui nous semblent les meilleurs, les nôtres,

ne soyons pas des moutons dans un troupeau,

soyons des êtres uniques et lumineux.

Nous désirons la paix dans le monde ? Sommes-nous porteurs de paix nous-même ?

Belle semaine à toutes et à tous, que la musique soit harmonieuse !

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Texte cueilli en passant sur Instagram sur « Le réveil en douce  » .

Illustrations : 1/ « Les instruments de la musique civile » 

2/ « Les instruments de la musique militaire »  Jean Siméon Chardin  1699-1779.

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Se laisser le choix de choisir…

BVJ – Plumes d’Anges

Poétique d’un haut Lieu…

28 septembre 2025

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« Nostalgie m’enveloppe

Pour le temps poétique

Robe de papier »

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« Lumière éteinte

Du ciel limpide une étoile se détache

Et entre par la fenêtre »

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« Dans l’air vibre la corde

Silence tendu silence rompu

Chute mate d’une fleur de camélia »

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« Je l’ai mis en terre

Là où le vent d’automne

N’atteindra pas son oreille »

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Jour un peu bleu, un peu « blues »…

Prendre de la hauteur,

se remémorer des souvenirs heureux,

 s’abreuver aux sources rafraîchissantes de la poésie d’extrême Orient.

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C’est le début d’un jour nouveau,

un soleil inouï va briller,

en cueillir un rayon, puis deux, puis trois…

La Belle du jour se pare de rose,

entre mer et ciel,

l’oiseau peut prendre son envol,

lumineuse semaine à toutes et à tous !

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Haïku de Natsume Soseki  1867-1916.

Photos BVJ – Le Mont Saint Michel  – Septembre 2025.

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Prendre soin de soi pour prendre soin des autres…

BVJ – Plumes d’Anges.

Histoires d’Amour…

21 septembre 2025

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« … – Allo c’est toi ? Salut

À quelle heure se retrouve-t-on Cet après-midi ? je ne me souviens plus

– Dès que possible On a dit

– À oui c’est juste

C’est quelle heure ? Dès que possible

– Maintenant Si ça va pour toi

– Ça va très bien

 

Et les voilà Qui accourent l’un vers l’autre

Impatiemment Avidement Passionnément

Et de rire

en voyant l’autre approcher

Et de se regarder

comme si ON ne s’était pas vu depuis

DES semaines

Et de s’embrasser

de s’embrasser sur la rue Collés l’un

à l’autre Encore et ENCORE

– As-tu vu cet Idiot

comme il nous regarde

Allez On se dévoue Encore UN pour

lui

Que fait-on ? Où va-t-on ?

Dans la cave Dans le grenier Dans la voiture

dans la forêt

on CONNAÎT

Ou ailleurs

 

car Ensemble

tout est à Faire et Tout à refaire

Repasser sur la trace de chacun

mettre une Nouvelle marque sur les

choses

– Tu vois là J’y suis venue pendant toute

mon enfance

– Et ce vieux mur Je voulais le revoir

avec toi

Partager ce qui était avant nous Nous

laisser couler dans l’AVANT

comme si ce temps devait être Comblé

Et après bien-sûr Comme d’habitude

la chansonnette de l’Après

si sol si sol la la

et nous partirons Ensemble

et nous Mettrons un matelas par terre

et nous achèterons une table Paysanne

do do do do fa

 

Ils accouraient l’un vers l’autre Légèrement

Innocemment

Légèrement innocemment

comme si l’amour était tout simple Tout clair

TRANSPARENT

Comme si le plus difficile Avait été de se rencontrer

et que maintenant

il ne restait Plus qu’à s’aimer

Un jour

nous avions décidé de partir Pour la

journée

Grande journée

– Salut

tu t’es faite Toute belle

– Pas vraiment Dix ans que je le

traîne ce pantalon

C’est plutôt Toi qui es tout beau

Et lui de faire Comme si son parfum

était arrivé Par hasard dans son oreille

Quelques baisers

– Est-ce que tu as envie de commencer

par un café ? Quel temps tu as vu Pas

un nuage

Et de démarrer De papoter De se

regarder Elle de se mettre Tout contre

son épaule De se glisser des baisers furtifs

Que voulez-vous de plus ? Le bonheur

parfait

Quand soudain… »

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Un roman un peu fou, à la fois joyeux et pathétique. Il traite du couple, la grande histoire de la vie. Il questionne sur l’harmonie des relations homme/femme : peut-on vivre dans le parfait équilibre ou est-ce une illusion ? 

Amélie, la narratrice, « tombe en amour » d’Émile mais lucide, sortant d’une histoire douloureuse, elle refuse de s’attacher à cet homme. Pourtant, pourtant… elle se laisse aller ; après mûre réflexion ils se marient et puis, un enfant, deux enfants pointent le bout de leur nez. Lui travaille à l’extérieur, elle s’occupe de gérer la famille. Mais mais mais… Amélie voudrait que tout soit parfait, surtout son homme. Mille et une émotions la submergent, le quotidien se transforme en montagnes russes …

Je vous laisse découvrir les aventures de ce couple étonnant, c’est souvent hilarant, Amélie était-elle intuitive dès le début de son histoire d’amour ou pas, toutes les histoires d’amour sont-elles les mêmes ?

L’auteure croque ses personnages avec délectation. Son roman est construit visuellement sur une architecture soignée – j’ai bien aimé – , les choses légères sont racontées sous forme de colonnes, centrées ou décentrées, les plus lourdes occupent tout l’espace de la page. Pas de ponctuation, des majuscules qui surgissent au milieu des phrases comme des éclats de voix, beaucoup d’énergie…

Ce texte loufoque, très original, bien écrit, vous plaira j’en suis certaine.

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21 septembre, journée internationale de la PAIX, 

21 septembre 2025 : éclipse solaire partielle…

22 septembre 2025, l’équinoxe d’automne arrive,

 équilibre du jour et de la nuit, un chemin à suivre,

belle nouvelle saison à tous !

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Extrait de « Oui Émile pour la vie »  1987 (réédition 2025 en Poche)  Amélie Plume.

Illustrations : 1/« Groupe de quatorze dans l’architecture imaginaire »  2/« Juxtaposition de rouges » Oskar Schlemmer  1888-1943.

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Cultiver l’autodérision…

BVJ – Plumes d’Anges.

Lignes de désir…

14 septembre 2025

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« … Ce n’est pas assez

D’une flaque de ciel en notre cœur

C’est le ciel tout entier

Que je veux Quand viendra l’heure

De s’écouler comme une eau pure

Dans le lit profond de l’amour

Oh ! quand viendra le jour

D’être comme une étoffe sans couture… »

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« … Tout est consenti

Je m’abandonne à l’oubli

Au silence à la nudité

Minérale du chant

Forêts et champs

Rivières laissez-moi passer…

Le cœur tremblant

Je cherche la beauté

Vêtue de nuit

Qui vous a renversés

D’un cri… »

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« … Ils se cachent dit-on, pour mourir.

Moi je dis

Qu’aucun oiseau ne meurt

Mais que très haut, parmi l’écume

Et les tourbillons d’astres, leurs chants

De planète en planète bondissent

Vers leur source… »

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« … Toutes les choses de la terre

Il faudrait les aimer passagères

Et les porter au bout des doigts

Et les chanter à basse voix

Les garder les offrir

Tour à tour n’y tenir

Davantage qu’un jour les prendre

Tout à l’heure les rendre

Comme son billet de voyage

Et consentir à perdre leur visage… »

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Doux voyage au fils des eaux,

au fil des mots…

Si la lune – douce inspiratrice – s’éclipse,

l’instant reste éphémère,

 la poésie est, sera toujours

à lire, à écrire, à peindre…

La beauté éclaire le monde,

nul ne pourra jamais l’éteindre…

Extraits de magnifiques poèmes inspirés d’Anne Perrier    1922-2017.

Photos BVJ – 1 à 5 en Bretagne, 6 à 10 en Suisse – septembre 2025.

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S’abreuver à la source poétique…

BVJ – Plumes d’Anges.

Cœurs à cœurs…

31 août 2025

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« … Ce goût de la fugue, des échappées, qui m’envoie aujourd’hui sur les routes, je l’ai depuis toujours. Héritage d’une enfance trimballée, vécue dans le mouvement, les cartons et les rentrées scolaires en terre inconnue, à quoi bon se lier, se donner puisque tout cela sera rompu dans quelques mois ? Puisqu’il faudra recommencer et renoncer au moment où tout semble trouver sa place (…) Ne pas attendre, ne pas dépendre. J’ai vite compris que je serai mon propre axe, mon repère, mon point fixe, mon diapason. Et Guillaume, un jour, alors que je n’attendais rien. L’homme posé, ancré, attentif à ce qui tombe sous son regard, celui qui n’en finit pas de scruter quelques mètres carrés et d’y trouver histoires et merveilles. Guillaume terrien. Moi le vent, le feu. L’embrasement. Nos sauvageries. Tes mains, comme des oiseaux envolés. La vie qui déborde et nous déborde. Notre faim insatiable de cet amour prodigieux que nous vivions.

Tu m’avais appris à ralentir. J’aimais les couleurs de ton ciel. Et ce mot que tu avais écrit un jour sur une carte, un jour d’anniversaire. À nos lents demains, mon amour. Avec toi, toujours. D’une journée banale qui m’ennuyait à périr, où j’étais toujours en quête d’un battement de cœur supplémentaire, tu faisais une constellation d’instants et de couleurs. Je t’enviais ça. La vie, fantaisie provisoire. Je vivais pour demain, tu apprivoisais l’aujourd’hui avec grâce, curieux du merveilleux qu’il allait t’offrir, d’une germination inattendue, d’une clarté soudaine…

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… « Emma mon enfant, ma fille aux yeux de châtaigne et aux joues d’ivoire, mon arbrisseau, mon printemps, mon gouffre, Emma ma branche de corail, nous sommes allés au jardin ce matin, dans la lumière de cette matinée de la fin septembre. Opération de désherbage, pour laquelle tu m’assistes avec enthousiasme et gravité. Les feuilles ont rougi, jauni, elles ont bruni, leurs brillances se détachent sur le vert sombre des cèdres, tes joues fraîches ont pris des couleurs, elles sont luisantes de bruine.

Le travail nous attend, tu as enfilé tes bottes en caoutchouc vert, un peu trop grandes pour toi, mais tu n’en veux pas d’autres, et tu t’es armée de ton petit râteau en métal rouge vif, nous voici à pied d’œuvre, une belle équipe tous les deux. 

Il faut éclaircir la menthe, aussi odorante qu’envahissante, arracher le sèneçon, les pissenlits charnus, les chardons vigoureux, ramasser les fruits trop mûrs écrasés que se disputent quelques insectes, couper les roses fanées aux têtes trop lourdes ; les abeilles encore engourdies par le froid se déplient dans un vol paresseux.

Tu suis mes gestes et tu essaies de faire comme je te montre, dégager le pied des arbres des feuilles mortes avec le râteau, puis les rassembler en tas. Mais autre chose t’intéresse davantage, tu te mets soudain à courir vers le pignon de la maison, là où rougit une vigne vierge somptueuse et, accroupie, tu commences à choisir des feuilles tombées, beau tu murmures… »

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Une histoire sensible, émouvante et profonde, admirablement écrite, celle d’Agnès, danseuse, qui un an après la perte de son compagnon, donne une dernière représentation en compagnie de danseurs, blessés de la vie. Elle l’a décidé, elle doit amorcer un virage dans son existence,  se la réapproprier.

Elle décide d’entreprendre un voyage en Europe vers une destination précise, dans un but précis. Elle veut faire quelques étapes sur les pas de souvenirs heureux et de rêves inaccomplis. Elle emporte dans son sac un livre, celui que Guillaume adorait, elle le lui a lu et relu pendant sa longue maladie. Un livre écrit par un certain Julien Lancelle, un homme blessé, qui a du mal à trouver sa vraie place dans la vie. Il est le père d’Emma, une petite fille « différente » qui n’est heureuse que dans les jardins au contact des fleurs, des oiseaux et des insectes. Julien se voue corps et âme à sa fille, il l’accompagne quotidiennement de tout son amour, la protège. Il a publié un livre, un seul, fait de lettres adressées à Emma, des lettres bouleversantes de délicatesse et de poésie.

Lors de son voyage Agnès admire « pour de vrai » la sublime Corbeille de fruits du Caravage à la Pinacothèque de Milan, puis se rend à Mantoue pour découvrir La chambre des époux d’Andrea Mantegna dans le Palais ducal – Guillaume et elle en avaient rêvé… Elle nous parle du Kintsugi, cet art japonais qui répare les fêlures des porcelaines brisées avec une laque recouverte de poudre d’or, l’objet trouvant ainsi une nouvelle vie…

Gaëlle Josse a construit son livre sur l’alternance de ces deux histoires d’amour.

Je n’en dévoilerai pas plus et vous laisse découvrir ce texte magnifique.

Encore un chef d’œuvre à mes yeux…

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Extraits de : « De nos blessures un royaume »  2025  Gaëlle Josse.

Illustrations : 1/ « Parterre de marguerites » fragment de la frise liseron – Gustave Caillebotte  1848-1894   2/ « L’apprenti botaniste »  Paul Peel  1860-1892.

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Aimer de tout son cœur, de toute son âme…

BVJ – Plumes d’Anges.

Faire réflexion…

24 août 2025

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« Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites.

Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes.

Tout, la haine et le deuil ! – Et ne m’objectez pas

Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas… –

Écoutez bien ceci : 

 

Tête à tête, en pantoufle,  

Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,

Vous dites à l’oreille au plus mystérieux

De vos amis de cœur, ou, si vous l’aimez mieux,

Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,

Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,

Un mot désagréable à quelque individu ;

Ce mot que vous croyez qu’on n’a pas entendu,

Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,

Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre !

Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin.

Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,

De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;

– Au besoin, il prendrait des ailes comme l’aigle ! –

Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera.

Il suit le quai, franchit la place, et cætera,

Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,

Et va, tout à travers un dédale de rues,

Droit chez l’individu dont vous avez parlé. 

Il sait le numéro, l’étage, il a la clé,

Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe,

Entre, arrive, et, railleur, regardant l’homme en face,

Dit : – me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel. –

 

Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel. »

 .

Dans ces temps de bavardages en tous genres,

de bruits médiatiques incessants,

de mensonges éhontés,

de mauvaise foi si souvent flagrante…

j’ai découvert ce formidable poème de Victor Hugo,

– vous pouvez l’écouter —> ICI, merveilleusement déclamé par André Dussolier-

publié avec d’autres dans un recueil nommé « Toute la Lyre« , œuvre posthume du poète .

Il n’y a pas de place pour la haine…

Beaucoup de perles à déguster au travers de ces pages,

j’espère que vous les apprécierez aussi.

V.H. serait-il  indémodable ?

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 Poème XXI-Corde 3-  extrait de « Toute la Lyre »  Victor Hugo  1802-1885.

Illustrations : 1/ « Rivière Bluff »  George Catlin  1796-1872 

2/ « Serpent et papillon » Jeronimo Jose Telles junior  1851-1914

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Bien choisir nos mots…

BVJ – Plumes d’Anges

Droit d’aimer…

17 août 2025

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« … J’ai senti se dresser en moi des flèches de rage, des images tourmentées se répandant telles des taches de sang. Ça ne sert à rien, me suis-je dit. Je me suis jetée sur les leurres habituels. Ça ne vous mènera nulle part. Songez à l’issue que vous souhaitez et assurez-vous d’avancer dans la bonne direction. Faut rester pragmatique. C’est ce que je répétais toujours aux filles du lycée. Il y a tellement de choses dans cette vie qui n’ont pas la moindre importance, tellement de trucs qui vous retiennent, vous emprisonnent et vous éloignent de ce qui importe vraiment. Ne vous empêtrez pas dans des choses qui ne comptent pas ou sur lesquelles vous n’avez aucune influence, et en particulier ne vous préoccupez pas trop de faire savoir aux autres que c’est vous qui avez raison parce que ça devient trop facilement un obstacle sur la voie de ce que vous voulez ou de ce dont vous avez besoin. Apprenez à ne pas prêter la moindre attention à toutes les choses de la vie et libérez-vous plutôt en vue de ce qui vous intéresse vraiment. Aiguisez votre attention. Ne vous embêtez pas à laver ou ranger au-delà d’une forme élémentaire d’hygiène. Ne laissez pas votre apparence devenir votre principal souci. C’est ce qui anéantit toute créativité. Soyez aussi autonome que vous l’oserez. Parfois votre force est plus grande quand les gens ignorent ce que vous pensez ou ressentez, alors faites très attention à qui vous vous confiez. Les gens peuvent s’emparer de vos faiblesses quand vous vous y attendez le moins, les déformer voire s’en repaître, et avant même que vous ne vous en soyez rendu compte elles ne vous appartiennent plus…

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… Je me suis mise à pleurer en repensant à Ruth. Je pleurais en repensant à ses exigences, à la dignité avec laquelle elle se comportait comme si les difficultés de la vie étaient en un sens un immense honneur qu’on lui faisait. Je pleurais en repensant à la foi qu’elle avait en elle-même. Je pleurais en repensant au fait qu’il n’y avait en elle rien qui puisse passer, faute de mieux, pour un deuxième choix. Je pleurais parce qu’elle avait été si calme et si assurée. (…)  Je pleurais parce qu’elle s’était décarcassée pour me faire sentir que j’étais quelqu’un de précieux et de grande valeur. Je pleurais parce que je ne l’avais jamais vue s’acheter le moindre truc chouette. Je pleurais en repensant à la peine qu’elle portait dans son cœur, à l’impuissance et au manque de contrôle qu’elle avait sur la vie et qui parfois étaient une sorte de prison, sans jamais qu’elle s’en plaigne ni ne demande de l’aide. La bonne humeur qu’elle revêtait chaque matin comme un uniforme. Son sourire. Ce sentiment que nous avions toutes les deux de bien nous comprendre, sans même avoir à dire quoi que ce soit, de savoir comment faire attention, non pas une attention anxieuse, mais une attention qui nous emplissait, qui nous rendait attentives l’une envers l’autre. Que les choses qui nous rendaient tristes nous rendaient aussi fortes, qu’elles étaient notre pouvoir… »

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Une histoire forte émotionnellement, celle de Ruth, professeure dans un collège londonien, mère d’Eleanor. Celle-ci la quitte brutalement à l’age de quinze ans pour emprunter les chemins brumeux de la drogue… Ruth prend de ses nouvelles, l’invite, tente de la faire rêver et de la ramener « à la vie ». Jamais elle ne juge sa fille, elle cherche toujours à embellir son quotidien. Mais Eleanor s’éloigne de plus en plus. Un jour elle lui annonce être enceinte d’une petite fille. Ruth fait tout pour l’aider à accueillir Lily… en vain. C’est elle qui recueille le bébé, l’élève en cherchant toujours à bâtir un pont entre sa fille et sa petite fille…

Ruth traverse beaucoup d’épreuves, avec calme, douceur, patience, avec une immense dignité, beaucoup d’amour et de pureté.

Le roman se divise en dix chapitres, neuf sont racontés par Ruth. Elle mélange présent et passé par petites touches, nous parlant des êtres qui ont marqué son existence, d’une façon triste ou joyeuse, amours et amitiés, elles se questionne sur la profondeur des relations : on peut se donner le droit d’aimer mais on ne peut forcer personne à nous aimer…. 

Je vous laisse découvrir ce très beau livre qui ne peut, il me semble, laisser quiconque insensible. 

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Extraits de : « Amours manquées »  2025  Susie Boyt.

Illustrations : 1/ « Femme et enfant »  Helene Schjerfbeck  1862-1946 

2/ « Marguerites dans l’ombre »  Bernard Boutet de Monvel 1881-1949.

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Se donner le droit d’aimer…

BVJ – Plumes d’Anges.

Instantanés…

10 août 2025

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« … « Va vers nulle part

L’horizon n’est pas loin

Va vers nulle part

Tu connais le chemin »

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« Dans l’arrière cour du pavillon fricotaient les anophèles mâles et les femelles. Partout dans le petit gazon les insectes grésillaient tranquilles.

Une cabane était refuge à ceux qui cherchaient dans le soir les quelques notes énigmatiques qui pouvaient déverrouiller la nuit. Deux-trois touches, pianoter, comme les chiffres sur un verrou, un cadenas numéroté.

Plissant les yeux pour sentir dans le soir l’air banlieusard qui parvenait jusqu’à nous, on tournait la tête en tous sens exactement comme les insectes, en espérant que nous poussent sur le crâne des antennes paraboliques et paramétrées pour se connecter à la fréquence des anges, des messages qui défilent sans auditeurs sur la bande passante des songes. On voulait réveiller les mots endormis. Pardon pour le dérangement. »

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« À l’heure des premières figues, tout le monde s’en allait sur les places publiques dire son amour pour le pays intérieur.

Vas-y, vas-y ! Vas-y ! criaient les jeunes gens sous le soleil bien lourd. Mais aller où ? Dernièrement, un singe plébiscita les forces de l’ordre juste pour faire mumuse. Alors, de là à lui demander une main, un secours, un peu d’aide. Il n’y avait qu’un pas. Mais un pas de fourmi. Une plume tomba du ciel.

Les jeunes gens ne virent rien, occupés à crier vas-y, vas-y, mais une femme parmi eux conquérait, le front plissé, les hauteurs du monde. Alors naturellement, elle vit la plume. Il n’y avait pas d’oiseaux, il n’y avait pas de lune, il n’y avait pas de souffle, il n’y avait plus de poète, il n’y avait pas d’indulgence, il n’y avait pas de calme, il n’y avait pas de flamme, il n’y avait pas de marge intrépide où faire son beurre MAIS elle vit la plume »

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« Ce qu’on s’autorise à espérer

Prend racine quelque part »… »

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Arthur Teboul, auteur compositeur interprète du groupe Feu ! Chatterton, acteur, poète…nous propose ici  un acte de poésie et un jeu libérateur et jubilatoire, qui étonne en premier lieu le poète en nous qui s’ignorait : « Comment, à l’intérieur de moi, j’abritais tous ces mots, et ne le soupçonnais pas ? »

Il suggère de penser à un nom, de l’écrire immédiatement puis d’y ajouter un adjectif… l’étincelle se produit, les mots affluent, ne pas les juger, ne pas les corriger, écrire ainsi rapidement pendant cinq à sept minutes, renouveler l’exercice chaque jour…

L’auteur nous offre une centaine de textes courts et une très belle présentation« la poésie est partout. Elle peut être partout. « Le monde est rempli de visions qui attendent des yeux. Les présences sont là, mais ce qui manque, ce sont nos yeux. » C’est Christian Bobin qui le dit. La poésie est une attention, une délicate attention. »

Cette démarche m’a totalement séduite et d’instinct je crois en sa vertu.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

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Extraits de : « Le Déversoir – Poèmes minute »  2023  Arthur Teboul.

Illustrations : 1/ « Oiseaux »  Tivadar Csontvary Kosztka 1853-1919

2/ « Le chant de l’oiseau »  Ferenczy Karoly  1862-1917.

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Laisser chanter nos mots intérieurs…

BVJ – Plumes d’Anges.