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« … Pourquoi la vue d’une lampe allumée en plein jour glace-t-elle le cœur ? Pourquoi suis-je toujours fasciné par le partage des ombres et des lumières ?…
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… Débarcadère blanc de givre, ciel empli d’étoiles. Au bout d’un long filin je jette un seau à la mer. Il faut mettre à tremper du poisson pour demain. Les sabots cloutés glissent sur les pierres. Quelques étincelles jaillissent. Le courant miroite…
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… Midi. Le bruit de la vague et le silence, l’ombre épaulant la lumière, j’ai soudain l’impression que le phare est fondé sur leur équilibre. Et chaque geste le dresse un peu plus.
C’est fragile comme une rencontre d’oiseaux. Il faut être soi-même invisible là-dedans. Et présent pour lancer la ronde.
Toutes les lueurs du jour, qui tournent et volent dans l’air léger de l’escalier, est-ce qu’elles ne se retrouvent pas au soir, dans la couronne de flammes secrètes du foyer ?
À la lucarne près de laquelle je travaille aujourd’hui, on voit l’horizon partager exactement le ciel et la mer.
Le soir. Tout notre travail est pour l’horizon. Cette lente avalanche de la lumière vers le haut, les prismes la cassent durement, la renvoient au large.
Moi j’ai besoin de lumière, je suis affamé de lumière. Les murs, les cuivres. Par quelle roue d’un moulin secret devrai-je moi-aussi passer ?… »
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La construction du phare d’ArMen – situé à l’extrémité de l’île de Sein –
prit 14 années, un travail titanesque !
La vision de cette « torche » par Jean-Pierre Abraham fut un éblouissement,
l’auteur se sentit attiré par cette vie particulière
comme un papillon l’est par la lumière.
Il demande alors une formation pour en devenir le gardien…
Ce texte – un journal de bord – semble né des brumes,
de l’écume et des vagues qui l’habitent.
Tout est métaphore.
C’est un temps de rites et de taches répétitives, indispensables,
c’est aussi un temps de luttes : les éléments souvent se déchainent,
l’humidité est permanente, pénétrante.
Il faut entretenir l’édifice, le réparer pour ne pas mourir.
C’est une véritable école de la vie dans laquelle l’homme
apprend à se connaître, à explorer son intériorité.
Il fait équipe avec Martin,
ils semblent éprouver un grand respect l’un pour l’autre,
être solidaires dans l’épreuve et dans les joies.
Trois livres l’accompagnent, lus et relus,
scrutés dans leurs moindres détails :
un album sur Vermeer, un autre sur un monastère cistercien
et un dernier de poèmes de Pierre Reverdy.
Les ombres et les lumières omniprésentes
font de ce texte une lecture forte et précieuse,
elle laisse une belle trace.
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Extrait de : « ArMen » Jean-Pierre Abraham 1936-2003.
Illustrations : 1/« La mer » Wladyslaw Slewinski 1856-1918 2/« Phare sur la côte bretonne » Théodore Gudin 1802-1880.
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Découvrir sa destinée…
BVJ – Plumes d’Anges.