Archive pour février 2025

Lente résilience…

dimanche 23 février 2025

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« ... La Line d’aujourd’hui – celle qu’on déterre et qu’on ramène à la vie – est née d’un séisme. Elle incarne un miracle. Comme ces légendes, au cœur des catastrophes, qui échappent au désastre – fantômes sortant des décombres, bébés aux sourires immaculés extraits de l’enfer, arbres centenaires et vieux temples épargnés par les secousses meurtrières. Ces histoires, on les murmure comme des contestations ; elles obéissent aux lois d’un monde dévasté.

Au cœur du chaos, elles ouvrent des chemins de lumière…

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Thomas passa la matinée à chercher des récits et des témoignages de survivants de catastrophes en tout genre. Il lui fallait comprendre l’effacement, lent, graduel de Line – cette métamorphose qui opérait en elle de manière sourde, mais radicale. À quel moment les êtres s’effaçaient-ils ? À quel moment quittaient-ils réellement l’histoire ? Était-ce simplement une question de présence au monde, de mouvement, de corps ?…

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… À mesure que les mots revenaient frapper à la porte de sa conscience, à mesure que les souvenirs devenaient plus nets, Line avait poursuivi ses recherches. Elle pensait à la femme de Tokyo, tout le temps. Quel que soit l’endroit où elle se trouvait, elle n’arrivait pas à la semer. Et elle n’en dormait plus. Depuis le séisme, enfin un désir était né. Plus qu’un souhait, c’était une nécessité, un besoin qui balayait tout le reste : la retrouver. Savoir ce qu’ils avaient extrait de la terre.

Elle en était venue à la conclusion qu’il n’existait qu’un lieu où elle pourrait avoir des réponses : cette île, dont Saki avait parlé, où elle avait grandi – son île abhorrée. Line était obsédée par cette terre. Où se trouvait-elle ? À quoi ressemblait-elle ? Qui vivait là ? Qui la visitait ?…

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… L’agitation des oiseaux du littoral, leurs cris et leurs manœuvres mystérieuses, le tumulte incessant des vagues. Ce paysage était à la fois immuable et changeant. En bord de mer, aucun jour ne ressemblait à un autre, aucune nuit n’était la même. Suivant le continuel mouvement des marées, la lumière et la densité de l’air se modifiaient sans cesse. Quelque chose – une couleur, une voile, la force du vent ou la forme d’un nuage – venait toujours s’immiscer dans le décor pour la bouleverser.

Saki pensait aux systèmes parfaits, utopiques, où tout pouvait se dérégler si rapidement. Où tout parasite corrompait l’ensemble. Elle pensait aux abeilles, aux fourmis, s’organisant à merveille pour maintenir la vie de leur ruche, de leur nid. Elle pensait à sa propre famille, à ce microcosme qu’ils avaient formé tous les trois avant le départ de son père. Un merveilleux système qui avait été rompu à leur arrivée sur l’île…

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… Tout a une fin, Line. Mais l’espoir… L’espoir n’a pas de fin… »

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Ce livre écrit en deux parties, raconte une longue – et difficile – histoire de renaissance suite à un traumatisme vécu. Line, hôtesse de l’air, est appelée à en remplacer une autre sur la ligne Paris Tokyo. C’est l’époque des cerisiers en fleurs, le spectacle sera grandiose. MAIS, un énorme tremblement de terre frappe cette île japonaise, et Line se retrouve prisonnière des décombres, aux côtés d’une autre jeune femme, Saki. Elles vont se donner la main, parler sans cesse et taper alternativement au cas où elles pourraient être entendues.  Line pense et se souvient, elle voulait devenir danseuse mais un accident de moto à l’adolescence fracture certains de ses os, son rêve est brisé… Elle volera dans les airs et deviendra hôtesse de l’air. Certaines bribes du passé remontent et une nouvelle compréhension émerge.

Le calvaire durera 8 jours et 8 nuits, Line, sortie de cet enfer, est hospitalisée pendant quelques jours au Japon puis en France, où elle retrouve son compagnon Thomas, son appartement. À la chance d’être survivante succède une profonde dépression… puis une reconstruction.

Je vous laisse découvrir la suite. Ce qui m’a touchée dans ce livre, c’est l’histoire bien-sûr mais aussi la façon de traiter ce sujet grave et douloureux. Le respect pour les victimes est toujours présent et l’auteure parvient à raconter les faits dans une langue poétique. Elle analyse avec justesse les tourments du miraculé, le combat contre ses fantômes, le séisme intérieur et cette nécessité, après l’enfermement, de partir à la rencontre de Saki et de respirer l’air du large pour rentrer dans un processus de résilience.

Un roman vraiment talentueux que je vous conseille.

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Extraits du livre : « Insula »  2024  Caroline Caugant.

Illustrations : 1/ « Bouquet de jasmin »  2/ « Rangées d’arbres »  3/ « La route des merveilles »  Jan Mankes  1889-1920.

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Rechercher la voie de la lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.

Silencieusement…

dimanche 16 février 2025

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« … Dans son pas qui martèle le sol elle sent monter maintenant une autre force. Cette force-là, c’est celle qui fait traverser à ceux qui souffrent les épreuves les plus dures, celle qui fait naître la vision des matins paisibles à nouveau, où la bonne odeur du pain chaud viendra accompagner le jour. Elle redonne le courage de continuer, même si le temps des maisons rassurantes est loin. Il suffit parfois de si peu pour que l’espérance revienne. Un parfum, un chant, le regard qui voit à nouveau la beauté du ciel ou d’une ombre sur un mur. Et quelque chose dans les cœurs épuisés se remet à battre. Et qu’importe que cela ne dure pas, que le poids des guerres et de la misère revienne écraser les poitrines. Le temps où la vision a été là a ouvert une fissure dans le mur qui obstrue la vie. Cette fissure là ne se comblera plus. Et elle, du chant qu’elle reprend maintenant, essaie de toutes ses forces d’agrandir la fissure…

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… Il y a tant d’amour dans le cœur de Jean.

Il y a des jours où tout l’amour qu’il porte en lui déborde. Il voudrait que chacun en ait sa part. Il voit si souvent que les cœurs des hommes sont pauvres. Mais personne ne peut combler le cœur d’un autre, il l’a appris.

Alors il donne cet amour si vaste à tout ce qui l’entoure. Il pense, comme elle, que les arbres, les pierres, les galets, contiennent l’amour qu’on leur donne longtemps pour que quelqu’un, un jour, passe et le découvre. Alors l’amour s’éveille même là où on le pensait éteint depuis longtemps. C’est silencieux. Ces passages-là n’ont pas besoin de mots. Ils se font par le regard, par la paume de la main, par un effleurement sur une roche ou une branche, c’est tout. Et c’est bien ainsi.

Que savait-il son guide de tout cela ? Il ne leur parlait pas des arbres, des pierres ni des galets mais parfois il posait sa main sur une épaule et c’était la terre entière qui réchauffait celui qu’il touchait. Est-ce que c’était cela ses miracles ?…

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Ceux qui veulent faire de la vie une chose bien établie avec ceci puis cela et après cela encore ne veulent surtout pas du mystère. Ils veulent des chaussures qui tiennent un nombre bien défini de saisons mais c’est oublier que le vent peut user la route, que les pluies qui tombent parfois si violentes peuvent raviner le chemin, qu’une pierre sous une semelle peut venir à bout du pas le plus décidé et qu’on trébuche.

La vie aussi s’use au vent et sur les pierres des routes.

Et puis voilà, elle peut reprendre par surprise tout son éclat comme si on voyait les choses de tous les jours pour la première fois et on est heureux. Il suffit de si peu, la voile bien gonflée d’une barque sur la mer bleue et la poitrine s’ouvre large et on respire autrement, comme si on était à la proue du bateau, seul et libre, ou bien le chant d’une femme qui tisse et accompagne son mouvement régulier d’une chanson apprise par sa mère et la mère de sa mère, une chanson qui vous rassure et vous dit que les liens du fil et de la laine ne s’arrêtent jamais, qu’ils vont former peu à peu un motif et qu’on le verra apparaître pour peu qu’on soit patient… »

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Comme il fut difficile de choisir des extraits de ce livre qui raconte un moment de vie, une étape dans l’existence d’une mère. L’eau est très présente, les pierres, les galets, le souffle du vent, le dessin, l’écriture, une petite fille qui a perdu la parole, une femme instruite qui lit et écrit, des femmes, des hommes qui veillent les uns sur les autres, qui s’entraident naturellement, silencieusement…

Les personnages ne sont pas nommés sauf un, Jean. L’histoire se met en place doucement et l’on comprend celle qui se raconte là. Il y a pour tous ces êtres un avant et un après, ils ont vécu « la grande souffrance ». Ils sont comme aériens, en pleine mutation, dans le mystère de ce que sera demain, ils l’acceptent, avancent à leur rythme, chacun observe, grandit, laisse l’autre libre d’accomplir son destin sans entrave ni jugement. Quand deux souffrances se rencontrent, elles peuvent aller au plus profond de la douleur, l’extirper des entrailles et mettre au monde une vie nouvelle, un enfantement dans la douceur au sein d’une nature sauvage. L’écriture est belle, merci à Jeanne Benameur pour ce texte magnifique et si plein de délicatesse…

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Extraits de : « Vivre tout bas »  2025  Jeanne Benameur.

Illustrations :  1/ « Vierge de l’annonciation »  Antonello da Messina  1430-1479   2/ « Vagues et rochers »  3/ « Paysage sombre »  Carl Rottmann  1797-1850  5/ « Vagues »  Paul Richard Schumann  1876-1946   4/ « Vagues sur des rochers »  Alois Kirnig 1840-1911.

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Vivre silencieusement dans l’espérance…

BVJ – Plumes d’Anges.

Blanc…

mardi 4 février 2025

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Un petit coup de blues, nous en vivons tous…

Dire – Se dire – Parler – Exprimer –

Échanger – Écouter – S’écouter – Entendre –

Réfléchir – Évoluer – Transformer – Moduler –

Agir – Réagir – Observer – Voir – Prendre note – Faire silence…

Je pars vers le blanc pour y retrouver les couleurs de la vie,

pour méditer sur de nouvelles voies à emprunter,

pour découvrir une source de lumière nouvelle…

À bientôt !

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« Le blanc agit sur notre âme comme un silence,

un rien avant tout commencement. »

Vassily Kandinsky

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Illustrations : 1/« Ascension du Mont Blanc »  Gabriel Loppé  1825-1913   2/« Source de l’Arveyron »  Carl-Ludwig Hackert
1740-1800.

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Poser une intention…

BVJ – Plumes d’Anges.