Archive pour juillet 2019

Poignante sombritude…

dimanche 28 juillet 2019

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« … Je le voyais pas. Comment j’aurais pu deviner ?

Il connait cet endroit autrement qu’en souvenir. Quelque chose parle dans sa chair, une langue qu’il ne comprend pas encore.

Comment j’aurais pu imaginer qui il était ?

Il est grand temps que les ombres passent aux aveux…

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Tout homme est un souffle, une image vouée à disparaître, une ombre qui s’agite. J’ai appris que seules les questions importent, que les réponses ne sont que des certitudes mises à mal par le temps qui passe, que les questions sont du ressort de l’âme, et les réponses du domaine de la chair périssable. J’ai appris que chaque histoire est grande de son propre mystère…

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Le soleil était en train de chasser la gelée blanche.

Le jeune homme déplie un bras, comme s’il s’apprêtait à désigner quelque chose. Se met à rouler la manche de sa chemise jusqu’au pli du coude et plus haut encore, là où quelques muscles ont poussé, là où s’étale la marque rougeoyante en forme de feuille, qui elle, n’a jamais grandi depuis l’enfance.

Comment j’aurais pu deviner ?

Il laisse retomber son bras le long du corps. Ne bouge plus, regard posé ailleurs que sur les yeux de l’homme, posé sur sa figure, pourtant : front, nez, menton ; peu importe, pourvu que ce ne soient pas les yeux. Puis il recule, tend l’autre bras en arrière. La main trouve d’instinct la bride. La saisit. Cela pourrait finir ainsi, maintenant, si seulement il se retournait et s’en allait. Mais il est trop tard, et ils le savent tous les deux. Maintenant qu’ils sont un, par la marque commune qui imprègne leur chair. L’homme sans age ne voit désormais plus que cette marque qu’il avait fini par oublier, à force de regards dressés à fuir les miroirs, les vitres et les flaques. Il n’a, ils n’ont toujours pas de mots, pas un seul, pas même ce mot qui les brûle, qui n’est pas le même mot et signifie pourtant la même chose… »

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Une histoire foudroyante – je vous l’avoue, j’ai failli en arrêter la lecture et puis je me suis dit qu’il était impossible de raconter la noirceur profonde sans nous amener sur un chemin de lumière – !

Rose – elle porte ce doux et magnifique prénom  – en est l’héroïne, jeune fille de quatorze ans vendue par son père miséreux à un notable. Sa vie devient alors un enfer. Rose est combative, elle lutte, elle ne veut pas que le mal et la cruauté aient le dernier mot, elle trouve au fond d’elle-même, avec un infini courage,  des forces qui l’amèneront vers les mots et l’écriture, pour ne pas être oubliée.

L’histoire se raconte à travers les personnages, ils possèdent chacun un langage propre, la parole n’est d’ailleurs pas donnée aux bourreaux. L’auteur semble puiser son inspiration dans une mémoire invisible du monde, son écriture coule comme l’eau d’une rivière. La couverture du livre, une photo argentique de l’écrivain-photographe Sara Saudkova, modifiée par un découpage vertical, prend tout son sens au fil des pages.

C’est un roman puissant, une histoire poignante qui laisse des traces, je suis vraiment heureuse de ne pas avoir interrompu ma lecture.

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Extraits de : « Né d’aucune femme »   2019   Franck Bouysse.

Illustrations : 1/ « Rose et muguet »  Frants Diderik Boe  1820-1891   2/ « Au bord de la forêt » August Heirich  1794-1822.

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Trouver des forces en soi…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Liberté voyageuse…

lundi 22 juillet 2019

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« … Il faudrait superposer plusieurs mots pour exprimer la fonction profondément polyvalente du camping-car, le génie qu’il avait fallu pour le concevoir et l’aménager, pour orchestrer toutes ses propriétés, le transportable, le pliable, le rangeable, le coulissant, l’escamotable, le pratique, le bien fait. Rien de négatif ne demeurait dans cet espace autarcique : la promiscuité était gage de proximité, le manque d’espace devenait trésor d’ingéniosité. Le constructeur du Combi Volkswagen avait réussi à reproduire une cuisine miniature équipée d’un mini-évier, de mini-feux, d’un mini-frigo, d’une mini-armoire, de mini-tiroirs pour des couverts de dînette. Une maison de poupée avec moi dedans.

Il en découlait un extraordinaire sentiment de sécurité. Rien ne pouvait nous arriver. Un froid subit, un grand vent, une tempête intensifiaient cette sensation. Souvenir d’avoir bu une tisane, tous ensemble, alors que la pluie tambourinait sur le toit et menaçait de noyer le camping où nous allions passer la nuit…

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… La vie en plein air suppose l’itinérance ; la découverte de la nature est cheminement. Or le vélo ne suffit pas à satisfaire ce besoin de mobilité. Paradoxalement l’amour de la nature requiert le moteur. La voiture autorise des départs inopinés, des éloignements fous, des adieux à volonté ; elle permet aussi d’embarquer ustensiles et équipements. Mais le camping n’exige-t-il pas la rusticité et un mode de vie spartiate, contre les raffinements d’un confort supposé décadent ? L’auto-campeur répond en adoptant un idéal de simplicité, et ce sera justement la force du camping-car que de concilier l’indépendance, le génie pratique et la vie sauvage. Illusion d’une automobile « naturelle »…

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… La musique le dit encore mieux que les mots, et c’est pourquoi la bande-son de nos années camping-car, c’est Carmen, tout particulièrement l’air du deuxième acte où la bohémienne tente d’entraîner le raisonnable don José :

Le ciel ouvert, la vie errante,

Pour pays, l’univers,

Et pour loi, sa volonté

Et, surtout, chose enivrante :

La liberté, la liberté !… »

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Quel plaisir de lire ces pages, de découvrir ce voyage à travers les souvenirs du jeune héros, futur écrivain.

Et même si aujourd’hui la liberté offerte par le Combi Volkswagen  est moins évidente face aux interdictions diverses et variées, on peut en faisant des recherches, en réfléchissant, vivre en aventurier des temps modernes et s’extraire du bruit du monde tout en respectant la nature, j’en suis un témoin privilégié et remercie la vie.

Ah, que de beaux et doux moments, que de découvertes ! Merci Tania, ce livre vient de m’accompagner avec bonheur.

Extraits de : « En camping-car »  2018  Ivan Jablonka.

Photos BVJ – 1/ Dans l’Embrunais  2/ Dans la Maurienne  3/ Lac du Mont Cenis  4/ Vers le Col de l’Assietta (Piémont).

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Goûter à la vie nomade…

BVJ – Plumes d’Anges.

Parade – un peu – déceptive…

dimanche 14 juillet 2019

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« Fais une clef, même petite,

entre dans ma maison.

Consens à la douceur, aie pitié

de la matière des songes et des oiseaux.

Invoque le feu, la clarté, la musique des flancs.

Ne dis pas pierre, dis fenêtre.

Ne sois pas comme l’ombre.

Dis homme, enfant, étoile.

Répète les syllabes

où la lumière est heureuse et s’attarde.

Répète encore : homme, femme, enfant.

Là où plus jeune est la beauté. »

« Blanc sur blanc » –  Eugénio de Andrade 1923-2005.

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Ah, les maisons, les architectes d’intérieur ou d’extérieur, la décoration…

Je ne vous parlerai pas de ma petite déception face à la 4ème édition

de la Design Parade de Toulon,

dont le thème est, chaque année, « Une pièce au bord de la Méditerranée ».

Les dix projets d’architecture retenus ne m’ont pas enthousiasmée,

non qu’ils n’étaient pas à mon goût

mais je n’y ai pas senti vibrer cette mer si chère à mon cœur.

Je retiendrai tout de même quelques images,

parce qu’il y a toujours une belle découverte à faire quelque part…

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Œuvres de François Champsaur, président du jury 2019,

il « questionne le rapport entre l’homme et la nature ».

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Une œuvre d’HUGO DRUBAY,

un des lauréats qui a entièrement fabriqué

ce qu’il propose dans ce « Jardin d’intérieur »…

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J’aime être surprise par la créativité, l’inventivité, la savoir-faire, le talent et la poésie,

 je l’ai été dans une salle en découvrant certaines créations de

la Maison GOOSSENS (qui a rejoint les Métiers d’Art de Chanel en 2005).

La mise en scène est intéressante, ces objets raffinés sont présentés

sur ou à l’intérieur de simples caisses en bois.

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Ici, un lustre spectaculaire, en métal doré et cristaux de roche,

là d’incroyables bijoux-parures…

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Ici un véritable Cabinet de curiosités…

– dans la vitre se mirent les objets présents dans la salle, ce qui crée une autre curiosité –

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… et là, ce qui m’a tout à fait émerveillée,

ces quelques pièces de l’artiste HARUMI KLOSSOWSKA de ROLA,

fille du peintre BALTHUS,

créatrice de féériques et précieux bijoux ou objets…

CE FUT UN VÉRITABLE CADEAU !

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Lumière, olives, figue, grenade, coraux, bois « comme flotté »…  j’ai senti le sud, le gui s’est invité à la fête…

Je vous parlerai une autre fois de la Design Parade d’Hyères et vous dis à bientôt.

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Rêver en couleurs…

BVJ – Plumes d’Anges.

Œuvre de brume…

lundi 8 juillet 2019

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« … Un jour, l’architecte V., très connu en Belgique avant la première guerre mondiale, se lassa du béton et se mit à détester le granit. (…)

L’architecte V. renonça à bâtir des maisons de pierre. Après des années de méditation, il construisit une cathédrale de brume.

Le principe en était simple. Les murs et la tour étaient faits de brouillard au lieu de pierres. Le brouillard ne se laissant tailler ni cimenter, la construction fut difficile à réaliser. Mais l’architecte V. savait que le brouillard suit certains chemins de l’air comme l’eau suit le lit de la rivière. V. établit donc à l’aide de souffleries adroitement combinées, des courants d’air chauds qui s’élevaient comme des murs et des colonnes en creux. Ces murailles d’air chaud se rejoignaient en forme de voûte à trente-cinq mètres au-dessus du sol. La vapeur produite par une centrale cachée sous terre suivait les chemins d’air qui lui étaient ainsi tracés.

L’architecte V.avait choisi un lieu superbe, une clairière dans la forêt d’Houthulst où les chênes et les hêtres s’élançaient plus haut encore que la voûte de l’église. Là, l’étrange monument se balançait doucement dans l’air immobile. L’architecture en était à la fois floue et précise car la vapeur, tout en ne s’écartant pas de son lit d’air chaud, était animée de courants ou plutôt d’une respiration. (…)

La grande nef était admirable. Cent cinquante quatre colonnes de brume coulaient lentement vers le haut et se rejoignaient en sept clés de voûte. La vapeur s’y condensait en gouttes d’eau qui tombaient une à une au rythme du hasard. Elles étaient reçues au sol par d’admirables iris sculptés par l’orfèvre Wolfers. Les fleurs de ces iris d’un bleu profond étaient hérissées d’acier vibratile dont les lamelles s’émouvaient de sons ténus à chaque goutte. Cette musique, que selon la mode du temps tout le monde s’accordait à trouver violette, remplaçait les cloches que l’architecte V. n’avait pu accrocher dans la tour de brume. Mais le son au lieu de s’envoler dans l’espace comme le son des cloches n’était perçu que par l’oreille du visiteur et allait loin, très loin en lui. (…)

Mon père disait que dans cette église la prière était d’une haute ferveur parce qu’elle ne s’y formulait pas en mots. Debout sur le tapis de lierre, en entendant sans l’écouter la musique des iris, on était saisi d’une sorte de ravissement muet. On devenait silence. Aucune voix même au plus profond de soi ne s’élevait. L’être entier se portait en un élan intense vers quelque chose, mais quoi ? Pas vers un but qui puisse se formuler, ni vers l’accomplissement d’un désir, ni vers un combat, ni vers une consolation. On se portait vers quelque chose dont on ignorait la nature. Vers tout. Vers rien. Et la joie qui répondait à cet élan n’avait pas de nom… »

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Tania avait parlé de cet opuscule avec grand talent. Six nouvelles y sont contées, elles m’ont toutes enchantée, vous trouverez ici des extraits de celle qui porte le titre de l’ouvrage.

Je me suis sentie emportée dans un monde de grâce et de poésie , je ne connaissais pas du tout cet auteur, j’ai pensé en le lisant, à l’imaginaire de Maurice Maeterlinck : une forêt se fait l’écrin d’un bijou rêvé et conçu par un architecte las d’employer toujours les mêmes matériaux. Il cisèle cet édifice, celui-ci prend vie et respire, c’est une cathédrale de brume… Cet écrivain nous offre une histoire pleine de délicatesse, les images y sont fortes, un beau voyage est assuré…

Extraits de : « La cathédrale de brume »  Paul Willems  1912-1997.

Illustrations : « Iris – Projet pour un bijou »  George Paulding Farnham  1859-1927.

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Voguer vers des rêves lumineux…

BVJ – Plumes d’Anges.

Fils de soi…

jeudi 4 juillet 2019

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« … 6 avril 1914

Mon bien-aimé,

Tout ce que j’écrivais hier est vrai, et pourtant…

J’aime que tu sois lumineux, résolu, obstiné. Quand tu connais quelque déboire, tu t’en débarrasses – comme un chien sortant de l’eau qui se secoue, et les gouttes volent. Tu n’as jamais su me consoler quand j’étais triste, tu restais là devant mon chagrin comme un enfant désemparé. Mais au bout d’un moment te venait une idée pour m’arracher à ma tristesse par quelque sottise ou folie…

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Et outre le côté débordant, tu as un autre côté, que je n’aime pas moins. Peut-être même que je l’aime encore plus. Ton attachement. Je ne te l’ai jamais demandé, tu n’as jamais eu besoin de me l’assurer, je le sais : tu n’as pas eu d’autre femme, ni dans les bordels de Berlin comme d’autres officiers ni lors de tes voyages. Quand tu me revenais, après une absence courte ou longue, tu demandais si je voulais encore de toi, si je t’aimais encore, non parce que tu avais fait quelque chose qui aurait pu te coûter mon amour, mais parce que mon amour pour toi est un miracle et que tu as peine à y croire. Quand tu devais partir, tu disais « Ne m’oublie pas » comme si j’avais jamais pu t’oublier , et pendant longtemps je n’ai pas compris que tu voulais simplement avoir dans mon cœur la même place assurée que j’ai dans le tien. Tu es un peu craintif, même si tu ne te l’avoues pas, mais tu n’es pas un amant craintif, tu es un amant passionné, et pourtant attentionné et tendre. Les attentes que tu avais de la vie, tu les as développées pour toi, comme j’ai fait des miennes pour moi. Mais l’espace de l’amour, nous l’avons créé en commun, et là il n’est rien avec quoi tu resterais seul avec toi-même et je resterais seule de mon côté. Là, tu m’es attaché comme je le suis à toi. Ah, mon bien-aimé… »

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J’ai beaucoup aimé la construction de ce roman, Olga Rinke en est l’héroïne.

Dans une première partie, elle raconte sa vie, ses pertes, sa soif irrésistible d’apprendre, son grand amour, ses douleurs, ses joies, ses combats, beaucoup de combats dans de nombreux domaines et son acceptation, Olga Rinke est une femme de courage qui parvient à trouver un chemin de lumière au milieu des épreuves de sa vie…

Dans une seconde partie, d’autres racontent Olga, elle nous apparait sous un autre angle et dans une troisième partie, nous découvrons une correspondance envoyée en poste restante…

Tout s’éclaire au fil des pages par petites touches, on est pris par cette histoire, l’on a envie de comprendre et d’en savoir plus.

L’auteur nous parle de faits historiques – par exemple du sort des Herero en Namibie, victimes de l’ ordre d’extermination entre 1904 et 1911 du général Lothar von Trotha – , de contextes particuliers à cette époque, du nationalisme en Allemagne, il nous parle de la transmission des savoirs et nous raconte l’amour fou de cette femme pour un homme que le néant fascine…

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Extraits de : « Olga »  2019  Bernhard Schlink.

1/« La ville  »   2/ « Éclairage »   Mikalojus Konstantinas Ciurlionis  1875-1911.

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Trouver la lumière dans les chemins de solitude…

BVJ – Plumes d’Anges.

« Rafraîchissoirs »…

lundi 1 juillet 2019

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Quelques images, la fraîcheur existe, il faut y croire…

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Se protéger, passer sous le voile de l’ombre…

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… Pieds nus, le nez au vent, danser dans l’herbe fleurie…

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… Se nourrir de la beauté des glaces ciselées avec art…

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… Cheminer dans les souvenirs parfumés…

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… S’abreuver encore et toujours aux sources claires…

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… Goûter au calme et à la sérénité…

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… Cueillir l’énergie bouillonnante…

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… Suivre le chemin du juste milieu…

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… Puis se rafraîchir l’esprit sous d’autres cieux …

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… Observer, admirer encore et toujours

voyager dans son corps ou dans son esprit

et continuer la route…

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« Vers le soir, abandonne-toi

à ton double destin :

Honorer la terre, et faire signe

aux filantes étoiles. »

François Cheng – 2018 – « Enfin le royaume « 

– Photos BVJ Suisse et Italie Juin 2019 –

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Fraîcheur de la terre, fraîcheur des étoiles, fraîcheur de l’esprit…

BVJ – Plumes d’Anges.