Archive pour avril 2023

Renaître au monde…

mardi 25 avril 2023

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« … Vertu de la présence.

Prenons-nous assez le temps d’être simplement là où nous sommes, posés, disponibles à ce qui advient, dépourvus d’intention comme d’objectif ?

Assise, mains vides et yeux grand ouverts, à l’ombre du cerisier qui fermait le jardin au sud, j’approfondissais sans en avoir conscience les valeurs de la présence nue. Toute course avait été brutalement interrompue, tout but jeté aux orties. Il ne s’agissait même plus, comme au temps du combat contre la maladie, de tenir ni de durer, brûlant toutes les forces disponibles afin de protéger un temps que l’on savait de plus en plus réduit. Il ne s’agissait plus que d’aller d’un jour à l’autre, d’une heure à la suivante sans en attendre grand chose.

Il s’agissait d’être et rien de plus.

Ne rien espérer de l’autre qui est là – thuya, giroflée ou moineau. Ne rien demander. Ne projeter sur lui aucune intention, aucun vouloir, est la façon la plus certaine d’être en mesure de le rencontrer vraiment. De l’accueillir tel qu’il est. On peut appeler ça oraison ou médication, satori ou pleine conscience. On peut aussi ne rien nommer. On peut se contenter d’aller s’asseoir sous l’arbre et de le laisser nous rendre attentive à sa façon de pousser, à sa manière délicate  et déterminée de gonfler ses bourgeons, de déplier chacune de ses feuilles. Bientôt viennent les merles puis les cerises qui les régaleront. Un froissement d’ailes parmi les branches, et voici qu’une plume descend et se pose dans l’herbe, plus légère qu’un flocon.

Au dessus du jardin filent les nuages. On attend d’un jour à l’autre le retour des hirondelles. Non : on n’attend plus rien. Mais un jour elles sont là.

Comme les cerises.

Comme ce tressaillement de joie venu d’on ne sait où, qui vient un matin nous chatouiller le cœur… »

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Suite à une longue et douloureuse épreuve, l’auteure quitte son appartement habité de trop de souvenirs et s’installe dans une maison dotée d’un petit jardin arboré et fleuri. Les oiseaux y sont très présents, au fil des mois ils se succèdent, elle apprécie leurs chants.

Une lente métamorphose s’opère, doucement Anne Le Maître ressent la force de la terre, tisse des liens avec le vivant qui l’entoure, de nouvelles racines se tracent. Les musiques des petits plumeux font renaître en elle un sentiment de joie, les sons et les couleurs, les rythmes de la nature la ressuscitent, elle n’est plus dans le faire mais simplement dans l’être.

On reconnait là le récit d’une femme peintre, une aquarelliste qui avec grand talent, par petites touches, nous offre le nouveau tableau de son présent. J’ai vraiment apprécié ce doux et paisible moment de lecture, il nous amène de l’ombre à la lumière…

Tania parle du Jardin nu –> ICI

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Extrait de :  » Le jardin nu »  2023  Anne Le Maître.

Illustrations : 1/ « Oiseaux »  Orsola Maddalena Caccia  1596-1676  2/ « Plantes et insectes »  Shin Saimdang  1504-1551.

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Être sans intention aucune, simplement observer…

BVJ – Plumes d’Anges.

Faim de vie…

lundi 17 avril 2023

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« … Je regardais distraitement le paysage défiler devant mes yeux, le menton posé sur mes genoux.

Un spectacle naturel, à l’opposé de l’environnement artificiel qui était le mien la veille encore. Mon esprit avait du mal à faire la mise au point. Je me sentais comme perdue au beau milieu d’un décor de cinéma particulièrement réaliste. L’île aux citrons était un lieu charmant et accueillant, l’endroit idéal pour s’oxygéner. Partout où mon regard se posait, je ne voyais que beauté. Une beauté qui frisait la perfection. La mer s’étendait jusqu’à l’horizon dans toutes les directions. Une vue qui apaisait l’âme…

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… La thérapie du toucher de Madonna était différente d’un massage ou d’une séance de chiropraxie, dans la mesure où elle ne faisait que caresser mon corps. Ses mains étaient enduites d’huile essentielle d’agrumes récoltés sur l’île, et à chacun de ses gestes, je me retrouvais enveloppée d’un parfum frais et sucré. On aurait dit que l’île aux citrons m’entourait de ses bras.

Je me tournais sur le côté ou sur le dos, obéissant à ses instructions. La douleur s’envolait comme une nuée d’oiseaux sous les effets conjugués de l’odeur des agrumes et de la chaleur de ses mains…

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… J’ai fermé les yeux, les paupières serrées, j’ai pris une profonde inspiration. C’était le vérité. Je pouvais sentir le parfum, soyeux et léger, des pruniers. J’ai eu la sensation que cet air frais, que j’avais goulûment aspiré, faisait éclore des centaines de fleurs de prunier en moi. Il y avait également un parfum d’agrumes, mon préféré. J’ai poussé une longue expiration.

Lorsque je concentrais toute mon attention sur le moment que j’étais en train de vivre, les tourments du passé et les affres de l’avenir s’envolaient. Il n’existait plus alors que l’instant présent.

Il y avait des choses, pourtant simples, qu’on ne réalisait qu’avec le temps. Être heureuse ici et maintenant me suffisait amplement désormais. (…) Je voulais simplement partager la vue qui s’offrait depuis cet endroit avec mon père et ma petite soeur. Leur en faire cadeau. Qu’ils rentrent à la maison non pas chargés du poids de la tristesse de nos adieux, mais avec l’image magnifique de l’union de la mer, du ciel et de la lumière. Car c’était le seul cadeau que j’étais en mesure de leur faire. Et admirer ensemble ce somptueux paysage était à mon avis le plus beau de tous les cadeaux.

J’étais heureuse d’être en vie.

Ivre de joie d’avoir pu vivre un jour de plus.

Il m’était impossible de retrouver le corps qui était le mien lorsque j’étais en bonne santé. Mais j’avais pu retrouver l’esprit qui l’habitait alors. Et j’en étais très fière.

Il soufflait en moi un vent de gratitude, comme une bourrasque de printemps…

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… La vie est semblable à une bougie. Elle ne peut allumer ou souffler sa flamme elle-même. Et une fois la flamme allumée, il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre qu’elle se consume et disparaisse, en laissant la nature suivre son cours. Mais il arrive parfois qu’elle s’éteigne, soufflée par une force supérieure, comme cela a été le cas pour vos parents biologiques.

Vivre, c’est être la lumière de quelqu’un d’autre.

User sa propre vie en offrant sa lumière à l’autre. Et de cette façon, s’éclairer l’un l’autre. C’est ainsi que vous et votre père, l’homme qui vous a élevée, avez vécu. J’en suis certaine.

La bougie allumée en votre honneur a brûlé toute la nuit d’avant-hier devant l’entrée de la Maison du Lion.

C’était une nuit exceptionnellement venteuse, mais la flamme a continué de brûler, sans jamais s’éteindre, jusqu’à ce qu’elle disparaisse tranquillement, comme dans un dernier soupir, et que la fumée s’envole, aspirée par le ciel.

Je pense en secret que ce mince filet de fumée qui s’est envolé dans le ciel est ce qu’on appelle l’âme. Et vous Shizuku, qu’en pensez-vous ?… »

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Imaginez une île posée sur une mer intérieure du Japon – l’Île aux citrons sur la mer de Seto – et la lumière se déploie immédiatement, la couleur jaune envahit l’espace.

Avec une immense délicatesse Ito Ogawa aborde un sujet difficile : la fin de vie pour des gens atteints d’une maladie incurable.

Shituzu, 33 ans, est accueillie par « Madonna » dans la Maison du Lion, havre de paix et de beauté qui propose à ses hôtes de vivre de doux moments avant l’inévitable grand départ. Le père de Madonna était très riche, il possédait beaucoup de terres sur cette île. Ayant hérité de sa fortune, elle a désiré la construction de ce lieu pour y recevoir des femmes et des hommes qui ne voulaient pas finir leurs jours seuls dans un hôpital, loin des leurs. Elle a passé les diplômes requis, s’est entourée de gens généreux – même les habitants participent à ce grand et beau projet. Mille et une attentions diverses et variées sont portées aux « invités ». Il y a par exemple – et il y en a tant d’autres à découvrir – ce rendez-vous du dimanche après-midi : tout nouvel arrivant, quand il se sent prêt, doit écrire une lettre et y relater le souvenir d’un dessert exquis ; les divines cuisinières tentent alors de reproduire ce met tant apprécié. Shituzu reprend goût à la vie, son cœur bat joyeusement dans l’instant présent aux côtés de Rocca une petite chienne affectueuse…

Ito Ogawa nous offre un cadeau avec ce livre d’une totale et élégante poésie, elle nous donne envie de nous dépasser pour accompagner les derniers temps de vie des êtres qui nous entourent. L’auteure peint un champs d’étoiles brillantes et scintillantes, c’est une lecture sensible, émouvante, MAGNIFIQUE…

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Extraits de : « Le goûter du lion »  2022 Ogawa Ito.

Illustrations : 1/ « Citronnier »  Hans Simon Holzbecker XVIIème  2/ « Mer et ciel »  Albert Bierstadt  1830-1902  3/ « Huppe sur une branche de citronnier »  Peinture anonyme – Inde XIXème.

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Accompagner la lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.

Précieux écrins…

dimanche 9 avril 2023

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 Notre-Dame de l’Assomption – détails – Sienne.

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Elles sont des coques, coquilles, coquillages déposés tels des écrins

au sein de villes petites ou grandes,

balises témoins d’un autre temps, offrandes à Dieu.

Des hommes désiraient ardemment, en s’approchant des cieux,

participer à la construction de ces merveilles.

Quand le regard profane rencontre une cathédrale,

il est d’abord attiré par les vastes proportions de l’édifice.

Puis il en scrute les parois de bas en haut, de haut en bas :

sidérante beauté, incroyables mosaïques, vitraux enflammés,

 marbres ciselés, rosaces, clochetons, porches,

flèches, colonnes, statues, symboles à profusion…

Les artisans étaient habiles, ils ne comptaient pas leur temps,

ils savaient qu’ils œuvraient pour une éternité.

Nul ne peut rester insensible face à la beauté de ces édifices,

l’imagination vagabonde

et l’on sait au fond de soi qu’il y aura toujours à découvrir…

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 Notre-Dame des Fleurs – détails – Florence.

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« … Le cœur émerveillé

J’ai interrogé mon cœur émerveillé

J’ai dit à mon cœur la merveille. »

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Leonardo Sinisgalli   1908-1981.

Photos BVJ  – mars 2023

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Pas à pas, croire en soi, se dépasser…

BVJ – Plumes d’Anges.

Épreuves…

lundi 3 avril 2023

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« En ce monde

Où la vie

S’émiette

Et nous fuit

 

Le poète

 

Enlace le mystère

Invente le poème

Ses pouvoirs de partage

Sa lueur sous les replis. »

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« Épreuves du poète »  Andrée Chédid  1920-2011.

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« En ces aubes où fermente la nuit

De quel élan

gravir ?

 

De quel œil contempler

villes visages siècles douleurs espérance ?

 

De quelles mains creuser un sol toujours plus fécond ?

De quelle tendresse chérir vie et terre

Abolir la distance

Cicatriser l’entaille ?

 

 À quelle lumière découvrir la beauté des choses

Obstinément intacte sous le squame des malheurs ? »

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« Épreuves de la beauté »  Andrée Chédid  1920-2011.

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Questionnements sans fin, parfois l’homme tourne en rond, il lui suffirait peut-être de gravir une marche ou deux pour observer le monde et les relations à l’autre sous un autre angle de vue.

La géographie resterait douce, l’exercice serait un pas de danse, un petit saut sur les dunes du quotidien, la lumière sculpterait des formes nouvelles, des bulles de beauté et de poésie, la vie en deviendrait plus douce… Sont-ce là des rêves ? 

Peu importe, c’est notre cœur qui doit parler et non notre tête ; elle, elle invente des histoires qui ne sont pas réalités, nous troublent et causent nos souffrances.

Petite méditation lors d’un joli voyage…

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Photos BVJ – Toscane – Mars 2023.

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Entendre le chant des dunes…

BVJ – Plumes d’Anges.