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« … L’or fait courir le monde mais le monde se trompe de course, on ne fait pas belle fortune en vidant les rivières, et surtout quand l’or est de la pyrite de fer. Aujourd’hui, à part les quelques enfants qui ressuscitent les survivantes pour jouer à se faire peur, les cailloux n’intéressent plus personne et il n’en reste de toute façon plus guère. À part aussi Rimbaud qui cherche et ramasse ceux-là que le monde n’a pas mis dans ses poches, parce qu’à courir, le monde passe à côté de l’essentiel, à côté des discrets, les plus secrets qui scintillent ou répondent à la lune, autant dire que lorsqu’elle est pleine Rimbaud remercie les anges. Quand les nuits sont noires, il trace et compte les bâtons jusqu’au premier quartier, puis regarde grossir les croissants, l’impatience le fait parfois sortir avec une lampe de poche, mais avec les années il a l’œil du gecko et ne s’éclaire de rien. Il marche toute la nuit, et à l’aube il s’assoit pour contempler sa récolte, seulement quelques pépites, parfois une bonne dizaine qu’il dispose en rond dans sa paume. Il les remet ensuite à l’eau une à une et pour s’excuser de les avoir dérangées, avant de repartir il tient compagnie à la rivière qui, de temps en temps, et c’est pour ça le sac à sa ceinture, lui donne quelques pierres en cadeau. Alors bien sûr, ça sourit derrière les fenêtres, on parle du bossu et du chercheur d’or, oui, sans doute un peu plus fou que la moyenne mon frère, ou simple question d’horloge à l’envers. Il dort le jour et il sort le soir à l’heure des lucioles – en été, elles balisent son chemin, et le reste de l’année il marche avec la mémoire du chemin de l’été…
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… « Pour toi, ce matin, je suis allée marcher le long du canal de la Deûle. L’orage de la nuit avait lavé le ciel, dans le bleu je suis allée chercher de la paix. Un peu de légèreté aussi, je l’ai trouvée dans les petits nuages – je te les envoie. « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté. » Dans les ténèbres, il fait moins noir quand on y est moins seul. Chacun sa vie, sa mort, dis-tu. Si la vie fait que je ne peux pas être celle qui allume la lumière à tes côtés, prends s’il te plaît de la douceur qui t’entoure – du vent, du genêt, de l’oiseau sur la branche. Sans doute que la saison du genêt est passée, alors ce que tu trouveras qui sent le soleil… »
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… Avant le matin, je suis retournée dans la maison vide et dans le foyer j’ai brûlé toutes les lettres, les mots sans bruit que j’avais gardés pour les apprendre, les désirs à pas de loup, les craintes et les colères – avec la balayette j’ai poussé toutes les cendres et j’ai dispersé l’amour dans le jardin. J’ai aimé l’amour moi qui n’en connais rien, j’ai aimé l’amour avec tout dedans. Je l’avais sauvé des retours à l’envoyeur, du vide et du fond des gorges, et je l’ai fait disparaître. Comme une voleuse j’ai effacé les preuves. Pourtant, pourtant je ne volais rien à personne. De la douceur sous enveloppe que la vie a omis de mettre sur mon chemin, mais dont le souvenir réveillera les feux de tous mes hivers, j’aurais voulu le dire à cet homme avant qu’il ne parte, que l’amour est capable de ça, qu’il a la force de chasser novembre pour recevoir juillet – est-ce-qu’on peut tourner le dos à l’amour et disparaître ?… »
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Noële, la narratrice, brutalement orpheline à l’age de 7 ans, n’a jamais connu l’amour. Élevée par « une tante », elle grandit au pied d’une montagne surnommée La Géante, elle y ramasse les plantes qui serviront à la fabrication de tisanes et d’onguents et du petit bois qu’elle fagote pour les flambées hivernales. Son frère Rimbaud est muet – il converse seulement avec les oiseaux -, il dort le jour et vit la nuit, il s’émerveille à la vue des petits cailloux d’or de la rivière Bendola.
Arrive dans la maison voisine – la maison froide – Maxim, un homme très cultivé, atteint d’une maladie. Elle l’observe de loin, s’en approche à petits pas, tente de l’aider… Et puis arrivent les lettres d’une femme, Noële les lit. N’ayant jamais appris l’amour, c’est une découverte totale : la tendresse, le désir, les mots magnifiques qui en parlent… Je vous laisse découvrir la suite.
C’est un roman subtil, lunaire, on navigue dans les émotions au sein de plusieurs mondes. Les descriptions d’une nature sauvage et forte sont très belles, l’écriture de l’auteure est fluide et poétique. Lu deux fois de suite pour mieux en saisir la profondeur, j’ai vécu là un moment de grâce, l’amour est un trésor que Noële, à sa façon, a voulu mettre dans un écrin, comme tout trésor.
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Extraits de : « La Géante » 2023 Laurence Vilaine.
Illustrations : 1/ « Brumes montantes » Franz Marc 1880-1916 2/ « Monde merveilleux » August Strinberg 1849-1912.
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S’élever vers les mondes merveilleux…
BVJ – Plumes d’Anges.