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« … Excusez-moi, mais je vous prie de ne pas partir en abandonnant là le journal que vous venez de lire. À deux mètres à peine, vous avez une corbeille. Oui, je sais que vous ne l’aviez pas vue et que vous êtes désolé. C’est bien là le problème. Me croiriez-vous si je vous dis que je préfèrerais que vous l’ayez fait exprès ? Parce que le pire, c’est cette inconscience. Vous croyez que le mal est moindre parce que vous l’avez fait sans le vouloir ? Je ne parle pas de ça en particulier, car en fin de compte on me paie pour ramasser ce que les clients ont jeté, non, je parle du monde en général, je veux dire que nous ne voyons plus rien, comme si cela nous disculpait. Nous traversons la vie avec l’impression que les choses ne nous concernent pas en faisant ce qui nous chante et en disant ensuite avec une indiscutable sincérité : « Oh ! Excusez-moi, je ne l’ai pas fait exprès. » C’est ça le pire, faire quelque chose sans le vouloir. Je préfère un cynique et un hypocrite à un inconscient. Parce que le cynique sait où sont les limites mais décide de ne pas les respecter. L’hypocrite sait lui-aussi où est la vérité. C’est bien pour cela qu’il la cache, parce qu’il la connaît et qu’elle ne lui plaît pas. Mais l’inconscience est la pire façon d’affronter la vie. Il n’est pas possible de changer ce que l’on ne sait pas être mal. Cela prouve à quel point nous sommes devenus une société égoïste, chacun pour soi, et ce n’est même pas par désir de nuire que nous agissons ainsi… nous le faisons sans le vouloir : « Oh ! Pardon, je t’ai mis le doigt dans l’œil, mais je ne l’ai pas fait exprès. »…
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… Je vais vous poser une question : si l’occasion se présentait, vous échangeriez votre vie contre une autre ? Je vous laisse réfléchir quelques secondes. C’est tout réfléchi ? Et quelle est votre réponse ? Non. Moi non plus, bien sûr. La vie est ce que nous voulons qu’elle soit. Nous la forgeons jour après jour, en choisissant les voies qui nous semblent les meilleures. Personne ne nous pointe un pistolet dans le dos. Chacun va son bonhomme de chemin.
Ce n’est pas aussi simple ? Il y a des gens qui se trompent ? Oui, oui, racontez-moi…
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… Comment le temps peut-il passer si vite ? Hier je jouais au ballon dans la rue et dans quelques jours je prends ma retraite. Pourtant, je me sens le même, je vous assure. Le même gosse en culottes courtes avec les genoux écorchés. Finalement, cette histoire de grandir, c’est du pipeau. Enfant, je croyais que les adultes savaient quelque chose que je ne savais pas, que grandir c’était franchir des niveaux, monter en quelque sorte l’escalier de la vie, une marche après l’autre. Mais ce n’est pas vrai. Je n’ai pas vu de niveaux, ni de marches, ni rien. Je continue à être le même. Les années passent et seuls la taille du pantalon et le nombre de cheveux sur le crâne changent réellement. Là, à l’intérieur, je suis toujours le même jeune paumé, bavard et un peu dingue… »
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Extraits d’un roman léger et étonnant : « Le Japon n’existe pas » 2009 Alberto Torres-Blandina.
Illustrations : 1/ « Lumière du matin » 2/ « Jeune fille à la rose rose » William MacGregor Paxton 1869-1941.
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Ouvrir nos yeux, ouvrir notre esprit à l’été nouveau…
BVJ – Plumes d’Anges.