Archive pour juin 2018

Bavardages…

jeudi 21 juin 2018

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« … Excusez-moi, mais je vous prie de ne pas partir en abandonnant là le journal que vous venez de lire. À deux mètres à peine, vous avez une corbeille. Oui, je sais que vous ne l’aviez pas vue et que vous êtes désolé. C’est bien là le problème. Me croiriez-vous si je vous dis que je préfèrerais que vous l’ayez fait exprès ? Parce que le pire, c’est cette inconscience. Vous croyez que le mal est moindre parce que vous l’avez fait sans le vouloir ? Je ne parle pas de ça en particulier, car en fin de compte on me paie pour ramasser ce que les clients ont jeté, non, je parle du monde en général, je veux dire que nous ne voyons plus rien, comme si cela nous disculpait. Nous traversons la vie avec l’impression que les choses ne nous concernent pas en faisant ce qui nous chante et en disant ensuite avec une indiscutable sincérité : « Oh ! Excusez-moi, je ne l’ai pas fait exprès. » C’est ça le pire, faire quelque chose sans le vouloir. Je préfère un cynique et un hypocrite à un inconscient. Parce que le cynique sait où sont les limites mais décide de ne pas les respecter. L’hypocrite sait lui-aussi où est la vérité. C’est bien pour cela qu’il la cache, parce qu’il la connaît et qu’elle ne lui plaît pas. Mais l’inconscience est la pire façon d’affronter la vie. Il n’est pas possible de changer ce que l’on ne sait pas être mal. Cela prouve à quel point nous sommes devenus une société égoïste, chacun pour soi, et ce n’est même pas par désir de nuire que nous agissons ainsi… nous le faisons sans le vouloir : « Oh ! Pardon, je t’ai mis le doigt dans l’œil, mais je ne l’ai pas fait exprès. »…

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Je vais vous poser une question : si l’occasion se présentait, vous échangeriez votre vie contre une autre ? Je vous laisse réfléchir quelques secondes. C’est tout réfléchi ? Et quelle est votre réponse ? Non. Moi non plus, bien sûr. La vie est ce que nous voulons qu’elle soit. Nous la forgeons jour après jour, en choisissant les voies qui nous semblent les meilleures. Personne ne nous pointe un pistolet dans le dos. Chacun va son bonhomme de chemin.

Ce n’est pas aussi simple ? Il y a des gens qui se trompent ? Oui, oui, racontez-moi…

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Comment le temps peut-il passer si vite ? Hier je jouais au ballon dans la rue et dans quelques jours je prends ma retraite. Pourtant, je me sens le même, je vous assure. Le même gosse en culottes courtes avec les genoux écorchés. Finalement, cette histoire de grandir, c’est du pipeau. Enfant, je croyais que les adultes savaient quelque chose que je ne savais pas, que grandir c’était franchir des niveaux, monter en quelque sorte l’escalier de la vie, une marche après l’autre. Mais ce n’est pas vrai. Je n’ai pas vu de niveaux, ni de marches, ni rien. Je continue à être le même. Les années passent et seuls la taille du pantalon et le nombre de cheveux sur le crâne changent réellement. Là, à l’intérieur, je suis toujours le même jeune paumé, bavard et un peu dingue… »

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Extraits d’un roman léger et étonnant : « Le Japon n’existe pas »  2009  Alberto Torres-Blandina.

Illustrations : 1/ « Lumière du matin »    2/ « Jeune fille à la rose rose »   William MacGregor Paxton  1869-1941.

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Ouvrir nos yeux, ouvrir notre esprit à l’été nouveau…

BVJ – Plumes d’Anges.

Cueillette et Recette…

lundi 18 juin 2018

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Chaque année c’est une fête.

Tout commence un beau matin du mois de juin,

dès le lever du soleil,

par un parfum d’une délicatesse inouïe,

et si une petite brise s’invite, le quartier alentour s’embaume…

Puis c’est une musique qui monte,

les abeilles et autres gourmands insectes sont à l’œuvre,

par centaines ils vont et viennent, butinent joyeusement,

et ne savent plus où se poser pour récolter le précieux nectar.

Il nous faut aller vite nous-aussi,

nous n’avons que peu de jours pour cueillir ces joyaux – les fleurs avec les bractées –

qui enchanteront, en tisanes, les longues soirées d’hiver.

L’endormissement et le sommeil seront favorisés,

les troubles digestifs liés au stress disparaitront,

l’effet tranquillisant est là, un vrai bonheur !

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« Prenez un toit de vieilles tuiles

un peu avant midi

 

Placez tout à côté

un tilleul déjà grand

remué par le vent.

 

Mettez au-dessus d’eux

un ciel de bleu, lavé

par des nuages blancs.

 

Laissez-les faire.

Regardez-les. »

« Recette » – Eugène Guillevic  1907-1997.

Photos BVJ.

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Contempler la fête…

BVJ – Plumes d’Anges.

Lumineux courants…

jeudi 14 juin 2018

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« … J’ai traversé en direction de Broadway, puis marché vers le nord jusqu’à la Vingt Cinquième Rue, où se dresse la cathédrale orthodoxe serbe dédiée à Sava, le saint patron des Serbes. Je me suis arrêtée, comme je l’avais fait maintes fois auparavant, pour admirer le buste de Nicola Tesla, le saint patron du courant alternatif, placé à l’extérieur de l’église telle une sentinelle solitaire. Je suis restée là, alors qu’un camion Con Edison se garait à un jet de pierre. Aucun respect, me suis-je dit.

– Et tu crois avoir des problèmes, m’a-t-il dit.

– Tous les courants mènent à vous, monsieur Tesla.

Hvala ! En quoi puis-je t’être utile ?

– Oh, c’est juste que j’ai du mal à écrire. J’oscille entre léthargie et agitation.

– Dommage. Peut-être devrais-tu entrer et allumer un cierge à saint Sava. Il apaise la mer pour les navires.

– Ouais, peut-être. Je me sens en équilibre instable, j’ignore ce qui ne va pas.

– Tu as perdu la joie, a-t-il dit sans hésitation. Sans joie, nous sommes morts.

– Comment puis-je la retrouver ?

– Trouve ceux qui l’ont et baigne-toi dans leur perfection.

– Merci, monsieur Tesla. Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire pour vous ?

– Oui, pourrais-tu te déplacer un peu sur la gauche ? Tu me caches la lumière… »

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Extrait de : « M Train » 2015  Patty Smith.

Illustrations : 1/ « Chat Angora »  Jean-Jacques Bachelier  1724-1806  2/ « Port de Gloucester »  Winslow Homer  1836-1910.

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Voler et voguer vers la lumière et la joie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Danse…

lundi 11 juin 2018

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« Nuit courte

la pivoine

a éclos »

Buson  1716-1783.

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Depuis dix jours et dix nuits, un véritable enchantement…

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Le temps s’est écoulé, on les entendait presque frissonner,

et leur parfum, oh, quel parfum ! …

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Aujourd’hui,

leurs jupons sont certes un peu froissés,

leur teint se fait plus pâle,

mais il en est qui dansent encore joyeusement,

prenons exemple…

Saison magique qui nous offre ces fleurs,

il nous reste encore un petit moment pour en profiter,

accueillons-les avec ferveur !

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« Du cœur de la pivoine

l’abeille sort –

avec quel regret ! »

Matsuo Basho  1644-1695.

Photos BVJ

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Fleurir notre cœur…

BVJ – Plumes d’Anges.

Apaisante verdure…

jeudi 7 juin 2018

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« … Au printemps, selon Goethe, (…)

« L’air est calme et calme la brise,

La jeune verdure se mire dans l’opulente rive

Le printemps est à l’œuvre et il vit. »…

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La contemplation n’est pas tout, loin de là. Il nous faut en venir au parcours des prairies, source de jubilation, à la joie parfois sauvage, éprouvée en ce lieu et dite par ceux qui l’on gardée en mémoire. La prairie, contrairement au pré, autorise des marches longues, des errances, des traversées ; ce qu’à propos du XIXème siècle, Denise Le Dantec qualifie de promenades dans la « plénitude herbeuse ». Celle-ci permet d’éprouver le vent, les brises, les ondulations vertes, les effets de la pluie sur les étendues d’herbe. À l’origine se trouve l’envie de marcher longuement dans l’herbe, de la fouler, de courir à travers, de chercher ce qu’il y a dans son épaisseur ; en un mot, tout ce qui relève de l’herbe ressentie par le corps en mouvement. Distinguons le plaisir de marcher longuement sur l’herbe et le plaisir que procure cet exercice, celui de fouler l’herbe.

« En route ! s’écrie Flaubert, alors dans le voisinage de Crozon, au cours de sa promenade par les champs et les grèves, le ciel est bleu, le soleil brille, et nous sentons dans les pieds des envies de marcher sur l’herbe. »...

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… À la même époque, outre-Atlantique, Henry David Thoreau prononce une conférence intitulée : « Marcher », lui qui assure que « la santé d’un homme exige autant d’arpents de prairies à regarder que sa ferme a besoin de tombereaux de fumier. Ce sont là les nourritures où il puise ses énergies ». Pour sa part, au cours de cette conférence, il confie un souvenir : « Nous marchions dans une lumière si pure et si brillante qui dorait les herbes et les feuilles fanées, si doucement et sereinement brillante, que j’ai pensé n’avoir jamais baigné dans un tel flot d’or »…

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… « Le peuple des prés m’enchante, écrit René Char. Sa beauté frêle et dépourvue de venin, je ne me lasse pas de la réciter. Le campagnol, la taupe, sombres enfants perdus dans la chimère de l’herbe, l’orvet, fils du verre, le grillon, moutonnier comme pas un, la sauterelle qui claque et compte son linge, le papillon qui simule l’ivresse et agace les fleurs de ses hoquets silencieux, les fourmis assagies par la grande étendue verte, et immédiatement au dessus les météores hirondelles… Prairie, vous êtes le boîtier du jour. »…   »

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Extraits du livre : « La fraîcheur de l’herbe »   2018   Alain Corbin.

Illustrations : 1/ « Paysage de prairie »  Kyriak Kostandi  1852-1921  (illustration déjà utilisée –>  là  ) 2/ « Mante religieuse » Edward Julius Detmold  1883-1957  (Wikipedia-« Livre des Insectes » avec Jean-Henri Fabre)

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Gambader joyeusement dans les prairies…

BVJ – Plumes d’Anges.

Retour vers un futur…

lundi 4 juin 2018

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« … Tu pourrais écrire sur maintenant, a dit Eva, sur l’époque actuelle…

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… Nous hochons chacune la tête, nous sourions. Nous essayons chacune de nous attaquer à la difficile tâche de se remémorer le plaisir du passé sans lui accorder d’importance dans le présent…

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… Pendant longtemps rares étaient les jours durant lesquels le courant n’était pas coupé au moins une fois. À la fin, rares étaient les jours où le courant revenait. À un moment nous nous sommes rendu compte que nous avions perdu l’habitude de chercher à tâtons l’interrupteur en entrant dans une pièce…

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… Ta vie t’appartient. Lorsque l’une de nous courait vers elle pour se plaindre de l’autre – Eva refuse d’être le prince, Nell est en train de couper les cheveux de sa poupée, Eva ne veut pas ranger sa chambre – elle répondait mi-fermement, mi-fièrement, Sa vie lui appartient. Et la tienne aussi. Un jour tu comprendras…

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Le soleil était comme une main sur mes épaules, les oiseaux chantaient au bord de la clairière et un papillon s’est posé sur le sol nu à côté de moi. Il est resté immobile un instant, puis a fermé et ouvert ses ailes plates et s’est envolé. J’ai oublié de scruter la forêt pour voir s’il y avait un intrus.

Je me suis rappelé les graines. (…) L’Encyclopédie rappelle que la seule raison d’être d’une fleur, c’est de produire des graines. Toute cette couleur, ce parfum et ce nectar existent uniquement pour attirer l’attention des insectes ou profiter du vent. La raison d’être d’une fleur, ce sont ces minuscules taches et boutons anodins et inertes, ces paumes ouvertes pleines de chromosomes qui nous nourriront peut-être un jour…

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J’avais presque décidé de n’en garder aucun, quand un livre qui se trouvait toujours sur l’étagère à moitié vide a attiré mon regard. Je ne l’avais pas lu, n’avais fait rien de plus que parcourir ses mille pages, pourtant j’ai brusquement su qu’il serait le troisième livre que je prendrais. Je l’ai descendu, j’ai tracé son titre du bout du doigt : Index : A-Z.

Je ne pouvais sauver toutes les histoires, sauver toutes les informations – c’était trop vaste, trop disparate, peut-être même trop dangereux. Mais je pouvais emporter l’index de l’encyclopédie, je pouvais essayer de préserver cette liste majeure de tout ce qui avait été fait ou dit ou compris. Peut-être pourrions-nous créer de nouvelles histoires ; découvrir de nouveaux savoirs qui nous maintiendraient en vie. En attendant, j’emporterais l’Index pour ne pas oublier , afin de me rappeler – et de montrer à Burl – la carte de tout ce que nous avions dû abandonner derrière nous… »

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Extraits d’un livre très émouvant : « Dans la forêt »  2017 (en France) Jean Hegland.

Illustrations : 1/ « Fougères et roches »  et  3/ « Séquoia »   Albert Bierstadt  1830-1902   2/ « Papillon » détail d’une nature morte de Rachel Ruysch  1664-1750.

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Retrouver nos vraies richesses…

BVJ – Plumes d’Anges.