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« … La recherche avait commencé et comme à chaque fois, Salvatore Piracci se dit à lui-même : « Quel étrange métier nous faisons. Nous voilà à la recherche de cinq barques dans l’immensité et pourquoi ? »
Au fond, ces histoires d’émigration et de frontières n’étaient rien. Ce n’était pas cela qui lui faisait quitter le port pour aller piocher dans la nuit la plus noire. À cet instant précis, il n’y avait plus de bâtiment de la marine militaire et de mission d’interception. Il n’y avait plus d’Italie ou de Libye. Il y avait un bateau qui en cherchait un autre. Des hommes partaient sauver d’autres hommes, par une sorte de fraternité sourde. Parce qu’on ne laisse pas la mer manger les bateaux. On ne laisse pas les vagues se refermer sur des vies sans tenter de les retrouver. Bien sûr les lois reviendraient et Salvatore Piracci serait le premier à réendosser son uniforme. Mais à cet instant précis, il cherchait dans la nuit ces barques pour les soustraire aux mâchoires de la nature et rien d’autre ne comptait…
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… Aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s’arracher la peau pour quitter son pays. Et qu’il n’y ait ni fils barbelés ni poste frontière n’y change rien. J’ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l’on perd dans la course. Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes… »
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Les actualités, des images télévisées, on ne peut rester de marbre…
Aujourd’hui, les capitaux circulent librement mais sur notre globe,
des malheureux prennent des risques inouïs pour fuir une guerre, avoir un travail
et d’autres tentent de les sauver,
l’instinct nous portant heureusement à tendre la main !
Si plus d’équité et de justice étaient exercées en amont,
si ces penchants pour la domination étaient gommés
dès le plus jeune age à travers la planète,
ces Hommes ne quitteraient pas leurs lieux de naissance pour nos mondes « dorés »,
ils pourraient croire en la force de leur être, de leurs racines,
vivre dignement en toute liberté et non survivre ou disparaître,
l’Eldorado serait en eux…
Quelle chance nous avons de vivre dans nos pays dorés,
il faut vraiment en avoir conscience !
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Extraits de : « Eldorado » 2006 Laurent Gaudé.
Illustrations : 1/« Bateau et clair de lune » 2/« Voile jaune » Odilon Redon 1840-1916.
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Souhaiter ardemment la vie et non la survie…
BVJ – Plumes d’Anges.