.
.
« … Ma main s’ouvrait à la douce chaleur du jour. Puis elle se détacha, commença de caresser cette peau rugueuse des pierres, cette peau tiède, bien cuite et dorée comme un pain, hâlée par des millions d’étés, crispée par les tourmentes et le gel.
Soudain, je compris la sagesse profonde de la lumière, cette vérité qu’elle étalait crûment devant mes yeux aveugles et que ma folie refusait d’apercevoir : car ceci vivait. Ces pierres vivaient, mais pas dans le même temps ; et leur vie nous était aussi peu perceptible qu’une existence humaine pour l’éphémère qui danse devant la fenêtre un soir d’été. C’était une autre trajectoire, un autre rythme presque inappréciable, mais que nous pouvions tout de même deviner, imaginer. Il y avait eu une naissance des pierres, jadis, dans le feu et les clameurs. Et maintenant elles étaient en train de vivre, de parcourir elles aussi leur cycle prévu et harmonieux entre les deux métamorphoses de la naissance et de la mort. Je me souviens d’avoir vu des pierres malades ; au milieu d’autres granits durs et sains, des veines lépreuses qui s’effritaient comme du sel entre les doigts. Peut-être souffraient-elles aussi ? Peut-être poussaient-elles de longs cris à travers le temps, de longs cris que nous n’entendions pas ? Peut-être qu’il fallait cent ans pour une seule oscillation de l’onde qui portait ces cris ? Et elles mourraient aussi un jour. Mais cette mort elle-même ne serait qu’une apparence dissimulant une vérité plus large, qu’un changement de décor. Et j’éprouvai alors combien nous étions immortels, mes sœurs les pierres et moi, et tout ce que contenait l’univers… »
.
…
Extrait de : « L’amateur d’abîmes » du très talentueux Samivel 1907-1992.
Illustrations : 1/« Entrée de la grotte Saint Béatus en Suisse » 2/« Bas du glacier de Grindelwald » Caspard Wolf 1735-1783.
…..
Tout vibre, tout est vivant…
BVJ – Plumes d’Anges.