Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Bien veiller…

dimanche 1 décembre 2024

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« ... Je m’appelle Giacomo, comme le saint patron de Prats – Prazzo en italien -, le village au fond de la vallée où j’ai passé mon enfance avec ma mère, dans la maison du grand-père Giacomo et de sa femme Desideria, déjà veuve quand il l’épousa. Mon grand-père aussi était veuf avant de se marier. Mais la femme à qui il avait passé la bague au doigt était morte juste après avoir mis au monde mon père. En somme, les deux seules personnes auxquelles j’étais lié par le sang étaient mon grand-père et ma mère, qui porte d’ailleurs un bien joli nom, Lunetta, « petite lune », parce qu’au moment où elle poussa son premier cri ici-bas, un croissant de lune apparut à la fenêtre.

Nous habitions une maison spacieuse et commode, donnant sur les méandres de la Maira, entourée d’un vaste pré sur lequel avaient spontanément poussé des bosquets de jeunes aulnes et de bouleaux à l’écorce argentée. Chaque année, les troncs de mélèze coupés au sommet dévalaient la pente avant d’être empilés dans ce pré pour le séchage. Même quand j’étais tout petit, mon grand-père m’emmenait parfois voir les troncs dégringoler dans la montagne, et je m’en souviens bien, car ils rebondissaient et faisaient un vacarme énorme. Je n’aimais pas les entendre se fracturer contre les pierres, mais je humais de toutes mes narines la forte odeur qu’ils charriaient avec eux, un délicieux mélange de résine, d’herbe écrasée et de terre humide. J’avais l’impression que ce parfum était le souvenir qu’ils laissaient aux bois qui les avaient vus naître.

Je suis resté dans cette maison jusqu’à mes huit ans, ne faisant rien d’autre que grimper aux arbres, courir après les agneaux, pêcher dans la Maira, accompagner parfois Desideria aux champignons dans le sous-bois. Et puis un jour, on me conduisit auprès d’un vieux prêtre qui ne passait par Prazzo que l’été. À son tour, le curé m’emmena au monastère de Pedona, à Borgo San Dalmazzo. Un lieu éloigné, à trois ou quatre jours de marche, là où commence déjà la plaine. Le monastère avait jadis connu des jours fastes, mais les choses avaient bien changé : les moines étaient tous partis et ce prêtre était devenu une espèce de gardien de l’église, de la crypte et de tout ce qui restait des anciens bâtiments alentour.

« Le moment est venu pour toi de recevoir un peu d’éducation, d’apprendre quelque chose que tu ne trouveras pas chez nous. Don Egildo sera ton maître en échange de menus services, chez lui et à l’église, pendant la messe. Je suis sûr que tu te plairas là-bas. » Une fois de plus, mon grand-père s’était contenté de quelques mots, auxquels personne n’avait songé à s’opposer…

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… En 1915, l’année de mon retour dans le val Maira, l’Italie entra en guerre…

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... Les officiers de Cuneo avaient laissé entendre que la guerre serait rapide comme l’éclair, elle durerait un an tout au plus, et la victoire nous tomberait dans le bec. Mais Grand-Père savait qu’ils avaient commencé à ouvrir d’autres fronts, et il se doutait que la guerre durerait plusieurs saisons.

Et moi dans tout ça ?

Toi tu feras le caviè parce que les cheveux restent encore la denrée la plus précieuse, et que je ne voudrais pas que les femmes, là-haut, dit-il, le doigt pointé vers les montagnes, quelqu’un d’autre prenne leur butin. J’en connais qui ne sont pas partis à la guerre et qui ne demande qu’à faire main basse dessus. C’est pour ça qu’il faut rester à l’affût et se tenir prêt à prendre la route à tout moment.

– Mais je ne suis pas caviè, moi. Je ne t’ai accompagné que deux ou trois fois.

– Foutaises! Tu seras meilleur que moi. Tu as toutes les qualités requises : tu es jeune, tu ne manques pas de distinction, tu parles bien, tu es convaincant, et tu as le charme de l’étranger. Après les dix années passées loin du village, tout le monde a oublié que tu étais d’ici. Si tu ajoutes à ça un peu de gentillesse et de boniment, qui te viendront avec le temps, tu feras un parfait pellassier… »

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Un joli roman qui se passe donc dans les Alpes italiennes, tout près de la France, aux alentours de la guerre de 1914-1918. Le grand-père est un personnage très autoritaire qui mène sa famille et ses affaires d’une main de fer. Son fils fuyant cette autorité, est parti travailler en France, espérant mettre de l’argent de côté pour faire venir sa femme et son unique enfant. Malheureusement, il y meurt accidentellement.

Le grand-père décide que son petit-fils, après dix années d’école, prendra sa suite. Celui-ci se révèle en effet doué et courageux, malgré sa jambe boiteuse. Il aime profondément ces paysages que l’auteur nous décrit fort bien. Mais il a quelque chose de plus que son aïeul, c’est son grand cœur et l’intelligence de ce cœur. Chaque année au printemps, il va sur les sentiers alpins du Piémont, recueille les histoires de ces femmes et de ces hommes qui ont traversé l’hiver dans une grande solitude. Il tisse avec eux des liens de solidarité, Giacomo aime les gens et ils le lui rendent bien, il est bienveillant, a conscience d’être un privilégié, cherche à aider ceux qui vivent des difficultés, les affaires, qu’il sait importantes, viennent après. Il fait de belles et importantes rencontres qui marquent sa jeune existence.

J’ai été très intéressée par la vie dans ces magnifiques montagnes, à cette époque, peut-être parce que les noms des  villages, des rivières me parlent, j’aime énormément balader dans ces régions. Savoir comment vivaient les anciens, les raisons de l’immigration en France ou ailleurs, la découverte de ce commerce de cheveux des pauvres pour en faire des perruques pour des plus riches… font un roman rude et tendre à la fois que je vous recommande vivement.

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Extraits de : « L’inventaire des nuages »  2024  Franco Faggiani.

Illustrations : 1/ »Moissons »  2/« Voyageurs dans les montagnes »  Carlo Ademolo  1824-1911.

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Cultiver l’intelligence du cœur…

BVJ – Plumes d’Anges.

Écoute…

dimanche 24 novembre 2024

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« … Comme il est facile de se prendre au piège de ses propres prisons conceptuelles !

Le mental humain, dans son désir de connaître, de comprendre et de contrôler, prend ses opinions et ses points de vue pour la vérité. Il dit : c’est ainsi que cela fonctionne. Vous devez dépasser la pensée pour vous apercevoir que, peu importe comment vous interprétez « votre vie », celle d’un autre ou son comportement, et peu importe le jugement que vous portez sur une condition, ce n’est qu’un point de vue parmi maintes possibilités. Ce n’est qu’un amas de pensées.  Mais la réalité est un ensemble unifié dans lequel tout est entrelacé, où rien n’existe en soi ni isolément. La pensée fait éclater la réalité ; elle la découpe en fragments conceptuels.

Le mental, cet instrument utile et puissant, devient fort contraignant s’il s’empare totalement de votre vie, si vous ne voyez pas qu’il constitue un aspect négligeable de la conscience que vous êtes…

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… Chaque fois que vous le pouvez, « regardez » en vous pour voir si vous êtes en train de créer inconsciemment un conflit entre l’intérieur et l’extérieur, entre votre condition extérieure à cet instant – où vous êtes, avec qui vous êtes ou ce que vous faites – et vos pensées et vos sentiments. Sentez-vous à quel point il est pénible de s’opposer intérieurement à ce qui est ?

En le reconnaissant, vous vous voyez maintenant libre de laisser tomber ce conflit futile, cet état de guerre intérieur…

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La plupart des interactions humaines se limitent à l’échange verbal – le domaine de la pensée. Il est essentiel d’apporter du calme, surtout dans vos relations intimes.

Aucune relation ne peut s’épanouir sans le sentiment d’ampleur qui accompagne le calme. Méditez, ou passez  du temps ensemble en silence dans la nature. En vous promenant, ou assis dans la voiture ou à la maison, coulez-vous dans votre calme commun. Ce dernier ne peut et ne doit pas être créé. Il suffit d’être réceptif au calme déjà présent, mais généralement couvert par le bruit mental.

Sans ce calme spacieux, la relation sera dominée par le mental et aisément envahie par les problèmes et les conflits. Le calme, lui, peut tout contenir.

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L’écoute véritable est un autre moyen d’apporter le calme dans la relation. Lorsque vous écoutez vraiment, la dimension du calme émerge, devenant un aspect essentiel de la relation. Mais l’écoute véritable est un talent rare. Habituellement, une personne accorde une grande part de son attention à sa pensée. Au mieux, elle peut évaluer vos paroles ou préparer son prochain propos. Ou elle n’écoute peut-être pas du tout, perdue dans ses propres pensées.

L’écoute véritable dépasse largement la perception auditive. C’est l’attention éveillée, un espace de présence dans lequel les paroles sont reçues. Celles-ci deviennent alors secondaires, pouvant ou non avoir un sens. Ce qui compte, bien plus que ce que vous écoutez, c’est l’écoute même ; l’espace de présence inconsciente se manifeste dans votre écoute. Cet espace est un champs de conscience homogène dans lequel vous rencontrez l’autre sans les barrières créées par la pensée conceptuelle. Ainsi, cette personne n’est plus « autre ». Dans cet espace, vous êtes tous deux reliés en une seule conscience… « 

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Autres extraits —> ICI

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Petit livre dont le propos est à picorer chaque jour, il est lumineux, et aujourd’hui nous avons tant besoin de lumière. Prendre du recul, se détendre, écouter l’autre, admirer la nature et ses merveilles pour ressentir profondément notre vrai conscience humaine, ce joyau intérieur qui nous relie les uns aux autres et qui n’est pas la pensée…

À lire encore et encore, à offrir sans modération…

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Extraits de : « L’art du calme intérieur »  2003  Eckhart Tolle.

Illustrations : 1/« Lac de l’œil de mer »  2/« Lac vert »  Aleksander Mroczbowski  1850-1927.

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Se relier à nos profondeurs infinies…

BVJ – Plumes d’Anges.

Azur et aurore…

dimanche 17 novembre 2024

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« Oui mais on commémore ici

et les bombes sèment

la mort là-bas

des hommes et des femmes et des enfants

des enfants tombent

et les plus jamais ça et les cessez le feu qui pleuvent

rien n’y peuvent

things fall apart !

 

et au milieu de la violence et de l’absurde, la poésie et le sens des choses qui s’enfuient, la beauté toujours envisagée, toujours recherchée, toujours trouvée quelque part, dans une phrase-étincelle, le sourire irradiant d’un amour, la grâce de certains silences, mère nature verdoyante, les arbres et leurs feuilles au printemps, la roche qui sourit, la rivière émeraude sereine, le chant d’éternité de Sita, les refrains des tisserands de Suza, le soleil après l’orage, tes notes de lumière au piano, simple et délicieux l’horizon au loin au plus près de nous, la vague heureuse qui déferle pleine et déverse sa joie au pied des filles et des fils de la terre, du ciel et de la mer que nous sommes, la poésie et le sens que nous donnons à la vie, la poésie et le sens que nous ordonne la vie, envers et contre tout, en vers et en prose et en actes, et avec toutes celles et tous ceux qui continuent obstinément à croire, qu’un autre monde est possible…

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Collé à la vitre de la réalité, je relis Char

la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil

des peuples trinquent et payent l’addition bien salée, de conflits commandés par des puissances et des organisations arrogantes, retranchées dans des palais d’indifférence de marbre. la poésie ne sauvera pas les Hommes en guerre contre eux-mêmes, depuis des siècles et des siècles et des siècles, pourtant elle invente encore et toujours des routes vers l’amour, qui se meurt partout sur la terre. la poésie ne sauvera pas les Hommes qui refusent d’être sauvés, c’est un fait. pourtant elle invite encore et toujours, à arpenter le chemin, de l’harmonie qui nous manque…

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Que personne

ne nous mente

le monde est beau

et il y a, il y aura toujours

quelque chose à sauver

le rire d’un enfant

le bleu du ciel

le chant des oiseaux

le sourire d’un amour

inénarrables instants

qui donnent à nos âmes

le sens plein de notre présence au monde

oui il y a et il y aura toujours

quelque chose à sauver

sur cette terre de joies et de larmes

il y a et il y aura toujours

au mitan de la nuit

dans le vacarme des bombes

une mère veilleuse

qui bouchera les oreilles

de sa fille ou de son fils

pour lui épargner ce qui peut l’être encore

un père courage

qui s’interposera par amour

entre les siens et cette balle qui ne porte d’autre message

que la mort

il y a a et il y aura toujours quelque chose à sauver

un vers de lumière

une note de silence

étincelles d’espérance

que rien ni personne

ne peut éteindre en nous

il y a a et il y aura toujours quelque chose à sauver

alors nous

ne barricaderons jamais nos cœurs

ne baisserons jamais la garde

et garderons à jamais

dans nos mots

l’azur et l’aurore

armes miraculeuses

à portée de nos mains

en fleurs généreuses

l’azur et l’aurore

armes miraculeuses

qui nous fondent

et nous font tenir

au dessus de la mêlée

tenir

à la paix à la dignité à la justice

tenir à la tendresse

tenir et être toujours

du côté de la vie de l’envol de l’envie

être et tenir

toujours

parole claire

dans le jour

 

j’adresse prière à l’aube… »

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Magnifique petit livre – merci C.S. – qui nous parle de l’importance des mots, de la poésie, de la beauté, de l’humanisme, de toutes ces choses même anodines mais qui ont leur importance pour élever nos âmes…

« Les choses s’effondrent » mais il y a toujours quelque chose à sauver, quelque chose qui touche au cœur, les mots sont là pour le dire…

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Extraits de : « PRIÈRE A L’AUBE »  2024  MARC ALEXANDRE OHO BAMBE.

Illustrations : 1/ « Fillette au fichu rose »  William Perkins Babcock  1826-1899 

2/ « Fleurs de magnolia«  Ida Jolly Crawley  1867-1946.

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Dire la lumière de la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Au-delà de…

dimanche 10 novembre 2024

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« N’être plus rien c’est quelque chose. Être aérien, c’est moins que rien, diront en se gaussant les pieds de plomb. Et pourtant, c’est là, que de tout l’espace tu disposes. Le corps est l’ancre, le lest, la cage de ton âme. Nul ne te demande de t’en débarrasser, mais ne lui accorde que l’importance qu’il mérite… et surtout laisse l’esprit le plus souvent s’en échapper. Ce n’est pas fuir que s’élever, c’est voir de haut ce qui est trop près. C’est oublier ce qu’on était, quitter les lourdes fièvres de la peur et concevoir en un éclair ce cœur universel qui pulse et bat vers l’au-delà. 

Si la Terre appartient aux Hommes, c’est à eux qu’il revient d’oser apercevoir, sans logique ni preuve, d’où ils viennent, où ils vont… et libres, à l’intuition, comme à tâtons, de se laisser guider par des cascades de lumières. Que puis-je vous dire de plus ? Rien, si ce n’est légers, de sillonner le ciel comme un vol d’hirondelles. »

Billet du 23 février 2024.

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« Le désir, quel que soit son objet, profane ou sacré, est un fruit rouge et rare, délicieux, faisant valser les Mondes. Braise du Corps autant que de l’Esprit, puissant énergétique, il désintègre l’interdit et nous laisse entrevoir la toute puissance du souffle, de la houle des âmes voguant allègrement et sans fatigue sur des distances infinies, vers je ne sais quelle île ayant un goût de paradis.

Le désir est vecteur, étrave, figure de proue, soc soulevant les champs et les vagues patiemment assoupis autour de nénuphars, larges nappes phosphorescentes qui sont en mer comme sur terre, lucioles ou plancton, nos seuls guides et nos aimants bleutés.

Retrouver le désir, croyez-moi, quel que soit son objet, profane ou sacré, c’est retrouver la voie de quelque chose à accomplir se situant entre l’ensorcelant inatteignable et un parfait qu’on porte en soi… devant… au confluent des fleuves et d’un grand Océan brassant sans fin l’énigme de nos Vies.

Quoi qu’il en soit, quoi que l’on fasse, sans ces épices chauffant les nerfs, fouettant l’esprit et décuplant nos forces pour tendre vers un pétillant inconnu, il n’y a rien qu’un étang mort, la dépouille d’une âme flottant dans le formol. »

Billet du 6 septembre 2023.

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« Si le monde est entre les mains de foutriquets, il appartient à chacun d’entre nous, d’une manière ou d’une autre, de leur laisser voracement bâfrer le gras, l’épais et le visible, pour s’emparer et protéger de puissantes racines souterraines et cachées d’où jailliront les plus beaux arbres et l’entière santé d’un univers absolument réconcilié avec les Hommes neufs, n’ayant d’autre objectif que de privilégier bonté, beauté, douceur, le tout sous le lin blanc d’une parfaite humilité. Y croire est suffisant, c’est la magie des grands sorciers du Verbe et du chant. On ne les voit pas, on ne les connait pas, c’est vous, c’est moi, mais toutes choses les entendent. »

Billet du 8 mars 2024.

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Alain Cadéo a quitté notre monde terrestre au mois de juin 2024… Un grand vide apparait quand une belle âme doublée d’une belle plume passe de l’autre côté du miroir. Heureusement, nous pourrons relire et relire encore les cadeaux déposés au fil de son existence et y découvrir quelque fleur ou papillon oubliés par notre vieille mémoire. Il fut voyageur, marcheur, découvreur d’objets insolites, écrivain, semeur de mots, semeur d’étoiles… la liste est longue.

Ma première lecture d’Alain Cadéo fut le livre FIN, un magnifique début pour moi, j’ai lu ce livre plusieurs fois tant il m’a émerveillée. Je l’avais découvert dans les rayons d’une bibliothèque municipale. Une année après, il avait disparu, peut-être subtilisé par un indélicat ou au contraire, par un lecteur passionné.

Un dernier titre vient d’être publié par « Les cahiers de l’Égaré« , ce sont 26 billets écrits dans les moments difficiles à traverser de la maladie, entre septembre 2023 et mai 2024, ce sont il me semble des billets-testaments sur des sujets importants aux yeux de l’auteur, ils nous incitent à une réflexion profonde et à une libération de notre vraie nature. Les textes sont accompagnés de 20 photographies – très belles – de celles et ceux qu’il aimait, des photographies de lieux ou de moments qui vibrent intensément.

Un beau cadeau posthume de ce grand monsieur, MERCI à lui…

Vous pourrez retrouver des extraits de certains de ses livres

ICI,

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Extraits de : « IL Y A QUELQUE CHOSE ENCORE, DEVANT Je ne sais pas ce que c’est mais nous devons y aller »

2024  – Alain Cadéo  30/12/1950 – 12/06/2024.

Illustrations :1/ « Contemplation »  2/ « Cercle chromatique »  Augusto Giacometti  1877-1947.

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S’habiter humblement…

BVJ – Plumes d’Anges.

Humanités…

dimanche 3 novembre 2024

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« Pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive. »

(Quatrième de couverture)

Avers – Des nouvelles des indésirables

JMG LE CLÉZIO – 2023.

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« … La nuit, c’était l’hiver, il faisait si froid qu’ils n’arrivaient pas à dormir. Marwan a allumé un feu de brindilles, et ils se sont couchés l’un contre l’autre, la tête tournée vers les flammes. Mehdi avait toujours peur de la nuit, il ne s’endormait qu’au petit jour. Il ne pouvait pas rester seul. Quand Marwan se levait pour uriner, Mehdi venait aussi. Marwan avait accepté tout cela, il ne le repoussait plus, et souvent même, il oubliait de l’injurier. Il restait les yeux ouverts, regardant la nuit. Mehdi parlait. Il voulait savoir des choses impossibles. Il demandait : « Quand est-ce-qu’on arrivera à la ville où il y a le bateau ? » Marwan disait : « Il n’y a pas de bateau, tu ne vas pas croire à cette histoire de bateau ? » Il avait beau dire cela durement, en levant le poing comme s’il allait frapper, Mehdi continuait à croire au bateau. Plus tard il en parlait encore, et des pays où il n’y avait pas de guerre, pas de voleurs. C’était toute une histoire, et dans cette nuit noire, glaciale, avec les étoiles qui scintillaient au dessus d’eux, il arrivait cette chose étrange, Marwan lui-même se laissait prendre par le bruits des paroles, et il commençait à croire, comme on glisse dans un rêve. C’était maintenant lui qui parlait des pays : « De l’autre côté de la mer, on arrivera dans une grande ville pleine de jardins et de maisons, des maisons où on pourra entrer, parce que tout le monde nous attendra… »

« Il y aurait des arbres, on pourrait vivre dans les arbres… »

« Oui, il ne ferait pas froid, on ne serait jamais malade. »

« Il y aurait beaucoup d’enfants, chacun pourrait avoir sa famille… »

« On dormirait dehors sous les arbres… »

« Ou bien dans de grandes chambres avec des lits, des coussins, des rideaux. »

« On n’aurait pas besoin d’argent pour vivre, on aurait à manger tout ce qu’on veut, même si on ne voulait pas travailler. »

« Il n’y aurait jamais d’avions. »

« Une ville sur un grand lac d’eau douce, et les gens vont dans des barques, ils apportent les fruits, les légumes dans les barques… »

« Les enfants ont des jardins immenses, il y a une fête chaque jour, de la musique, les filles vont danser. »

« On peut aller à l’école, on sait lire les livres. »

« Il n’y a plus de batailles, personne n’est ennemi. »

« On a chacun son cheval, on peut galoper dans les forêts. »

« Les animaux sont apprivoisés, même les serpents, même les chacals. »

Mehdi écoutait, les yeux grands ouverts dans la nuit. Quand l’aube venait, Mehdi s’endormait enfin. Marwan écoutait la respiration calme de son frère, il sentait contre lui le poids de sa tête. Alors il s’endormait lui aussi, tandis que la lumière grandissait au dessus-des collines. Il n’y avait jamais de mal, ni d’avions le matin. C’était une heure pour les bergers, pour les fillettes qui vont chercher de l’eau… »

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Parler de sujets graves avec un infini respect et une langue toujours magnifique, montre le grand talent et la profonde humanité de l’auteur.

Huit nouvelles nous emmènent sur des chemins difficiles aux quatre coins du monde, on y rencontre Maureez qui, à la mort de son père, fuit deux odieux personnages (sa belle mère et son nouvel amant), sa voix et le chant la sauveront. On y rencontre Chuche et Juanico, deux enfants qui fuient la société des hommes et les abus  de ces derniers, un vieil homme les recueillera un soir de Noël, il leur restituera leur dignité. On y rencontre « Les rats des rues » : le chemin des rêves – et celui des tragédies – va passer par les égouts entre le Mexique et les États Unis  (texte de 2003 publié dans un recueil d’Amnesty International, Nouvelles pour la liberté), on y rencontre beaucoup d’autres « indésirables », ceux dont on ne parle pas, ceux que l’on n’ose regarder…

Ces histoires marquent notre esprit et notre cœur : la loi du plus fort écrase les innocents, enfants ou adultes. Ils vivent dans de lointains pays ou tout près de nous dans les grandes villes, ils vivent la peur, l’injustice, la violence, la guerre toujours intolérable, la souffrance, la trahison, l’abandon, les abus de pouvoir, ils sont marqués à jamais et l’Histoire se répète…

Au milieu de ces chaos, de petites étoiles s’allument parfois, des brins d’amour fleurissent, les souvenirs fragiles d’un bonheur ancien émergent, faisant place à une espérance, tout aussi fragile.

JMG LE CLÉZIO nous fait naviguer dans des mondes où certains puissants sacrifient encore et toujours les autres, où chaque « indésirable » tente de survivre. La survie n’est pas la vie, l’auteur dit et veut que l’on sache, qu’on n’oublie pas ces invisibles, ces abandonnés, ces humbles… L’émotion est vive au fil des pages, AVERS est une belle et riche lecture.

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Illustrations : 1/ « Arbres et village »  2/ « Arbres »  3/ « Troncs d’arbres »  Sohrâb Sepehri  – peintre et poète iranien – 1928-1980.

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Vouloir la paix, passionnément…

BVJ – Plumes d’Anges.

Être lumineux…

lundi 21 octobre 2024

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– HOMMAGE –

« … Il y a dans toute vie une somme de douleur, comme si chacun était le disparu de sa montagne, l’englouti de son âme. Écrire est déblayer, entrevoir une somme de joie sous la somme de douleur. Si je parle des fleurs dans un monde qui s’écroule, c’est parce que tout renaîtra avec elles, avec ces pulsations colorées d’un ciel sauvage remonté des gravats… »

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« La muraille de Chine »  2019  Christian Bobin  1951-2022.

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« … Le silence de la nuit était si pur que je me suis réveillé pour l’entendre.

Une main, c’est complexe, riche, c’est fait de caresses, de gestes d’adieu, de grammaires sourdes-muettes. La main heureuse, c’est d’arriver sans effort à l’impossible. Une porte s’ouvre, avant que notre main ait touché la poignée, et nous offre cette vie qui se donne lorsqu’on accepte de n’en rien prendre…

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… La passerelle qui mène de la nuit au jour craque et tangue au vent… Je m’accroche aux rideaux, qui eux-mêmes s’accrochent à leur point de naissance, et tout résiste merveilleusement – car il n’y a jamais eu dans le ciel, dans le monde et sur terre que ce qui est sur le point de naître – ni passé, ni présent, ni futur -, juste le fait que nous respirons à l’unisson partout, triomphe du visible-invisible, sous nos yeux, juste là… »

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« Le murmure »  2024  Christian Bobin  1951-2022.

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Relire – par un hasard heureux -, des livres de Christian Bobin…

Sa compréhension du monde m’enchante…

Est-ce donné à chacun d’être ainsi inspiré ?

Est-ce un don inné ou le travail d’une vie, une volonté ou un entraînement ?

Ce chemin de lumière apaise notre âme secouée

par l’obscurité ambiante, nous aide à ne pas abandonner.

Il nous vivifie

si nous le regardons en face,

si nous le caressons délicatement,

si nous écoutons son murmure,

si nous le dégustons à petites bouchées,

si nous le respirons à pleins poumons.

Tout prend sens…

Merci l’ami pour ces cadeaux d’éternité,

pour ce dernier « chant d’amour » qui atteint des sommets,

pour cette danse cosmique de mots légers comme des plumes,

merci l’ami, Comète du siècle qui brille et brillera éternellement dans nos cœurs.

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Illustrations : 1/ « Capucines »  2/ « Papillons »  Odilon Redon  1840-1916.

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Entretenir la lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.

Perles rares…

samedi 12 octobre 2024

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« Je me suis penchée sur l’enfant

Dont le front dormait comme un oiseau brûlant

Je me suis penchée sur ce petit monde

Dont les courages valaient ceux de la vie

Et ce môme que j’aimais à la folie

Avaient les yeux fixés sur la vitre

Dans une attente recueillie

Douleur tu m’as enseigné la beauté

J’apprends à la connaître

Mais jamais il n’y en aura tant que dans la vérité

Que cet enfant rêvait de m’apprendre

Je suis restée penchée Je ne me suis jamais relevée

L’enfant avait créé son propre bonheur

C’était une jolie fleur en papier

Comme celles que je faisais au jardin d’enfants

C’était une jolie fleur en papier

Le jardin secret d’un enfant

Qui avait laissé sa main lucide dans la mienne

Dans la mienne »

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« À l’enfant que je vois en rêve » – Carnet Les nocturnes – Le 31 janvier 1988

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« Un bruissement d’ailes comme l’envol d’un ange

Et tes pas qui s’en vont qui dessinent la vie

Ton mouvement qui m’anime puis qui disparaît

Il y a dans l’air l’odeur de ton parfum

Comme la mer lente et véritable s’allonge sur la place

Je porte un ange en mon âme

C’est un fardeau d’exigences innocentes

Qui touche mon front et me bénit

Puis la nuit ensevelit son sillage

Et il monte aux étoiles avec la douceur de l’oubli

Parfois il m’effleure sans me rencontrer

Nous avançons tous deux dans le même couloir

Sur le même vaste décor d’absolu

Où l’on ne croise que soi-même

Dans un miroir opaque nous nous observons sans fin

Et aucun de nous deux n’ose bouger

De peur de surprendre l’autre

Statues de sel figées par l’impatience

Sel qui pique la vie et qui se souvient de la mer

Comme un enfant à qui l’on confisque le voilier

Qui emportait son esprit bel oiseau blanc

Il y a dans les murmures des souvenirs d’enfance

Des prières que je récitais le soir pour mon ange

Gardien de mes rêves de mon sommeil

Ne me réveille jamais de mon insouciance

Car cela me serait fatal

Mes yeux ont pris l’eau

Mon âme se perd dans l’importance

Un bruissement d’ailes comme l’envol d’un ange

Et tes pas qui s’en vont et qui laissent derrière eux

Une présence infinie et rassurante

J’incline la tête dans le miroir trouble

Et mes yeux s’effacent sur ton ombre

Et mes yeux te ressemblent un peu

Lorsque j’avance seule dans ta nuit

Marche unique Marche de ton absence »

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La prière d’un soir – Carnet Le livre noir  avril/septembre 1988

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Alicia Gallienne, nous livre dans cet unique recueil, des perles fines et rares. Marquée par la mort de son frère adoré Eric, âgé de vingt ans quand elle n’en a que sept, puis par celle de David, le fils de Romy Schneider, son voisin et copain de jeu rue Berlioz, quatre ans presque jour pour jour après la disparition d’Eric.

Alicia est curieuse, fait de riches rencontres, suit des études, se passionne pour des écrivains et des poètes… Elle écrit dans une langue exigeante et veut être lue. Elle déclare une leucémie à l’age de seize ans, accepte de lourds traitements, ne se plaint jamais, célèbre la vie, célèbre la mort. Son âme s’envole à l’age de vingt ans, un vingt-quatre décembre au matin…

C’est une poésie de l’urgence, sans ponctuation aucune, elle a tant à dire ou à écrire, le lac de la vie est pour elle une flaque, le temps presse mais il est encore temps pense-t-elle. Elle écrit sur des carnets – cinq sont réunis ici – , y livre ses passions, ses émotions et malgré les nombreuses épreuves qu’elle doit traverser, avec lucidité et maturité, elle trouve des mots doux, profonds et aimants pour exprimer la beauté à laquelle elle s’attache et la gratitude envers ceux qui l’entourent, des mots comme des gouttes cristallines que le vent léger fait danser.

Il faut lire et relire ses poèmes, entre les lignes, beaucoup d’oiseaux y chantent. Alicia semble vivre entre deux mondes et ne choisit que la lumière. À noter, une magnifique préface de Sophie Nauleau…

Merci à Den qui m’a fait découvrir ce magnifique opus.

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Augustin Frison-Roche a lui aussi suivi des études littéraires, perdu un frère aimé… Il apprend la peinture et la sculpture, se tourne vers l’art sacré de plusieurs traditions. Dans ses œuvres picturales, les techniques, la matière, les couleurs sont d’une incroyable richesse, elles vibrent, on sent que le peintre perçoit la réalité et la lumière d’autres mondes qui se superposent, beaucoup d’oiseaux chantent dans ses tableaux.

Un livre découvert chez Dominique – présenté et commenté par Stéphane Barsacq – a ouvert une de ses expositions L’Or du soir à la galerie parisienne Guillaume.

Augustin et Alicia ont en commun une inspiration puissante et profonde,

leur réflexion est immense, cosmique,

ils explorent la richesse des jardins intérieurs,

excellent dans leur art et captent la lumière des étoiles.

J’ai aimé rapprocher ces deux talentueux artistes.

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Poèmes extraits de : « L’autre moitié du songe m’appartient »  2020 Alicia Gallienne 1970-1990.

Photos BVJ  septembre 2024  : Tableaux d’Augustin Frison-Roche dans la Cathédrale Saint Vincent à Saint Malo.

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Approfondir nos recherches et tenter de lire entre les lignes…

BVJ – Plumes d’Anges.

Surnaturel…

samedi 5 octobre 2024

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« … Puisque la nuit était tombée sur ce monde de machines et de banquiers, je me donnais trois mois pour essayer d’y voir. Je partais. Avec les fées…

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J’aimais ces embrasements des siècles, noces du légendaire et du dogmatique, ces rondes mêlées de saints chrétiens et d’ombres saturnales. Les hommes du siècle 21, le mien, étaient passionnés par la discorde. Ils faisaient des choix. Ils réduisaient les chatoiements. L’amour de la dialectique avait créé chez mes semblables une pensée de hachoir et des réflexes de charcutier : on tranchait. Soit l’un, soit l’autre. Moi je voulais les deux puisque j’aimais les fées.

Sur les balcons de l’Ouest, les siècles avaient su se fondre l’un dans l’autre. La source païenne avait irrigué l’esprit moderne. Les générations avaient déposé chacune son propre bouquet au pied de la suivante. Et puis soudain, l’époque contemporaine avait rompu la passation. Un siècle de machines avait produit des hommes nouveaux à la pensée très fière. Ils préféraient choisir ce qui leur convenait. Ils faisaient leurs courses dans les rayonnages du Temps. Ils traitaient l’Histoire comme des manutentionnaires de magasin. Le reste, ils le jetaient dans la fosse aux oublis. Pis, ils le condamnaient et revendiquaient le « droit d’inventaire ». À ces réflexes de déboulonneurs, je préférais les rêveries où le Christ et Morgane s’emportaient dans la même gigue…

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... On traversait des tranchées ouvertes dans des murailles de fougères. On franchissait un vallon percé de soleil. Cascadait un ruisseau entre les asphodèles. Des fleurs s’abreuvaient aux margelles. Des sous-bois vert tendre faisaient des berceaux de fées dans les renfoncements du relief. Des tapis de jonquilles doraient le socle des rochers. L’herbe avait des airs de moquette très Agatha Christie. Il ne faut pas en vouloir aux vieilles dames anglaises. Ici, même la nature fait de la décoration intérieure…

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… Le vent devait avoir un projet. Il ne se calma pas. Les promontoires étaient des étraves abandonnées ou bien des pattes de griffons plantées dans l’eau. Tout s’enivrait : les mouettes, les fous, les vagues, les embruns. Seule la terre tenait bon. Le vent est la joie de vivre de la mer… »

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Incroyable Sylvain Tesson qui nous convie à un voyage intense entre Galice et Iles Shetland, à voile, à pied ou à bicyclette, dans les brumes, sous la pluie. L’eau est omniprésente, les fées surgissent sans crier gare et disparaissent laissant leur effluve dans l’âme du poète.

Dans « Avec les fées », sorte de journal de bord, il dissèque – souvent avec humour et dérision – tout ce qui s’offre à son regard dans une langue incroyablement poétique, quel bonhomme ! Une énergie sans faille, une étonnante curiosité de la Terre, de ses histoires, de ses géographies physiques et mentales…

Il nous offre ici des moments de grâce que seule la nature sait offrir à l’Homme éveillé, à l’Homme qui refuse cette société uniquement matérialiste, à l’Homme qui cultive l’art de la nuance pour élargir ses horizons…

Dans ses questionnements, ses méditations, l’Histoire et la littérature font sans cesse irruption, nous « apprenons » ou parfois nous nous souvenons. Le rythme est vif, les mouvements  se succèdent, la vie ne serait-elle être qu’aventures, morts et renaissances ?

La quête de l’auteur semble éternelle. Que cherche-t-il et le sait-il ? Il incite chacun à rechercher son Graal…

Vous l’aurez compris, j’ai été conquise par cette lecture,

tout a un prix mais il est si bon de rêver en pays de poésie.

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Extraits de : « Avec les Fées »  2024  Sylvain Tesson.

Illustrations : 1/ « Coucher de soleil sur la mer bretonne »   Ferdinand de Puigaudeau  1864-1930

2/ « Dimanche »  Henri Le Sidaner 1862-1939  3/ « Col de Glencoe – Écosse »  Thomas Moran 1837-1926.

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Rechercher son Graal…

BVJ – Plumes d’Anges.

Étonnant destin…

dimanche 29 septembre 2024

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« … Un plat du jour et un dessert, un seul service le midi. Le café reste ouvert aux joueurs de cartes et aux verres de l’amitié comme à ceux plus solitaires qui cherchent compagnie.

En peu de temps, le bruit court dans les ruelles et voyage vers les villages voisins :

« Vous avez gouté la matelote de l’Andrée ? Et le ragoût d’agneau ? Peuchère, ses poires au vin, j’y suis retournée deux jours de suite ! »

Andrée a déjà beaucoup cuisiné. Elle a, au fil du temps, compilé les recettes dans plusieurs carnets. Chacune a le goût d’une maison, d’une famille, d’un moment de la vie d’Andrée. Derrière chaque page, un sourire, une larme, un souvenir. Parfois, entre deux feuillets quadrillés, un brin de santoline séchée, un trèfle, une fleur aux teintes passées. Lui reviennent alors, en désordre, les visages, les cours, les odeurs, les feux qui crépitent et le froid qui saisit dans un lit étranger, lorsque, à dix ans, quelqu’un a décidé qu’il serait désormais le vôtre.

Les mots écrits de sa main, maladroite, puis de plus en plus appliquée. Les plats, les desserts comme autant de cailloux sur sa route.

Aux anciennes recettes s’ajoutent celles qu’elle découvre dans le livre offert en cadeau de mariage par Mme Montlahuc : Le livre de cuisine de Mme E. Saint-Ange.

Lourd comme une brique, plus de mille pages, fines, à l’écriture serrée, de planches illustrées, de conseils et de propositions de menus pour chaque saison.

Une bible que j’ai plus consultée que celle conseillée par M. le Curé ! Tu peux me croire mon Ninou !

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… Jacquie porte autour du cou le cadeau personnel de Mme de Gaulle, un carré Hermès aux tons jaunes et dorés portant différents motifs équestres, harnais, sellettes, ornements d’apparat. Les conseillers de l’Élysée avaient parfaitement étudié les centres d’intérêt de la première dame passionnée d’équitation et excellente cavalière.

Il fut ce soir là, autour de la table, question de cuisine et de vins français. Les frères et sœurs, en partie réunis, avaient tous une anecdote, un souvenir à ce sujet, mais lorsque Jacquie sortit de son sac le menu du dîner de gala à Versailles, le silence se fit pour l’écouter.

« Just a minut, Jacquie, dit alors Ted, please wait… »

Andrée essuie ses mains et se laisse entrainer par son patron vers la salle à manger où les convives la regardent approcher timidement.

« Go ahead, Jacquie. »

Les commentateurs ont souvent souligné la diction aristocratique de l’épouse de Jack, une manière de parler lentement sur un ton doux et mesuré d’une distinction et d’une correction parfaites. La façon idéale pour décliner un menu empreint de poésie française.

Velouté Sultane

Timbales de soles Joinville

Cœur de filet de Charolais renaissance

Chaud-froid de volaille

Salade de romaine à l’estragon

Ronde des fromages

Parfait Viviane

Andrée, bouche bée, se reprend vite pour faire face aux questions des uns et des autres. Jack reconnaît que tout était délicieux, ses soeurs veulent savoir : Sultane, Joinville, Renaissance, pourquoi diable ces français s’obstinent-ils à donner des noms à leurs plats incompréhensibles aux non-initiés.

Alors Andrée explique : « à la sultane » s’applique aux préparations qui contiennent de la pistache. Mariée à du beurre, elle termine parfaitement un velouté de volaille… »

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Cette histoire débute en 1999 dans un cimetière du Vaucluse, là vient d’être inhumée Andrée Imbert.

Enfant abandonnée à la naissance, l’Assistance publique la confie – sous le matricule 18603 –  à une première famille d’accueil,  puis à une seconde à l’age de 10 ans. Comme le prévoit la loi, elle est placée en tant que bonne dès 13 ans. Plus tard elle épouse Léopold Imbert, veuf père d’un petit garçon, il tient un café de village, ils auront ensemble une fille, Madeleine.

Passionnée de cuisine, Andrée note depuis toujours des recettes sur de précieux carnets, ils la suivront partout. Son mari accepte qu’elle dispose quelques tables dans son établissement, elle y servira du lundi au samedi, à midi, un plat du jour avec dessert. Très vite ses talents culinaires attirent… Mais Andrée voit grand et voit loin, elle a soif d’apprendre, d’explorer d’autres lieux, elle part travailler dans de « grandes » maisons, à Lyon chez les Berliet… sur la côte d’Azur chez les Lumière, chez Albert Camus venu se reposer sur les hauteurs de Grasse, chez les Gallimard, chez Fred et Helen Rogers qui lui proposent de venir à New York… et enfin dans la famille Kennedy.

Incroyable destinée de cette femme qui est restée en relation avec les membres de ses familles, elle a toujours écrit et envoyé de l’argent à sa fille et prenant sa retraite, elle a rejoint les siens dans la Drôme.

Ce récit est très vivant, la vie d’Andrée est racontée par petites touches, l’auteure a un grand sens de la narration, elle s’est bien documentée sur le plan historique, les détails affluent avec légèreté et l’on se passionne au fil des pages pour cette personnalité singulière, la vie ne l’a pas épargnée mais elle en a fait une force, avec un goût du travail bien fait et de la tendresse à partager…

Ce fut un agréable moment de lecture, je vous le garantis.

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Extraits de : « La cuisinière des Kennedy »  2024  Valérie Paturaud.

Illustrations : 1/ « Mettre la table »  August Eiebakke  1867-1938

  2/ « L’employée de maison »  William Mac Gregor Paxton  1869-1941.

3/ « Table fleurie »  Jane Nérée-Gautier  1877-1948

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Avoir le goût du travail bien fait…

BVJ – Plumes d’Anges.

Recherche de félicité…

dimanche 22 septembre 2024

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« … Fausto raccrocha peu après. Sur le balcon où il se trouvait, la voix de Silvia lui manqua immédiatement. Il observa la forêt et remarqua que les branches les plus exposées des mélèzes commençaient à jaunir. C’étaient les arbres de Fontana Fredda, arbres du soleil, du vent, des versants au sud, mais ils n’aimaient pas le gel, et lorsqu’ils le sentaient arriver, ils entraient en léthargie. Les sapins, impassibles, gardaient leurs aiguilles et ne gaspillaient pas leurs forces dans la mue saisonnière : deux arbres si proches, et deux stratégies si différentes pour affronter l’hiver. Les premiers à faner étaient les mélèzes blessés, qui par la foudre, qui par une chute de pierres, qui par une excavation ayant coupé une racine, mais en l’espace de quelques jours, la forêt entière virerait au jaune et au rouge, se retranchant dans un long sommeil pendant que le vert foncé des sapins monterait la garde.

Fausto avait lu quelque part que les arbres, contrairement aux animaux, ne pouvaient chercher la félicité autre part. Un arbre vivait là où sa graine était tombée, et pour être heureux, il devait faire avec. Ses problèmes, il les résolvait sur place, s’il en était capable, et s’il ne l’était pas il mourait. La félicité des ruminants, en revanche, suivait l’herbe, à Fontana Fredda c’était une vérité manifeste : mars au bas de la vallée, mai dans les pâturages des mille mètres, août dans les alpages aux alentours des deux mille, puis de nouveau en bas pour la félicité en demi-teinte de l’automne, la seconde modeste floraison. Le loup obéissait à un instinct moins compréhensible. Santorso lui avait raconté qu’on ne comprenait pas très bien pourquoi il se déplaçait, l’origine de son intranquillité. Il arrivait dans une vallée, y trouvait peut-être du gibier à foison, pourtant quelque chose l’empêchait de devenir sédentaire, et tôt ou tard il laissait tous ces cadeaux du ciel et s’en allait chercher la félicité ailleurs. Toujours par de nouvelles forêts, toujours derrière la prochaine crête, après l’odeur d’une femelle ou le hurlement d’une horde ou rien d’aussi évident, emportant dans sa course le chant d’un monde plus jeune, comme l’écrivait Jack London… »

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Une histoire, celle de Fausto Dalmasso, écrivain qui a grand mal à écrire,

il est en manque d’inspiration.

Il part vers le Mont-Rose et se fait engager comme cuisinier

dans un restaurant nommé Le Festin de Babette

– nom donné par sa propriétaire Babette en hommage à la nouvelle de Karen Blixen.

Il se lie avec Sylvia, une serveuse à la recherche d’une autre vie,

il tisse lentement des amitiés avec Babette, avec Santorso…

L’hiver se passe, la saison touristique se termine, Fausto part à Milan.

Séparé de sa femme Veronica, il doit s’occuper de vendre leur ancienne maison.

Ce livre nous décrit des scènes de vie dans un village Alpin

– histoires d’amour, désillusions, parfums et couleurs des forêts,

force d’une nature généreuse mais qui ne fait pas de cadeaux.

Les villageois parlent peu, ils laissent planer certains mystères

et l’on voit que les caractères les plus rudes sont souvent les plus tendres…

Ici  des solitudes se rencontrent et petit à petit se partagent.

Fausto prend conscience qu’il faut laisser le monde dérouler ses chemins,

il ne faut rien exiger, rien brusquer,

il faut juste accueillir ce qui vient, ce qui surprend, les joies et les peines,

l’humanité est la félicité.

J’ai passé un très bon moment dans ces montagnes,

elles attirent, aimantent et terrifient parfois,

Paolo Cognetti  partage talentueusement son amour pour elles

et nous entraine là dans une jolie réflexion,

 

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Extrait de « La félicité du loup »  2021  Paolo Cognetti.

Illustrations : 1/ « Massif du Mont Rose – Plateau glaciaire »  Edward Theodor Compton  1849-1921  2/ « Bouleaux et glycines »  Teodoro Wolf Ferrari  1878-1945.

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Apprécier les choses simples…

BVJ – Plumes d’Anges.