Archive pour mars 2023

Blancs-tapis…

dimanche 19 mars 2023

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« … Un peintre suisse du monde d’hier, Cuno Amiet, avait représenté, au début du XXème siècle, un skieur dans un paysage de neige : un point dans une nappe blanche, jaune plus exactement, enfin couleur de chair puisque la neige est la peau du ciel équarrie sur la Terre. Je voulais devenir ce personnage : une présence sans valeur dans un monde sans contours. Le voyage deviendrait un déplacement dépourvu de finalité, suspendu dans le monochrome. Ce serait l’action pure, parfaitement réduite à son seul accomplissement. Il y aurait la sueur, le silence et la trace. Les portes s’ouvriraient. J’entrerais dans le vierge, dilué…

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… Si nous avions eu pleine connaissance des crevasses sur lesquelles nous passions à l’aveugle, nous n’aurions jamais osé nous aventurer. Leçon pour la vie : ne pas tout savoir. La transparence est cet état qui, donnant à tout connaître, donne à tout redouter. La neige masquait l’ensemble et permettait de glisser dans l’inconscience, c’est à dire le bonheur. En ville, même principe. Si l’on se trouvait informé de la vie intime de nos proches, on n’accepterait plus le moindre contact…

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La nuit nous avait reconstitués. Nous foncions sur la fraîche. Du Lac commentait les devises des cadrans solaires sur les façades baroques : Horas Non Numero Nisi Serenas, « Je ne compte que les heures sans nuages ». L’homme serait inspiré de faire comme l’aiguille : retenir les rayons de la vie. Jamais les ombres.

Ces heures hautes et claires aidaient à l’exercice : effacer ce qui salit. Ne conserver ni rancune, ni dépit. Rester blanc. Comme neige…

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Le Blanc s’étendait dans l’indifférencié, par delà l’histoire et la géographie. Le Blanc ne constituait pas un milieu naturel, encore moins un paysage, mais une substance. Rapportée au monde abstrait, une substance s’appelle l’universel. Sa traversée s’appelle un rêve.

La neige était un élément transitoire, fragile et éphémère. Un jour, elle fondait. Le monde revêtait alors une forme que le manteau avait dissimulée. On croyait se glisser dans un décor. On s’invitait dans une parenthèse… »

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Sylvain Tesson et Daniel du Lac – guide de haute montagne – traversent les Alpes de Menton à Trieste avec skis et crampons en 85 jours, entre 2018 et 2021.  Il font une belle rencontre, un certain Rémoville – ingénieur de formation – qui se joint à eux. Ce livre est un « Carnet de voyage » relatant leurs quatre expéditions, La liberté, Le temps, La beauté et L’oubli en sont les titres poétiques.

Entrer dans le blanc n’est pas anodin, la souffrance y jouxte l’extase. S’extraire du quotidien et de ses vicissitudes, méditer, élargir son univers intérieur, ouvrir grand les yeux sur l’extraordinaire beauté du monde, s’alléger des fardeaux, se fondre dans les paysages, laisser monter en soi des bulles d’ivresse du passé, goûter au plaisir de la glisse et du feu qui réchauffe après avoir eu peur, avoir eu froid…

Cette immersion dans le blanc m’a touchée, peut-être parce que j’ai grand plaisir à « naviguer » dans les Alpes. J’ai apprécié le côté rebelle de l’écrivain voyageur, il nous offre un joli moment de lecture, très vivant, émaillé d’anecdotes ou de références littéraires, qui invite à partir maintenant, les blancs tapis ne sont pas éternels.

Dans notre monde qui tourne à l’envers, Blanc est un livre qui fête le printemps nouveau avec ferveur…

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Extraits de : « Blanc »  2022  Sylvain Tesson.

Illustrations : 1/« Rochers sous la glace et la neige »  Pekka Halonen  1865-1933  2/« Neige et eau »  Arthur G.Dove  1880-1946.

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S’immerger dans l’énergie du blanc…

BVJ – Plumes d’Anges.

Long voyage…

samedi 11 mars 2023

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« … je descends la montagne et je suis à pied, je fais toujours ça pour soulager le dos de mon cheval avant de rentrer. Aru me guette, je ne sais pas comment il fait s’il me guette toute la journée tous les jours que je pars enfin il me repère toujours en premier et là il crie. Ce n’est pas un cri comme un cri c’est de la joie. Ça non plus je n’ai pas les mots pour le dire je le perçois dans ma poitrine et c’est gigantesque et le petit court vers moi il ne court pas vite il est petit. C’est là que c’est bizarre chaque fois ça me fait quelque chose dans le ventre et c’est de l’émotion que je n’arrive pas à retenir, de l’émotion de voir qu’il m’attend et qu’il n’attend que moi et sur son visage le bonheur qu’il y a je ne peux pas l’expliquer c’est immense – mais c’est aussi une sorte de pitié effrayante quand je le regarde cavaler pour me rejoindre, il est tellement petit tellement faible ça me fait peur ça me fait de la tristesse à  me broyer, je me dis qu’il sera tout le temps petit et fragile et pourtant je le sais que ce n’est pas vrai seulement je voudrais le protéger pour toujours.

Alors il y a ces instants terribles et puis Aru est là et il se jette contre mes jambes et d’un coup ça va mieux, comme si maintenant qu’il était avec moi il ne pouvait rien lui arriver. Et je sais que tout ça c’est faux parce que c’est sa mère qui s’occupe de lui et c’est sa mère qui le protège, moi ce n’est qu’une sensation mais elle c’est en vrai chaque jour que Dieu fait. Il y a quelque chose d’injuste dans la course d’Aru vers moi et pourtant je le prends et je le garde et Ava sourit en bas du champ je jure que je devine son sourire. Après je finis le chemin avec le petit bonhomme sur mes épaules. Ce sont les seuls moments où je suis vraiment avec lui, ça ne cherche pas bien loin je m’en rends compte et j’embrasse Ava et on est là tous les trois dans la montagne je crois que je suis heureux…

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… Alors à cet instant je me dis que j’ai le choix. Ça peut rester comme ça toute notre vie Aru et moi, ou bien je peux essayer de réparer quelque chose mais c’est maintenant ce n’est pas demain après ce sera trop tard. (…) C’est dur à venir et j’ai peur que le môme me repousse et si j’étais à sa place c’est sûr que je détesterais l’homme qui se lève et qui s’avance vers moi, c’est ça qui me noue le fond du ventre, s’il a un geste de recul s’il s’échappe. Puis soudain il y a son regard sur moi. Dans ce regard je vois, bon sang ce que je vois ce n’est pas ce que je croyais, pas ce que j’appréhendais. Un élan contenu – je vois la joie qui n’ose pas se dire et c’est pareil quand il court vers moi les jours où je rentre de la chasse et même s’il n’a rien oublié il n’attend que ça, ce que je fais là, et c’est ouvrir les bras pour qu’il s’y jette et il se jette, et mes bras je les referme autour de lui comme si c’était un oiseau blessé on y est…

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… je comprends que notre vie ensemble ça tient à des choses banales comme celle-là, des choses qui ne sont pas aussi anodines qu’elles en ont l’air. Alors je tapote la croupe de Dark pour appeler le gosse. Je lui dis viens là marche pas derrière il y a de la place pour deux. Il s’approche il a le regard tout brillant et l’instant d’après on est botte à botte. C’est drôle il s’est redressé en arrivant à ma hauteur, il a gagné cinq pouces mon môme, je le jurerais, et il n’est plus aussi minuscule que je le pensais… »

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Liam, le narrateur, cabossé par son enfance, quitte la maison familiale à l’age de seize ans et part en dehors du monde vers les montagnes. Il vit de la chasse, tanne et vend des peaux. Un jour il fait la connaissance d’Ava, elle s’installe chez lui, il ne change rien à son quotidien. Plus tard elle lui parle de son désir d’enfant, il refuse mais un jour nait Aru. Il laisse à Ava le soin de s’en occuper, il le regarde de loin, pourtant il perçoit de troublantes émotions en observant ce petit bonhomme, il n’ose se laisser aller au bonheur.

Un soir, en rentrant des forêts, quelque chose n’est pas comme d’habitude, un drame fait basculer sa vie. Liam plonge dans un chaos total, une idée lui vient à l’esprit qui ne peut se réaliser, il lutte contre de vieux démons, des bribes de son enfance remontent, les cicatrices s’ouvrent à nouveau. Au fond de lui une petite étincelle fait son chemin. Aru, petit garçon fragile mais courageux, élevé avec amour par sa mère, attend patiemment, il n’a que cinq ans mais il montre à Liam  une voie d’humanité…

C’est une histoire difficile mais captivante, on ne peut la lâcher, on tourne les pages fébrilement jusqu’à la dernière. Une lecture intense qui nous raconte la naissance d’un père. Le style littéraire est particulier, il n’y a pratiquement pas de virgules dans les longues phrases mais celles-ci coulent comme des rivières…

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Extraits de : « On était des loups »  2022  Sandrine Collette.

Illustrations : 1/ « Tir réussi »  2/ « Jument blanche »  Winslow Homer  1836-1910.

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Chemin d’humanité, chemin d’amour, chemin de paix…

BVJ – Plumes d’Anges.

Premiers frissons…

dimanche 5 mars 2023

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Être bien,

bien-être…

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Dehors, dedans, la nature s’illumine…

Une invite à convier le printemps frissonnant dans la maison.

Se nourrir de cette lumière, sentir qu’elle circule en nous,

renouveler l’opération si nécessaire et vibrer encore plus haut…

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Dès que l’habitude s’installe, naviguer vers d’autres lieux,

entendre le chant poétique de la nouvelle atmosphère,

percevoir en soi la douceur de l’éther,

renouveler l’opération si nécessaire et vibrer toujours plus haut…

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« Matin de printemps

Mon ombre aussi

Déborde de vie »

Kobayashi Issa

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Être bien,

bien-être…

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Photos BVJ – Autour de chez moi.

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Se nourrir des premiers frissons printaniers…

BVJ – Plumes d’Anges.