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« … L’Age d’Or est encore de ce monde. C’est nous qui ne le voyons pas.
Novalis l’avait pressenti. Écoutons-le : »Le paradis est dispersé sur toute la terre.
C’est pourquoi nous ne le reconnaissons plus.
Il faut réunir ses traits épars. »
L’oiseau, l’élan des retrouvailles
De manière tout à fait inattendue, comme s’il intensifiait le lien à mon propre milieu, un oiseau, l’engoulevent, va donc me permettre de renouer avec des formes d’attention que j’avais connues, enfant. Parce qu’il sort vraiment du lot, cet oiseau m’a permis de retrouver mon enthousiasme : « Ah oui cet oiseau là ! »…
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… Jusqu’alors, je m’étais passionné pour l’oiseau. Dès l’enfance, c’est lui qui avait provoqué, sculpté ma sensibilité aux autres formes de vie. Désormais, c’était au-delà : l’oiseau serait mon guide. « Écoute ! Écoute-moi, écoute ce que je fais ! Tais-toi une seconde, et même tiens arrête. » De cette écoute, il s’agit non seulement de parler, de rédiger un hommage à l’oiseau, ou de lancer l’alerte. Les oiseaux n’ont que faire de notre joie ou de nos craintes. Mais aussi de faire quelque chose, concrètement, de ce voisinage, tirer les leçons de cet échange, de cette secousse provoquée par l’oiseau.
Par exemple initier un projet qui, d’un seul coup, ferait que ma vie de forestier, augmentée d’un geste poétique, retrouve un sens. Faire quelque chose de beau. Chacun de nous porte en lui l’image imprécise d’un paradis antérieur dans lequel il rêve de se réfugier quand les saccages alentour deviennent insoutenables. Dans ces moments là, ce n’est pas seulement un répit qu’on appelle ; mais aussi une consolation, quelque chose de plus que la cessation du tourment que l’on endure. Comme si celui-ci donnait droit à un bonheur au dessus de tous les autres, qui n’est plus, depuis longtemps de ce monde. Rêver d’une autre façon de vivre dans un monde abîmé. Inventer une autre manière d’habiter. L’imagination, voilà le trésor de l’homme ; son exercice doit précéder celui de la volonté. (…)
Il n’y a pas de pourquoi, il y a un Parce que l’oiseau. Pourquoi lutter, s’y prendre autrement pour accompagner la forêt, pour vivre ? Parce que l’oiseau. Car « les oiseaux ne sont pas des voisins comme les autres (…) Eux qui portent la forêt sur leur dos, des graines du monde au bec. Que serait le monde sans eux ? Un ciel sans oiseaux ? Par rapport à cette horreur qui semble aujourd’hui plausible, tout oiseau est un commencement, un enclenchement, une résistance. Qui commence par une présence. L’enjeu est donc de repeupler. De quoi veux-tu t’entourer ? De fleurs, d’arbustes chargés de baies, de fruits, d’insectes, de chants et de vols d’oiseaux ! D’où l’idée de sanctuariser un fragment de notre forêt pour que l’oiseau y « déploie ses signes à lui ». Le Paradis des oiseaux ! Naïveté ? Elle sauve. Utopie ? Elle transfigure… »
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Voulant réaménager une parcelle de châtaigniers moribonds dans la forêt de la Bonne Foussi en Dordogne, Jean Mottet, forestier, professeur de cinéma et écrivain, apprend « de la bouche du chanteur d’oiseaux Jean Boucault que l’engoulevent en provenance de la forêt du Gabon, s’installerait dans cette coupe rase au prochain printemps ! ».
Amoureux des oiseaux depuis l’enfance, l’éblouissement intérieur provoqué par une telle révélation, incite notre forestier à réfléchir et préparer la fête à venir, il veut faire œuvre de beauté, œuvre poétique. Il plantera là des centaines de chênes et des centaines de fruitiers sauvages, des buissons buissonnants… Chaque jour ou presque, il viendra observer la création en devenir et de mars à septembre pourra admirer la danse et le drôle de chant de l’engoulevent, un quart d’heure avant le coucher du soleil… De nombreuses citations fleurissent au fil des pages, invitant Rainer Maria Rilke, Claudie Hunzinger, Henry David Thoreau, Philippe Jaccottet, Vincianne Despret, et bien d’autres…
Ce petit ouvrage très vivant, mêlant art, poésie et science de la terre, se lit d’une traite, il est passionnant, il surprend, il interroge. N’est-il pas en plus, une leçon de vie qui nous inciterait à agir, à préparer l’écrin du jardin des merveilles futures que nous aimerions attirer à nous ?
Comme le dit Amélie Nothomb en quatrième de couverture : « Dans ce monde des lettres où tout le monde aborde des questions futiles, désespérantes, inintéressantes ou laides, Jean Mottet consacre un livre à l’engoulevent. Enfin un sujet important ! Bravo à l’auteur pour son sens des priorités ! »
Un bel hommage qui invite la beauté à sa table, lecture à déguster joyeusement !
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Extraits de : « Éloge de l’engoulevent – Un hymne au vivant » 2024 Jean Mottet.
Illustrations : 1/« La forêt » Dominique Peyronnet 1872-1943 2/« L’engoulevent » – Illustration – Alexander Wilson 1766-1813.
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Chanter et danser la vie…
BVJ – Plumes d’Anges.