Archive pour novembre 2022

Objets de curiosité…

dimanche 27 novembre 2022

.

.

Imaginez-vous vagabondant dans les sublimes paysages des Grisons en Suisse, vous vous dirigez vers le COL de JULIER, des vaches y passent leurs « vacances d’été ». Tout à coup, au sommet, à 2300 mètres d’altitude, votre regard est happé par une construction insolite.

Là où les romains avaient édifié un temple dédié à Jupiter, se dresse une tour pentagonale en bois d’épicéa des Alpes, haute de 30 mètres, peinte en rouge sang de bœuf, percée sur 5 niveaux de fenêtres cintrées – l’ouvrage semble inspiré de La Colonne dans le Parc du DÉSERT de RETZ à Chambourcy, villa du XVIIIème qui se réduit à une tour en partie ruinée. Ici, elle doit résister à des conditions météorologiques extrêmes : vents violents, neige… Cette tour a été conçue par WALTER BIELER  (1937-2019), ingénieur spécialisé dans les constructions à ossature bois. C’est un bâtiment éphémère qui sera démonté en Août 2023, ses éléments pourront être réutilisés ailleurs.

La ROTE TURM a été imaginée par GIOVANNI NETZER, natif de Savognin, théologien, historien de l’art et homme de théatre. Il a créé le FESTIVAL ORIGEN (origen signifie genèse en rheto-roman), qui a pour vocation de réinterpréter le monde et d’accueillir des spectacles et des artistes du monde entier dans des lieux insolites et reculés. Des premières mondiales ont eu lieu ici, le paysage environnant devient le fond de la scène.

Durant les quatre premiers jours de décembre 2022, les concerts matinaux du RORATE s’y tiendront. Des chants traditionnels de l’Avent en latin seront interprétés par Anne Christine Wemekamp, Maria Goetze, Marlen van Os, Stedla Brüggen, Marjolein Stots, mais la programmation ne s’arrête pas là…

« Les concerts du Rorate au Col de Julier s’inspirent de la liturgie de l’Avent. Aux heures sombres de décembre, avant l’aube, la Tour Rouge résonne de chants latins inspirés de textes prophétiques qui racontent un sombre Avent, l’espoir de l’achèvement du monde et du retour de la lumière du soleil. »

.

.

Dans cette région d’autres projets sont menés par ORIGEN. Il y a par exemple la WEISSE VILLA. Elle fut construite en 1856 dans le village grisons de MULEGNS  par le confiseur Jean JEGHER. Parti à Bordeaux, ville où il fit fortune avec son art, puis gagné par la nostalgie de ses origines, il revint dans son village natal, sa famille et lui – les « barons du sucre » – exportèrent leurs sucreries extravagantes jusqu’en 1940.  Jean Jegher fit bâtir la « Villa blanche », aujourd’hui classée au Patrimoine culturel. Proche du col, seul axe de passage entre les Grisons et l’Engadine, les véhicules endommageaient régulièrement les façades. En Août 2020, une opération spectaculaire eut lieu : le déplacement de quelques mètres de cette bâtisse, il se fit en musique, avec projection d’images sur les murs, spectacle assuré par ORIGEN.

.

.

Le festival ORIGEN apporte la culture dans des régions reculées, cette villa tient lieu de Café. Un hôtel récemment inauguré – le POST HOTEL LOWE – a été entièrement restauré et puis il y a cet incroyable projet – une sorte de confiserie géante – qui devrait voir le jour en 2023, la WEISSE TURMElle sera imprimée numériquement sur place, elle racontera des histoires, accueillera diverses installations artistiques… pendant 5 ans. Suivez les liens qui se cachent sous les mots soulignés pour en savoir plus…

Belles imaginations et belles créations, quand elles portent la beauté à ses sommets, elles nous élèvent…

.

Photos P.J. et BVJ.  Août 2022.

…..

Oser nos rêves, faire preuve d’ingéniosité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Penser autrement…

lundi 21 novembre 2022

.

.

« … En bon Jardin, j’ai toujours distingué des êtres qui sortent du cadre (out of the box) de ceux qui dessinent un autre cadre (la box elle-même). La deuxième ethnie est évidemment la plus rare.

Un jour que je surveille des enfants en tant que moniteur de colonie de vacances en Suisse, je m’aperçois que chaque soir un petit garçon reste hypnotisé par la présentatrice météo d’une chaîne helvétique, juste avant le JT local. Je discute avec lui et comprends avec stupeur qu’il assiste religieusement à ce rituel télévisuel car il est persuadé que la jeune femme ne prévoit pas le temps qu’il fera le lendemain, mais qu’elle ordonne aux éléments : « Demain il neigera le matin et à midi des éclaircies apparaîtront « , etc. Le cerveau de ce petit garçon évolue dans un tout autre cadre que le mien, un cadre magique où il est possible – quand on en a le pouvoir – de donner des ordres au soleil et aux nuages. Au lieu de détromper le gamin, je le félicite d’être le seul du chalet à avoir repéré une aussi grande magicienne. Il me sourit, heureux que j’accepte de rentrer dans son cadre où la journaliste météorologue, sur sa dévote lancée, peut faire se lever le soleil ou le sommer d’aller faire dodo.

Il ne faut jamais décourager un être humain qui a la grâce de s’échapper des références des autres. Dès que nous réintégrons le référentiel du commun, nous mourons un peu. Dès que nous réinventons le monde avec une grâce d’enfant, nous redevenons de grands vivants… »
.

Sujet de méditation inspiré par Alexandre Jardin : Réinventer le monde…

 Cela commence par l’enfance, période fabuleuse où tout est possible mais où , trop souvent, des êtres formatés se chargent d’éteindre les rêves. La confiance en soi disparait doucement, l’enfant suit la pensée des autres – adhère à la pensée unique,  cela est tellement plus simple – il est ainsi accepté au sein du groupe, cela le rassure. 

Si l’enfant se sentait soutenu dans sa différence, son imagination fleurirait, plus tard il réfléchirait autrement, il serait source d’abondance. De magnifiques initiatives ont lieu chaque jour, des hommes et des femmes sortent du rang courageusement pour proposer une vision autre, alors, qu’attendons-nous ?

Nous avons la chance de pouvoir CHOISIR qui l’on veut être, c’est précieux !

Il y a dans ce livre beaucoup d’autres sujets, cette lecture est légère et vivifiante…

.

Extrait de : « Les MAGICIENS »  2022  Alexandre Jardin.

Illustrations : 1/ « Paysage » attribué à Paul Gauguin 1848-1903  2/ « Arbres blancs »  Anita Rée  1885-1933.

…..

Créer nos propres pensées…

BVJ – Plumes d’Anges.

Mont huppé…

samedi 12 novembre 2022

.

.

« … Dans la tradition fabuleuse, avais-je écrit en substance, la Montagne est le lien entre la Terre et le Ciel. Son sommet unique touche au monde de l’éternité, et sa base se ramifie en contreforts multiples dans le monde des mortels. Elle est la voie par laquelle l’homme peut s’élever à la divinité, et la divinité se révéler à l’homme…

.

Or, j’avais entendu parler, comme vous, dans mes lectures et dans mes voyages, d’hommes d’un type supérieur, possédant les clefs de tout ce qui est un mystère pour nous. Cette idée d’une humanité invisible, intérieure à l’humanité visible, je ne pouvais me résigner à la regarder comme une simple allégorie. Il était prouvé par l’expérience, me disais-je, qu’un homme ne peut pas atteindre directement et de lui-même la vérité ; il fallait qu’un intermédiaire existât – encore humain par certains côtés, et dépassant l’humanité par d’autres côtés. Il fallait que, quelque part sur notre Terre, vécût cette humanité supérieure, et qu’elle ne fût pas absolument inaccessible…

.

… Avec un groupe de camarades, je partais à la recherche de la Montagne qui est la voie unissant la Terre au Ciel ; qui doit  exister quelque part sur notre planète, et qui doit être le séjour d’une humanité supérieure : cela fut prouvé rationnellement par celui que nous appelions le Père Sogol, notre ainé dans les choses de la montagne, qui fut le chef de l’expédition.

Et voici que nous avons abordé au continent inconnu, noyau de substances supérieures implanté dans la croûte terrestre, protégé des regards de la curiosité et de la convoitise par la courbure de son espace – comme une goutte de mercure, par sa tension superficielle, reste impénétrable au doigt qui cherche à en toucher le centre. Par nos calculs – ne pensant à rien d’autre -, par nos désirs – laissant tout autre espoir -, par nos efforts – renonçant à toute aise -, nous avions forcé l’entrée de ce nouveau monde. Ainsi nous semblait-il. Mais nous sûmes plus tard que, si nous avions pu aborder au pied du Mont Analogue, c’est que pour nous les portes de cette invisible contrée avaient été ouvertes par ceux qui en ont la garde. Le coq claironnant dans le lait de l’aube croit que son chant engendre le soleil ; l’enfant hurlant dans une chambre fermée croit que ses cris font ouvrir la porte ; mais le soleil et la mère vont leurs chemins, tracés par les lois de leurs êtres. Ils nous avaient ouvert la porte, ceux qui nous voient alors même que nous ne pouvons nous voir, répondant par un généreux accueil à nos calculs puérils, à nos désirs instables, à nos petits et maladroits efforts… »

.

Un livre inachevé au titre étonnant,

« Le Mont Analogue – Roman d’aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques »

 cinq chapitres, l’auteur en prévoyait sept mais une tragique tuberculose a sonné la fin abrupte de ce récit. Quel dommage mais comme au fil des pages on navigue dans une histoire étrange, la « fin » ne pouvait que l’être aussi. Des notes de l’auteur, un plan d’écriture nous montrent une voie, laissent quelques traces, indiquent une direction, c’est à nous de continuer la route pourrait-on dire…

L’histoire ? Suite à la parution d’un article dans « La revue des fossiles » sur l’existence du Mont Analogue, histoire sortie de l’imagination – intuitive ? – du narrateur Théodore, un certain Pierre Sogol lui propose une rencontre, ils mettent au point avec quelques amis une expédition vers le mont invisible, ils prennent la mer sur un yacht nommé L’Impossible… Ce journal de voyage est extra-ordinaire, on y conte des situations inattendues et décalées, des inventions extravagantes. Les personnages changent doucement leur manière de voir, ils s’allègent de beaucoup de choses qui leur semblaient pourtant indispensables…

L’édition de 2021 offre deux versants à cette lecture : le texte initial du roman – Le Mont Analogue – paru en 1952 se trouve entre préface et postface de Patty Smith, auxquelles Gallimard a ajouté de précieux documents : témoignages, lettres, photographies. L’amour de la montagne de l’érudit René Daumal est absolu, il vit la montagne dans sa chair, elle le soigne et le nourrit. Partout et à tout moment, il cherche le sens et l’essence des choses, avec joie et drôlerie.

Autre découverte et pas des moindres, l’artiste peintre Hilma af Klint dont une œuvre apparait sur la couverture jaune de l’ouvrage, elle eut un itinéraire singulier qui ne peut laisser indifférent, une femme en lien spirituel avec René Daumal.

Ce livre est un cadeau des cieux, je l’ai apprécié sous toutes ses facettes et je sais qu’il y a encore beaucoup, beaucoup à y découvrir. N’hésitez pas à suivre les liens en cliquant sur les noms propres soulignés, j’espère que vous-aussi suivrez ce sillage avec délectation…

.

« … Le Mont Analogue. Un livre si merveilleux, un conte à dire avant de s’endormir, un récit aux respirations si distantes que de la glace se forme sur les cils. C’est une montagne née de l’esprit de son créateur, une manifestation imaginaire, un miroir massif et impassible. Sa surface cristalline est indétectable, sa zone de navigation impossible à cartographier. On ne la trouvera pas si l’approche n’est pas effectuée selon le bon angle, à certains endroits et à certains moments… »   Patti Smith

.

Extraits de : « Les Monts Analogues » –   René Daumal  1908-1944  – Édition de 2021 préfacée par Patti Smith .

Illustrations : 1/« Glacier de Rosenlaui »  John Brett  1831-1902  2/« Peintures pour le Temple – Retable 1 – Groupe 10 » Hilma af Klint 1862-1944.

…..

Un pas de côté, vers un au-delà…

BVJ – Plumes d’Anges.

Ordre intérieur…

vendredi 4 novembre 2022

.

.

« … Déposer pour quelques minutes, quelques heures, la contrainte sociale. Se reconnaître simplement vivant même quand les autres vivants ne sont pas là, c’est enrichir sa façon d’habiter le réel. C’est s’accorder un peu mieux avec l’habit de chair que nous avons revêtu au jour de notre conception. Parce qu’il ne saurait y avoir d’expérience sans fécondité et qu’il ne tient qu’à nous que ce que nous vivons, même le plus déconcertant, même le plus âpre, porte un fruit – et si possible un fruit qui ne soit pas amer – l’expérience du silence est à tenter. Un temps dont les fruits se révèleront  peut-être tardifs, peut-être discrets. Mais qui pourrait imaginer qu’il n’y ait aucune suite à cette expérience là ?

Que l’on s’arrête un moment sur l’image de la jachère. Il y a autant de différence entre ce qui est utile et ce qui est fécond qu’entre le champs cultivé et la terre laissée en repos. (…)

Quels sont les moineaux de nos vies, ces sentiments tenaces et négligés, ces idées saugrenues, ces désirs qui ne demandent qu’à germer ? Quelles sont ces herbes folles dont on ignore jusqu’au nom faute de leur accorder une place dans nos vies trop sages et qui, pour peu qu’on leur prête vie, nous réserveraient l’émerveillement d’un épi chargé de grains ? Quelles sont ces petites voix trop basses que nous avons cessé d’entendre sans nous en rendre compte ?

Oui, le temps du silence est temps de jachère…

.

… Chut. Marquons une pause, taisons-nous un peu. Offrons parfois, si peu que cela soit, la possibilité d’une écoute. Faisons place à la parole de l’autre. Donnons à sa voix et à ses mots vrais une chance d’émerger : « Et toi, comment vas-tu aujourd’hui ? Mon ami, mon frère, qu’as-tu à me dire ? Comment va ta vie ? Qui es-tu ?…

.

Dans le plein silence, dans cette présence au monde que je rêve la plus nue et la plus apaisée possible, le réel entier me rejoint. Ce ne sont plus seulement mes frères humains à qui je fais place mais voici mes frères non-humains : les arbres et les herbes, les oiseaux et les insectes, les éveillés à plumes, à poils et à écailles… Je sens battre ma vie et, parce que j’en suis consciente, viennent à ma conscience toutes ces vies qui ne sont les miennes et qui toutes ensemble battent, pulsent, et chantent et s’agitent et font avec moi monde commun. Le matin bruit de battements d’ailes, de grattements de froissements. Le hérisson ronchonne sous le laurier, les fleurs de lilas se défroissent imperceptiblement. Le ver de terre pousse son tunnel sous les tulipes, trois hérons remontent la rivière et en haut du sapin le merle s’égosille ; autour de moi la ville s’éveille. Je ne suis qu’une poussière dans le vivant multiple.

Jamais seule.

Oui : je me tais et voici que tout me parle… »

.

« Un si grand désir de silence » est un très bel essai d’Anne Le Maître, émaillé de riches références. Ce nouveau monde dans lequel la « modernité » nous a tous plongés est ultra bruyant. Notre esprit ignore le repos et l’apaisement, il est sollicité en permanence, de façon visible mais aussi de façon insidieuse et invisible, on ne prend plus de recul, on bavarde sans cesse ou l’on écoute des bavardages.

Anne Le Maître nous invite ici à faire une expérience du silence en toute conscience : un silence fécond, qui porte en lui sens et profondeur, valeurs indispensables à notre bien-être et à notre évolution humaine et spirituelle. Faire silence pour mieux entendre l’autre, mieux entendre la vie qui par petites notes se dévoile et nous ouvre de nouveaux horizons se renouvelant à l’infini. Faire silence pour que notre attention nourrisse notre inspiration. Faire silence pour s’enrichir les uns les autres, magnifique chemin… Merci Anne.

.

Extraits de : « Un si grand désir de silence«   2020  Anne la Maître.

Illustrations : 1/ »Paysage, Gay Head dans le Massachussets »  2/« Esprit d’automne »  Albert Pinkham Ryder  1847-1917.

…..

Chercher ce que le silence a à nous dire…

BVJ – Plumes d’Anges.