Nouveau printemps d’un poète…

17 mars 2024

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… « J’ai rencontré un souvenir

Embusqué derrière une porte

Prêt à me faire trébucher

Un croque-en-coeur en quelque sorte

Boomerang d’un proche passé.

 

J’ai eu le temps de le sentir

Me bousculant sans que je tombe

Il s’est enfui tel un vampire

Aspirant en grande trombe

Les traces vives de l’insensé. »

 

Boomerang  –  juillet 1983.

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« Les gouttes d’eau ont fui aux gargouilles du rêve

et la rosée transsude aux feuilles des roseaux

la fraîcheur du matin essore l’arbrisseau

et les fleurs engourdies se dérouillent les sèves.

 

Le soleil a cillé des paupières il se lève

étirant ses rayons et lissant ses faisceaux

comme pour l’accueillir au travers des rideaux

la crémone a baillé, le store se soulève.

 

Les oiseaux ont jeté au ciel leurs vocalises

sur le pas de leurs nids les jeunes s’enhardissent

vannent en s’ébrouant l’eau frêle du matin.

 

Le soleil a tôt fait de dissiper les gouttes

sur la feuille l’oiseau l’herbe folle des routes

la toilette du ciel éclaircit les jardins. »

 

Rosée  –  Août 1981.

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« Une pétillance de l’eau

un miroitant jeu de lumière,

entre pierre et boue une source,

devenant capricieux ruisseau

ou bien un hiératique fleuve.

 

On peut bien rêver d’être fleuve

quand on est qu’un simple ruisseau ;

sur fond mélodique de l’eau

conserver la joie de la source

dans un legato de lumière.

 

La réfraction de la lumière

porte l’arc-en-ciel dès la source.

Les cascatelles des ruisseaux,

le train des chalands sur le fleuve ;

sillages, mémoire de l’eau.

 

Les villes reflètent dans l’eau

jeunesse et vieillesse du fleuve,

dans des plumetis de lumière.

Scintillant, miroitant ruisseau ;

souvenirs perdus de la source.

 

À l’ombre d’un chêne, une source

conte guilledou au ruisseau.

La mer a oublié le fleuve.

Soleil, lune, étoiles, lumières

sautillent à l’inconstant de l’eau.

 

Le fond mélodique de l’eau.

Les cascatelles du ruisseau,

tout en plumetis de lumière.

Le mer oublieuse du fleuve.

Entre pierre et boue une source. »

 

Quintine à la source

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« Chacun porte en son coeur

sa blessure secrète,

camouflée comme il peut.

 

Et, chacun comme il peut,

a son île déserte

où il s’évade heureux. »

 

Blessure secrète…

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Lucien Forno  (1923-2006) éminent médecin neuropsychiatre à Toulon, très impliqué dans son métier et dans sa ville, fut marqué à l’adolescence par sa rencontre avec Saint-Pol-Roux.

Aimant les Arts, il fut naturellement attiré par celui de la poésie, mania superbement les mots et les langues anciennes,  écrivit et offrit parfois ses poèmes à l’occasion des fêtes.

Un recueil humblement signé Lucien vit le jour en 1972 : « Sincèrement votre » aux éditions-saint-germain-des-prés.

… « Un bourgeon coupé/ une feuille tombée/ une fleur fanée/ à quoi cela sert-il,

au bourgeon de vivre/ à la feuille de pousser/ à la fleur d’embaumer/ au poète de rêver »…

Quelle surprise pour ses enfants quand, exhumant 17 ans après son décès, les archives de leur père, ils découvrirent un lumineux trésor : des essais, des traductions d’œuvres latines… et plus de 600 talentueux poèmes.

C’est le livre d’une vie, chaque poème est à lire, à relire pour en saisir toutes les facettes, toute la profondeur.

Lucien Forno qui pendant tant d’années écouta les maux et les mots des autres,

lui qui discrètement, tissant des poèmes, entra dans le souffle de la création,

face aux désordres de la tête et du cœur de ses patients,

il dut trouver des mots, les ordonner, les poétiser.

Il lui fallut découvrir des sources vives pour toujours alimenter le flux et apporter la lumière.

N’y-a-t-il pas dans son prénom LUCIEN, le mot LUCI, lumières en italien, Italie pays de ses racines ?

Il explora diverses formes poétiques, sonnets, quintines, sextines (une découverte pour moi, un exercice de style de haute voltige qu’il affectionna particulièrement ), il se lança des défis, jouant avec un vocabulaire d’une immense richesse.

Homme de passion, il sut fouiller les temps anciens pour en rapporter des mots cadeaux, il jongla avec certains trouvés aux confins du ciel ou inventa des mots nouveaux d’une exquise poésie. 

Mettre en mots les joies et les souffrances, les ombres et les lumières, les moments d’intimité et de partage amoureux… quelle merveille ! 

À cette heure de libération de la parole, Lucien avait encore de belles choses à nous dire,

je vous invite vraiment à découvrir ce livre, il se lit,  se relit puis se picore délicieusement,

 merci à lui pour cette délicieuse sortie poétique, merci à ses enfants…

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Poèmes extraits de : « Lucien  est de sortie «   magnifique préface d’Isabelle Forno – 2024  Lucien Forno  1923-2006.

Illustrations : 1/ « Primevère, papillon et coléoptère »  2/ « Dent de lion, chenille et papillon »  Barbara Regina Dietzsch  1706-1783.

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Cheminer dans le courant des mots…

BVJ – Plumes d’Anges.

Esprit de système…

10 mars 2024

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« Le caractère particulier et distinctif de notre génération c’est l’esprit de système. Chacun a sa conviction arrêtée sur toutes choses, et suivant ses convictions, il construit dans son esprit un système de gouvernement, un système de croyance, un système physique, un système historique. L’un est républicain et l’autre est monarchiste ; l’un est catholique et l’autre anticatholique, et, partant de là, sans nulle autre recherche, il se fait un système sur le monde et un système sur l’histoire. Quelques uns ensuite pensent à faire des recherches, mais ils les font dans la ligne de leur conviction, et ils arrivent aux résultats que leurs convictions attendaient. Bien rare est l’homme qui se soucie uniquement de la vérité. Tous ont cet amour de la vérité dans la bouche ; tous prendraient volontiers pour devise veritatem diligo. Et ils ne sont pas de mauvaise foi ; seulement il arrive que l’éducation qu’ils ont faite à leur esprit l’asservit à quelque idée préconçue. Regardez nos plus grands érudits ; observez l’opinion générale que chacun s’est faite à l’âge de 20 ans, c’est-à-dire avant de commencer ses travaux d’érudition, et vous reconnaitrez que toutes les études qui sont venues depuis les ont conduits à des résultats qui s’adaptent à leurs opinions premières…

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Voir les choses telles qu’elles ont été a toujours été difficile et l’est plus que jamais à notre époque. En vain nos moyens d’investigation se sont perfectionnés ; en vain nous sommes plus convaincus qu’on ne l’a jamais été de la nécessité de la critique, en vain proclamons-nous plus haut que jamais l’indépendance de la science. C’est l’esprit de chacun de nous qui n’est pas libre, et il ne l’est pas, parce qu’il s’est fait sur des croyances avant de faire des recherches. »

Numa Denis Fustel de Coulanges  1830-1889.

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Je ne prétendrai pas ici parler de l’œuvre de Fustel de Coulanges, mais juste de ce texte retrouvé par hasard et qui m’a interpellée.

Dans le monde en perpétuelle évolution où une voix unique cherche à s’imposer, ne nous faudrait-il pas pour approcher la vérité – sans énoncer notre opinion – douter de tout, faire des recherches personnelles, remonter à la source première des textes, ne pas répéter un propos entendu sans l’avoir vérifié et étudié (chacun, sans mauvaise intention aucune, interprétant l’histoire) ?

À la fin, nous pourrions peut-être constater qu’il n’y a rien à affirmer, seulement observer, libérer notre esprit et proposer une force agissante pour nous élever ensemble… Qu’en pensez-vous ?

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Illustrations : 1/ « La peinture »  2/ « La sculpture »  3/ « L’architecture »  Esquisses pour le décor de la porte des Beaux-Arts de l’exposition universelle de 1878  4/ « La céramique »  Esquisse pour le décor de la façade de la manufacture Loebnitz – Musée de Beauvais – Huiles sur carton de Lazare Meyer  1847-1945.

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Tenter d’approcher une vérité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Contre vents et marées…

3 mars 2024

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« … – Regarde, un arc-en-ciel.

Ça ne veut rien dire, grommela la fillette. Il y a des arcs-en-ciel partout.

– Je n’ai pas dit que ça voulait dire quelque chose. Parfois les choses sont belles même quand elles ne veulent rien dire. Tiens, ce sera ta première leçon.

Ils arrivèrent en surplomb d’une anse. Les échouages paisibles reposaient au bout des câbles les reliant à de longs pieux plantés dans la vase de basse mer. Ils descendirent, se trouvèrent encerclés de saleuses et de pêcheurs. Le duelliste exposa son projet, mais il n’avait pas encore trouvé les bons arguments. Il disait : « V’là votre occasion de changer les choses » et ensuite, il lisait l’incompréhension sur les visages burinés. Il voyait dans leurs yeux le reflet de cet océan qui ne laissait jamais savoir à l’avance combien de poissons il allait donner ni combien d’hommes il allait prendre.

« Elles changent bien assez comme ça, les choses », lui répondit-on.

Il disait : « Tout ceci, toute cette côte, ce n’est pas obligé d’être une fatalité pour vos petits. On peut en faire un passage, un tremplin, au lieu d’un échouement. »…

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… – Jacques, dis-moi, c’est vrai qu’on est des héros ?

– Non, on n’est pas des héros. Nous, on ne fait que notre devoir. Ce qu’on a fait pour les naufragés, beaucoup l’auraient fait pour nous.

– Mais justement, eux autres disaient le contraire. Ils disaient que personne l’aurait fait.

– Je sais. On vit dans un monde de naufrageurs, mais faut faire comme si.

– Comme si quoi ?

– Comme si on vivait dans un monde où les principes servent à nous grandir plutôt qu’à nous épaissir…

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… « La mer parle, il faut savoir l’écouter. Ce n’est pas un langage comme le nôtre, construit de syllabes et de voyelles qui se succèdent. Ses sons se superposent et s’agencent comme les éléments d’un orchestre. Il faut être sensible au tableau qu’elle crée, à l’harmonie de sa cacophonie. Elle a plus de dimensions que nous autres, qui ne connaissons que bâbord et tribord, nord et sud. Ce qui fait que la mer est mer, c’est que toutes ses contradictions existent en même temps »… »

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Une incroyable fresque qui chevauche le temps – cela se passe au XVIIIème siècle -, sur l’île imaginaire d’Ys, sise entre Terre-Neuve et Ouessant : sur son sommet est posée une ville fortifiée, verticale, où l’on ne peut pénétrer que si l’on a commis un acte héroïque ou si l’on est l’invité d’un habitant.

C’est une histoire tout à fait singulière, celle de Danaé Berrubé-Portanguen, dite Poussin. Elle est orpheline, possède l’incroyable don de savoir nager, don unique sur l’île d’Ys où les femmes salent la morue et ramassent le goémon, chantent ou hèlent le chaland… Elle prend sa vie en main dès le plus jeune age, s’aventure dans les eaux, sauve des vies, récupère des morceaux de trésors engloutis, expérimente au gré de ses rencontres des situations et émotions universelles.

La première rencontre de Danaé est celle d’Enoc Martel, un homme précieux, élégamment vêtu, il apparait sur les côtes balayées par les vents, poussant une brouette dont le contenu est caché par une toile goudronnée dont il se protège la nuit. Il offre ses services aux habitants mais ne sait visiblement pas faire grand chose, il était Maitre d’armes, duelliste plus précisément. Quatre autres rencontres vont suivre au fil des chapitres…

C’est un très beau roman, riche, coloré, plein de vie et de fantaisie, avec des histoires incroyables qui se succèdent. La force de ce conte est aussi dans la qualité de l’écriture de Dominique Scali, la richesse de son vocabulaire – elle est experte en vocabulaire maritime – et un art des descriptions à la manière d’un artiste peintre. Son imagination nous emporte loin avec la force de l’océan omniprésent et la transmission de certaines valeurs humaines.

Je vous souhaite à tous de rencontrer ce livre un peu fou, une douce folie, n’ayez peur…

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Extraits de : « Les marins ne savent pas nager »  2022  Dominique Scali.

Illustrations : 1/ « Pêche côtière »  2/ « Le naufragé »  Ambroise Garneray  1783-1857.

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Naviguer au gré des vents, au gré des vagues, avec sagesse…

BVJ – Plumes d’Anges.

Croissants de lune…

25 février 2024

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Pomme de pin,

cône femelle boisé dont les écailles ordonnées en une géométrie parfaite,

protègent de précieuses graines : les pignons…

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Glande pinéale,

elle était, disent certains, nommée kornarion par les égyptiens,

ce qui signifie pignon de pin, parce qu’elle en a la forme.

René Descartes pensait que l’âme siégeait en son sein…

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Lune inspirée,

hier était jour de pleine lune dite Lune des neiges.

Elle m’a semblé inspirante…

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« Si pleine lune m’était contée,

En fins croissants la couperais,

Quelques pignons ajouterais,

Objets célestes honorerais,

Rais de lumière multiplierais,

Au clair de lune dégusterais… »

BVJ

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– Croissants lunaires aux pignons –

– Ingrédients : 125 g. de poudre d’amande, 125 g. de cassonade (vanillée), 1 blanc d’œuf (non battu), 100 g. de pignons.

– Réalisation : Bien mélanger le sucre et la poudre d’amande, ajouter le blanc d’œuf, pétrir à la main pour obtenir une boule de pâte.

Former ensuite un long boudin, le diviser en quinze portions, former de petits croissants avec chacune, les recouvrir de pignons.

Les poser sur une plaque recouverte de papier sulfurisé, enfourner environ 15 minutes à 180°.

Se régaler en rêvant…

 

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« Par le chemin intérieur

Par le chemin de l’éveil

Se dissipent les ténèbres

Commence à s’ouvrir le chemin lumineux

Celui

Où bat le cœur de l’univers

Où s’éveillent les cellules

Je lance des graines  des lumières

Sur la terre et dans le ciel »

Bang Hai Ja  1937-1922.

Illustrations : 1/ « Pinus pinea »  Illustration botanique de Pancrace Bessa   1772-1846 .

2/ et 3/   Photos BVJ.

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Suivre le fil d’or de nos divagations intérieures…

BVJ – Plumes d’Anges.

Poésie extrême…

18 février 2024

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« … J’attends devant la table vide. Rêver, c’est se taire. Ce sillon de silence à mes lèvres est mon plus grand voyage. Il faut qu’à chaque instant j’use et j’épuise tout ce que je possède pour être neuf. À chaque instant. J’écris pour vous rejoindre mes frères et sœurs du monde analphabète du rêve, d’un rêve qui doit tout au mont Blanc du cœur, plus haut sommet de nos vies…

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… L’ambulance n’est pas une ambulance, mais une carriole destinée à recevoir et amplifier chaque bosse de la route, c’est la place de Grève. Je vois les nuages. Je dis à l’ambulancière : « C’est beau les nuages. » Il est très facile et très difficile d’être jeune. Elle réfléchit et dit : « Tout est beau. » Sa parole explose dans l’ambulance.

– Qu’est-ce-que tu fais dans la vie ?

– Moi ? Rien. Je réfléchis sur ce qu’est un sourire, un vrai sourire.

– C’est tout ? Rien d’autre ?

– Non, rien d’autre, mais ça me prend tout mon temps. Il me semble que si je découvre de quel abîme étoilé remonte vers nous un vrai sourire, alors je n’aurai perdu ni mon temps, ni ma vie.

Et les larmes ?

– Les larmes – pas celles du sentiment, de la perte, mais les larmes sans origine -, quand tu te penches sur leur eau blanche et salée, tu peux y entrevoir un sourire comme celui-là qui m’intrigue tant.

– Qu’est-ce qui t’aide à vivre ?

– Rien. Ah si peut-être : écrire. Tirer les moustaches du tigre.

– Je ne comprends pas. Qu’est-ce que tu écris au juste ?

– C’est très proche de l’enfantin trépignement de la pluie sur une verrière colorée dont une plaque est brisée : je passe, j’entends ce petit piétinement et c’est comme si j’entendais ce « Ah ! » dont les japonais disent qu’il est le souffle, l’âme, la substance des choses que parfois elles délivrent. Quelque chose chuchote quelque chose. L’écriture reprend ce chuchotement et l’amplifie.

– Dans quel but ?

– Arracher le langage à l’enfer des opinions…  »

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Une déclaration d’amour absolu, des mots cueillis dans les jardins de la poésie, les mots simples et enchantés de l’ami Bobin, une musique jouée par le pianiste russe Grigory Sokolov, des pages ultimes écrites sur son lit d’hôpital, les deux derniers mois de sa vie terrestre : un magnifique cadeau fait à son épouse.

Quand la fin du Voyage approche, il ne reste que l’essentiel, l’amour.

Mille et un mots naissent, le portent à explorer, à réfléchir, à écrire encore et encore, ils s’élèvent en lui depuis le cœur, nid de l’éclosion et se posent dans le nôtre.

On pense ici à Christiane Singer dans « Derniers fragments d’un long voyage « . L’émotion est intense face à ces œuvres de l’extrême, on ne peut que saluer la profondeur et la sérénité de ces auteurs. Ils sont de ces gens qui ne s’attribuent pas leur œuvre, qui n’en tirent pas de gloire personnelle, leur main est poussée par l’inspiration, le souffle, le souffle des anges. Magnifique dernier murmure…

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Extraits de : « Le murmure »  2024  Christian Bobin  1951-2022.

Illustrations : Médaillons Le Lys et la Rose attribués au sculpteur André-Joseph Allar  1845-1926 et au céramiste Jules Loebnitz  1836-1895.

 (exposés à l’Union des Arts décoratifs de 1884 à Paris) 

  – Photos BVJ  Janvier 2024  –  Exposition du Musée d’Art de Toulon

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Ne parler qu’avec son cœur…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Luministe…

10 février 2024

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« Le salon de musique »

« Ou comment choisir d’une part entre la beauté profuse, toujours renouvelée, du monde sensible avec ses grands ciels suaves, ses lointains, ses contrées, tout ce que les saisons et les jours déposent en nous d’intrigues, d’errances, la rencontre de l’aube, de la nuit, les amours, les chemins, et d’autre part ce que la solitude, le confinement et l’esprit distillent lentement, l’œuvre élaborée, philtre ou formule, concrétion étrange de ce qui a été plus rêvé que vécu ?

C’est ce doux va et vient entre Narcisse et Goldmund qui est ici mis en scène. C’est la théâtralisation d’une double soif, jamais étanchée, entre les deux tentations majeures, celle de la vie dépensée ou celle du repli méditatif.

L’aventurier ou le scribe.

Parmi les œuvres de l’esprit et de la main entassées dans ce vaste salon, la présence fragile d’une rose coupée nous parle de ce qui est inimitable, mais aussi quelle musique vient de résonner ici, digne du ciel impeccable dont elle provient ? »

Pascal Vinardel

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« Le retour d’Ulysse »

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« L’inconnue »

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« La vigie »

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« Pandore »

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« Le vent chaud »

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Dans l’exposition TERRA INCOGNITA qui se tient au Musée de la Banque à Hyères les Palmiers jusqu’au 19 mai 2024 , le peintre PASCAL VINARDEL semble nous tenir la main d’une toile à une autre, il a quelque chose à nous raconter et prend le temps de le raconter.

Il célèbre la lumière de l’aurore ou des dernières clartés du jour, juste avant que la nuit ne dépose son voile sombre. Vient le moment où les intérieurs s’éclairent, les familles se réunissent, les solitudes s’exacerbent…

Des tableaux qui suggèrent une chaleur intense. Une ville qui s’étire au creux d’une baie – est-ce toujours la même ? Les fenêtres et les portes ouvertes sur l’extérieur nous invitent à poser un regard attentif sur les paysages et les espaces clos : la petitesse de certains personnages et la hauteur des plafonds impressionnent, des rideaux comme des voiles gonflées par la brise, des tableaux ou des miroirs dorés aux murs, quelquefois une icône qui attrape joyeusement la lumière, verre, carafe d’eau limpide, piano, pendule, lampe à huile, ventilateur ou lustre à pampilles au plafond, au sol un tapis, des livres , des feuilles égarées, un chat qui médite… vestiges d’anciennes splendeurs, vestiges d’un passé révolu… Tout cela nous parlent d’intériorité, de souvenirs gravés dans la mémoire du cœur. L’atmosphère est paisible, silencieuse, les couleurs chaudes y participent. Au dehors, pas de routes goudronnées mais des chemins de terre, souvent sinueux ou pentus. Rues désertes, vieilles demeures tels des palais abandonnés, rares volets aux fenêtres, stores en toile écrue, un aéroplane, un bus, navires, automobiles d’un autre temps, personnages esquissés, presque fantomatiques, légers comme des plumes, fontaines, flaques d’eau circulaires…

Toutes ces images émanent d’un feu intérieur, une « terre inconnue » qui donne naissance à l’œuvre.

L’homme artiste commence par un texte – très beau – dans lequel il décrit un sujet, son intention, puis il crée le tableau. Là il maitrise totalement le geste, la main dessine, construit des architectures, les pinceaux immortalisent des ambiances liées au passé ou rêvées. La matière picturale est talentueusement travaillée, ombres et lumières sont omniprésentes.

À côté de ces grands formats, quelques petites peintures sur bois et des lavis en noirs et blancs qui confirment le grand talent de Pascal Vinardel.

Vous l’aurez sans doute compris, la découverte de cet artiste est pour moi un enchantement.

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« … L’humanité n’a pas vieilli. Elle peut à chaque instant retrouver ses pouvoirs d’embellissement. C’est le monde qu’elle s’est fabriquée qui vieillit de plus en plus vite, drainé par ses nouveautés incessantes, se fissurant à chaque instant, se regardant tomber en miettes… » 

Jaime Semprun  1947-2010  dans « Andromaque, je pense à vous ! »  (œuvre posthume).

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« Les joueurs »

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« La grande terre »

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« Anna au chemisier blanc »

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« Le royaume »

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« Noli me tangere« 

« … Au mur, un pan de « Noli me tangere » du Titien.

« Ne me touche pas » dit le Christ à Marie Madeleine. Sa résurrection accomplie, il n’appartient plus désormais au monde « tangible ».

Peut-on toucher l’aurore ? Étreindre un chant ? Peut-on s’emparer de ce qui est lointain ? Quoi de plus intact qu’une jeune fille ? Quoi de plus impalpable qu’une buée dans une vitre, qu’un visage reflété dans une glace, qu’une lumière d’aube qui saupoudre une chevelure, un livre, quoi de plus évanescent que l’air ?

Il est dit ici que le monde sonore et lumineux est inaccessible et ne peut s’appréhender que par la contemplation.

Mais il est dit aussi que le peintre, et seulement lui, par la magie de ses onguents et la conscience de son office, peut donner chair à ce monde et nous offrir, par le truchement mystérieux du tableau, de le « toucher ».

Pascal Vinardel.

Tableaux de Pascal Vinardel.

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Aspirer à l’authenticité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Rencontre toscane…

4 février 2024

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« … Il n’est pas bien difficile de comprendre pourquoi les habitants de Monterchi sont aussi attachés à cette image. Elle est née là, fresque peinte sur le mur d’une petite chapelle qui marquait la limite entre la Toscane  et l’État de l’Église ; puis la chapelle fut englobée dans le cimetière ; en 1911, on détacha la fresque du mur pour qu’elle échappe à l’effondrement de la construction et on la transporta à Sansepolcro en 1917, où elle demeura dans le musée communal jusqu’en 1925, date à laquelle, une fois encadrée, on la rapporta à son ancien emplacement. C’est donc pour les habitants de Monterchi, une Vierge familière, une Vierge née dans le village : Piero della Francesca venait de Sansepolcro mais on dit que sa mère était originaire de Monterchi ; quand il peignit cette fresque, il voulut peut-être honorer la mémoire de sa mère et , dans ce portrait, il se la représenta en pensée telle qu’elle devait être quand elle était jeune et qu’elle était enceinte de lui.

Le décor entourant la vierge est de style traditionnel. Deux anges, placés symétriquement aux deux angles inférieurs de la peinture, soulèvent, chacun de son côté, les lourdes tentures d’un pavillon royal, de forme conique comme la tente de la célèbre fresque du Songe de Constantin…

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Mais le mystère que dévoile ces deux anges n’a rien de royal ni de divin. C’est là la nouveauté sublime de cette révélation : le mystère en question est tout entier humain et terrestre.  l’intérieur du pavillon fourré d’hermine se trouve une femme de cette terre, de ce peuple, vêtue modestement, sans manteau royal ni riches vêtements, sans aucun ornement symbolique visant à la faire paraître différente des autres femmes : c’est une fille du peuple qui se montre à la porte de sa maison. Mais la jeune femme est enceinte et dans la simplicité pensive de son attitude, elle ne cherche pas à dissimuler les signes visibles de son état, au contraire elle s’en glorifie presque en elle-même : tel est le miracle que révèlent les anges… »

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Merveilleux petit livre et sublime fresque !

Piero Calamandrei, juriste, auteur, professeur, recteur d’université et photographe à ses heures se promène avec des amis dans les villages de Toscane et d’Italie centrale. Ils visitent en ce printemps de 1938 le Monastère de Camaldoli, quand l’un de ses amis propose d’aller jusqu’à Monterchi pour « faire la connaissance » de la Madonna del Parto.

 À cette époque elle se trouvait dans une chapelle « enfermée dans le cimetière ». Puis la guerre arrivant, elle fut miraculeusement épargnée lors des destructions d’œuvres d’art par les allemands et les gouvernants fascistes (qui dictaient ordres et contre-ordres pour mettre à l’abri les trésors italiens). Elle fut aussi protégée par les femmes du village auxquelles s’associèrent de nombreux hommes…

Je vous laisse découvrir ce très beau texte admirablement illustré dans lequel on perçoit l’émotion de l’auteur face à cette découverte, son imagination vagabonde vers d’autres œuvres, il nous parle d’art et de beauté…

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Je viens de faire ce voyage – énergisant – et j’ai pu admirer la Madonna del Parto.

Cette vision est magique, tout est délicieusement simple et infiniment merveilleux dans cette représentation. La Madonna est plongée dans son intériorité, elle vit l’attente et le mystère, son regard presque mélancolique invite à se porter sur l’essentiel, les teintes de l’œuvre restaurée (en 1990) sont douces, plus douces que celles employées par l’artiste à Arezzo.

La seule petite ombre au tableau serait l’écrin qui abrite la fresque, c’est l’ancienne école du village dont l’intérieur a la froideur d’un crématorium, mais ceci n’est qu’un détail…

Dominique en avait parlé –>

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Extraits de : « Rencontre avec Piero della Francesca »  Piero Calamendrei  1889-1956.

Photos BVJ.

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Partir à la rencontre du beau, du simple, du vrai…

BVJ – Plumes d’Anges.

Échanges…

20 janvier 2024

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« D’instant en instant

Germe le temps qui me tisse

File le temps qui me traque

S’écourte le temps qui me fuit

 

D’instant en instant

Captif du temps qui s’élance

Je navigue

Sur les jeux du songe

Sur le flux du présent

Sur l’élan de l’âme

Sur les remous du cœur

 

D’instant en instant

Au rythme du temps qui nous modèle

Nos ombres se démènent

Sur la toile de la vie. »

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« D’instant en instant » – Andrée Chédid  1920-2011.

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« Au fond des criques intimes

Où les ressacs rongent nos fibres et nos tissus

Nous oublions

 

Tapis dans nos chagrins

Qu’au loin qu’autour

L’étendue vibre

 

Comment y pénétrer ?

Comment surgir de ces ravages ?

Extirper l’âme de ces dégâts ?

 

Comment restituer beauté à la beauté ?

 

Comment soutenir

 

Même d’un cœur en fracture

Le jeu précaire et prodigue

De cette vie

Aux aguets ? »

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« L’étendue vibre »  Andrée Chédid  1920-2011.

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Aujourd’hui… un peu de vague à l’âme… Demain sera un autre jour…

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Illustrations : 1/ « Les coquettes »  2/ « Les odalisques »  Jacqueline Marval  1866-1932.

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Se montrer patient…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Révélation…

14 janvier 2024

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« … L’or fait courir le monde mais le monde se trompe de course, on ne fait pas belle fortune en vidant les rivières, et surtout quand l’or est de la pyrite de fer. Aujourd’hui, à part les quelques enfants qui ressuscitent les survivantes pour jouer à se faire peur, les cailloux n’intéressent plus personne et il n’en reste de toute façon plus guère. À part aussi Rimbaud qui cherche et ramasse ceux-là que le monde n’a pas mis dans ses poches, parce qu’à courir, le monde passe à côté de l’essentiel, à côté des discrets, les plus secrets qui scintillent ou répondent à la lune, autant dire que lorsqu’elle est pleine Rimbaud remercie les anges. Quand les nuits sont noires, il trace et compte les bâtons jusqu’au premier quartier, puis regarde grossir les croissants, l’impatience le fait parfois sortir avec une lampe de poche, mais avec les années il a l’œil du gecko et ne s’éclaire de rien. Il marche toute la nuit, et à l’aube il s’assoit pour contempler sa récolte, seulement quelques pépites, parfois une bonne dizaine qu’il dispose en rond dans sa paume. Il les remet ensuite à l’eau une à une et pour s’excuser de les avoir dérangées, avant de repartir il tient compagnie à la rivière qui, de temps en temps, et c’est pour ça le sac à sa ceinture, lui donne quelques pierres en cadeau. Alors bien sûr, ça sourit derrière les fenêtres, on parle du bossu et du chercheur d’or, oui, sans doute un peu plus fou que la moyenne mon frère, ou simple question d’horloge à l’envers. Il dort le jour et il sort le soir à l’heure des lucioles – en été, elles balisent son chemin, et le reste de l’année il marche avec la mémoire du chemin de l’été…

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… « Pour toi, ce matin, je suis allée marcher le long du canal de la Deûle. L’orage de la nuit avait lavé le ciel, dans le bleu je suis allée chercher de la paix. Un peu de légèreté aussi, je l’ai trouvée dans les petits nuages – je te les envoie. « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté. » Dans les ténèbres, il fait moins noir quand on y est moins seul. Chacun sa vie, sa mort, dis-tu. Si la vie fait que je ne peux pas être celle qui allume la lumière à tes côtés, prends s’il te plaît de la douceur qui t’entoure – du vent, du genêt, de l’oiseau sur la branche. Sans doute que la saison du genêt est passée, alors ce que tu trouveras qui sent le soleil… »

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… Avant le matin, je suis retournée dans la maison vide et dans le foyer j’ai brûlé toutes les lettres, les mots sans bruit que j’avais gardés pour les apprendre, les désirs à pas de loup, les craintes et les colères – avec la balayette j’ai poussé toutes les cendres et j’ai dispersé l’amour dans le jardin. J’ai aimé l’amour moi qui n’en connais rien, j’ai aimé l’amour avec tout dedans. Je l’avais sauvé des retours à l’envoyeur, du vide et du fond des gorges, et je l’ai fait disparaître. Comme une voleuse j’ai effacé les preuves. Pourtant, pourtant je ne volais rien à personne. De la douceur sous enveloppe que la vie a omis de mettre sur mon chemin, mais dont le souvenir réveillera les feux de tous mes hivers, j’aurais voulu le dire à cet homme avant qu’il ne parte, que l’amour est capable de ça, qu’il a la force de chasser novembre pour recevoir juillet – est-ce-qu’on peut tourner le dos à l’amour et disparaître ?… »

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Noële, la narratrice, brutalement orpheline à l’age de 7 ans, n’a jamais connu l’amour. Élevée par « une tante », elle grandit au pied d’une montagne surnommée La Géante, elle y ramasse les plantes qui serviront à la fabrication de tisanes et d’onguents et du petit bois qu’elle fagote pour les flambées hivernales. Son frère Rimbaud est muet – il converse seulement avec les oiseaux -, il dort le jour et vit la nuit, il s’émerveille à la vue des petits cailloux d’or de la rivière Bendola.

Arrive dans la maison voisine – la maison froide – Maxim, un homme très cultivé, atteint d’une maladie. Elle l’observe de loin, s’en approche à petits pas, tente de l’aider… Et puis arrivent les lettres d’une femme, Noële les lit. N’ayant jamais appris l’amour, c’est une découverte totale : la tendresse, le désir, les mots magnifiques qui en parlent… Je vous laisse découvrir la suite.

 C’est un roman subtil, lunaire, on navigue dans les émotions au sein de plusieurs mondes. Les descriptions d’une nature sauvage et forte sont très belles, l’écriture de l’auteure est fluide et poétique.  Lu deux fois de suite pour mieux en saisir la profondeur, j’ai vécu là un moment de grâce, l’amour est un trésor que Noële, à sa façon, a voulu mettre dans un écrin, comme tout trésor.

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Extraits de : « La Géante »  2023  Laurence Vilaine.

Illustrations : 1/ « Brumes montantes »  Franz Marc  1880-1916  2/ « Monde merveilleux »  August Strinberg  1849-1912.

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S’élever vers les mondes merveilleux…

BVJ – Plumes d’Anges.

Douceur des choses simples…

7 janvier 2024

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Imaginez un homme d’une cinquantaine d’années, il se prénomme Hirayama, il est filmé pendant quelques jours.

Chaque matin il se lève, plie son futon, range son livre, humidifie sa petite forêt d’érables en pots, fait une toilette légère, s’habille, sort de sa modeste maison et admire la couleur du ciel en souriant, achète une canette de café dans un distributeur automatique, démarre son véhicule, enclenche une cassette audio – Lou Reed, Patti Smith… -, se rend sur son lieu de travail. Il n’a pas d’ordinateur, pas de smartphone juste un petit téléphone portable.

Il nettoie – avec soin et application – les toilettes publiques d’un quartier de Tokyo. À midi, il déjeune d’un sandwich dans un parc où il prend une photo d’arbres ou de fleurs, écoute le chant des oiseaux et sourit toujours. Il veille sur un vieil homme qui campe sur un coin de pelouse et s’inquiète pour lui quand il ne le voit pas, il aide des jeunes un peu paumés dans ce monde sans porter sur eux le moindre jugement…

Il rêve chaque nuit, des rêves de nature, des rêves souvent paisibles, en noir et blanc.

En fin de semaine, il se rend en vélo au bain public, fait sa lessive et quelques courses, apporte à un photographe une pellicule à développer, en achète une neuve et récupère les photos de la semaine précédente – il en a des boites pleines chez lui, soigneusement classées -, il fouille dans les rayons d’une librairie, la libraire est ravie de son choix, sa bibliothèque ne cesse de grandir… Sa vie entière obéit à des rituels mais il accueille avec joie les petites surprise de l’existence. Et puis des brins de passé ressurgissent…

Je vous parle là du dernier film de Wim Wenders « Perfect Days«  que j’ai adoré.

Hirayama est un homme présent mais silencieux, son sourire est irrésistible.

Il a trouvé sa place dans la vie en acceptant totalement ce qui est,

il maitrise ses émotions – cache ses bleus à l’âme ? –

et s’exprime avec amour et respect dans ses actes.

On sent un esprit curieux, son regard cherche la beauté et trouve matière à s’émerveiller dans une vie simple.

Ces « Jours parfaits » sont un beau moment de cinéma,

la caméra se promène et saisit les scènes sous des angles sobres toujours réinventés,

on ne voit pas le temps passer…

DASOLA en avait parlé –>

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« Le jeu du soleil

Sur le tronc d’un chêne

Le temps d’un bonheur »

Eugène Guillevic

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Illustrations : 1/ « Bouvreuil et cerisier pleureur »  2/ « Pivoines et canari »  Katsushika Hokusai   1760-1749.

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Être un être d’attention…

BVJ – Plumes d’Anges.