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« … Cette maison ne nous attendait pas. Elle était seule déjà, abandonnée et pourtant étrangement vivante, en retrait au bord d’une rue qu’engloutissaient de vieux jardins puis la prairie où terre et ciel s’épousaient. Comme quoi, parfois, les choses les plus éclatantes, les plus profondes n’ont l’air de rien, sont effacées alors qu’elles vibrent à l’intérieur. De l’intérieur. Elles sont en feu sans nous montrer la moindre flamme. Elles ne parlent pas haut, jamais. Elles se taisent même, préférant le silence total au moindre bruit d’une conversation. Bien des maisons n’ont jamais voix au chapitre. Leurs peuples sont silencieux. Bien qu’en bordure de rue ou en rase campagne, elles semblent dormir un peu, tout au moins somnoler paisiblement. Mais lorsque la lumière du jour les éclaire d’un seul coup, elles s’éveillent, s’ébrouent, paraissent reprendre vie. Il suffit que le soleil échappe aux nuages et leur façade, en un instant, s’illumine et l’on aperçoit alors l’ombre d’un lézard, qui grimpe au mur et cherche à vive allure l’abri d’un volet…
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… Je ne retiens d’elle qu’une image globale, une sorte de cliché pris à la va-vite, une photo du bien être sous laquelle nous savons combien notre vie était si difficile. Mais ce mot n’est pas juste : rien n’est difficile quand la vie circule, que la lumière vient frapper aux portes. Rien ne nous éclaire plus que les ténèbres…
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… Sous la neige, j’aime ainsi avancer vers la sombre façade. Toucher son mur, écouter les voix de l’intérieur, celles de tous les temps, de tous les siècles et de l’avenir. Il y a une telle puissance dans l’abandon de cette ruelle. Les choses les plus oubliées, les plus enfouies, ne sont-elles pas les plus vivantes ? …
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… La maison de l’enfance ne s’arrête pas à ses portes. Elle se prolonge dans la nature, elle va jusqu’aux fontaines, aux champs, aux forêts…
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… Vagabond, nomade, j’erre où le hasard et la chance m’entraînent mais, toujours, dans la tête, la belle architecture de la maison immobile. Vivre est courir avec les copeaux d’enfance dans le cœur… »
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Cette maison immobile peut être celle de notre enfance ou celle de nos vacances lointaines… Avez-vous remarqué comme sa silhouette, ses parfums d’antan, les paysages attenants parlent en nous une langue chaleureuse ?
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Extraits de : « Les petites heures » précédé de « Au bord du monde » et suivi de « La maison immobile » 2014 Joël Vernet.
Illustrations : 1/« Paysage dans le Connecticut » Julian Alden Weir 1852-1919 2/« Façade » Albin Egger-Lienz 1868-1926.
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Se relier aux parcelles d’or de l’enfance…
BVJ – Plumes d’Anges.