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« Quand le marchand de sable finit sa tournée, il rejoint la plage originelle, s’allonge dans l’orbite qu’il a creusé, referme sur lui la paupière de l’aube et s’endort jusqu’au soir dans le grand œil de l’inconscient. »
Poème « Quand » extrait de Passerelles d’oiseaux – 2020 – Jean-Claude Silbermann.
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Exposition étonnante et détonante – Hold-up ! – dans le très beau musée La Banque à Hyères. Jean-Claude Silbermann, né en 1935, vit la moitié de l’année dans sa Maison Rose à Port-Cros. Il s’intéresse tout jeune à la poésie (Appolinaire, Artaud…) et rejoint, sur invitation d’André Breton, le mouvement surréaliste, publie ses poèmes puis se tourne vers le dessin et la peinture. Il explore sans cesse l’imaginaire, le rêve, l’inconscient, laisse monter en lui des images – ses ombres et ses lumières -, ne prévoit rien à l’avance, s’effraie, se réjouit, s’étonne. De là nait un dialogue silencieux où peinture et langage conversent poétiquement.
L’artiste nous offre ici différentes facettes de son art : des encres (un monde aquatique en noir et blanc), des coloriages… et des « enseignes » (peinture à l’huile sur toile marouflée sur contreplaqué découpé). Celles-ci sont spectaculaires, elles planent, elles voltigent, l’effet visuel est surprenant. Les couleurs sont splendides, le trait est délicat, le travail de menuiserie parfait. Notre regard se pose sur mille et un détails, il y revient, il y a encore et toujours à découvrir. Nul ne reste indifférent, la fantaisie est partout.
Chaque œuvre est accompagnée d’une « pancarte », sorte de panneau indicateur qui livre une anecdote, Jean-Claude Silbermann en a écrit les textes, un pur enchantement, l’homme est intelligent et ne se prend pas au sérieux, il joue avec les mots et les images, pour notre plus grand plaisir.
Babil-Babylone est une installation, un « tableau » en trois dimensions, il sort du cadre. Composé de 58 éléments, les images flottent dans l’espace, des fils se tendent, on attend le moment où tout va s’animer, une vie inconsciente est à l’œuvre, un voyage…
Le Hold-Up ! est réussi et Jean-Claude Silbermann se fait Roi des Arts (une autre de ses œuvres, à découvrir).
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ÉDOUARD 1961 ou 1962.
« Ceci est le tout premier tableau émanant de ma décision de peindre (un autre le précède d’un an, mais je l’ai égaré). Celui-ci doit dater de 1961 ou 1962. Flora, notre fille, dans sa robe de chambre bleue devait avoir trois ou quatre ans. Et doux art est dans le sac. »
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LA TRAVERSÉE 1980.
« Dans cet art que je pratique, le sujet, le plus souvent inconnu au préalable, ne se découvrant que dans l’improvisation du dessin, je ne sais trop à quoi attribuer le besoin qui se présente parfois d’un combat en grand avec le vide. C’est un besoin physique. Il est porté, je crois, par ce sentiment « d’enthousiasme excentrique » dont parle Hölderlin, sentiment dont témoigne cet intrépide bébé. »
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TOI, MON INFINITUDE 2004.
« Je passe la moitié de ma vie sur l’île de Port-Cros. Là, je me concentre : j’écris, je prends des notes, je dessine et je réalise parfois quelques petites pièces dans le format imposé aux colis postaux (la somme de leur longueur et de leur largeur ne doit pas excéder 150cm). Un jour l’idée saugrenue m’a pris, comme un besoin impératif de me dégourdir, de peindre une grande pièce. J’ai commandé à terre une planche de 160 x 120cm. J’ai dû me faire aider pour le remonter depuis le môle jusque chez moi. Et ce fut un réel grand plaisir d’avoir enfin le geste large pour la préparer et de pouvoir dessiner debout. Les ennuis ont commencé quand, achevée, il a fallu l’exfiltrer de l’île. Je me suis fait à nouveau livrer des planches de contreplaqué (pas trop minces et donc coûteuses) pour confectionner une grande caisse. Puis, celle-ci descendue au port avec quelque appui bienveillant, je l’ai accompagnée par bateau au Lavandou. La location d’une camionnette fut indispensable pour l’amener à Sollies-Pont (40km), où se trouvait une agence du Sernam (Service national de messagerie) seule compagnie susceptible alors d’assurer son transport jusque chez moi, dans la région parisienne. J’ai dû attendre deux heures que l’on veuille bien s’occuper de ma caisse, tant il y en avait d’autres – et de grand gabarit, tant il y avait de colis, tant de marchandises diverses dont un personnel restreint devait gérer l’envoi. Je me souviens aussi d’avoir été désagréablement surpris par le prix demandé. Tout se paye, paraît-il. »
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BABIL-BABYLONE 1990-2017.
Installation composée de 58 éléments.
« Cette grande installation a été élaborée de 1990 à 2017 par ajouts et inclusions successifs. Je l’avais tout le temps derrière la tête comme une sourdine folle. Son sens général me devance et résiste encore aujourd’hui à ma plaine compréhension. Il me semble qu’il porte à peu près, pour toute une part, sur les représentations secrètes du Pouvoir liées à celles (non moins dérobées) du Langage : l’art est nié.
À un moment de son état (vers 1998), j’ai écrit avoir « fondé Babil-Babylone sur le sable des jours qu’il me reste à vivre ». Mais, pour des raisons qui me semblent être aujourd’hui de pure superstition, je ne me suis pas senti de l’achever. Et je ne fus pas mécontent de m’en dessaisir. Il manque à Babil-Babylone son ciel. J’ai pourtant réalisé une maquette sommaire de ce qui aurait dû être un palindrome écrit au dessus des têtes en grandes lettres ornementées. Mais j’étais (et demeure) empêché de le réaliser, dans la crainte que cet achèvement m’emporte avec lui. Je n’ai pourtant pas peur de la mort, présente dans Babil-Babylone. Mais une distance trouble sépare le courage de l’indifférence qui, objectivement, est le seul état dans lequel il convient d’accueillir la mort. Bien que comblé de jours, je ne puis accepter sans tristesse de me passer définitivement des beaux moments du Monde : du visage de mes amours et de la splendeur des nuits d’été. Nous n’avons que la vie. »
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LE OUI DES FEMMES 1988.
« Le Oui des femmes résulte d’une commande passée par un riche collectionneur qui m’avait déjà acheté plusieurs pièces. Un jour il m’a dit : « Silbermann, faites-moi un chef d’œuvre. Avec une femme, si possible.
Mais qu’à cela ne tienne ! » lui ai-je répondu.
J’ai bataillé trois mois avant de l’appeler. Il est venu dans l’atelier, s’est assis dans le grand
fauteuil que j’avais disposé pour lui devant la pépée (c’était un vieux monsieur) :
« Ah oui, très bien la femme, ah oui, la femme, les couleurs, la fausse symétrie.
Oui, vraiment très, très bien la fausse symétrie. »
Et puis soudain troublé : « Mais… mais, il y a un serpent ? Il y a un serpent ! C’est rédhibitoire. Pour moi et ma femme, rédhibitoire ! » Il s’est levé et il est parti. Et je ne l’ai jamais revu. »
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VOUS PARTEZ DÉJÀ ? 2009.
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Si vous voulez en savoir plus sur ce toujours jeune homme, artiste très inventif, je vous invite à suivre une interview –> ICI
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Œuvres de Jean-Claude Silbermann.
Exposition HOLD-UP ! – musée La Banque à Hyères dans le Var.
Photos BVJ – mai 2023.
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Naviguer sur les côtes de l’imprévu…
BVJ – Plumes d’Anges.