Archive pour août 2019

Force d’âme…

samedi 31 août 2019

 

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« Fabienne Verdier – Rétrospective

Cette exposition présente l’œuvre d’une arpenteuse qui dresse une cartographie inédite : celle des flux d’énergie qui traversent l’univers, notre cerveau ou le langage, et modèlent les paysages qui nous environnent. De la France à la Chine, en passant par New York, les fjords de Norvège ou le fleuve Saint Laurent au Québec, Fabienne Verdier parcourt la planète pour saisir le monde dans sa dimension spontanée. À 20 ans, elle observe à Toulouse le vol des oiseaux, puis part en Asie près de dix ans (1983), pour comprendre le mouvement qui les anime auprès des derniers maîtres de la peinture traditionnelle, Fabienne Verdier doit quitter la Chine suite aux évènements de la place Tiananmen, puis y revient. Atteinte d’une grave maladie, elle rentre en Europe à 30 ans et pendant quinze années se retire, imagine une nouvelle façon de peindre. Elle conçoit en 2003 un pinceau monumental et bâtit autour de lui un atelier. Elle devient un corps-pinceau. L’artiste collabore avec des scientifiques (astrophysicien, linguiste, neuroscientifique) et des musiciens, pour saisir les forces qui engendrent les formes. Cette expérience musicale, commencée en Amérique en 2014, est poursuivie à Aix-en-Provence avec quatre quatuors à cordes. Le directeur du musée Granet  lui propose alors de venir travailler sur le motif. L’artiste construit un atelier nomade pour se confronter au vent, au soleil, à la pluie et à la grêle : sur les terres de Cézanne. »

(page 1 du Guide du visiteur)

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« … Je vous pose maintenant cette question toute simple : avez-vous de la difficulté à trouver le chemin de la paix intérieure et à être sans vouloir ?

Ami poète, je m’en vais vous répondre ce matin sans savoir où aller… Alors, j’erre dans le jardin à l’heure bleue du ciel, passant de pierre en pierre sur le sentier qui me mène à l’atelier. Dans l’apparente banalité du jour, je hume l’air frais, et qui vient me taquiner ? Des flocons de neige à profusion. Avec une sorte de gaieté première, j’accueille la neige. Je suis en béatitude, m’attardant à contempler les choses telles qu’elles sont. La plus petite manifestation ne révèle-t-elle pas la vérité tout entière ?

Voilà peut-être le « être sans vouloir », c’est ce « laisser-aller comme la vie va »… C’est une disposition intérieure matinale de base pour la peinture. Suivre le destin, la respiration du jour, une adhésion totale à l’instant, à l’univers vivant. (…)

Après cette sorte d’errance et une inspiration profonde, l’esprit délié, nourri par la réalité du jardin, je suis prête pour l’expiration profonde et la transmission possible au pinceau. La peinture, c’est une belle histoire de respiration.

Cela paraît si simple ! mais croyez-moi pour parvenir à « être sans vouloir », cela demande une activité intense, l’air de rien. La peinture exige cet autre état de conscience pour agir à partir de l’essence. Un sans-vouloir naturel, libéré de la pensée raisonnante, de la raison analytique, des dogmes moraux, des automatismes de perfection, de la préoccupation des apparences. Il s’agit bien de tout oublier de cet état d’être là. Oublier ce que l’on veut être, car c’est un frein au destin. Oublier ce que l’on croit être car c’est une prison qui ne nous laisse que peu de chances de découvrir nos territoires inconnus.

Teilhard de Chardin nous invite pourtant à « Être plus ». Le « non vouloir », n’est-ce-pas la pratique secrète de la recherche de « l’être véritable » dans une attitude première de « non-être » ?

Celui qui m’a fait comprendre cette idée ô combien déroutante – ce n’est que récemment que j’arrive à la mettre en pratique dans ma vie quotidienne -, c’est ce génial cordonnier d’un petit village en Allemagne du XVII° siècle, maître Jacob Böhme, qui dit : « Lorsque tu te tiens dans le repos du penser et du vouloir de ton existence propre, alors l’ouïe, la vue et la parole éternelles se manifestent en toi… »… »

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Extrait d’un très beau livre : « Entretien avec Fabienne Verdier »  2007  Charles Juliet.

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Comment parler de Fabienne Verdier, les mots la limitent elle qui touche par son être et par son œuvre au cosmique. Elle avait écrit en 2003 ce superbe livre « Passagère du silence« , dans lequel elle nous expliquait son cheminement, son dur apprentissage pendant 10 années en Chine.  Elle continue d’explorer le monde, tente d’en trouver les lignes d’énergie du moment, chemine dans une démarche spirituelle et fixe des instants d’impermanence des choses.

Il y a à l’origine de ses créations, une observation, des recherches, des lectures, une réflexion, une méditation, il y a la lente élaboration des fonds, leur taille, leur texture, leur couleur vibrante… Puis encore une observation, une réflexion, une méditation, elle se défait de tout et capte alors un souffle, la matière se sculpte, vide, plein, lumière, obscurité, mat, brillant… engagent un dialogue.

Face à ce travail on ressent l’envie de faire silence, on regarde et on voit, on entre dans d’autres mondes, on se fond dans l’œuvre qui nous revivifie.

C’est une superbe exposition organisée par le Musée Granet à Aix-en-Provence, jusqu’au 13 octobre 2019. Elle « s’étire » dans deux autres lieux aixois : Le musée du Pavillon Vendôme et la Cité du livre – Galerie Zola, à suivre

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Photos BVJ : 1/et 4/ « Manifestation 1 et 2 – Entre ciel et terre »  2005.    2/et 3/ « L’esprit de la montagne »  2017-2019.  5/ et 6/ « Les maîtres flamands »  2009-2013   Fabienne Verdier.

D’autres chemins pour la rejoindre…

« Passagère du silence »  2003  Fabienne Verdier.

Une interview de Fabienne Verdier.

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Inspirer, expirer, vibrer…

BVJ – Plumes d’Anges.

Cadeaux du Pays-d’Enhaut…

vendredi 23 août 2019

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Nous roulons en terre connue, dans le Canton de Vaud, la Suisse offre encore ses images de cartes postales. Pas de zone industrielle ni de panneaux publicitaires ici, mais une jolie route, des montagnes, des forêts, des prairies et puis un lac, le lac du Vernex, et un village, Rossinière, sa petite gare, ses coquettes maisons où l’on sent que jardins et jardinières fleuries font l’objet de soins amoureux.

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 C’est ici que s’est établi en 1977 le comte Balthazar Klossowski de Rola (1908-2001) dit Balthus, il y a acquis Le Grand Chalet. Cette demeure fut construite en 1750 par un certain Jean-David Henchoz, paysan et homme de loi, en vue d’abriter  la production fromagère de cette région.  Une sublime bâtisse en bois, 5 étages, 113 fenêtres, une façade ornée de fleurs, d’animaux peints, de mots offerts aux vents de passage pour qu’ils chuchotent dans la vallée. Le Grand Chalet restera dans cette famille pendant plus de cent ans, puis sera transformé en hôtel très apprécié jusqu’en 1976.

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Balthus, peintre figuratif du XXème siècle attaché à la tradition, réalisa sa première œuvre à l’age de 11 ans : l’histoire d’un chat, « Mitsou « , 40 illustrations, elles composeront un livre préfacé par Rainer Maria Rilke.

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Les reproductions de ces dessins sont accrochées sur un mur de la Chapelle Balthus, un doux lieu de méditation au mobilier très épuré.

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Dans un angle, un fauteuil, un lampadaire et une bibliothèque riche des livres sur l’artiste, c’est une invitation à communier avec l’œuvre et son créateur, c’est un premier cadeau.

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J’apprends qu’il a illustré entre 1932 et 1935 le roman d‘Emily Brontë « Wuthering Heights » ( « Les Hauts de Hurle-Vent« ) – la coïncidence est amusante – illustrations qui seront exposées à Londres en mars 1936. En 1937, il épouse Antoinette de Watteville, sœur du peintre Eugène Spiro, dont il aura deux fils puis en 1970 il épouse Setsuko Ideta, une jeune artiste japonaise de 20 ans qui lui donnera une fille, la créatrice Harumi Klossowska de Rola

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Nous marchons vers leur altière résidence. En face, de l’autre côté du chemin d’accès, une modeste maison, exceptionnellement ouverte au public, jusqu’au 7 septembre 2019. Il s’agit de l’atelier du peintre, rénové grâce à la générosité de Léonardo Gianadda, un autre superbe cadeau !!! Une grande toile inachevée, des couleurs, des pinceaux… C’est très émouvant de découvrir ce lieu, il y a là mille et un détails à explorer, il n’y a personne, le silence se fait monacal…

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… mais il plane ici pourtant une incroyable mélodie. Ce fut une merveilleuse balade !

 

« … Que tu sois entouré par le chant d’une lampe ou la voix de la tempête, par le souffle du soir ou le gémissement de la mer, toujours veille derrière toi une vaste mélodie, tissée de mille voix, où ton solo, de temps à autre seulement, trouve sa place. Savoir quand tu dois intervenir dans le chœur, c’est le secret de ta solitude, de même que c’est l’art de la relation véritable : se laisser tomber de la hauteur des mots dans l’unique et commune mélodie… »

Extrait de : « Notes sur la mélodie des choses » Rainer Maria Rilke  1875-1926.

Photos BVJ et PJ.

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Composer la mélodie de sa vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Chemins élévatoires…

dimanche 18 août 2019

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« … « Je sais la voie qu’il me faut emprunter,

Je m’y engagerai sans crainte. »

La marche est ce qui définit le mieux Emily. Elle est son activité quotidienne comme l’écriture. Les deux ont en commun de créer du souffle, d’engager le corps et l’esprit, de préserver, aussi, « l’ingénuité du cœur ». Combien de fois, dans les poèmes d’Emily, apparaissent les bruyères ou les « brumeuses collines », la « réchauffante lumière »et « la mousse (qui) verdit » ? Cette candeur de la contemplation est en soi un acte de liberté, d’insoumission au renoncement. Parce que la beauté de la terre est « fertile en Joie », il faut écrire cette joie. En marchant, en écrivant, on est tout à soi-même. On fait connaissance avec le hasard, on choisit de n’écouter que le « feu souterrain » de ce qui nous entoure. « Ce feu souterrain a son autel dans le cœur de chaque homme » écrit Henry David Thoreau, marcheur bienheureux, exact contemporain des Brontë né en 1817 aux États-Unis. Lui aussi croyait au « magnétisme subtil » du monde végétal et minéral qui guidait ses pas ; lui aussi marchait seul au milieu de son Massachusetts sauvage avec la certitude opiniâtre que cette nature, « tellement plus vivante »que la vie même, le transformait : « (…) car par un jour de grand froid ou sur une hauteur battue par les vents, le voyageur chérit un feu caché dans les plis de son manteau, plus chaud que celui qui brûle dans l’âtre. » Cela seul compte : la sensation de se sentir en vie quelque part… »

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En pays de mont, les soirées sont des moments exquis pour la lecture. Aux voyages géographiques peuvent alors s’ajouter des voyages dans le temps. Après avoir dégusté avec intérêt et gourmandise une merveilleuse biographie de Laura El Maki,  Les sœurs Brontë , j’ai dévoré Jane Eyre puis les Hauts de Hurle-Vent. Le caractère sauvage de la nature, cette exquise plongée « into the wild » plante un décor qui sied à cette littérature. On peut vraiment y méditer sur l’âme humaine et la difficulté des rapports sociaux, on prend aussi conscience de la force considérable qu’ont puisé en elles ces jeunes femmes pour déployer ainsi leurs ailes jusqu’à nous.

Faire retraite sur les monts prend un sens d’élévation intérieure… Après, bien évidemment, il faut en garder la précieuse vibration !

Rencontrer des ciels habités de nuages a grand intérêt, en plein été, au cœur des vacances : on évolue sans la foule, la fusion avec les éléments se fait encore plus grande.

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Extrait de  : « Les soeurs Brontë – La force d’exister »  2017  Laura El Makki.

Photos BVJ – Grand Paradiso en Italie.

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Cueillir des brins de Paradis…

BVJ – Plumes d’Anges.

Carnet d’un voyageur…

samedi 3 août 2019

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« … Je m’assis contre l’un des moulins à prières et observai le monastère. Plus haut, sur les pentes du mont Somdo, une harde de bharals paissait au soleil.  Pas de léopard en vue, mais le ciel de l’après-midi était limpide et à cette hauteur la lumière avait quelque chose d’absolu, atteignait son état le plus pur. Et il en allait de même pour l’air raréfié que je respirais, l’eau glacée que je caressais du revers de la main, la roche chauffée au soleil contre laquelle je m’étais assis. À cette pureté en correspondait une autre au fond de moi, c’était la réflexion au bout de laquelle j’essayais d’aller : le vent, le torrent, la lumière, la pierre étaient faits de la même substance que mon sang, mes fibres, mes organes, et les faisaient entrer en résonance comme le tambour du moine avait secoué mes membranes. Boum, boum, boum : je suis fait de ça, de ça, de ça. La montagne me portait à l’essentiel…

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… Il n’empêche, comme c’était beau, comme cela nous était devenu naturel et nécessaire de nous remettre en chemin. Tourner le dos au monde connu et découvrir à chaque pas un pan du monde nouveau. Marcher était notre mission quotidienne, notre mesure du temps et de l’espace. C’était notre façon de penser, d’être ensemble, de traverser le jour, c’était le travail que nos corps faisaient maintenant sans nous. Même amaigris, fourbus, fiévreux, chaque matin ils se relevaient et se remettaient en mouvement, dociles comme des bêtes de somme. Marcher réduisait la vie à l’essentiel : manger, dormir, rencontrer, penser. Aucune invention de notre siècle ne nous servait plus à rien une fois que nous étions en route, mis à part une bonne paire de chaussures et, dans mon cas, un livre dans le sac. Depuis des semaines je vivais de riz, de lentilles, de légumes, parfois d’œufs et de fromage, de mon Léopard, de mon carnet, de mes amis. Le plus surprenant n’étant pas tant de pouvoir faire avec si peu mais de constater que je ne désirais rien de plus. Ce n’est que quand nous nous arrêtions que s’immisçaient le besoin, la nostalgie, les ambitions, tous les vides à remplir… »

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C’est un petit livre, une sorte de carnet de voyage que nous offre Paolo Cognetti après son magnifique ouvrage « Les huit montagnes« . Il y raconte une marche sur plus de 300 kilomètres dans le Dolpo, à la recherche d’une montagne originelle. Fortement inspiré par Pieter Mathiessen (il a dans son sac « Le léopard des neiges« – livre que je n’ai pas encore réussi à me procurer Dominique -). Il ne cherche à accomplir aucun exploit, il veut juste parcourir ce lieu, ces vallées, monter, descendre, se perdre dans le temps, observer, admirer, rencontrer, partager, vivre la montagne. Un très  joli moment de lecture qui suscite une envie, celle de partir aussi dans les monts et de tourner le dos au connu.

À bientôt aminautes de France, de Navarre et d’ailleurs…

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Extraits de : « Sans jamais atteindre le sommet »  2019  Paolo Cognetti.

Illustrations : 1/ Peinture exécutée sur un meuble tibétain – Musée d’art de Los Angeles – XIXème  2/ « Blanc et céleste » Nicolas Roerich    1874-1947.

Se remettre en chemin et découvrir…

BVJ – Plumes d’Anges.