Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Mots ailés…

vendredi 11 octobre 2019

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« … Je crois que c’est ça, un artiste. Je crois que c’est quelqu’un qui a son corps ici et son âme là-bas, et qui cherche à remplir l’espace entre les deux en y jetant de la peinture, de l’encre ou même du silence. Dans ce sens, artistes nous le sommes tous, exerçant le même art de vivre avec plus ou moins de talent, je précise : avec plus ou moins d’amour…

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J’ai toujours été sensible aux voix déportées par le vent, aux voix qui ne s’adressent pas à vous et vous amènent, un instant, quelques paroles banales, les paroles éternelles de chaque jour. Un auteur du début du siècle, Maeterlinck, a écrit de belles pages sur la substance de ces conversations ordinaires. Il montre cinq à six personnes prises dans l’ennui d’un dialogue sur la pluie et le beau temps. Pendant que se diffuse la grisaille des paroles convenues, un autre entretien a lieu en silence entre les visages. Un entretien d’âme à âme et parce que ce second échange, d’une profondeur infinie, a besoin d’un peu de temps pour aller à son terme, les gens poursuivent la conversation ennuyeuse, ils la poursuivent inconsciemment. Maintenant ils se séparent, ils ne se sont rien dit d’important et pourtant ils se quittent réconfortés. Dans cette méditation de Maeterlinck je vois le lien de l’écriture à la vie : tout écrivain cultive cet art de la conversation parallèle. Les mots qu’il écrit ne sont là que pour donner le temps à d’autres mots de se faire entendre. Il y a toujours deux livres dans un vrai livre. Le premier seulement est écrit… »

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Des pensées qui vagabondent en pays de poésie. Ce livre m’avait échappé et – ouf – j’ai pu en cueillir la sève. La richesse des images est infinie, des mots simples prennent ici une autre dimension, ils dansent et notre cœur chavire.

On ne peut jamais résumer les livres de Christian Bobin tant ils sont denses. Il peint les mots par petites touches, avec une immense délicatesse, il nous conduit au milieu des fleurs, des oiseaux et des papillons et l’on se prend à butiner ses mots, on se délecte de ses chants, il est un lumineux magicien et cette magie ne peut se refuser…

Extraits de : « L’épuisement »  1994  Christian Bobin.

Illustrations : 1/« La lectrice » Anton Laupheimer  1848-1927   2/« Graduation du cristal » Paul Klee  1879-1940.

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Trouver une autre dimension à notre monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

Vœu d’humanité…

jeudi 3 octobre 2019

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« … Ce livre ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl. Justement de ce que nous connaissons peu. De ce dont nous ne connaissons presque rien. Une histoire manquée : voilà comment j’aurais pu l’intituler. L’évènement en soi – ce qui s’est passé, qui est coupable, combien de tonnes de sable et de béton a-t-il fallu pour ériger le sarcophage au dessus du trou du diable – ne m’intéressait pas. Je m’intéressais aux sensations, aux sentiments des individus qui ont touché à l’inconnu. Au mystère. Tchernobyl est un mystère qu’il nous faut encore élucider. C’est peut-être une tâche pour le XXI ème siècle. Un défi pour ce nouveau siècle. Ce que l’homme a  appris, deviné, découvert sur lui-même et dans son attitude envers le monde. Reconstituer les sentiments et non les évènements…

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Chaque chose reçoit son nom lorsqu’elle est nommée pour la première fois. Il s’est produit un évènement pour lequel nous n’avons ni système de représentation, ni analogies, ni expérience. Un évènement auquel ne sont adaptés ni nos yeux, ni nos oreilles ni même notre vocabulaire. Tous nos instruments intérieurs sont accordés pour voir, entendre ou toucher. Rien de cela n’est possible. Pour comprendre, l’homme doit dépasser ses propres limites. Une nouvelle histoire des sens vient de commencer…

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… « Attendez… Je veux que vous sachiez… Je n’ai pas peur de Dieu, j’ai peur de l’homme. » … »

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Une lecture bouleversante, un livre écrit douze ans et demi après le drame. L’auteure ne raconte pas les faits, ne prend pas parti, elle s’intéresse uniquement à ceux qui ont vécu Tchernobyl dans leur chair et l’on reste sans voix quant à ce qu’ils racontent, c’est vertigineux. C’est terrible de souffrir à ce point, de ne pas être reconnu dans cette souffrance et de se sentir oublié de tous.

Si le même évènement se reproduisait, comment réagirions-nous ? Qu’avons-nous appris de Tchernobyl ou plus récemment de Fukushima ?  Quand une catastrophe survient, les médias sont à l’affut d’images impressionnantes, ils ne prennent que peu de recul vis à vis de l’information (ou de la désinformation), les politiques manient avec maestria la langue de bois, on entend tout et son contraire. Et le peuple, que ressent-il, que fait-il de ses souffrances, de ses blessures, de ses morts, quels mots pourront un jour panser ses maux ?

Il y a encore un long chemin à parcourir pour que l’humanité soit humaine, on peut dessiner un autre monde, ce doit être possible si l’on en a la volonté profonde…

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Extraits de : « La Supplication »  1998  Svetlana Alexievitch.

Illustration : 1/« Ciel (La lumière qui n’a jamais été) »  2/« Fleurs sauvages »  Tom Thomson  1877-1917.

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Faire vœu d’humanité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Passé présent…

dimanche 8 septembre 2019

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« … En ce moment je ne vois que des femmes enceintes déambuler dans les rues du Vieux-Nice ou le long de la Promenade. J’imagine. Tu as palpé ton ventre après les premiers retards. Ton cœur s’est emballé. Tu t’es sentie toute chose, avec cette existence minuscule qui prenait sa place au plus profond de toi. Ça commence comme ça, un enfant. Du sang qui ne vient pas. Détourné par un petit locataire qui en fait son miel. As-tu été joyeuse, quand tu as su ? As-tu pensé prévenir la terre entière, les étudiants boutonneux du Régent, place Gambetta, ceux qui te toisent comme si tu avais de la paille dans tes souliers, histoire de les rendre jaloux ? As-tu au moins éprouvé quelques secondes d’insouciance avant que ne t’écrase le poids de la faute ? Ou as-tu pris peur ? Une peur bleue. Dans une famille, un enfant, c’est le bonheur qui frappe à la porte. On lui ouvre, on lui dit « entre, fais comme chez toi, la route a été longue ». Le bonheur s’installe, prend ses aises, prend son temps. Il ne fait pas que passer. Il est chez lui chez nous. Il agrandit la maison en même temps qu’il la rétrécit, il faut lui trouver une place et vite. Un petit, c’est très grand. Ça mange tout l’espace, ce bonheur-là. Des mètres carrés de risettes et de pleurs, de joues rouges, de gencives irritées, de compresses en coton, d’enjambées incessantes entre quatre murs. On colle des papiers neufs remplis de jolies motifs. On fait le plein d’objets en couleurs pour l’éveil, et de bonne taille pour qu’il ne s’étouffe pas. Gare à ce qui coupe, gratte, irrite, gare aux angles vifs des tables, aux regards tranchants. Autour il faut tout arrondir, tout adoucir. Surtout rien de pointu. Surtout rien de pointu. La maison entière doit devenir une peau de bébé, même les voix des grandes personnes car bien-sûr il faut lui parler, à cet enfant. Il ne vient pas du silence. Il vient de l’amour, des mots tout doux prononcés par Moshé, de tes mots à toi Lina. Il a l’ouïe fine, dans sa piscine maternelle. Rien ne lui échappe. C’est une éponge, ce début d’enfant…

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… Je pense à nous, petite maman.

Notre amour s’est cassé comme une ampoule. Tout s’est éteint brusquement.

Tu ne m’aimais jamais assez puisque tu m’aimais toujours trop. Je ne te voyais pas comme tu étais. Il suffisait pourtant d’ouvrir les yeux. Tu l’as fait à l’instant mais tu les a refermés aussitôt. Si tu pouvais recommencer.

J’ai l’impression que tu m’écoutes. Une vibration du silence.

Je te regarde. C’est la première fois que je te regarde.

Ce que je vois, je ne l’avais jamais vu.

Je n’avais jamais voulu le voir… »

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Éric Fotorino signe là un roman – visiblement autobiographique – plein de sensibilité. Sa mère Lina, 75 ans, livre à ses trois fils réunis, le terrible et douloureux secret qu’elle porte en elle depuis longtemps. Ses deux plus jeunes enfants compatissent immédiatement, l’auteur, lui, reste « de marbre ». Mais très vite il ressent l’irrépressible besoin de remonter le temps, le temps de sa naissance, celui de la jeunesse de sa mère. Des rencontres vont l’éclairer, le puzzle familial se reconstitue par petites touches, remettant à leur juste place les bribes de souvenirs et les découvertes. Lina devient petite maman, la fin du roman est belle et même poignante.

Nous avons presque tous besoin de comprendre notre histoire familiale et d’en éclairer les zones d’ombre, de mettre en lumière les évènements qui nous ont construits, les fantômes qui nous hantent, pour avancer et nous élever avec plus de légèreté. J’ai pris un immense plaisir à lire cette histoire , je vous la recommande.

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Extraits de : « Dix-sept ans »  2018  Éric Fotorino.

Illustrations : 1/ « Baie de Nice »  2/ « Pivoines et visage de femme »   John Peter Russel  1858-1930.

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Marcher vers le passé pour mieux vivre le présent…

BVJ – Plumes d’Anges.

Aventures…

jeudi 5 septembre 2019

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« … (Chez Garry Snyder)   Après nous avoir fait la visite – les tatamis, la véranda pour dormir, le fonctionnement de l’eau chaude et de l’électricité alimentée par la seule énergie solaire -, il s’enquiert de notre projet : il veut connaître le pourquoi de tous nos voyages. Nous nous installons à sa table et amorçons une discussion socratique sur l’art et les artistes. Je désire donner du grain à moudre à mes meilleurs étudiants, lui dis-je, créer une passerelle vers les maîtres qui m’ont servi de mentors, et puis goûter une fois encore à ce sentiment de communauté en gagnant ma vie.

Gary ne bronche pas. « Mais ça ne s’est jamais vraiment passé ainsi, non ?dit-il en secouant la tête. L’esprit qui crée le grand art a toujours procédé à sa guise. »

Sa réaction me surprend. Je sais qu’il insiste sur le fait de partir seul à l’aventure – c’est une des choses que j’admire chez lui -, mais je me sens sur la défensive. Les contradictions qui agitent ma vie et la sienne me donnent le tournis. « Je comprends ton point de vue, dis-je. Le meilleur travail se fait seul à la table. Mais d’après moi, savoir qu’on a des amis et qu’on appartient à une communauté – même s’il s’agit seulement d’une ou deux personnes – cela aide. » Je sais qu’il en va ainsi pour moi, avec Doug et Terry. Puis j’ajoute : « Ce projet consiste aussi à dire merci. »…

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… (Chez Russel Chatham« Plus personne ne consacre un mois entier à une si petite toile », dit-il. Il l’emportera à une vente aux enchères qui aura lieu à Great Falls dans quelques jours, montant dans l’avion en la tenant sous le bras comme un journal. Au lieu de se plaindre, il est légèrement étonné. Il souffle sur la peinture, la secoue, souffle encore dessus, la ponce doucement au papier de verre, la tient à bout de bras, sourit de contentement. Elle est belle, encore mieux qu’avant.

« L’artiste ne se contente pas de présenter un miroir à la société, a-t-il écrit. Si le monde est cupide, l’artiste doit être généreux. Si la guerre et la haine règnent, il doit être pacifique et aimant. Si le monde est fou, il doit proposer l’équilibre ; et si le monde devient vide, il doit l’emplir de son âme. »…

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… (Chez Joyce Carol Oates)  L’inquiétude est une mauvaise habitude, un gâchis de sérotonine. Réserve-la entièrement pour la page écrite, me dis-je. Contrôle ce que tu peux contrôler. Le monde veillera au reste… »

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C’est un homme blessé qui écrit, il est en plein divorce – c’est le choix de son épouse et non le sien -, son dernier roman n’a pas eu grand succès. Ressent-il le besoin de retourner vers ses racines, vers ceux qui l’ont fait rêver ? Ressent-il le besoin de tisser du lien, lui qui se sent seul et désorienté ?

Quittant sa vie sauvage et son Montana, accompagné de certains de ses étudiants, il décide d’aller vers les êtres qui l’ont inspiré dans ses choix de vie, dans son travail d’écrivain et d’enseignant. En guise de remerciement, il leur propose de confectionner un repas raffiné chez eux. Certains refusent, d’autres acceptent, quelquefois avec une certaine appréhension.

L’auteur nous livre là ses expériences, ses joies et ses peines, c’est très amusant de le suivre dans ses aventures, les menus sont incroyables, certaines situations cocasses, en plus, il voyage avec toute une batterie de cuisine !!!.

On a envie de le suivre et l’on aime bien ses héros, c’est une lecture touchante et un thème vraiment original…

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Extraits de : « Sur la route et en cuisine avec mes héros »  2019  Rick Bass. 

Illustrations : 1/ « Tulipes perroquet devant une bibliothèque »  2/ « Le jambon »  3/ « Panier de cerises »  Félix Valotton  1865-1925.

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Échanger, remercier…

BVJ – Plumes d’Anges.

Force d’âme…

samedi 31 août 2019

 

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« Fabienne Verdier – Rétrospective

Cette exposition présente l’œuvre d’une arpenteuse qui dresse une cartographie inédite : celle des flux d’énergie qui traversent l’univers, notre cerveau ou le langage, et modèlent les paysages qui nous environnent. De la France à la Chine, en passant par New York, les fjords de Norvège ou le fleuve Saint Laurent au Québec, Fabienne Verdier parcourt la planète pour saisir le monde dans sa dimension spontanée. À 20 ans, elle observe à Toulouse le vol des oiseaux, puis part en Asie près de dix ans (1983), pour comprendre le mouvement qui les anime auprès des derniers maîtres de la peinture traditionnelle, Fabienne Verdier doit quitter la Chine suite aux évènements de la place Tiananmen, puis y revient. Atteinte d’une grave maladie, elle rentre en Europe à 30 ans et pendant quinze années se retire, imagine une nouvelle façon de peindre. Elle conçoit en 2003 un pinceau monumental et bâtit autour de lui un atelier. Elle devient un corps-pinceau. L’artiste collabore avec des scientifiques (astrophysicien, linguiste, neuroscientifique) et des musiciens, pour saisir les forces qui engendrent les formes. Cette expérience musicale, commencée en Amérique en 2014, est poursuivie à Aix-en-Provence avec quatre quatuors à cordes. Le directeur du musée Granet  lui propose alors de venir travailler sur le motif. L’artiste construit un atelier nomade pour se confronter au vent, au soleil, à la pluie et à la grêle : sur les terres de Cézanne. »

(page 1 du Guide du visiteur)

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« … Je vous pose maintenant cette question toute simple : avez-vous de la difficulté à trouver le chemin de la paix intérieure et à être sans vouloir ?

Ami poète, je m’en vais vous répondre ce matin sans savoir où aller… Alors, j’erre dans le jardin à l’heure bleue du ciel, passant de pierre en pierre sur le sentier qui me mène à l’atelier. Dans l’apparente banalité du jour, je hume l’air frais, et qui vient me taquiner ? Des flocons de neige à profusion. Avec une sorte de gaieté première, j’accueille la neige. Je suis en béatitude, m’attardant à contempler les choses telles qu’elles sont. La plus petite manifestation ne révèle-t-elle pas la vérité tout entière ?

Voilà peut-être le « être sans vouloir », c’est ce « laisser-aller comme la vie va »… C’est une disposition intérieure matinale de base pour la peinture. Suivre le destin, la respiration du jour, une adhésion totale à l’instant, à l’univers vivant. (…)

Après cette sorte d’errance et une inspiration profonde, l’esprit délié, nourri par la réalité du jardin, je suis prête pour l’expiration profonde et la transmission possible au pinceau. La peinture, c’est une belle histoire de respiration.

Cela paraît si simple ! mais croyez-moi pour parvenir à « être sans vouloir », cela demande une activité intense, l’air de rien. La peinture exige cet autre état de conscience pour agir à partir de l’essence. Un sans-vouloir naturel, libéré de la pensée raisonnante, de la raison analytique, des dogmes moraux, des automatismes de perfection, de la préoccupation des apparences. Il s’agit bien de tout oublier de cet état d’être là. Oublier ce que l’on veut être, car c’est un frein au destin. Oublier ce que l’on croit être car c’est une prison qui ne nous laisse que peu de chances de découvrir nos territoires inconnus.

Teilhard de Chardin nous invite pourtant à « Être plus ». Le « non vouloir », n’est-ce-pas la pratique secrète de la recherche de « l’être véritable » dans une attitude première de « non-être » ?

Celui qui m’a fait comprendre cette idée ô combien déroutante – ce n’est que récemment que j’arrive à la mettre en pratique dans ma vie quotidienne -, c’est ce génial cordonnier d’un petit village en Allemagne du XVII° siècle, maître Jacob Böhme, qui dit : « Lorsque tu te tiens dans le repos du penser et du vouloir de ton existence propre, alors l’ouïe, la vue et la parole éternelles se manifestent en toi… »… »

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Extrait d’un très beau livre : « Entretien avec Fabienne Verdier »  2007  Charles Juliet.

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Comment parler de Fabienne Verdier, les mots la limitent elle qui touche par son être et par son œuvre au cosmique. Elle avait écrit en 2003 ce superbe livre « Passagère du silence« , dans lequel elle nous expliquait son cheminement, son dur apprentissage pendant 10 années en Chine.  Elle continue d’explorer le monde, tente d’en trouver les lignes d’énergie du moment, chemine dans une démarche spirituelle et fixe des instants d’impermanence des choses.

Il y a à l’origine de ses créations, une observation, des recherches, des lectures, une réflexion, une méditation, il y a la lente élaboration des fonds, leur taille, leur texture, leur couleur vibrante… Puis encore une observation, une réflexion, une méditation, elle se défait de tout et capte alors un souffle, la matière se sculpte, vide, plein, lumière, obscurité, mat, brillant… engagent un dialogue.

Face à ce travail on ressent l’envie de faire silence, on regarde et on voit, on entre dans d’autres mondes, on se fond dans l’œuvre qui nous revivifie.

C’est une superbe exposition organisée par le Musée Granet à Aix-en-Provence, jusqu’au 13 octobre 2019. Elle « s’étire » dans deux autres lieux aixois : Le musée du Pavillon Vendôme et la Cité du livre – Galerie Zola, à suivre

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Photos BVJ : 1/et 4/ « Manifestation 1 et 2 – Entre ciel et terre »  2005.    2/et 3/ « L’esprit de la montagne »  2017-2019.  5/ et 6/ « Les maîtres flamands »  2009-2013   Fabienne Verdier.

D’autres chemins pour la rejoindre…

« Passagère du silence »  2003  Fabienne Verdier.

Une interview de Fabienne Verdier.

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Inspirer, expirer, vibrer…

BVJ – Plumes d’Anges.

Cadeaux du Pays-d’Enhaut…

vendredi 23 août 2019

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Nous roulons en terre connue, dans le Canton de Vaud, la Suisse offre encore ses images de cartes postales. Pas de zone industrielle ni de panneaux publicitaires ici, mais une jolie route, des montagnes, des forêts, des prairies et puis un lac, le lac du Vernex, et un village, Rossinière, sa petite gare, ses coquettes maisons où l’on sent que jardins et jardinières fleuries font l’objet de soins amoureux.

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 C’est ici que s’est établi en 1977 le comte Balthazar Klossowski de Rola (1908-2001) dit Balthus, il y a acquis Le Grand Chalet. Cette demeure fut construite en 1750 par un certain Jean-David Henchoz, paysan et homme de loi, en vue d’abriter  la production fromagère de cette région.  Une sublime bâtisse en bois, 5 étages, 113 fenêtres, une façade ornée de fleurs, d’animaux peints, de mots offerts aux vents de passage pour qu’ils chuchotent dans la vallée. Le Grand Chalet restera dans cette famille pendant plus de cent ans, puis sera transformé en hôtel très apprécié jusqu’en 1976.

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Balthus, peintre figuratif du XXème siècle attaché à la tradition, réalisa sa première œuvre à l’age de 11 ans : l’histoire d’un chat, « Mitsou « , 40 illustrations, elles composeront un livre préfacé par Rainer Maria Rilke.

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Les reproductions de ces dessins sont accrochées sur un mur de la Chapelle Balthus, un doux lieu de méditation au mobilier très épuré.

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Dans un angle, un fauteuil, un lampadaire et une bibliothèque riche des livres sur l’artiste, c’est une invitation à communier avec l’œuvre et son créateur, c’est un premier cadeau.

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J’apprends qu’il a illustré entre 1932 et 1935 le roman d‘Emily Brontë « Wuthering Heights » ( « Les Hauts de Hurle-Vent« ) – la coïncidence est amusante – illustrations qui seront exposées à Londres en mars 1936. En 1937, il épouse Antoinette de Watteville, sœur du peintre Eugène Spiro, dont il aura deux fils puis en 1970 il épouse Setsuko Ideta, une jeune artiste japonaise de 20 ans qui lui donnera une fille, la créatrice Harumi Klossowska de Rola

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Nous marchons vers leur altière résidence. En face, de l’autre côté du chemin d’accès, une modeste maison, exceptionnellement ouverte au public, jusqu’au 7 septembre 2019. Il s’agit de l’atelier du peintre, rénové grâce à la générosité de Léonardo Gianadda, un autre superbe cadeau !!! Une grande toile inachevée, des couleurs, des pinceaux… C’est très émouvant de découvrir ce lieu, il y a là mille et un détails à explorer, il n’y a personne, le silence se fait monacal…

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… mais il plane ici pourtant une incroyable mélodie. Ce fut une merveilleuse balade !

 

« … Que tu sois entouré par le chant d’une lampe ou la voix de la tempête, par le souffle du soir ou le gémissement de la mer, toujours veille derrière toi une vaste mélodie, tissée de mille voix, où ton solo, de temps à autre seulement, trouve sa place. Savoir quand tu dois intervenir dans le chœur, c’est le secret de ta solitude, de même que c’est l’art de la relation véritable : se laisser tomber de la hauteur des mots dans l’unique et commune mélodie… »

Extrait de : « Notes sur la mélodie des choses » Rainer Maria Rilke  1875-1926.

Photos BVJ et PJ.

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Composer la mélodie de sa vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Chemins élévatoires…

dimanche 18 août 2019

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« … « Je sais la voie qu’il me faut emprunter,

Je m’y engagerai sans crainte. »

La marche est ce qui définit le mieux Emily. Elle est son activité quotidienne comme l’écriture. Les deux ont en commun de créer du souffle, d’engager le corps et l’esprit, de préserver, aussi, « l’ingénuité du cœur ». Combien de fois, dans les poèmes d’Emily, apparaissent les bruyères ou les « brumeuses collines », la « réchauffante lumière »et « la mousse (qui) verdit » ? Cette candeur de la contemplation est en soi un acte de liberté, d’insoumission au renoncement. Parce que la beauté de la terre est « fertile en Joie », il faut écrire cette joie. En marchant, en écrivant, on est tout à soi-même. On fait connaissance avec le hasard, on choisit de n’écouter que le « feu souterrain » de ce qui nous entoure. « Ce feu souterrain a son autel dans le cœur de chaque homme » écrit Henry David Thoreau, marcheur bienheureux, exact contemporain des Brontë né en 1817 aux États-Unis. Lui aussi croyait au « magnétisme subtil » du monde végétal et minéral qui guidait ses pas ; lui aussi marchait seul au milieu de son Massachusetts sauvage avec la certitude opiniâtre que cette nature, « tellement plus vivante »que la vie même, le transformait : « (…) car par un jour de grand froid ou sur une hauteur battue par les vents, le voyageur chérit un feu caché dans les plis de son manteau, plus chaud que celui qui brûle dans l’âtre. » Cela seul compte : la sensation de se sentir en vie quelque part… »

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En pays de mont, les soirées sont des moments exquis pour la lecture. Aux voyages géographiques peuvent alors s’ajouter des voyages dans le temps. Après avoir dégusté avec intérêt et gourmandise une merveilleuse biographie de Laura El Maki,  Les sœurs Brontë , j’ai dévoré Jane Eyre puis les Hauts de Hurle-Vent. Le caractère sauvage de la nature, cette exquise plongée « into the wild » plante un décor qui sied à cette littérature. On peut vraiment y méditer sur l’âme humaine et la difficulté des rapports sociaux, on prend aussi conscience de la force considérable qu’ont puisé en elles ces jeunes femmes pour déployer ainsi leurs ailes jusqu’à nous.

Faire retraite sur les monts prend un sens d’élévation intérieure… Après, bien évidemment, il faut en garder la précieuse vibration !

Rencontrer des ciels habités de nuages a grand intérêt, en plein été, au cœur des vacances : on évolue sans la foule, la fusion avec les éléments se fait encore plus grande.

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Extrait de  : « Les soeurs Brontë – La force d’exister »  2017  Laura El Makki.

Photos BVJ – Grand Paradiso en Italie.

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Cueillir des brins de Paradis…

BVJ – Plumes d’Anges.

Carnet d’un voyageur…

samedi 3 août 2019

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« … Je m’assis contre l’un des moulins à prières et observai le monastère. Plus haut, sur les pentes du mont Somdo, une harde de bharals paissait au soleil.  Pas de léopard en vue, mais le ciel de l’après-midi était limpide et à cette hauteur la lumière avait quelque chose d’absolu, atteignait son état le plus pur. Et il en allait de même pour l’air raréfié que je respirais, l’eau glacée que je caressais du revers de la main, la roche chauffée au soleil contre laquelle je m’étais assis. À cette pureté en correspondait une autre au fond de moi, c’était la réflexion au bout de laquelle j’essayais d’aller : le vent, le torrent, la lumière, la pierre étaient faits de la même substance que mon sang, mes fibres, mes organes, et les faisaient entrer en résonance comme le tambour du moine avait secoué mes membranes. Boum, boum, boum : je suis fait de ça, de ça, de ça. La montagne me portait à l’essentiel…

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… Il n’empêche, comme c’était beau, comme cela nous était devenu naturel et nécessaire de nous remettre en chemin. Tourner le dos au monde connu et découvrir à chaque pas un pan du monde nouveau. Marcher était notre mission quotidienne, notre mesure du temps et de l’espace. C’était notre façon de penser, d’être ensemble, de traverser le jour, c’était le travail que nos corps faisaient maintenant sans nous. Même amaigris, fourbus, fiévreux, chaque matin ils se relevaient et se remettaient en mouvement, dociles comme des bêtes de somme. Marcher réduisait la vie à l’essentiel : manger, dormir, rencontrer, penser. Aucune invention de notre siècle ne nous servait plus à rien une fois que nous étions en route, mis à part une bonne paire de chaussures et, dans mon cas, un livre dans le sac. Depuis des semaines je vivais de riz, de lentilles, de légumes, parfois d’œufs et de fromage, de mon Léopard, de mon carnet, de mes amis. Le plus surprenant n’étant pas tant de pouvoir faire avec si peu mais de constater que je ne désirais rien de plus. Ce n’est que quand nous nous arrêtions que s’immisçaient le besoin, la nostalgie, les ambitions, tous les vides à remplir… »

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C’est un petit livre, une sorte de carnet de voyage que nous offre Paolo Cognetti après son magnifique ouvrage « Les huit montagnes« . Il y raconte une marche sur plus de 300 kilomètres dans le Dolpo, à la recherche d’une montagne originelle. Fortement inspiré par Pieter Mathiessen (il a dans son sac « Le léopard des neiges« – livre que je n’ai pas encore réussi à me procurer Dominique -). Il ne cherche à accomplir aucun exploit, il veut juste parcourir ce lieu, ces vallées, monter, descendre, se perdre dans le temps, observer, admirer, rencontrer, partager, vivre la montagne. Un très  joli moment de lecture qui suscite une envie, celle de partir aussi dans les monts et de tourner le dos au connu.

À bientôt aminautes de France, de Navarre et d’ailleurs…

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Extraits de : « Sans jamais atteindre le sommet »  2019  Paolo Cognetti.

Illustrations : 1/ Peinture exécutée sur un meuble tibétain – Musée d’art de Los Angeles – XIXème  2/ « Blanc et céleste » Nicolas Roerich    1874-1947.

Se remettre en chemin et découvrir…

BVJ – Plumes d’Anges.

Poignante sombritude…

dimanche 28 juillet 2019

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« … Je le voyais pas. Comment j’aurais pu deviner ?

Il connait cet endroit autrement qu’en souvenir. Quelque chose parle dans sa chair, une langue qu’il ne comprend pas encore.

Comment j’aurais pu imaginer qui il était ?

Il est grand temps que les ombres passent aux aveux…

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Tout homme est un souffle, une image vouée à disparaître, une ombre qui s’agite. J’ai appris que seules les questions importent, que les réponses ne sont que des certitudes mises à mal par le temps qui passe, que les questions sont du ressort de l’âme, et les réponses du domaine de la chair périssable. J’ai appris que chaque histoire est grande de son propre mystère…

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Le soleil était en train de chasser la gelée blanche.

Le jeune homme déplie un bras, comme s’il s’apprêtait à désigner quelque chose. Se met à rouler la manche de sa chemise jusqu’au pli du coude et plus haut encore, là où quelques muscles ont poussé, là où s’étale la marque rougeoyante en forme de feuille, qui elle, n’a jamais grandi depuis l’enfance.

Comment j’aurais pu deviner ?

Il laisse retomber son bras le long du corps. Ne bouge plus, regard posé ailleurs que sur les yeux de l’homme, posé sur sa figure, pourtant : front, nez, menton ; peu importe, pourvu que ce ne soient pas les yeux. Puis il recule, tend l’autre bras en arrière. La main trouve d’instinct la bride. La saisit. Cela pourrait finir ainsi, maintenant, si seulement il se retournait et s’en allait. Mais il est trop tard, et ils le savent tous les deux. Maintenant qu’ils sont un, par la marque commune qui imprègne leur chair. L’homme sans age ne voit désormais plus que cette marque qu’il avait fini par oublier, à force de regards dressés à fuir les miroirs, les vitres et les flaques. Il n’a, ils n’ont toujours pas de mots, pas un seul, pas même ce mot qui les brûle, qui n’est pas le même mot et signifie pourtant la même chose… »

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Une histoire foudroyante – je vous l’avoue, j’ai failli en arrêter la lecture et puis je me suis dit qu’il était impossible de raconter la noirceur profonde sans nous amener sur un chemin de lumière – !

Rose – elle porte ce doux et magnifique prénom  – en est l’héroïne, jeune fille de quatorze ans vendue par son père miséreux à un notable. Sa vie devient alors un enfer. Rose est combative, elle lutte, elle ne veut pas que le mal et la cruauté aient le dernier mot, elle trouve au fond d’elle-même, avec un infini courage,  des forces qui l’amèneront vers les mots et l’écriture, pour ne pas être oubliée.

L’histoire se raconte à travers les personnages, ils possèdent chacun un langage propre, la parole n’est d’ailleurs pas donnée aux bourreaux. L’auteur semble puiser son inspiration dans une mémoire invisible du monde, son écriture coule comme l’eau d’une rivière. La couverture du livre, une photo argentique de l’écrivain-photographe Sara Saudkova, modifiée par un découpage vertical, prend tout son sens au fil des pages.

C’est un roman puissant, une histoire poignante qui laisse des traces, je suis vraiment heureuse de ne pas avoir interrompu ma lecture.

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Extraits de : « Né d’aucune femme »   2019   Franck Bouysse.

Illustrations : 1/ « Rose et muguet »  Frants Diderik Boe  1820-1891   2/ « Au bord de la forêt » August Heirich  1794-1822.

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Trouver des forces en soi…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Liberté voyageuse…

lundi 22 juillet 2019

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« … Il faudrait superposer plusieurs mots pour exprimer la fonction profondément polyvalente du camping-car, le génie qu’il avait fallu pour le concevoir et l’aménager, pour orchestrer toutes ses propriétés, le transportable, le pliable, le rangeable, le coulissant, l’escamotable, le pratique, le bien fait. Rien de négatif ne demeurait dans cet espace autarcique : la promiscuité était gage de proximité, le manque d’espace devenait trésor d’ingéniosité. Le constructeur du Combi Volkswagen avait réussi à reproduire une cuisine miniature équipée d’un mini-évier, de mini-feux, d’un mini-frigo, d’une mini-armoire, de mini-tiroirs pour des couverts de dînette. Une maison de poupée avec moi dedans.

Il en découlait un extraordinaire sentiment de sécurité. Rien ne pouvait nous arriver. Un froid subit, un grand vent, une tempête intensifiaient cette sensation. Souvenir d’avoir bu une tisane, tous ensemble, alors que la pluie tambourinait sur le toit et menaçait de noyer le camping où nous allions passer la nuit…

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… La vie en plein air suppose l’itinérance ; la découverte de la nature est cheminement. Or le vélo ne suffit pas à satisfaire ce besoin de mobilité. Paradoxalement l’amour de la nature requiert le moteur. La voiture autorise des départs inopinés, des éloignements fous, des adieux à volonté ; elle permet aussi d’embarquer ustensiles et équipements. Mais le camping n’exige-t-il pas la rusticité et un mode de vie spartiate, contre les raffinements d’un confort supposé décadent ? L’auto-campeur répond en adoptant un idéal de simplicité, et ce sera justement la force du camping-car que de concilier l’indépendance, le génie pratique et la vie sauvage. Illusion d’une automobile « naturelle »…

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… La musique le dit encore mieux que les mots, et c’est pourquoi la bande-son de nos années camping-car, c’est Carmen, tout particulièrement l’air du deuxième acte où la bohémienne tente d’entraîner le raisonnable don José :

Le ciel ouvert, la vie errante,

Pour pays, l’univers,

Et pour loi, sa volonté

Et, surtout, chose enivrante :

La liberté, la liberté !… »

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Quel plaisir de lire ces pages, de découvrir ce voyage à travers les souvenirs du jeune héros, futur écrivain.

Et même si aujourd’hui la liberté offerte par le Combi Volkswagen  est moins évidente face aux interdictions diverses et variées, on peut en faisant des recherches, en réfléchissant, vivre en aventurier des temps modernes et s’extraire du bruit du monde tout en respectant la nature, j’en suis un témoin privilégié et remercie la vie.

Ah, que de beaux et doux moments, que de découvertes ! Merci Tania, ce livre vient de m’accompagner avec bonheur.

Extraits de : « En camping-car »  2018  Ivan Jablonka.

Photos BVJ – 1/ Dans l’Embrunais  2/ Dans la Maurienne  3/ Lac du Mont Cenis  4/ Vers le Col de l’Assietta (Piémont).

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Goûter à la vie nomade…

BVJ – Plumes d’Anges.