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« … Déposer pour quelques minutes, quelques heures, la contrainte sociale. Se reconnaître simplement vivant même quand les autres vivants ne sont pas là, c’est enrichir sa façon d’habiter le réel. C’est s’accorder un peu mieux avec l’habit de chair que nous avons revêtu au jour de notre conception. Parce qu’il ne saurait y avoir d’expérience sans fécondité et qu’il ne tient qu’à nous que ce que nous vivons, même le plus déconcertant, même le plus âpre, porte un fruit – et si possible un fruit qui ne soit pas amer – l’expérience du silence est à tenter. Un temps dont les fruits se révèleront peut-être tardifs, peut-être discrets. Mais qui pourrait imaginer qu’il n’y ait aucune suite à cette expérience là ?
Que l’on s’arrête un moment sur l’image de la jachère. Il y a autant de différence entre ce qui est utile et ce qui est fécond qu’entre le champs cultivé et la terre laissée en repos. (…)
Quels sont les moineaux de nos vies, ces sentiments tenaces et négligés, ces idées saugrenues, ces désirs qui ne demandent qu’à germer ? Quelles sont ces herbes folles dont on ignore jusqu’au nom faute de leur accorder une place dans nos vies trop sages et qui, pour peu qu’on leur prête vie, nous réserveraient l’émerveillement d’un épi chargé de grains ? Quelles sont ces petites voix trop basses que nous avons cessé d’entendre sans nous en rendre compte ?
Oui, le temps du silence est temps de jachère…
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… Chut. Marquons une pause, taisons-nous un peu. Offrons parfois, si peu que cela soit, la possibilité d’une écoute. Faisons place à la parole de l’autre. Donnons à sa voix et à ses mots vrais une chance d’émerger : « Et toi, comment vas-tu aujourd’hui ? Mon ami, mon frère, qu’as-tu à me dire ? Comment va ta vie ? Qui es-tu ?…
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… Dans le plein silence, dans cette présence au monde que je rêve la plus nue et la plus apaisée possible, le réel entier me rejoint. Ce ne sont plus seulement mes frères humains à qui je fais place mais voici mes frères non-humains : les arbres et les herbes, les oiseaux et les insectes, les éveillés à plumes, à poils et à écailles… Je sens battre ma vie et, parce que j’en suis consciente, viennent à ma conscience toutes ces vies qui ne sont les miennes et qui toutes ensemble battent, pulsent, et chantent et s’agitent et font avec moi monde commun. Le matin bruit de battements d’ailes, de grattements de froissements. Le hérisson ronchonne sous le laurier, les fleurs de lilas se défroissent imperceptiblement. Le ver de terre pousse son tunnel sous les tulipes, trois hérons remontent la rivière et en haut du sapin le merle s’égosille ; autour de moi la ville s’éveille. Je ne suis qu’une poussière dans le vivant multiple.
Jamais seule.
Oui : je me tais et voici que tout me parle… »
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« Un si grand désir de silence » est un très bel essai d’Anne Le Maître, émaillé de riches références. Ce nouveau monde dans lequel la « modernité » nous a tous plongés est ultra bruyant. Notre esprit ignore le repos et l’apaisement, il est sollicité en permanence, de façon visible mais aussi de façon insidieuse et invisible, on ne prend plus de recul, on bavarde sans cesse ou l’on écoute des bavardages.
Anne Le Maître nous invite ici à faire une expérience du silence en toute conscience : un silence fécond, qui porte en lui sens et profondeur, valeurs indispensables à notre bien-être et à notre évolution humaine et spirituelle. Faire silence pour mieux entendre l’autre, mieux entendre la vie qui par petites notes se dévoile et nous ouvre de nouveaux horizons se renouvelant à l’infini. Faire silence pour que notre attention nourrisse notre inspiration. Faire silence pour s’enrichir les uns les autres, magnifique chemin… Merci Anne.
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Extraits de : « Un si grand désir de silence« 2020 Anne la Maître.
Illustrations : 1/ »Paysage, Gay Head dans le Massachussets » 2/« Esprit d’automne » Albert Pinkham Ryder 1847-1917.
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Chercher ce que le silence a à nous dire…
BVJ – Plumes d’Anges.
je comprends et partage ce désir… et connaissant Anne Le Maître, je suppose que son ouvrage est finement illustré 🙂
Merci. MERCI pour ce texte, et les illustrations « parlantes » qui vont avec, pour ce texte-là, et pour nous l’avoir fait découvrir.
Quel plaisir rare : nous faire entrer dans un champ abandonné
aux herbes que nous disons folles, aux animaux que nous appelons parasites
et surtout nimbé d’un brouillard silencieux !
Voici un exemple parfait de pause « cérébrale » !
Merci à l’artiste qui nous entraîne dans sa méditation poétique
et merci, Brigitte, de nous offrir ce cadeau du jour 🌾
Un double cadeau pour un silence éloquent…. Merci à vous.
une auteure que j’aime particulièrement et que je suis heureuse de retrouver chez toi
J’aime sa simplicité et sa bienveillance, sa façon de parler de la nature
j’ai lu un livre récement qui me fait penser à ce texte : ma Prairie vie privée d’un champ anglais j’y ai trouvé le meme amour de la nature la meme poésie
Merci pour ces beaux extraits qui m’enchantent. La lecture du livre d’Anne Le Maître est bien prévue !
Bon week end.
Une autrice que je n’ai pas encore lue ; c’est un vrai problème dans nos sociétés modernes cette absence de silence. Il faut vraiment le chercher et c’est le seul moyen de se mettre à l’écoute de soi-même. Très belles illustrations, comme toujours. Merci Brigitte.
le silence a disparu de nos espaces, le silence quand il se fait à l’intérieur est le fruit d’un sincère désire d’arrêter les débats inutiles, qui étant intériorisés détruisent toute écoute, le cinéma muet donnait toute sa valeur aux gestes et aux attitudes, le silence n’est pas une absence….
Ah ça, je note!! J’ai bien aimé ton extrait. J’ai pensé en lisant ces lignes à l’éloge de la solitude de Jacqueline Kelen. Merci Brigitte. Bon week-end.
Bravo pour ton partage réussi. Je viens de commander ce livre!!
Coucou. Comme je le disais à Anne directement, j’ai acheté son autre livre « Sagesse de l’herbe » mais je ne l’ai pas encore lu. Je la suis sur son blog et j’aime sa manière de voir le monde. Bises alpines.
Oui laissons pousser les herbes folles dans nos vies et les oiseaux y faire leur nid ! Beau week end Brigitte
En train de lire ce livre, j’ai senti dès la première phrase que tu citais Anne Le Maître, qui nous offre là expérience et réflexion, une invitation au retrait qui vivifie. Merci, Brigitte.
Oh oui alors, le silence est si bénéfique ! Quand le brouhaha cesse, j’aime ces instants où il n’y a que la nature qui nous susurre à l’oreille et également la nuit quand tout le monde est endormi et qu’il n’y a que les battements de notre cœur qui résonne. Merci Plumes d’Anges pour ce très bel extrait et doux dimanche, je t’embrasse.
j’apprécie d’être en silence par moments.
Superbe billet.
Bon dimanche Brigitte
Bonjour Brigitte,
Le silence est un besoin, un retrait qui nous aide dans une vie parfois difficile. Merci pour ces extraits qui font du bien. Le silence permet la réflexion.
Douce semaine à toi. Je t’embrasse
Chère Brigitte,
merci de cet écho lumineux. Nous buvons aux mêmes sources…
Bien amicalement
ANNE
(et je reprécise ici que c’est à la finesse des choix illustrés de votre blog que ce livre doit sa couverture ! Doublement merci.)
Bonjour Brigitte !
Décoder, analyser le chant des moineaux de nos vies…pour que tous les aprioris sentiments s’évanouissent dans l’immensité intersidérale de nos possibles… c’est faisable !
Joyeuses pensées
Michèle
Oui écoutons nos moineaux intérieurs et les voix de la nature…elles nous mènent à la sérénité et la sagesse ! beau week end Brigitte
Merci, je l’ai lu avec recueillement par moments, sourires complices à d’autres car on s’identifie aisément à certaines pages.
Tant de sortes de silences…c’est magnifique.
Encore un livre que j’aimerais lire
Le silence est un chemin, il nous conduit vers l’essentiel…
Comme Tania, j’ai reconnu de suite les mots de Anne. Un merveilleux livre !
Merci pour ces extraits Brigitte !