Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Redonner la lumière…

samedi 25 février 2023

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« Il meurt lentement

celui qui ne voyage pas,

celui qui ne lit pas,

celui qui n’écoute pas de musique,

celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux.

 

Il meurt lentement

celui qui détruit son amour-propre,

celui qui ne se laisse jamais aider.

 

Il meurt lentement

celui qui devient esclave de l’habitude

refaisant tous les jours les mêmes chemins,

celui qui ne change jamais de repère,

ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements

ou qui ne parle jamais à un inconnu.

 

Il meurt lentement

celui qui évite la passion et son tourbillon d’émotions,

celles qui redonnent la lumière dans les yeux et réparent les cœurs blessés.

 

Il meurt lentement

celui qui ne change pas de cap lorsqu’il est malheureux au travail ou en amour,

celui qui ne prend pas de risques pour réaliser ses rêves,

celui qui, pas une seule fois dans sa vie, n’a fui les conseils sensés.

 

Vis maintenant !

Risque-toi aujourd’hui !

Agis tout de suite !

Ne te laisse pas mourir lentement !

Ne te prive pas d’être heureux ! »

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Poème de Martha Medeiros – 2000

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Dans les déserts à traverser, dans les épreuves à vivre,

il y a l’acceptation puis la méditation.

Enfin vient le temps de l’action.

Celle-ci est parfois vaine, tous nos jours ne sont pas glorieux ou fructueux,

mais un matin arrive où l’on sent un souffle nouveau,

un besoin impérieux de rebattre certaines cartes,

d’initier un mouvement – peut-être le dernier –

et de repeindre notre univers aux couleurs de la VIE…

Avez-vous déjà arpenté ces chemins ?

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Illustrations : 1/« Femme aux chardons »  2/« Femme aux pivoines »  Alfred Agache  1843-1915.

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Redonner de la lumière à notre vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Enigme…

samedi 18 février 2023

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« … Je suis là, derrière vous.

Vous ne me voyez pas, vous ne m’entendez pas.

Vous ne soupçonnez même pas ma présence.

Mais je vous observe, comme on observe des poissons rouges dans leur bocal.

J’ai à ma disposition toutes sortes de ruses.

J’ai de quoi vous faire tourner en rond durant des heures,

des jours, des semaines. Tous autant que vous êtes.

La partie va être longue.

Tant mieux…

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… Elle avait gardé Scarlatti pour la deuxième partie. Six sonates interprétées avec une délicatesse et une maestria qui ont laissé le public époustouflé. Ce n’était plus la célébrité brillante de la première intégrale ni la mélancolie de la seconde : Terzian le jouait dans une plénitude sobre, déterminée, accomplie. Elle retournait la musique comme un gant, elle lisait à travers elle comme à travers une eau cristalline. Ses mains noueuses, sa silhouette marquée par la voussure de l’age semblaient aimantées par le clavier.

Je pensais à la succession d’interprètes qui avaient fait vivre cette splendeur à travers le temps. À ces rares volumes manuscrits, qui auraient pu être dix fois détruits, mais qui avaient été copiés avec ferveur, échappant ainsi aux outrages de l’oubli pour être réinventés de génération en génération. À ces pièces qui, presque trois siècles après leur création, avaient gardé le pouvoir de rassembler, comme elles le faisaient, ce soir, des êtres que tout aurait dû séparer, l’age, le degré de richesse, l’éducation, la couleur de la peau. J’ai pensé que dans le monde, à cette heure, la fureur et la haine embrasaient la planète un peu partout, qu’on mourait ici dans le bruit des fusils, là dans la détresse des famines et des exils. Mais ce soir, une fraction d’humanité s’était donné rendez-vous, à l’abri des notes, pour se réconcilier, se recueillir dans la joie pure d’une communion musicale.

La fin du récital a été à couper le souffle. Pas tant à cause de la virtuosité de Manig Terzian que de sa subtilité dans l’interprétation du programme qu’elle avait composé. Aux pièces rapides et légères, elle parvenait à imprimer une forme de lenteur méditative, une profondeur délicate et poignante. L’or et le miel coulaient de ses doigts…

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Mon visage était humide quand elle a terminé de jouer ce dernier bis. Je n’ai pas l’habitude de me laisser aller en public. Mais cette femme m’avait rappelé que, malgré les coups de poignard, malgré les outrages que la vie nous inflige, elle pouvait encore, sans prévenir, nous inonder de joie, pour peu qu’on accepte de la laisser venir à soi… »

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Roman choral à six voix, sur fond de sonates pour clavecin de Domenico Scarlatti.  555 sont à ce jour répertoriées mais un bruit court : une nouvelle partition serait apparue.

Les personnages se dévoilent ici un à un, dans un ordre régulier à neuf reprises. Les facettes des caractères et des comportements sont diverses, les réactions des uns et des autres tantôt nous émerveillent, tantôt nous attristent. Ils se mettent à nu, nous livrent leurs qualités, leurs faiblesses, leurs amours, leurs trahisons, leurs doutes, leurs lignes de vie… Ils évoluent et se métamorphosent sous nos yeux, une formidable énigme les relient au cœur d’une histoire qui va crescendo et finit en apothéose. Celle-ci est comme une pièce musicale, elle a ses mouvements, ses adagio, allegro, staccato, vivace… Sa musique nous soulève, c’est une superbe lecture, je n’y mets aucun bémol,  et il est n’est pas interdit de lire en écoutant le divin Scarlatti

Dominique en avait parlé — >

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Extraits de : « 555 »  2022  Hélène Gestern.

Illustrations : 1/ « Visage » Étude   Friedrich Wilhelm Schadow  1788-1862  2/ « Nature morte » Bartolomeo Bettera  1639-1688.

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Parvenir à comprendre…

BVJ – Plumes d’Anges.

Cérémonie…

lundi 30 janvier 2023

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« … Madame Yamamoto. Je n’ai jamais su son prénom et n’ai jamais eu seulement l’idée de le lui demander.

À l’entrée, les deux caractères de son nom sont écrits au pinceau sur une jolie planche. En plus petit, il est fait mention de son école de thé : Urasenke.

Je fais coulisser la porte qui s’ouvre au milieu d’un muret, entre dans le jardin de mousse et buissons et m’arrête devant le camélia. Il m’attendait. Je le soupçonnais samedi dernier de n’avoir pas encore livré toute sa beauté, toute de rouge et de vert profonds. Cette fois, il est magnifique. Il est au maximum.

Sa vue me transporte. Voilà de quoi se mettre dans un bon état d’esprit. Pour profiter du thé, il ne faut pas être morose. On peut cependant être triste : la beauté apaise la tristesse. La beauté simple du thé vide le cœur pour s’y installer et y prendre toute la place…

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LE THÉ N’EST PAS VRAIMENT une cérémonie. Il n’en a pas la pompeuse solennité. Ce n’est pas la messe ou le rituel d’une quelconque religion.

Le mot connaît un destin semblable au mot « bureau », qui désigne selon les cas la pièce ou le meuble, au mot « café », à la fois bistrot et breuvage ; pareillement, le thé matcha est une décoction et c’est aussi le moment et le lieu où on la prépare et où on la boit.

On parle de « Voie du thé », Sado, d’ « eau chaude pour le thé », cha no yu, ou d’une « partie de thé », chaji, si l’on y propose aussi un repas léger.

« Cérémonie » est un mot trop rigide pour désigner un exercice aussi multiforme, fait de gestes simples et précis qui n’ont d’autre finalité qu’eux-mêmes, pensés et codifiés pour être strictement efficaces, nécessaires et suffisants et qu’on doit idéalement réaliser sans y penser et d’un cœur léger.

Si l’exécution est parfaitement menée, les mains et le corps semblent échapper à la gravité, fonctionner seuls. Le temps devient alors disponible, recouvré. On l’a tout à soi, on le maîtrise, et quand le bol de thé est enfin prêt, on a l’impression qu’il est arrivé là tout seul. Il est le résultat d’un acte parfait. C’est comme dans le tir à l’arc, la calligraphie ou la peinture à l’encre ; si un geste est mal fait, on ne peut pas le recommencer…

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« Ichigo ichie », me dit-elle. Cette « première bouilloire » a été pour elle « l’heureux moment d’une rencontre ». C’est à la faveur du thé qu’elle m’a rencontré et qu’elle se trouve là, maintenant, chez moi.

C’est une déclaration d’amour qui ne dit pas son nom.

Elle me regarde avec un beau visage épuré, sans expression ni froideur, aussi impassible qu’un masque, ce qui donne à sa déclaration une force inconnue. L’amour et les sentiments personnels ne se manifestent pas de la même façon, ici. Plus ils sont intenses, moins ils sont exprimables… »

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Un petit livre d’une centaine de pages à la jolie couverture crème et sépia, l’objet est une invite au raffinement.

L’auteur y raconte les souvenirs d’une époque où, résidant et travaillant à Kyoto, il s’initiait à la Voie du thé chaque samedi matin. Il est un jour très ému par une rencontre, celle d’Itchie Shimitzu, une jeune femme aux traits fins et délicats, vêtue d’un magnifique kimono.

L’auteur nous décrit les lieux et les situations par petites touches, les personnages se livrent mais restent délicieusement énigmatiques, la quête de la beauté est présente dans une succession de « tableaux » où les petits pas, les étoffes raffinées, les gestes parfaits sont d’une merveilleuse fluidité face à d’autres réalités du quotidien.

Cette nouvelle nous emmène dans une parenthèse de la vie, le temps y est comme suspendu, l’esprit et le cœur naviguent dans les doux méandres d’une mémoire entre « Juste un mot » et « Un dernier mot ».

Un agréable moment de lecture, accompagné d’un délicieux Thé blanc au citron Yuzu (Thés de la Pagode) que je vous recommande aussi…

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Extraits de : « De thé et d’amour »  2021  Hubert Delahaye.

Illustrations : 1/« Nature morte »  Leon Wyczolkowski  1852-1936  2/« Dans le jardin »  Matilda Browne  1869-1947.

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Emprunter les voies paisibles…

BVJ – Plumes d’Anges.

Changement…

lundi 23 janvier 2023

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« … « Le sourire est à l’image de la Délivrance…

Sourire, parole, création sont les attributs de l’homme…

Comment peux-tu reconnaître ta voie, si tu ne souris pas ? J’habite dans le sourire…

Le sourire est la prière de chaque petite cellule. » *

 

C’est magnifique de sentir le sourire comme une prière, la prière de chacune des cellules de notre corps sacré… Et quel est le rôle du corps dans la Délivrance, aussi selon l’enseignement des médecines sacrées ?

 

Sans le corps, la Délivrance n’a pas de sens. Toutes les parcelles de la création doivent être délivrées, reliées, transfigurées ! L’ange révèle que :

« Le corps n’est rien d’autre qu’Amour devenu matière. Est-ce que nous le vivons ? » *

« Le corps est formé pour vous depuis le commencement des temps. Le corps n’est pas destiné à l’usage que vous en faites. » *

« Chaque organe de ton corps est l’image d’une force de l’univers, et c’est d’elle qu’il reçoit sa force. » *

« Le battement du cœur de l’univers est un avec le battement de ton cœur. » *

En écho à cette parole, Gudea invoquait déjà à l’époque sumérienne en 2140 av. J-C. : « Comme les enfants d’une même mère, nous sommes unis dans son cœur de lumière ». Quelle révélation ! Le corps n’est ni « enveloppe », ni « lieu de péché » , mais un creuset alchimique, un temple, un lieu de résonance, de don d’amour, de lien, de transformation. Un lieu de transfiguration et de transmutation de la chair. Chaque corps est pétri d’amour, comment l’avoir oublié ?

 

De quelle transformation, transmutation, transfiguration s’agit-il ?

 

L’ange nous rappelle que « l’Homme est le grand transformateur  » * . Pour faire une soupe, je transforme mes carottes, cèleris et poireaux par la cuisson. Mais quel feu faut-il pour transformer ma déception en espérance et ma frustration en confiance ? L’ange propose un changement de regard : « Le mal est le bien en formation, mais pas encore prêt. » *

Cela commence par une mise en mouvement. Si je déverse ma colère et claque la porte, je n’ai rien transformé du tout. Mais il est possible de percevoir un élan de transformation dans chaque situation, qui est comme un levier secret, qui permet une mise en mouvement d’une situation stagnante vers son élévation, vers son évolution, vers sa rencontre avec une autre polarité qui l’oriente.

L’ange précise : « Si tu élèves tout, tu tiens dans ta main la Joie éternelle. » * C’est une traversée des ténèbres, pour en pétrir la lumière. Dans chaque évènement se cache un ferment. C’est à moi de le trouver, ce qui est difficile, tant je suis engloutie dans la souffrance, dans la séparation. Comment trouver la face de lumière d’une épreuve ? Pour cela une constante vigilance et inventivité nous sont demandées. La vie devient passionnante si, au lieu de juger et de rejeter l’épreuve, nous devenons son « disciple », et essayons de déchiffrer son enseignement, pour qu’elle devienne un lieu de transformation ascensionnelle… »

* Extraits de : « Dialogues avec l’ange« 

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Un lumineux petit livre dont la lecture éveille la conscience.

Les évènements qui surgissent dans nos vies

nous obligent à apprendre de nos erreurs,

à réévaluer nos certitudes, voire à les abandonner.

 Quelques mois ou années plus tard,

nous sentons en nous une élévation subtile,

nous visitons un étage supérieur de notre château intérieur.

Changer notre regard sur le monde,

ne pas céder à la tentation de commenter tout ce dont on nous abreuve,

s’extraire de ce magma néfaste,

ne pas se laisser absorbés par les drames et difficultés familiales ou amicales,

être en empathie, écouter,

réfléchir et créer par nos attentions et petits gestes quotidiens,

un autre futur. Nous avons ce pouvoir immense,

si nous cherchons à l’intérieur de l’épreuve le noyau de lumière.

Soyons curieux et inventifs !

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Extrait de : « Traverser l’épreuve avec gratitude »  2022  Marguerite Kardos.

Illustrations : 1/ 3/ « Capucines »  2/ « Paysage de plaine »  Gustave Caillebotte  1848-1894.

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Sourire avec gratitude…

BVJ – Plumes d’Anges.

Présence au monde…

lundi 16 janvier 2023

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« … Pour « habiter poétiquement le monde », selon la belle formule de Hölderlin, inutile de rejoindre les îles Fortunées ou l’embouchure de l’Orénoque : ici, dans ma ville ou sur ma haie, près de ce corps, sur cette piste de danse, l’émerveillement peut naître de moments simples, de cette déroute qui est à la portée de chacun pourvu que l’esprit y soit disposé par ouverture et attention. Alors se manifeste  ce que je propose de nommer une surprésence, notion qu’on doit comprendre dans un double sens : présence considérable des objets, apparaissant soudain dans une lumière extraordinaire quelle que soit leur valeur intrinsèque ; et, répondant à cette présence du monde, la surprésence désigne la capacité de se tenir dans un état de présence extrême au monde, qui le fait advenir dans son éclat.

Ainsi entend-on, grâce au terme de surprésence qui caractérise à la fois le monde et le sujet dans l’état d’émerveillement, que celui-ci ne résulte pas d’un penchant benoît à la joie. Ce n’est pas le ravi de la crèche qui s’émerveille mais, capable de vigilance et de concentration, le voyant portant sur le monde un regard qui l’éclaire…

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Mais on peut aussi considérer, comme Spinoza, que construire la joie est notre principal travail, que l’émerveillement est une aptitude philosophique désirable, et donc œuvrer pour s’en rendre capable. Il faut pour cela une conversion douce, un changement de valeurs : une transformation du rapport au temps, l’accès à la lenteur, la culture de la solitude et de l’attention. Alors l’émerveillement, qui est une des formes de la joie, devient accessible, notre relation avec le monde se réenchante et l’émerveillement répand sa lumière, comme une protestation contre les ténèbres et le désespoir. Il est besoin de peu pour ce réenchantement, la modestie lui sied si l’on sait être poète de sa vie, c’est-à-dire si l’on sait se faire voyant et vigilant. (…)

À présent je peux révéler un fait dont je ne suis pas responsable mais qui m’enchante depuis toujours, un heureux hasard du cadastre : le champ sur lequel pousse mon chêne se nomme « le Paradis »… »

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Belinda Cannone nous livre une réflexion profonde sur le fait de s’émerveiller. En essaimant des souvenirs, des images, des sons, elle nous propose une voie, celle de la présence extrême au monde, accessible à tous et à tous moments. « Regarde » dit l’enfant en pointant son doigt vers un petit quelque chose, « Écoute » fait-il décelant dans l’univers le chant d’un oiseau… L’enfant prend le temps d’éprouver le monde et de partager son étonnement face au nouveau. L’auteure célèbre aussi des comportements qui forcent l’admiration, des œuvres qui magnifient un instant de beauté, des évènements qui, arrivés par surprise, vont graver en nous une trace à jamais émerveillée… En lisant ce texte, une énergie nouvelle nous enveloppe, nos yeux s’illuminent, nos propres souvenirs remontent et le paysage qui nous entoure semble s’illuminer…

Il fut difficile de choisir des extraits du livre, tout est si bien perçu, raconté dans une écriture superbe. J’ai beaucoup pensé à Christian Bobin, qui avait l’énorme talent de déceler une force sublimement poétique dans le modeste et le minuscule.

Ce beau livre est accompagné de photographies en noir/blanc/sépia ( empruntées au fonds de l’ARDI à Caen), petites flammes ancrées dans les mémoires, révélatrices d’une émotion passée toujours vivante au présent.

Je vous invite vraiment à vous laisser apprivoiser par cette énergie bienfaitrice qui propage la joie…

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Extraits de : « S’émerveiller »  2017  Belinda Cannone.

Illustrations : Dessins anonymes japonais  à l’encre – XIXème.

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Merveilleux émerveillements…

BVJ – Plumes d’Anges.

Flux de lumière…

lundi 9 janvier 2023

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« … Durant tout le mois d’avril, le cerisier de notre jardin a été en fleur. Les longues branches noueuses, constellées de blanc, se détachaient devant la fenêtre de notre chambre, s’élevant vers le ciel. C’était d’une beauté. Chaque matin, avant de partir à l’hôpital, je prenais quelques secondes pour le regarder. Regarder n’est pas le terme exact : je m’en absorbais, m’en nourrissais. Je me transportais en songe à l’intérieur de l’arbre et m’y répandais, m’y fondais, m’y étalais de tout mon long. Mes bras touchaient le ciel et les racines de la terre, mon ventre se frottait à l’humus. Je buvais la sève, les fleurs, le bois, les odeurs, je me barbouillais de joie.

Puis, à nouveau j’étais dans la chambre, derrière la fenêtre, à nouveau j’étais debout, dans le corps d’une femme de quarante-sept ans qui s’apprêtait à prendre un escalier, à ouvrir une porte de maison, à partir pour une chambre d’hôpital où l’attendait un petit garçon – son petit garçon. J’étais remplie de beauté vibrante. Quelques minutes plus tard, au moment d’entrer dans le bunker, je convoquais la vision du cerisier en fleur…

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… Lorsque Adam, au cours de sa première cure de chimio, a été plongé en aplasie profonde, nous sommes entrés dans l’attente : on nous avait parlé de deux ou trois semaines en moyenne pour qu’il sorte d’aplasie, alors nous comptions les jours. Chaque jour passé était, pensions-nous, un pas de plus franchi vers la lumière. Il s’agissait de passer chaque heure, chaque jour, chaque nuit sans qu’Adam attrape d’infection, et donc, pour nous, d’apprendre à être à l’intérieur de cette attente, à la traverser en n’attendant rien, précisément.

S’efforçant simplement que la journée ait existé pour Adam : que quelque chose d’elle, même minuscule – une histoire, une phrase, une chanson -, ait déposé sa vibration en lui. Il s’agissait d’apprendre le non-vouloir. Apprendre à repousser la peur. Apprendre à être dans l’instant, uniquement dans l’instant : la lutte se passait au présent, pas dans quelques semaines. Le « dans quelques semaines » n’existait pas. Il ne fallait pas relever la tête et tenter de l’apercevoir au loin : il était inatteignable. Il faisait battre le cœur trop douloureusement. Le seul temps qui existait, c’était l’instant présent. L’instant à passer sans embûche…

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… Il faut veiller sur la lumière…

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... Étrangement, alors que les frontières dedans/dehors étaient encore plus marquées qu’au cours des quatre premiers mois d’hospitalisation, il me semblait davantage sentir la présence des autres, leur souffle. Ils étaient là, dérivant en orbite au-dessus de nous, tel un chœur parfaitement harmonieux alors que pourtant ils étaient peu à se connaître, et leur chant limpide, vibrant, s’élevait jusqu’à nous. À eux tous ensemble ils avaient façonné, à la force de leur amour, comme un épais tapis de mousse qu’ils me tendaient inlassablement pour que je puisse, de temps à autre, m’allonger et reprendre mon souffle, humer des odeurs de vie, des odeurs organiques, me souvenir qu’au-dehors existaient encore le monde et sa joie… »

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Quelle histoire forte, quel amour déployé !!!

Le 17 mars 2020, quand le gouvernement français décide le confinement général et que les médias déversent leurs informations anxiogènes, une famille vit un drame absolu. Le petit garçon de l’auteure, un mois avant son cinquième anniversaire, est hospitalisé en urgence atteint d’une leucémie foudroyante.

Là est le récit d’une mère qui va se battre aux côtés de son fils, nuit et jour, dans un contexte plus que difficile. On comprend son besoin irrépressible de poser des mots sur les 158 jours passés en ce lieu clos. La lumière qui se dégage de ce texte est incroyable, c’est un cri d’amour, un hommage à tous ceux qui les ont accompagnés sur ce chemin terrifiant, c’est une ode au courage de ce petit homme, de sa famille, de quelques amis, des soignants, tous leur ont donné la main – une main parfois invisible…

D’une page à l’autre, elle décrit le quotidien, effleure les moments douloureux avec pudeur et choisit de raconter les lumineux détails qui jonchent le chemin, les beaux échanges, les petites victoires, les étincelles qui enluminent une journée. J’avoue mon admiration, être ainsi dévastée et ne retenir que l’embrasement des étoiles est une performance inouïe pour la lectrice que je suis, gratitude infinie !!!

C’est une leçon de vie qui raconte dans une fort belle langue, l’épreuve traversée. L’émotion est vive mais cette lumière toujours présente l’emporte, c’est une lecture splendide.

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Extraits de : « D’une aube à l’autre »  2022  Laurence Tardieu.

Illustrations : 1/ « Forget-me-not »  Mary Vaux Walcott  1860-1940  2/ « Printemps » – détail –  Alois Tott  1870-1939.

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Remercier le vivant et la belle humanité…

 

BVJ – Plumes d’Anges.

An de nativité…

samedi 24 décembre 2022

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« … Ce suave lointain reparaît dans l’amour ;

Il redonne à nos yeux l’étonnement du jour ;

Sous ses deux ailes d’or qu’il abat sur notre âme,

Des prismes mal éteints il rallume la flamme ;

Tout s’illumine encore de lumière et d’encens

Et le rire d’alors roule avec nos accens !

 

Des pompes de Noël la native harmonie

Verse encore sur l’hiver sa grâce indéfinie ;

La cloche bondissante avec sa grande voix,

Bouge l’air en vibrant : Noël ! comme autrefois ;

Et ce ciel qui s’emplit d’accords et de louanges,

C’est le Salutaris et le souffle des anges !

Et puis, comme une lampe aux rayons blancs et doux,

La lune d’un feu pur inondant sa carrière,

Semble ouvrir sur le monde une immense paupière,

Pour chercher son Dieu jeune, égaré parmi nous. (…)

 

On a si peu de temps à s’aimer sur la terre ! 

Oh ! qu’il faut se hâter de dépenser son cœur !… »

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Extrait de : « Les pleurs – Révélation »  Marceline Desbordes-Valmore  1786-1859.

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« … Où donc est le bonheur ? disais-je. – Infortuné !

Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné.

 

Naître, et ne pas savoir que l’enfance éphémère,

Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,

Est l’age du bonheur, et le plus beau moment

Que l’homme, ombre qui passe, ait sous le firmament… »

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Extrait de : « Les feuilles d’automne – XVII »  Victor Hugo  1802-1885.

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Faire la PAIX au plus profond de soi… J’entends son doux murmure s’élever aux sommets.

Partager la LUMIÈRE qui nous a mis au MONDE… Elle nous accompagne chaque jour.

Se serrer dans les bras, fermer les yeux,

ressentir le SOUFFLE de notre HUMANITÉ et les vibrations de l’AMOUR,

ouvrir les yeux, apprécier l’énergie d’un REGARD nouveau.

Joyeuses fêtes de fin d’année à toutes et à tous.

Illustrations : 1/ « Procession d’enfants »  2/ « La Nativité »  Zanobi di Benedetto Strozzi  1412-1468.

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BVJ – Plumes d’Anges.

Percevoir l’or du monde…

LA demande…

lundi 5 décembre 2022

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« … Lorsqu’ils allaient dans les fermes ils l’emmenaient avec eux, ils allaient chercher l’huile ou les quartiers de bœuf et de porc qu’elle mettrait en saumure, ils prenaient le chemin qui longeait le fleuve et plus loin après les bourgs rejoignaient la forêt, l’été était chaud, sans vent, ni la moindre brise venue des coteaux, la route s’étirait entre les seigles et les blés, longeait le fleuve immobile, après les taillis gagnaient l’horizon et le ciel blanc de chaleur…

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Quand l’automne arriva c’est à peine s’ils s’en aperçurent, il faisait si doux qu’ils laissaient le soir le feu s’éteindre. Un peu avant la Toussaint le ciel s’obscurcit. La tiédeur demeurait, une tiédeur humide qui rabattait les fumées sur les toits, empoisonnait de moiteurs les jardins et les terrasses, le petit bois vers la rivière. Il y eut une tristesse, la certitude qu’avec l’été autre chose s’achevait.

Ce fut elle qui le pensa, sans mots le fit comprendre…

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Il oublia l’ange, délaissa les carnets, c’est à peine s’il sortait. Il demanda aux élèves de porter les anatomies, il reprenait la ligne d’un muscle ou d’un nerf, rougissait une membrane, une déchirure, il expliquait aux élèves, disait que pour peindre un corps d’homme ils devaient connaître ce qu’il y avait sous la peau, os muscles et nerfs, ils devaient connaître l’invisible… »

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C’est le tableau d’une fin de vie, rude pour une servante que nul n’a jamais vue ou regardée, éprouvante pour un homme fatigué. En tournant les pages écrites dans une langue raffinée, on entre dans des tableaux de la Renaissance, mille détails sont décrits avec douceur, le temps  s’écoule lentement. On ne sait l’identité des deux personnages principaux, mais on la suppose.

Elle, qui observe, est observée par celui qu’on devine être Léonard de Vinci, quelquefois – rarement – il lui parle et la choie. Les jours se succèdent, chaleur, humidité, froid, brumes, rencontres, disparitions, non-dits… Entre eux, tout semble n’être que regards et murmures. Un soir elle ose lui faire une demande, surprenante, elle aurait, s’il y accède,  l’impression d’avoir été utile dans son existence – bien au-delà de ce que fut son quotidien – , utile à l’artiste devenu riche de l’essentiel – sa présence au monde, ses souvenirs, ses trois meilleurs tableaux rapportés d’Italie… Il ne peut plus peindre, il dessine particulièrement des dessins anatomiques.

La vie s’est écoulée, s’est dépouillée, seuls restent les petites choses  – parfois si importantes – les silences qui parlent, l’attention à l’autre et la vie qui décide.

Là est un précieux petit livre, là est une autre époque, là est un brin d’humanité…

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Extraits de : « La demande »   1999  Michèle Desbordes.

Illustrations : 1/ 4/ « Repos pendant le fuite en Égypte »  – détails de paysages –  2/ 3/ « Saint Jérome dans le désert »  – détails de paysages –  Atelier de Joachim Patinier  1480-1524.

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Se dépouiller de l’inutile…

BVJ – Plumes d’Anges.

Dernière lumière…

jeudi 1 décembre 2022

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« …Il y a un temps où ce n’est plus le jour, et ce n’est pas encore la nuit.

Il y a du bleu dans le ciel, mais c’est une couleur pour mémoire, une couleur pour mourir.

On voit ce qui reste de bleu et on n’y croit pas.

La dernière lumière s’en va. Elle a fini son travail qui était d’éclairer les yeux

et d’orienter les pensées, et maintenant elle s’en va… »

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Extrait de : « Souveraineté du vide suivi de Lettres d’or »  2015  Christian Bobin.

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« … Ce matin, j’ai assisté derrière la vitre à un opéra silencieux de geais,

si beau que, pendant quelques minutes, il eût été sacrilège d’écrire ou même de penser… »

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« … J’ai rêvé que j’étais assis en plein ciel sur une chaise de paille devant une table criblée de taches d’encre.

La navigation dans les airs se faisait doucement, à peine si la table parfois s’inclinait légèrement, sans que rien n’en tombe… »

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Extraits de : « Un assassin blanc comme neige »  2011  Christian Bobin.

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« … Quand le soleil lassé se couche, nos projets s’enflamment, c’est l’été indien de l’âme… »

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« … L’écriture est une résurrection… »

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Extraits de : « Le muguet rouge » 2022  Christian Bobin.

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« … Nous avons mille visages qui se font et se défont aussi aisément que les nuages dans le ciel.

Et puis il y a ce visage du dessous. À la fin il remonte – mais peut-être parce que ce n’est pas la fin.

Peut-être qu’il n’y a jamais de fin – juste ce déchirement sans bruit des nuages dans le ciel inépuisable… »

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Extrait de : « La grande vie »  2014  Christian Bobin  1951-2022.

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Certains Êtres – rares et précieux – orfèvres ailés ciselant le monde avec délicatesse,

effleurent la Terre puis s’envolent,

nous laissant de doux mots d’oiseaux à caresser des yeux, à lire sans relâche.

La vie est éphémère, fragile ; l’amour mêlé à l’écriture tissent brin à brin

des capes de soie pour envelopper nos nuits parfois si sombres

et honorer une présence extrême au monde.

La lumière de la poésie se pare d’un bouquet de roses,

un jour l’une d’elle semble s’évanouir, rien n’est perdu elle embrase le ciel.

Merci à ces enchanteurs pour leurs éclats adamantins, merci l’ami Bobin…

Photos BVJ.

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Rendre grâce aux poètes…

BVJ – Plumes d’Anges.

Penser autrement…

lundi 21 novembre 2022

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« … En bon Jardin, j’ai toujours distingué des êtres qui sortent du cadre (out of the box) de ceux qui dessinent un autre cadre (la box elle-même). La deuxième ethnie est évidemment la plus rare.

Un jour que je surveille des enfants en tant que moniteur de colonie de vacances en Suisse, je m’aperçois que chaque soir un petit garçon reste hypnotisé par la présentatrice météo d’une chaîne helvétique, juste avant le JT local. Je discute avec lui et comprends avec stupeur qu’il assiste religieusement à ce rituel télévisuel car il est persuadé que la jeune femme ne prévoit pas le temps qu’il fera le lendemain, mais qu’elle ordonne aux éléments : « Demain il neigera le matin et à midi des éclaircies apparaîtront « , etc. Le cerveau de ce petit garçon évolue dans un tout autre cadre que le mien, un cadre magique où il est possible – quand on en a le pouvoir – de donner des ordres au soleil et aux nuages. Au lieu de détromper le gamin, je le félicite d’être le seul du chalet à avoir repéré une aussi grande magicienne. Il me sourit, heureux que j’accepte de rentrer dans son cadre où la journaliste météorologue, sur sa dévote lancée, peut faire se lever le soleil ou le sommer d’aller faire dodo.

Il ne faut jamais décourager un être humain qui a la grâce de s’échapper des références des autres. Dès que nous réintégrons le référentiel du commun, nous mourons un peu. Dès que nous réinventons le monde avec une grâce d’enfant, nous redevenons de grands vivants… »
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Sujet de méditation inspiré par Alexandre Jardin : Réinventer le monde…

 Cela commence par l’enfance, période fabuleuse où tout est possible mais où , trop souvent, des êtres formatés se chargent d’éteindre les rêves. La confiance en soi disparait doucement, l’enfant suit la pensée des autres – adhère à la pensée unique,  cela est tellement plus simple – il est ainsi accepté au sein du groupe, cela le rassure. 

Si l’enfant se sentait soutenu dans sa différence, son imagination fleurirait, plus tard il réfléchirait autrement, il serait source d’abondance. De magnifiques initiatives ont lieu chaque jour, des hommes et des femmes sortent du rang courageusement pour proposer une vision autre, alors, qu’attendons-nous ?

Nous avons la chance de pouvoir CHOISIR qui l’on veut être, c’est précieux !

Il y a dans ce livre beaucoup d’autres sujets, cette lecture est légère et vivifiante…

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Extrait de : « Les MAGICIENS »  2022  Alexandre Jardin.

Illustrations : 1/ « Paysage » attribué à Paul Gauguin 1848-1903  2/ « Arbres blancs »  Anita Rée  1885-1933.

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Créer nos propres pensées…

BVJ – Plumes d’Anges.