Être lumineux…

21 octobre 2024

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– HOMMAGE –

« … Il y a dans toute vie une somme de douleur, comme si chacun était le disparu de sa montagne, l’englouti de son âme. Écrire est déblayer, entrevoir une somme de joie sous la somme de douleur. Si je parle des fleurs dans un monde qui s’écroule, c’est parce que tout renaîtra avec elles, avec ces pulsations colorées d’un ciel sauvage remonté des gravats… »

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« La muraille de Chine »  2019  Christian Bobin  1951-2022.

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« … Le silence de la nuit était si pur que je me suis réveillé pour l’entendre.

Une main, c’est complexe, riche, c’est fait de caresses, de gestes d’adieu, de grammaires sourdes-muettes. La main heureuse, c’est d’arriver sans effort à l’impossible. Une porte s’ouvre, avant que notre main ait touché la poignée, et nous offre cette vie qui se donne lorsqu’on accepte de n’en rien prendre…

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… La passerelle qui mène de la nuit au jour craque et tangue au vent… Je m’accroche aux rideaux, qui eux-mêmes s’accrochent à leur point de naissance, et tout résiste merveilleusement – car il n’y a jamais eu dans le ciel, dans le monde et sur terre que ce qui est sur le point de naître – ni passé, ni présent, ni futur -, juste le fait que nous respirons à l’unisson partout, triomphe du visible-invisible, sous nos yeux, juste là… »

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« Le murmure »  2024  Christian Bobin  1951-2022.

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Relire – par un hasard heureux -, des livres de Christian Bobin…

Sa compréhension du monde m’enchante…

Est-ce donné à chacun d’être ainsi inspiré ?

Est-ce un don inné ou le travail d’une vie, une volonté ou un entraînement ?

Ce chemin de lumière apaise notre âme secouée

par l’obscurité ambiante, nous aide à ne pas abandonner.

Il nous vivifie

si nous le regardons en face,

si nous le caressons délicatement,

si nous écoutons son murmure,

si nous le dégustons à petites bouchées,

si nous le respirons à pleins poumons.

Tout prend sens…

Merci l’ami pour ces cadeaux d’éternité,

pour ce dernier « chant d’amour » qui atteint des sommets,

pour cette danse cosmique de mots légers comme des plumes,

merci l’ami, Comète du siècle qui brille et brillera éternellement dans nos cœurs.

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Illustrations : 1/ « Capucines »  2/ « Papillons »  Odilon Redon  1840-1916.

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Entretenir la lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.

Perles rares…

12 octobre 2024

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« Je me suis penchée sur l’enfant

Dont le front dormait comme un oiseau brûlant

Je me suis penchée sur ce petit monde

Dont les courages valaient ceux de la vie

Et ce môme que j’aimais à la folie

Avaient les yeux fixés sur la vitre

Dans une attente recueillie

Douleur tu m’as enseigné la beauté

J’apprends à la connaître

Mais jamais il n’y en aura tant que dans la vérité

Que cet enfant rêvait de m’apprendre

Je suis restée penchée Je ne me suis jamais relevée

L’enfant avait créé son propre bonheur

C’était une jolie fleur en papier

Comme celles que je faisais au jardin d’enfants

C’était une jolie fleur en papier

Le jardin secret d’un enfant

Qui avait laissé sa main lucide dans la mienne

Dans la mienne »

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« À l’enfant que je vois en rêve » – Carnet Les nocturnes – Le 31 janvier 1988

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« Un bruissement d’ailes comme l’envol d’un ange

Et tes pas qui s’en vont qui dessinent la vie

Ton mouvement qui m’anime puis qui disparaît

Il y a dans l’air l’odeur de ton parfum

Comme la mer lente et véritable s’allonge sur la place

Je porte un ange en mon âme

C’est un fardeau d’exigences innocentes

Qui touche mon front et me bénit

Puis la nuit ensevelit son sillage

Et il monte aux étoiles avec la douceur de l’oubli

Parfois il m’effleure sans me rencontrer

Nous avançons tous deux dans le même couloir

Sur le même vaste décor d’absolu

Où l’on ne croise que soi-même

Dans un miroir opaque nous nous observons sans fin

Et aucun de nous deux n’ose bouger

De peur de surprendre l’autre

Statues de sel figées par l’impatience

Sel qui pique la vie et qui se souvient de la mer

Comme un enfant à qui l’on confisque le voilier

Qui emportait son esprit bel oiseau blanc

Il y a dans les murmures des souvenirs d’enfance

Des prières que je récitais le soir pour mon ange

Gardien de mes rêves de mon sommeil

Ne me réveille jamais de mon insouciance

Car cela me serait fatal

Mes yeux ont pris l’eau

Mon âme se perd dans l’importance

Un bruissement d’ailes comme l’envol d’un ange

Et tes pas qui s’en vont et qui laissent derrière eux

Une présence infinie et rassurante

J’incline la tête dans le miroir trouble

Et mes yeux s’effacent sur ton ombre

Et mes yeux te ressemblent un peu

Lorsque j’avance seule dans ta nuit

Marche unique Marche de ton absence »

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La prière d’un soir – Carnet Le livre noir  avril/septembre 1988

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Alicia Gallienne, nous livre dans cet unique recueil, des perles fines et rares. Marquée par la mort de son frère adoré Eric, âgé de vingt ans quand elle n’en a que sept, puis par celle de David, le fils de Romy Schneider, son voisin et copain de jeu rue Berlioz, quatre ans presque jour pour jour après la disparition d’Eric.

Alicia est curieuse, fait de riches rencontres, suit des études, se passionne pour des écrivains et des poètes… Elle écrit dans une langue exigeante et veut être lue. Elle déclare une leucémie à l’age de seize ans, accepte de lourds traitements, ne se plaint jamais, célèbre la vie, célèbre la mort. Son âme s’envole à l’age de vingt ans, un vingt-quatre décembre au matin…

C’est une poésie de l’urgence, sans ponctuation aucune, elle a tant à dire ou à écrire, le lac de la vie est pour elle une flaque, le temps presse mais il est encore temps pense-t-elle. Elle écrit sur des carnets – cinq sont réunis ici – , y livre ses passions, ses émotions et malgré les nombreuses épreuves qu’elle doit traverser, avec lucidité et maturité, elle trouve des mots doux, profonds et aimants pour exprimer la beauté à laquelle elle s’attache et la gratitude envers ceux qui l’entourent, des mots comme des gouttes cristallines que le vent léger fait danser.

Il faut lire et relire ses poèmes, entre les lignes, beaucoup d’oiseaux y chantent. Alicia semble vivre entre deux mondes et ne choisit que la lumière. À noter, une magnifique préface de Sophie Nauleau…

Merci à Den qui m’a fait découvrir ce magnifique opus.

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Augustin Frison-Roche a lui aussi suivi des études littéraires, perdu un frère aimé… Il apprend la peinture et la sculpture, se tourne vers l’art sacré de plusieurs traditions. Dans ses œuvres picturales, les techniques, la matière, les couleurs sont d’une incroyable richesse, elles vibrent, on sent que le peintre perçoit la réalité et la lumière d’autres mondes qui se superposent, beaucoup d’oiseaux chantent dans ses tableaux.

Un livre découvert chez Dominique – présenté et commenté par Stéphane Barsacq – a ouvert une de ses expositions L’Or du soir à la galerie parisienne Guillaume.

Augustin et Alicia ont en commun une inspiration puissante et profonde,

leur réflexion est immense, cosmique,

ils explorent la richesse des jardins intérieurs,

excellent dans leur art et captent la lumière des étoiles.

J’ai aimé rapprocher ces deux talentueux artistes.

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Poèmes extraits de : « L’autre moitié du songe m’appartient »  2020 Alicia Gallienne 1970-1990.

Photos BVJ  septembre 2024  : Tableaux d’Augustin Frison-Roche dans la Cathédrale Saint Vincent à Saint Malo.

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Approfondir nos recherches et tenter de lire entre les lignes…

BVJ – Plumes d’Anges.

Surnaturel…

5 octobre 2024

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« … Puisque la nuit était tombée sur ce monde de machines et de banquiers, je me donnais trois mois pour essayer d’y voir. Je partais. Avec les fées…

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J’aimais ces embrasements des siècles, noces du légendaire et du dogmatique, ces rondes mêlées de saints chrétiens et d’ombres saturnales. Les hommes du siècle 21, le mien, étaient passionnés par la discorde. Ils faisaient des choix. Ils réduisaient les chatoiements. L’amour de la dialectique avait créé chez mes semblables une pensée de hachoir et des réflexes de charcutier : on tranchait. Soit l’un, soit l’autre. Moi je voulais les deux puisque j’aimais les fées.

Sur les balcons de l’Ouest, les siècles avaient su se fondre l’un dans l’autre. La source païenne avait irrigué l’esprit moderne. Les générations avaient déposé chacune son propre bouquet au pied de la suivante. Et puis soudain, l’époque contemporaine avait rompu la passation. Un siècle de machines avait produit des hommes nouveaux à la pensée très fière. Ils préféraient choisir ce qui leur convenait. Ils faisaient leurs courses dans les rayonnages du Temps. Ils traitaient l’Histoire comme des manutentionnaires de magasin. Le reste, ils le jetaient dans la fosse aux oublis. Pis, ils le condamnaient et revendiquaient le « droit d’inventaire ». À ces réflexes de déboulonneurs, je préférais les rêveries où le Christ et Morgane s’emportaient dans la même gigue…

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... On traversait des tranchées ouvertes dans des murailles de fougères. On franchissait un vallon percé de soleil. Cascadait un ruisseau entre les asphodèles. Des fleurs s’abreuvaient aux margelles. Des sous-bois vert tendre faisaient des berceaux de fées dans les renfoncements du relief. Des tapis de jonquilles doraient le socle des rochers. L’herbe avait des airs de moquette très Agatha Christie. Il ne faut pas en vouloir aux vieilles dames anglaises. Ici, même la nature fait de la décoration intérieure…

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… Le vent devait avoir un projet. Il ne se calma pas. Les promontoires étaient des étraves abandonnées ou bien des pattes de griffons plantées dans l’eau. Tout s’enivrait : les mouettes, les fous, les vagues, les embruns. Seule la terre tenait bon. Le vent est la joie de vivre de la mer… »

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Incroyable Sylvain Tesson qui nous convie à un voyage intense entre Galice et Iles Shetland, à voile, à pied ou à bicyclette, dans les brumes, sous la pluie. L’eau est omniprésente, les fées surgissent sans crier gare et disparaissent laissant leur effluve dans l’âme du poète.

Dans « Avec les fées », sorte de journal de bord, il dissèque – souvent avec humour et dérision – tout ce qui s’offre à son regard dans une langue incroyablement poétique, quel bonhomme ! Une énergie sans faille, une étonnante curiosité de la Terre, de ses histoires, de ses géographies physiques et mentales…

Il nous offre ici des moments de grâce que seule la nature sait offrir à l’Homme éveillé, à l’Homme qui refuse cette société uniquement matérialiste, à l’Homme qui cultive l’art de la nuance pour élargir ses horizons…

Dans ses questionnements, ses méditations, l’Histoire et la littérature font sans cesse irruption, nous « apprenons » ou parfois nous nous souvenons. Le rythme est vif, les mouvements  se succèdent, la vie ne serait-elle être qu’aventures, morts et renaissances ?

La quête de l’auteur semble éternelle. Que cherche-t-il et le sait-il ? Il incite chacun à rechercher son Graal…

Vous l’aurez compris, j’ai été conquise par cette lecture,

tout a un prix mais il est si bon de rêver en pays de poésie.

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Extraits de : « Avec les Fées »  2024  Sylvain Tesson.

Illustrations : 1/ « Coucher de soleil sur la mer bretonne »   Ferdinand de Puigaudeau  1864-1930

2/ « Dimanche »  Henri Le Sidaner 1862-1939  3/ « Col de Glencoe – Écosse »  Thomas Moran 1837-1926.

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Rechercher son Graal…

BVJ – Plumes d’Anges.

Étonnant destin…

29 septembre 2024

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« … Un plat du jour et un dessert, un seul service le midi. Le café reste ouvert aux joueurs de cartes et aux verres de l’amitié comme à ceux plus solitaires qui cherchent compagnie.

En peu de temps, le bruit court dans les ruelles et voyage vers les villages voisins :

« Vous avez gouté la matelote de l’Andrée ? Et le ragoût d’agneau ? Peuchère, ses poires au vin, j’y suis retournée deux jours de suite ! »

Andrée a déjà beaucoup cuisiné. Elle a, au fil du temps, compilé les recettes dans plusieurs carnets. Chacune a le goût d’une maison, d’une famille, d’un moment de la vie d’Andrée. Derrière chaque page, un sourire, une larme, un souvenir. Parfois, entre deux feuillets quadrillés, un brin de santoline séchée, un trèfle, une fleur aux teintes passées. Lui reviennent alors, en désordre, les visages, les cours, les odeurs, les feux qui crépitent et le froid qui saisit dans un lit étranger, lorsque, à dix ans, quelqu’un a décidé qu’il serait désormais le vôtre.

Les mots écrits de sa main, maladroite, puis de plus en plus appliquée. Les plats, les desserts comme autant de cailloux sur sa route.

Aux anciennes recettes s’ajoutent celles qu’elle découvre dans le livre offert en cadeau de mariage par Mme Montlahuc : Le livre de cuisine de Mme E. Saint-Ange.

Lourd comme une brique, plus de mille pages, fines, à l’écriture serrée, de planches illustrées, de conseils et de propositions de menus pour chaque saison.

Une bible que j’ai plus consultée que celle conseillée par M. le Curé ! Tu peux me croire mon Ninou !

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… Jacquie porte autour du cou le cadeau personnel de Mme de Gaulle, un carré Hermès aux tons jaunes et dorés portant différents motifs équestres, harnais, sellettes, ornements d’apparat. Les conseillers de l’Élysée avaient parfaitement étudié les centres d’intérêt de la première dame passionnée d’équitation et excellente cavalière.

Il fut ce soir là, autour de la table, question de cuisine et de vins français. Les frères et sœurs, en partie réunis, avaient tous une anecdote, un souvenir à ce sujet, mais lorsque Jacquie sortit de son sac le menu du dîner de gala à Versailles, le silence se fit pour l’écouter.

« Just a minut, Jacquie, dit alors Ted, please wait… »

Andrée essuie ses mains et se laisse entrainer par son patron vers la salle à manger où les convives la regardent approcher timidement.

« Go ahead, Jacquie. »

Les commentateurs ont souvent souligné la diction aristocratique de l’épouse de Jack, une manière de parler lentement sur un ton doux et mesuré d’une distinction et d’une correction parfaites. La façon idéale pour décliner un menu empreint de poésie française.

Velouté Sultane

Timbales de soles Joinville

Cœur de filet de Charolais renaissance

Chaud-froid de volaille

Salade de romaine à l’estragon

Ronde des fromages

Parfait Viviane

Andrée, bouche bée, se reprend vite pour faire face aux questions des uns et des autres. Jack reconnaît que tout était délicieux, ses soeurs veulent savoir : Sultane, Joinville, Renaissance, pourquoi diable ces français s’obstinent-ils à donner des noms à leurs plats incompréhensibles aux non-initiés.

Alors Andrée explique : « à la sultane » s’applique aux préparations qui contiennent de la pistache. Mariée à du beurre, elle termine parfaitement un velouté de volaille… »

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Cette histoire débute en 1999 dans un cimetière du Vaucluse, là vient d’être inhumée Andrée Imbert.

Enfant abandonnée à la naissance, l’Assistance publique la confie – sous le matricule 18603 –  à une première famille d’accueil,  puis à une seconde à l’age de 10 ans. Comme le prévoit la loi, elle est placée en tant que bonne dès 13 ans. Plus tard elle épouse Léopold Imbert, veuf père d’un petit garçon, il tient un café de village, ils auront ensemble une fille, Madeleine.

Passionnée de cuisine, Andrée note depuis toujours des recettes sur de précieux carnets, ils la suivront partout. Son mari accepte qu’elle dispose quelques tables dans son établissement, elle y servira du lundi au samedi, à midi, un plat du jour avec dessert. Très vite ses talents culinaires attirent… Mais Andrée voit grand et voit loin, elle a soif d’apprendre, d’explorer d’autres lieux, elle part travailler dans de « grandes » maisons, à Lyon chez les Berliet… sur la côte d’Azur chez les Lumière, chez Albert Camus venu se reposer sur les hauteurs de Grasse, chez les Gallimard, chez Fred et Helen Rogers qui lui proposent de venir à New York… et enfin dans la famille Kennedy.

Incroyable destinée de cette femme qui est restée en relation avec les membres de ses familles, elle a toujours écrit et envoyé de l’argent à sa fille et prenant sa retraite, elle a rejoint les siens dans la Drôme.

Ce récit est très vivant, la vie d’Andrée est racontée par petites touches, l’auteure a un grand sens de la narration, elle s’est bien documentée sur le plan historique, les détails affluent avec légèreté et l’on se passionne au fil des pages pour cette personnalité singulière, la vie ne l’a pas épargnée mais elle en a fait une force, avec un goût du travail bien fait et de la tendresse à partager…

Ce fut un agréable moment de lecture, je vous le garantis.

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Extraits de : « La cuisinière des Kennedy »  2024  Valérie Paturaud.

Illustrations : 1/ « Mettre la table »  August Eiebakke  1867-1938

  2/ « L’employée de maison »  William Mac Gregor Paxton  1869-1941.

3/ « Table fleurie »  Jane Nérée-Gautier  1877-1948

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Avoir le goût du travail bien fait…

BVJ – Plumes d’Anges.

Recherche de félicité…

22 septembre 2024

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« … Fausto raccrocha peu après. Sur le balcon où il se trouvait, la voix de Silvia lui manqua immédiatement. Il observa la forêt et remarqua que les branches les plus exposées des mélèzes commençaient à jaunir. C’étaient les arbres de Fontana Fredda, arbres du soleil, du vent, des versants au sud, mais ils n’aimaient pas le gel, et lorsqu’ils le sentaient arriver, ils entraient en léthargie. Les sapins, impassibles, gardaient leurs aiguilles et ne gaspillaient pas leurs forces dans la mue saisonnière : deux arbres si proches, et deux stratégies si différentes pour affronter l’hiver. Les premiers à faner étaient les mélèzes blessés, qui par la foudre, qui par une chute de pierres, qui par une excavation ayant coupé une racine, mais en l’espace de quelques jours, la forêt entière virerait au jaune et au rouge, se retranchant dans un long sommeil pendant que le vert foncé des sapins monterait la garde.

Fausto avait lu quelque part que les arbres, contrairement aux animaux, ne pouvaient chercher la félicité autre part. Un arbre vivait là où sa graine était tombée, et pour être heureux, il devait faire avec. Ses problèmes, il les résolvait sur place, s’il en était capable, et s’il ne l’était pas il mourait. La félicité des ruminants, en revanche, suivait l’herbe, à Fontana Fredda c’était une vérité manifeste : mars au bas de la vallée, mai dans les pâturages des mille mètres, août dans les alpages aux alentours des deux mille, puis de nouveau en bas pour la félicité en demi-teinte de l’automne, la seconde modeste floraison. Le loup obéissait à un instinct moins compréhensible. Santorso lui avait raconté qu’on ne comprenait pas très bien pourquoi il se déplaçait, l’origine de son intranquillité. Il arrivait dans une vallée, y trouvait peut-être du gibier à foison, pourtant quelque chose l’empêchait de devenir sédentaire, et tôt ou tard il laissait tous ces cadeaux du ciel et s’en allait chercher la félicité ailleurs. Toujours par de nouvelles forêts, toujours derrière la prochaine crête, après l’odeur d’une femelle ou le hurlement d’une horde ou rien d’aussi évident, emportant dans sa course le chant d’un monde plus jeune, comme l’écrivait Jack London… »

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Une histoire, celle de Fausto Dalmasso, écrivain qui a grand mal à écrire,

il est en manque d’inspiration.

Il part vers le Mont-Rose et se fait engager comme cuisinier

dans un restaurant nommé Le Festin de Babette

– nom donné par sa propriétaire Babette en hommage à la nouvelle de Karen Blixen.

Il se lie avec Sylvia, une serveuse à la recherche d’une autre vie,

il tisse lentement des amitiés avec Babette, avec Santorso…

L’hiver se passe, la saison touristique se termine, Fausto part à Milan.

Séparé de sa femme Veronica, il doit s’occuper de vendre leur ancienne maison.

Ce livre nous décrit des scènes de vie dans un village Alpin

– histoires d’amour, désillusions, parfums et couleurs des forêts,

force d’une nature généreuse mais qui ne fait pas de cadeaux.

Les villageois parlent peu, ils laissent planer certains mystères

et l’on voit que les caractères les plus rudes sont souvent les plus tendres…

Ici  des solitudes se rencontrent et petit à petit se partagent.

Fausto prend conscience qu’il faut laisser le monde dérouler ses chemins,

il ne faut rien exiger, rien brusquer,

il faut juste accueillir ce qui vient, ce qui surprend, les joies et les peines,

l’humanité est la félicité.

J’ai passé un très bon moment dans ces montagnes,

elles attirent, aimantent et terrifient parfois,

Paolo Cognetti  partage talentueusement son amour pour elles

et nous entraine là dans une jolie réflexion,

 

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Extrait de « La félicité du loup »  2021  Paolo Cognetti.

Illustrations : 1/ « Massif du Mont Rose – Plateau glaciaire »  Edward Theodor Compton  1849-1921  2/ « Bouleaux et glycines »  Teodoro Wolf Ferrari  1878-1945.

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Apprécier les choses simples…

BVJ – Plumes d’Anges.

Vrais poèmes…

15 septembre 2024

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« … Dans les vrais poèmes on ne trouve aucune unité que celle du fond de l’âme.

Il peut y avoir des instants où des abécédaires et des précis nous apparaissent poétiques.

La poésie = le fond de l’âme révélé… »

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Bernard Noël  1930 – 2021 dans « Extraits du corps« .

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Merveilleux pays de Bretagne où douceur et puissance se côtoient à chaque instant.

Il faut se perdre dans les brumes, arpenter la lande,

poser la main sur ces roches polis par les millénaires,

humer profondément l’air marin chargé des senteurs de l’océan,

apparaissent alors la Fée Viviane ou l’enchanteur Merlin…

À chaque marée se fait et se défait un paysage,

une création éternellement renouvelée,

une VIE de folle poésie…

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Photos BVJ – Bretagne septembre 2024.

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Être le grain de sable, être l’océan…

BVJ – Plumes d’Anges.

Apaisement…

1 septembre 2024

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« Le papillon bat des ailes

Comme s’il désespérait

De ce monde »

Kobayashi Issa

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Ce matin, j’ai expérimenté l’agressivité du monde due à une peur,

le ressenti face à cette situation s’est avéré fort désagréable.

Un peu plus tard,

j’ai expérimenté la courtoisie, la bienveillance, la gratitude, l’amitié, l’amour…

ces moments vécus m’ont nourrie d’un belle force, 

ils m’ont émerveillée et transportée dans un monde paisible et lumineux.

À chacune, à chacun de choisir son chemin…

Lequel avez-vous envie d’explorer cette semaine ?

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« Rien qui m’appartienne

Sinon la paix du cœur

Et la fraîcheur de l’air »

Kobayashi Issa

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Illustrations : 1/ « Paysage »  Edward Mitchell Bannister  1828-1901  2/ « Lettrine P »  extraite du manuscrit  « De situ orbis geographia » de Strabon.

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S’apaiser et apaiser…

BVJ – Plumes d’Anges.

Éternel labeur…

25 août 2024

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Le chemin est long, parfois difficile, parfois déroutant,

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il nous faut chaque jour briser nos angles,

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polir nos aspérités,

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devenir brillants et fluides,

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nous fondre dans le grand tout…

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Un jour, lointain peut-être,

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nous toucherons la perfection,

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l’eau nous en donne l’exemple…

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Elle s’étire, se crée et se recrée, fait disparaître et réapparaître la vie,

nous étonne sans cesse.

Elle n’a pas peur, elle avance inexorablement depuis  la nuit des temps,

perd un jour et gagne le lendemain, ne fait aucun calcul,

elle EST tout simplement, se transforme,

change d’état et sculpte la nature.

Ah, si nous pouvions garder confiance, le ciel veille…

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« Être la terre – mais luire aussi comme une étoile. » 

Lucien Blaga

Photos BVJ – Alpes suisses Août 2024.

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Garder confiance en soi…

BVJ – Plumes d’Anges.

Terre et ciel…

18 août 2024

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« … Paris déserté, les bancs alignés entre les tilleuls et les marronniers rouges, les rayons du soleil déclinant derrière les statues, les marches de l’escalier où nous ne cessons de nous arrêter pour nous embrasser : l’avenir nous appartient.

Quelques jours plus tard je recevrai ce message de Pierre : « Je n’aurais pas voulu mettre de tristesse dans ta vie mais je voudrais qu’on arrête. »

Et cette phrase qui me pulvérise : »Je ne peux pas faire l’amour sans amour. »

Il n’y aura jamais d’autre explication…

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… J’ai parlé de Célian avec le père de Rosalie. (…) Il m’a dit ce qu’il sait par expérience. Qu’un surdoué ce n’est pas quelqu’un de plus intelligent mais quelqu’un qui ne peut pas ne pas voir la fausseté du monde sans que ça lui soit insupportable. Qui réinterroge sans cesse le récit collectif, inepte, factice. Il faut juste aider Célian à rendre acceptable cette quête de sens, pour qu’elle ne devienne pas obsessionnelle. Lui apprendre à se laisser traverser par des émotions sans s’en aliéner, et en faire une liberté…

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… Juste avant notre voyage, le père de Rosalie m’a conseillé l’ouvrage d’un collègue. Un passage de ce livre m’a interpelée : « Les surdoués sont partout dans la littérature, et de manière récurrente chez des auteurs comme Tchekhov ou Shakespeare : avec leur rapport au monde passionné, douloureux, ce peuple d’écorchés, épris de justice, hante les œuvres, de Cyrano à Hamlet.« 

Je me dis que Tycho Brahe était sans doute lui aussi un enfant déconcertant. J’ai retrouvé dans un de mes carnets quelques mots de Rilke à Marina Tsvetaïeva : « As-tu déjà entendu l’histoire de Tycho Brahe ? À une époque où on ne lui avait pas encore permis d’étudier l’astronomie, il connaissait déjà si bien, comme par cœur, le Ciel, qu’un simple regard là-haut lui fit cadeau d’une nouvelle étoile. Sa première découverte dans la nature étoilée… » et ces mots « il connaissait si bien, comme par cœur » résonnent singulièrement dans mon esprit aiguisé par les préoccupations autour de Célian…

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… Peu d’adultes connaissent encore au contact de la nature ces émerveillements de l’enfance : les poètes, les peintres, les botanistes et les photographes animaliers du panthéon singulier de Célian… Je me mets à plat ventre dans les céréales pour apprendre de mon grand garçon les secrets de l’organisation du vivant et retrouver grâce à lui cette connexion essentielle avec le monde que je n’aurais jamais dû perdre. Je me mets à plat ventre pour attendre la rencontre avec l’oiseau… ».

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Mary est la maman de Célian. Ce petit garçon est rêveur : fin observateur de la nature, il a du mal à se concentrer et exaspère son institutrice qui le traite de fainéant ! Mary est abandonnée par Pierre, une blessure d’enfance se rouvre, elle se sent comme pulvérisée par toutes ces injustices…

Elle entreprend un voyage vers l’ile de Ven ( anciennement Venusia) aujourd’hui suédoise. Un astronome, Tycho Brahe, né en 1546 y fit construire un palais observatoire de grande renommée et rédigea le premier catalogue des étoiles du XVIème, son assistant Kepler le fit éditer à sa mort. Mais plus rien n’existe sur cette ile, seulement des traces, des histoires, une nature complètement préservée et des gens merveilleux qui vont les accompagner sur un chemin de guérison.

C’est un roman paisible, une tranche de vie racontée par petites touches délicates. Les grandes villes ne peuvent convenir aux êtres hypersensibles, il leur faut l’amour, la terre, sa beauté, ses parfums, ses secrets, le ciel qui s’allume chaque nuit pour offrir sa féérie toujours renouvelée, l’espace et la liberté.

J’ai beaucoup aimé ce premier roman, la belle relation entre cette mère et son enfant, j’ai découvert cet astronome (j’ai hâte d’explorer plus en profondeur sa vie), ses travaux, ses liens avec Hamlet de Shakespeare, c’est une lecture qui apporte beaucoup, je vous la conseille…

Une lecture conseillée par ANNE il y a un an il me semble, merci Anne…

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Extraits de : « L’enfant céleste »  2020  Maud Simonnot.

Illustrations : 1/ « Uraniborg – Château et observatoire » Tycho Brahe  1546-1601  2/ « Champ de céréales »  Jan Stanislawski  1860-1907.

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Emprunter un chemin de guérison…

BVJ – Plumes d’Anges.

Feu du cœur…

10 août 2024

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« Si vous faites ricocher habilement une pierre plate sur la surface de l’eau, elle rebondira de nombreuses fois, à intervalles plus ou moins grands.

En gardant cette image en tête, remplacez maintenant l’idée de l’eau par celle du temps.

Commencez par vous poster, pierre en main, sur le rivage de Venise, face à Murano, l’île du verre, située de l’autre côté de la lagune, à une demi-heure en gondole. Ne lancez pas tout de suite votre pierre. Nous sommes en 1486, à l’apogée de la Renaissance, et Venise règne en maître sur le commerce, aussi bien en Europe que dans la majeure partie du monde. La Cité des Eaux semble vouée à rester riche et puissante à jamais.

Orsola a neuf ans. Elle vit à Murano, mais n’a pas encore travaillé le verre…

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… « Les coupes ne sont pas assorties », annonça Marie Barovier alors qu’elles se tenaient près du puits. (…)

« Pourquoi pas une plus grande variété de verres ? Pas juste des coupes, mais des verres plus ordinaires ? De jolis goti que les garzoni pourront fabriquer. Des assiettes. Des plats. Des choses simples, pas trop recherchées. Il se peut que Marco soit doué pour une de ces choses-là. Ou bien que Giacomo le soit mais n’ait pas eu l’occasion de montrer ce qu’il sait faire. Ils doivent prendre le temps de déterminer leurs points forts, plutôt que de tenter d’imiter votre père. Chaque verrier est différent, tout comme chaque chanteur a sa voix et chaque cuisinière sa pasta. Paolo, le servente de votre père, fait de l’excellent travail. Il leur apprendra, même s’il n’est pas un Rosso et ne prendra jamais la tête de l’atelier. Mais ils doivent se dépêcher de résoudre le problème. La bonne volonté de Klingenberg a des limites, et il ne tardera pas à passer commande chez d’autres. »

C’était un conseil judicieux, mais que n’importe qui aurait pu leur donner. Sa mère et même Marco auraient fini par en arriver à cette conclusion.

« Autre chose : les perles.

– Les perles ? » Les Rosso n’avaient jamais fabriqué de perles. Elles étaient bon marché, pas assez tape-à-l’œil et peu rentables ; c’étaient des objets que produisaient les verriers parmi d’autres objets plus prestigieux. Seule la rosetta des Barovier avait acquis une certaine valeur.

« Des perles que tu pourrais faire, toi.

– Moi ? » Orsola n’avait jamais manié le verre fondu… »

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Merveilleuse histoire qui porte et transporte au fil de ses 437 pages. Peu de choses ont bougé sur la lagune, le temps y est comme suspendu mais le monde autour n’est plus le même. Tout commence en 1494 sur l’ile de Murano. Maestro Rosso, maître verrier, fabrique des verres et des coupes, qu’il vend à Venise à un grand marchand, Klingenberg à l’entrepôt dei Tedeschi. Sa mort soudaine oblige sa famille à s’organiser pour que l’atelier ne disparaisse pas.

Orsola, l’héroïne de l’histoire grandit, elle rêve de souffler le verre mais ce métier est interdit aux femmes. Elle apprend l’art des perles, affine son art, elle tombe amoureuse d’Antonio mais…

L’auteure envoie sa pierre plate, elle ricoche, nous sommes en 1574 avec une terrible épidémie de peste sur la lagune… elle ricoche encore,  une autre épidémie de peste en 1631… puis il y a Casanova, Napoléon, des batailles, des morts, des naissances, des joies et des douleurs, le courage des femmes dans ce milieu d’hommes – quel courage !!! -, celui d’Orsola qui vieillit tout doucement, le fil d’or de l’amour qui entretient le feu de son cœur…

Tracy Chevalier nous tient en haleine jusqu’à la dernière page, mêlant des faits historiques précis à toute cette vie romanesque peuplée de nombreux personnages aux descriptions colorées. J’ai adoré ce livre, je l’ai dévoré et j’espère qu’il en sera de même pour vous.

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Extraits de : « La fileuse de verre »  2024  Tracy Chevalier.

Illustrations : 1/ « Bateaux sur la lagune »  2/ « Vue de Venise le soir »  Whilhelm von Gegerfelt   1844-1920.

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Ne pas se laisser abattre par l’adversité…

BVJ – Plumes d’Anges.