Cérémonie…

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« … Madame Yamamoto. Je n’ai jamais su son prénom et n’ai jamais eu seulement l’idée de le lui demander.

À l’entrée, les deux caractères de son nom sont écrits au pinceau sur une jolie planche. En plus petit, il est fait mention de son école de thé : Urasenke.

Je fais coulisser la porte qui s’ouvre au milieu d’un muret, entre dans le jardin de mousse et buissons et m’arrête devant le camélia. Il m’attendait. Je le soupçonnais samedi dernier de n’avoir pas encore livré toute sa beauté, toute de rouge et de vert profonds. Cette fois, il est magnifique. Il est au maximum.

Sa vue me transporte. Voilà de quoi se mettre dans un bon état d’esprit. Pour profiter du thé, il ne faut pas être morose. On peut cependant être triste : la beauté apaise la tristesse. La beauté simple du thé vide le cœur pour s’y installer et y prendre toute la place…

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LE THÉ N’EST PAS VRAIMENT une cérémonie. Il n’en a pas la pompeuse solennité. Ce n’est pas la messe ou le rituel d’une quelconque religion.

Le mot connaît un destin semblable au mot « bureau », qui désigne selon les cas la pièce ou le meuble, au mot « café », à la fois bistrot et breuvage ; pareillement, le thé matcha est une décoction et c’est aussi le moment et le lieu où on la prépare et où on la boit.

On parle de « Voie du thé », Sado, d’ « eau chaude pour le thé », cha no yu, ou d’une « partie de thé », chaji, si l’on y propose aussi un repas léger.

« Cérémonie » est un mot trop rigide pour désigner un exercice aussi multiforme, fait de gestes simples et précis qui n’ont d’autre finalité qu’eux-mêmes, pensés et codifiés pour être strictement efficaces, nécessaires et suffisants et qu’on doit idéalement réaliser sans y penser et d’un cœur léger.

Si l’exécution est parfaitement menée, les mains et le corps semblent échapper à la gravité, fonctionner seuls. Le temps devient alors disponible, recouvré. On l’a tout à soi, on le maîtrise, et quand le bol de thé est enfin prêt, on a l’impression qu’il est arrivé là tout seul. Il est le résultat d’un acte parfait. C’est comme dans le tir à l’arc, la calligraphie ou la peinture à l’encre ; si un geste est mal fait, on ne peut pas le recommencer…

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« Ichigo ichie », me dit-elle. Cette « première bouilloire » a été pour elle « l’heureux moment d’une rencontre ». C’est à la faveur du thé qu’elle m’a rencontré et qu’elle se trouve là, maintenant, chez moi.

C’est une déclaration d’amour qui ne dit pas son nom.

Elle me regarde avec un beau visage épuré, sans expression ni froideur, aussi impassible qu’un masque, ce qui donne à sa déclaration une force inconnue. L’amour et les sentiments personnels ne se manifestent pas de la même façon, ici. Plus ils sont intenses, moins ils sont exprimables… »

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Un petit livre d’une centaine de pages à la jolie couverture crème et sépia, l’objet est une invite au raffinement.

L’auteur y raconte les souvenirs d’une époque où, résidant et travaillant à Kyoto, il s’initiait à la Voie du thé chaque samedi matin. Il est un jour très ému par une rencontre, celle d’Itchie Shimitzu, une jeune femme aux traits fins et délicats, vêtue d’un magnifique kimono.

L’auteur nous décrit les lieux et les situations par petites touches, les personnages se livrent mais restent délicieusement énigmatiques, la quête de la beauté est présente dans une succession de « tableaux » où les petits pas, les étoffes raffinées, les gestes parfaits sont d’une merveilleuse fluidité face à d’autres réalités du quotidien.

Cette nouvelle nous emmène dans une parenthèse de la vie, le temps y est comme suspendu, l’esprit et le cœur naviguent dans les doux méandres d’une mémoire entre « Juste un mot » et « Un dernier mot ».

Un agréable moment de lecture, accompagné d’un délicieux Thé blanc au citron Yuzu (Thés de la Pagode) que je vous recommande aussi…

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Extraits de : « De thé et d’amour »  2021  Hubert Delahaye.

Illustrations : 1/« Nature morte »  Leon Wyczolkowski  1852-1936  2/« Dans le jardin »  Matilda Browne  1869-1947.

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Emprunter les voies paisibles…

BVJ – Plumes d’Anges.

18 commentaires sur “Cérémonie…”

  1. thé ache dit :

    la cérémonie du thé, je ne la connais que par les écrits, j’imagine le moment propice à des échanges légers, fins élégants, je crains que ces cérémonies ne survivent pas à la modernité qui ne compte que les gains matériels…

  2. Dominique dit :

    Quelle finesse, tout est là pour nous donner envie de s’initier à cette pratique, en attendant je vais me faire un thé au citron Yuzu ( j’ai ai mais il est noir chez moi )

  3. Aifelle dit :

    Voilà un petit livre très tentant, je me verrais parfaitement à une cérémonie du thé, encore plus si elle n’est pas solennelle. Très belles illustrations, merci pour ce moment de sérénité et de beauté, parfait pour commencer la semaine.

  4. Fiorenza dit :

    « Pour profiter du thé, il ne faut pas être morose » :
    Certes, chère Brigitte, mais il ne faut pas non plus être impatiente
    et là…je me sens concernée !

    J’ai eu l’opportunité de participer à cette cérémonie : un voisin, très féru
    de culture japonaise et ayant vécu là-bas en famille pendant plusieurs années,
    nous y ayant conviés…et j’ai reculé pour ne pas lui laisser paraître
    l’ennui que je pressentais ! Nobody is perfect…

    Il n’en demeure pas moins que ton invite à rechercher « les voies paisibles »
    me va droit au cœur et nous avons encore la chance de pouvoir les emprunter
    dans tant de directions que je te remercie d’avoir suggéré ici la beauté…
    des jardins japonais 🌺

  5. Tania dit :

    « De thé et d’amour », voilà un titre tentant. Je n’ai jamais assisté à une cérémonie du thé, j’ai lu quelques livres sur le sujet. Mon peu de goût pour le thé vert – je bois le plus souvent du thé noir – m’a peut-être retenue. Mais j’aime que ce rituel et ces gestes se perpétuent. Et bientôt ce sera l’heure de mettre l’eau de la carafe à bouillir à la bonne température, d’ébouillanter la théière et de puiser dans la petite boîte métallique la bonne dose d’un thé noir aux agrumes, le « goût russe Douchka » ( https://www.dammann.fr/fr/the-noir-gout-russe-douchka.html ).

  6. Colo dit :

    Oh que j’aime ces derniers mots, si justes: « L’amour et les sentiments personnels ne se manifestent pas de la même façon, ici. Plus ils sont intenses, moins ils sont exprimables…  »
    N’étant pas buveuse de thé, j’apprécie le délicatesse de la préparation, ces gestes si beaux. J’aurais quand même de me tromper car  » si un geste est mal fait, on ne peut pas le recommencer… », oh là, là :-))

    Merci pour les superbes tableaux, « Dans le jardin » me touche et m’envoie toute sa lumière.
    Bonne semaine Brigitte.

  7. Anne dit :

    Je suis une grosse buveuse de Tarry Souchong (thé fumé) mais j’aime le parfum du yuzu, ce texte et la belle 2° peinture ; c’et un art délicat tout autant que celui du thé que la dégustation de tes articles.

  8. Michèle Loss dit :

    Certains moments de l’existence nous font ressentir la faveur de l’exceptionnel …
    Certaines rencontres ont une saveur spéciale…
    J’aime quand l’imprévisible m’offre, au « hasard » des rencontres ses merveilleux inattendus, comme la rencontre visuelle de cette délicate dame dans son jardin…
    En poudreuses pensées, douce journée Brigitte,
    A bientôt,
    Michèle

  9. Adrienne dit :

    ça me fait rire que le nom Yamamoto existe vraiment, jusqu’ici je ne l’avais rencontré qu’en BD avec Yamamoto Kadératé 🙂
    (désolée pour ce commentaire tout à fait hors de propos)

  10. Marie Minoza dit :

    Prendre le temps de savourer la rencontre dans les rituels parfumés de thé

  11. Une invitation au thé ? Comment résister ? Aux belles représentations, à l’invitation livresque ,et au thé de la pagode ? Je vais tester le thé blanc au yuzu dès que possible… Merci pour tout…

  12. Célestine dit :

    Une boisson intemporelle et éternelle.
    Et tout ici n’est qu’ordre et beauté…
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  13. daniel dit :

    Un autre monde , une autre culture où la sérénité n’est pas loin

  14. Michèle Loss dit :

    Juste pour la plaisir…
    Joyeuses pensées pour un excellent week-end:-))
    Michèle

  15. Ulysse dit :

    Chaque chose dans la vie devrait être l’objet d’une cérémonie c’est un tel miracle ! Beau week end Brigitte

  16. Ces gestes lents et précis me font penser à cette merveilleuse série vue il y a quelques jours, « Makanai, dans la cuisine des Maiko ».
    Véritable bonbon japonais, extrêmement lent et doux, il se déguste avec délices et on regrette d’être déjà au dernier épisode !
    Merci chère Brigitte pour le choix des tableaux !

  17. Florinette dit :

    Je ressens beaucoup de douceur en lisant ton article, cela donne envie de se plonger dans ce petit livre en dégustant une savoureuse tasse de thé. Merci Plumes d’Anges pour ce doux moment et bon dimanche, je t’embrasse.

  18. Béa Kimcat dit :

    Superbement illustré…
    Je prendrais bien une tasse de thé…

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