Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Liberté et lumière…

jeudi 3 août 2023

.

.

« LA FLORAISON DE LA PENSÉE.

La conscience claire est un état d’esprit qui peut tout embrasser – le vol des corbeaux à travers le ciel, les fleurs sur les arbres, les gens assis là aux premiers rangs et les couleurs qu’ils portent – , il nous faut avoir cette amplitude de conscience qui exige que l’on examine, que l’on observe, que l’on remarque la forme de la feuille, la forme du tronc, la forme qu’a la tête du voisin, ce qu’il est en train de faire. Avoir cette amplitude de conscience, et agir sur ces bases – c’est cela, avoir conscience de la totalité de son être. Ne disposer que d’une capacité partielle, d’un fragment de capacité ou d’une capacité morcelée, cultiver celle-ci et fonder notre expérience sur la base de cette capacité qui est limitée – cela donne un esprit de qualité médiocre, limitée, étroite. Mais avoir conscience de la totalité de notre être – compris grâce à la perception de chaque pensée, de chaque sentiment, sans qu’on oppose de limites à cette perception, mais en laissant fleurir toutes les pensées, tous les sentiments -, être par conséquent pleinement conscient, voilà qui est tout autre chose qu’une action ou une concentration qui ne sont qu’une simple capacité, et qui sont de ce fait limitées.

Laisser fleurir une pensée ou un sentiment demande de l’attention – pas de la concentration. J’entends par laisser fleurir une pensée le fait de lui permettre de se déployer en toute liberté, et observer le résultat, voir ce qui se passe dans votre pensée, dans vos sentiments. Tout ce qui fleurit a besoin de liberté, de lumière, et ne peut être assujetti à aucune restriction. On ne peut pas l’évaluer, on ne peut pas dire : » C’est bien, c’est mal ; ceci est acceptable, cela ne l’est pas » – car c’est ainsi qu’on limite cette floraison de la pensée. Or la floraison ne peut avoir lieu qu’à la lumière de cette conscience-là. Donc, si vous allez au fond des choses, vous découvrirez que la floraison de toute pensée en est aussi la fin ultime. »

.

Un livre-journal, il explore la vie et les différents thèmes qui en font la richesse

à travers 365 textes qui peuvent être appréciés comme autant de sujets de méditations.

Il se lit et se relit, l’auteur nous invite à nous libérer de nos conditionnements,

à vivre notre existence en développant notre attention, en nous forgeant un esprit libre…  

Une lecture de chevet fort enrichissante qui nous accompagnera jusqu’à notre dernier souffle,

que demander de plus ? Rien, tout est parfait ici et maintenant.

.

Extrait de : « Le livre de la Méditation et de la Vie »  Jiddu Krishnamurti
1895-1986.

Illustrations : 1/ « Pensées et éventail japonais »  2/ « Innocentia »  Maria Wiik  1853-1928.

…..

Faire croitre notre attention…

BVJ – Plumes d’Anges.

Balancements…

dimanche 9 juillet 2023

.

.

 « Je vis, je meurs , je me brûle et me noie,

J’ai chaud extrême en endurant froidure,

La vie m’est et trop molle et trop dure.

J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

 

Tout à coup je ris et je larmoie,

Et en plaisir maint lourd tourment j’endure,

Mon bien s’en va et à jamais il dure,

Tout en un coup je sèche et je verdoie.

 

Ainsi Amour inconstamment me mène,

Et quand je pense avoir plus de douleur,

Sans y penser je me trouve hors de peine.

 

Puis, quand je crois ma joie être certaine,

Et être au haut de mon désiré heur,

Il me remet en mon premier malheur. »

.

Tandis que l’Homme s’agite en tous sens dans un monde devenu totalement binaire,

la nature, elle, ne perd le fil de la création,

elle est tout à son œuvre dans la saison présente.

Naissance, floraison, fanaison, fructification,

recherche de beauté, d’équité, de loyauté…

Certains tentent de tracer ce chemin avec humilité,

partons à leur recherche joyeusement

et ensemble trouvons des sources limpides.

.

Sonnet de Louise Labé – XVIème

Illustrations de Robinet Testard  1471-1531: 1/ « AlphabetHeures de Charles d’Angoulême  2/ « Rose, grand Paon de nuit  et Sceau de Salomon – Livre des Simples de Mattheaus Platearius » XVIème.

….

Tout change, perpétuellement…

BVJ – Plumes d’Anges.

Jardins intérieurs…

samedi 1 juillet 2023

.

.

« Avec merles et pinsons

j’ai beau partager mes graines

à la table de l’hiver

je ne ferai jamais partie de leur monde

 

eux d’un coup d’aile

prennent de la hauteur quand ils veulent

et tout s’amenuise en bas »

 .

.

« Ce coup de vent sur la terrasse

qui m’extirpe d’une sombre méditation

doit annoncer un dieu

 

les feuilles se retournent

les fleurs s’inclinent

qu’on ajoute un fauteuil

il va venir sous peu

s’enquérir de notre humeur »

.

.

« Alors que flambe le fagot

de pensées fines et de sentences

amassées au fil des jours

avec tous mes ah oui accolés

je regarde ce livre d’images

que le vent feuillette à l’envers

devant ma porte ce matin

jusqu’au plus opaque

de l’arbre et du ciel »

.

.

« Aujourd’hui me précède

un poème vigoureux

qui réduit en poussière lumineuse

tourments et ronces

en travers du chemin

 

si des choses doivent se murmurer

du plus profond de la forêt

elles trouveront mes oreilles

avant le soir »

.

.

« Empêchons les jours mauvais

de remonter du puits

maçonnons le couvercle

et devenons légers

sans devenir des anges

ouverts encore selon

les vieilles catégories

aux péchés les meilleurs

aux vertus négligées »

.

.

« J’ai aménagé un jardin de pierres

dans mes soucis

 

je veux l’agrandir chaque jour

d’une poignée de sable fin

la nuit avant de m’endormir

je le ratisse comme autrefois je priais »

.

.

Découvertes éternellement renouvelées, au fil des jours, des lieux et des saisons…

Précieuse découverte d’un « nouvel ami » poète dont les mots cueillent

simplicité et profondeur de la vie.

Tout est là, se déployant à nos pieds, illuminant notre regard.

La poésie, la nature et la beauté sauveront-elles le monde ?

Si chacun de nous entretient cette flamme, tout reste possible, j’ai envie d’y croire…

Poèmes extraits de « ÉLÉGIES ET PIERRES DE FRONDE »  2009 Roland Reutenauer.

Photos BVJ – Alpes françaises et italiennes juin 2023.

…..

Cultiver nos jardins intérieurs…

BVJ – Plumes d’Anges.

Plis et replis de l’âme…

lundi 5 juin 2023

.

.

« … La traversée de l’hiver demande patience. Ce n’est qu’une saison à passer, mais je remarque, et chaque année davantage, combien l’angoisse m’étreint, sitôt disparue l’ardeur des rouges et des ors de nos mois d’automne. Cet aveu m’apaise, car nous abritons en nous quantité de souvenirs et de réflexions ; il ne se trouve personne pour les entendre, et le cœur s’étouffe à les contenir.

Je n’ai pas de goût pour les confidences que s’échangent les femmes entre elles. Trop souvent, on voit le secret de l’une, sitôt franchi ses lèvres, porté à la connaissance des autres. Il devient leur jouet et elles en disposent à leur guise. Ce ne sont que broderies et arabesques, chacune y ajoute ses motifs et ses couleurs, et la réalité de l’affaire disparaît sous les ornements.

Il ne reste plus rien alors de ces instants où l’on a cru se livrer à un cœur compatissant, à une âme bienveillante, et confié sans défiance, dans un tendre rêve de gémellité, les tourments les plus sombres ou les pensées les moins raisonnables. De cela, je ne veux pas…

.

… Musica laetitiae comes medinina dolorum. Dès la première fois où enfant, j’ai posé mes mains sur les touches, cette phrase s’est offerte à mes yeux, et avant de savoir assez de latin pour la comprendre, j’avais demandé à mon père de m’en indiquer le sens. Depuis il n’est pas de jour où cette réflexion ne m’accompagne de son évidence. Dans la joie comme dans la peine, la musique demeure notre compagne. Elle embellit ce qui peut l’être, et console, lorsque cela est possible. Mais des trop grandes peines, elle ne distrait point. La vraie tristesse s’accompagne de silence, mais c’est autre chose…

.

... L’ordre, la mesure et le travail sont des remparts contre les embarras de l’existence. C’est ce qu’on nous apprend dès l’enfance. Vanité de croire tout cela. Chaque jour qui passe me rappelle, si besoin était, que la conduite d’une vie n’est en rien semblable à celle d’un stock d’épices ou de porcelaine.

Ce que nous tentons de bâtir autour de nous ressemble aux digues que les hommes construisent pour empêcher la mer de nous submerger. Ce sont des édifices fragiles dont se jouent les éléments. Elles restent toujours à consolider ou à refaire. Le cœur des hommes est d’une moindre résistance, je le crains…

.

Je sais désormais qu’il nous faut agir selon notre cœur, au plus près de ce qui nous semble juste et ne jamais accepter ce qui nous fait violence. J’ai failli ce jour là, et le prix de ce manquement est une croix de plomb sur mes épaules…

.

… Avec le temps, ce sont nos joies d’enfant que nous convoquons le plus facilement dans nos souvenirs, elles nous accompagnent avec une rare fidélité. Retrouver ce que nous avons éprouvé dans ces moments demeure une source de félicité que nul ne pourra vous ravir. Le cours de nos vies est semé de pierres qui nous font trébucher, et de certitudes qui s’amenuisent. Nous ne possédons que l’amour qui nous a été donné, et jamais repris… »

.

   Tout commence par un tableau d’Emanuel de Witte, c’est ce tableau qui a intrigué l’auteure, elle a imaginé l’histoire de cette femme qui apparait de dos jouant du virginal dans sa chambre à coucher au riche décor, un homme est allongé sur le lit, au fond, une jeune servante balaie. Elle se nomme Magdalena Van Beyeren, décide de « mettre un peu d’ordre dans son cœur pour apaiser son âme », écrit un journal intime entre le 12 novembre et le 16 décembre 1667.

Elle se raconte en tant que fille ainée, ne s’est jamais sentie attirée par les taches domestiques et les travaux de broderie, s’est vite intéressée aux affaires de son père, administrateur de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, marin et armateur. Elle a adoré les déplacements à ses côtés, les départs et les arrivées des bateaux chargés de trésors venus de lointains pays : épices, soieries, porcelaines… ce monde l’enchante et son talent dans les affaires est reconnu. Mais elle est née à une époque où les filles n’ont aucuns droits. Elle épouse Peter qui héritera de la charge d’administrateur puis deviendra mère, de nombreuses fois.

Elle couche sur ces pages les pensées qui la mettent en joie et celles qui la broient chaque jour, empêchant la venue du sommeil. Elle se questionne sur l’avenir, les qualités des uns et des autres. Elle se délivre d’un lourd secret de jeunesse. Elle aime et se sait aimée mais suite à une décision de son mari, une fissure se fait en elle, elle se trouve profondément ébranlée. La musique et son épinette l’ont toujours accompagnée, elle se prend à rêver.

L’écriture de ce court ouvrage est très belle, l’auteure déroule un fil tissé de mots choisis, dignes et bienveillants. C’est un récit très touchant, délicat, une pièce de musique, un petit bijou…

.

Extraits de : « Les heures silencieuses »  2011  Gaëlle Josse.

Illustrations : 1/ »Intérieur avec femme au virginal »  Emanuel de Witte  1617-1692  2/ »La jarre »  Harry Wilson Watrous  1857-1940.

…..

Observer le silence pour entendre réponses à nos questions…

BVJ – Plumes d’Anges.

Surréaliste…

lundi 29 mai 2023

.

« Quand le marchand de sable finit sa tournée, il rejoint la plage originelle, s’allonge dans l’orbite qu’il a creusé, referme sur lui la paupière de l’aube et s’endort jusqu’au soir dans le grand œil de l’inconscient. »

Poème « Quand » extrait de Passerelles d’oiseaux –  2020 –  Jean-Claude Silbermann.

.

Exposition étonnante et détonante  – Hold-up ! – dans le très beau musée La Banque à Hyères.  Jean-Claude Silbermann, né en 1935, vit la moitié de l’année dans sa Maison Rose à Port-Cros. Il s’intéresse tout jeune à la poésie (Appolinaire, Artaud…) et rejoint, sur invitation d’André Breton, le mouvement surréaliste, publie ses poèmes puis se tourne vers le dessin et la peinture. Il explore sans cesse l’imaginaire, le rêve, l’inconscient, laisse monter en lui des images – ses ombres et ses lumières -, ne prévoit rien à l’avance, s’effraie, se réjouit, s’étonne. De là nait un dialogue silencieux où peinture et langage conversent poétiquement.

L’artiste nous offre ici différentes facettes de son art : des encres (un monde aquatique en noir et blanc), des coloriages… et des « enseignes » (peinture à l’huile sur toile marouflée sur contreplaqué découpé). Celles-ci sont spectaculaires, elles planent, elles voltigent, l’effet visuel est surprenant. Les couleurs sont splendides, le trait est délicat, le travail de menuiserie parfait. Notre regard se pose sur mille et un détails, il y revient, il y a encore et toujours à découvrir. Nul ne reste indifférent, la fantaisie est partout.

Chaque œuvre est accompagnée d’une « pancarte », sorte de panneau indicateur qui livre une anecdote, Jean-Claude Silbermann en a écrit les textes, un pur enchantement, l’homme est intelligent et ne se prend pas au sérieux, il joue avec les mots et les images, pour notre plus grand plaisir.

Babil-Babylone est une installation, un « tableau » en trois dimensions, il sort du cadre. Composé de 58 éléments, les images flottent dans l’espace, des fils se tendent, on attend le moment où tout va s’animer, une vie inconsciente est à l’œuvre, un voyage…

Le Hold-Up ! est réussi et Jean-Claude Silbermann se fait Roi des Arts (une autre de ses œuvres, à découvrir).

.

.

ÉDOUARD  1961 ou 1962.

« Ceci est le tout premier tableau émanant de ma décision de peindre (un autre le précède d’un an, mais je l’ai égaré). Celui-ci doit dater de 1961 ou 1962. Flora, notre fille, dans sa robe de chambre bleue devait avoir trois ou quatre ans. Et doux art est dans le sac. »

.

.

LA TRAVERSÉE    1980.

« Dans cet art que je pratique, le sujet, le plus souvent inconnu au préalable, ne se découvrant que dans l’improvisation du dessin, je ne sais trop à quoi attribuer le besoin qui se présente parfois d’un combat en grand avec le vide. C’est un besoin physique. Il est porté, je crois, par ce sentiment « d’enthousiasme excentrique » dont parle Hölderlin, sentiment dont témoigne cet intrépide bébé. »

.

.

TOI, MON INFINITUDE  2004.

« Je passe la moitié de ma vie sur l’île de Port-Cros. Là, je me concentre : j’écris, je prends des notes, je dessine et je réalise parfois quelques petites pièces dans le format imposé aux colis postaux (la somme de leur longueur et de leur largeur ne doit pas excéder 150cm). Un jour l’idée saugrenue m’a pris, comme un besoin impératif de me dégourdir, de peindre une grande pièce. J’ai commandé à terre une planche de 160 x 120cm. J’ai dû me faire aider pour le remonter depuis le môle jusque chez moi. Et ce fut un réel grand plaisir d’avoir enfin le geste large pour la préparer et de pouvoir dessiner debout. Les ennuis ont commencé quand, achevée, il a fallu l’exfiltrer de l’île. Je me suis fait à nouveau livrer des planches de contreplaqué (pas trop minces et donc coûteuses) pour confectionner une grande caisse. Puis, celle-ci descendue au port avec quelque appui bienveillant, je l’ai accompagnée par bateau au Lavandou. La location d’une camionnette fut indispensable pour l’amener à Sollies-Pont (40km), où se trouvait une agence du Sernam (Service national de messagerie) seule compagnie susceptible alors d’assurer son transport jusque chez moi, dans la région parisienne. J’ai dû attendre deux heures que l’on veuille bien s’occuper de ma caisse, tant il y en avait d’autres – et de grand gabarit, tant il y avait de colis, tant de marchandises diverses dont un personnel restreint devait gérer l’envoi. Je me souviens aussi d’avoir été désagréablement surpris par le prix demandé. Tout se paye, paraît-il. »

.

.

.

.

.

.

BABIL-BABYLONE  1990-2017.

Installation composée de 58 éléments.

« Cette grande installation a été élaborée de 1990 à 2017 par ajouts et inclusions successifs. Je l’avais tout le temps derrière la tête comme une sourdine folle. Son sens général me devance et résiste encore aujourd’hui à ma plaine compréhension. Il me semble qu’il porte à peu près, pour toute une part, sur les représentations secrètes du Pouvoir liées à celles (non moins dérobées) du Langage : l’art est nié.

À un moment de son état (vers 1998), j’ai écrit avoir « fondé Babil-Babylone sur le sable des jours qu’il me reste à vivre ». Mais, pour des raisons qui me semblent être aujourd’hui de pure superstition, je ne me suis pas senti de l’achever. Et je ne fus pas mécontent de m’en dessaisir. Il manque à Babil-Babylone son ciel. J’ai pourtant réalisé une maquette sommaire de ce qui aurait dû être un palindrome écrit au dessus des têtes en grandes lettres ornementées. Mais j’étais (et demeure) empêché de le réaliser, dans la crainte que cet achèvement m’emporte avec lui. Je n’ai pourtant pas peur de la mort, présente dans Babil-Babylone. Mais une distance trouble sépare le courage de l’indifférence qui, objectivement, est le seul état dans lequel il convient d’accueillir la mort. Bien que comblé de jours, je ne puis accepter sans tristesse de me passer définitivement des beaux moments du Monde : du visage de mes amours et de la splendeur des nuits d’été. Nous n’avons que la vie. »

.

.

LE OUI DES FEMMES 1988.

« Le Oui des femmes résulte d’une commande passée par un riche collectionneur qui m’avait déjà acheté plusieurs pièces. Un jour il m’a dit : « Silbermann, faites-moi un chef d’œuvre. Avec une femme, si possible.

Mais qu’à cela ne tienne ! » lui ai-je répondu.

J’ai bataillé trois mois avant de l’appeler. Il est venu dans l’atelier, s’est assis dans le grand

fauteuil que j’avais disposé pour lui devant la pépée (c’était un vieux monsieur) :

« Ah oui, très bien la femme, ah oui, la femme, les couleurs, la fausse symétrie.

Oui, vraiment très, très bien la fausse symétrie. »

Et puis soudain troublé : « Mais… mais, il y a un serpent ? Il y a un serpent ! C’est rédhibitoire. Pour moi et ma femme, rédhibitoire ! » Il s’est levé et il est parti. Et je ne l’ai jamais revu. »

.

.

.

VOUS PARTEZ DÉJÀ ?  2009.

.

Si vous voulez en savoir plus sur ce toujours jeune homme, artiste très inventif, je vous invite à suivre une interview –> ICI

Œuvres de Jean-Claude Silbermann.

Exposition HOLD-UP ! – musée La Banque à Hyères dans le Var.

Photos BVJ – mai 2023.

…..

Naviguer sur les côtes de l’imprévu…

BVJ – Plumes d’Anges.

Œil au guet…

lundi 22 mai 2023

.

.

« … Souvent les enfants m’apportent ce qu’ils ont trouvé et qui respire et bouge et les captive, et celui-ci tenait devant lui ses deux mains fermées comme une boîte, soudain ouverte sur un rouge-gorge étourdi de froid ou de faim qu’il avait ramassé dans la neige.

Le lendemain, j’étais descendue au moulin acheter dix kilos de graines de tournesol et j’avais installé une mangeoire dans le rosier derrière la vitre de mon bureau, à hauteur de mon regard, et une autre en dessous, à même le sol. Et les oiseaux étaient arrivés…

.

C’était un été paradoxal, de joie et de profonde mélancolie. L’été précédant, je m’en souvenais bien, le jour même où Le Monde titrait « La sixième extinction de masse est en cours », et annonçait la disparition des espèces, nous avions été visités par un Grand Mars changeant, plus vu depuis des années, entré par la porte-fenêtre grande ouverte. Son bleu métallique, irisé. Et une heure plus tard, dans la prairie, midi, était passé le voilier jaune taché de rouge et de bleu d’un Machaon. Je n’avais pas pu m’empêcher de voir dans ces insistantes apparitions des visites d’adieu : La Beauté vous salue bien…

.

... Dans la nuit du 28 juillet, trois « raires » successifs, longs et lents, ont remué l’espace. Un cerf s’éveillait de sa longue paix sexuelle. Les « raires » de fin d’été ne ressemblent pas aux mugissements du brame, et sont faciles à imiter. On ouvre grand la bouche, on la tord, le menton baissé pour aller chercher les notes graves qu’on module en une mélopée paresseuse semblable au baîllement d’ être encore endormi.

Un soir je m’étais postée à côté de la cabane d’affût, au grand air, dans les fougères, sous un simple filet, quand est sorti de la forêt, à gauche, un magnifique 14. Bois noirs, élancés, andouillers très longs dans l’empaumure. Apollon. – Et Arador, tu l’as revu les bois dépouillés ? ai-je demandé à Léo, par mail. – Pas encore.

L’été s’achevait. Il pleuvait doucement. Je descendais à pas lents, précautionneux, à travers les éboulis des moraines ponctués de taillis, les bras écartés en balancier comme un funambule, les yeux agrandis, je ne pensais à rien, ne faisant pas plus de bruit que la pluie, toute à mon équilibre, quand j’ai aperçu, entre les rochers en contrebas, émerger des branches d’arbre, ocre clair, qui bougeaient. M’approcher, façon Ojibwa. Avancée/arrêt. Avancée/arrêt. Souffle retenu. Stop à moins de trois mètres. Je n’ai pas conscience du temps. Il n’y en a plus. Je m’assois, bien tassée, les bras autour des genoux. Je ne vois pas le museau, ni l’encolure, ni le corps couché. Seulement la nuque, les oreilles et la ramure dorée aux pointes blanches. Reposant sur ses pattes repliées, dans son fort de ronces, le cerf regardait à mon opposé, vers la vallée d’où aurait pu surgir un humain. Splendeur qui ne semblait pas faite pour être vue. Les oreilles, deux feuilles largement ouvertes, remuaient indépendamment l’une de l’autre pour capter le moindre bruissement, mais j’étais arrivée du haut, dans son dos, le vent pour moi. Tout est là, avoir le vent pour soi. Longuement, sans jumelles, je comptais et recomptais ses cors. C’était un 18-cors portant 6 et 5 aux empaumures, 5 comme 5 doigts écartés au bout de cette branche, plus 4 cors le long de cette branche. Je me disais : contemple la liberté sur son constant qui-vive, un être de liberté, mu par une incessante frayeur, tout de noblesse et de frayeur… »

.

C’est un texte bondissant au sein d’une nature sauvage. Tout se passe la nuit pour l’observateur averti nous dit Pamina qui habite une ancienne métairie perdue au fin fond d’une forêt vosgienne – Les Hautes-Huttes – , avec son compagnon de vie Nils. Elle n’est pas peureuse mais patiente et passionnée. Elle regarde autour d’elle, reste à l’affût parfois des nuits entières, quel que soit le temps, juste pour admirer ces merveilles animalières que sont les cerfs, les biches, les chevreuils et saisir leurs comportements. Elle accompagne souvent Léo, photographe qui l’initie à cette observation. Parfois il ne se passe rien, mais souvent il y a de vrais cadeaux.

Les descriptions de l’auteure pour raconter ces animaux sont d’une grande richesse. Hormis l’incroyable vocabulaire – empaumure, cors, daintier, andouiller, époie… – , on apprend beaucoup de choses :  les cerfs dorment les yeux ouverts, ils perdent leurs bois chaque année au mois de mars, il en repousse de nouveaux recouverts d’un velours, puis vers la mi-juillet sur les nouveaux bois « allongés », ils mangent les velours tombés en lambeaux…

Elle nous parle de sa passion pour ces lieux sauvages, sa colère contre les chasseurs et l’O.N.F. Que l’on partage ou pas son point de vue, peu importe, elle nous entraîne dans ces mondes peu connus pour notre plus grand plaisir.

Encore un lecture que j’ai beaucoup appréciée,

initiée par Dominique –>

.

Si vous aimez ces animaux,

partez à la découverte du travail de Catherine Blancard,

particulièrement de l’exposition « La liste rouge » vue à Chamonix il y a peu de temps

—>  ICI.

Extraits de : « Les grands cerfs »  2019  Claudie Hunzinger.

Illustrations : 1/ « Oiseaux chanteurs »  Illustration anonyme d’un dictionnaire de 1908  2/ « Cerf rouge et sa meute »  Carl Friedrich Deiker  1836-1892.

…..

Plonger vers l’authenticité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Voix…

lundi 8 mai 2023

.

.

« … « Réfléchis, mais ne fais pas que réfléchir ; émerveille-toi aussi. Émerveille-toi, mais ne fais pas que t’émerveiller ; réfléchis aussi. »…

.

… « L’époque, a-t-il commencé, est propice aux prophètes de malheur. Je ne veux pas suggérer en disant cela que tout va pour le mieux. Seulement, rien ne m’indispose autant que d’emboîter le pas à tous ces pessimistes patentés qui encombrent notre temps, trompés par les hésitations, les vacillations et la confusion d’un monde qui cherche lentement mais sûrement un passage vers l’avenir. Il n’y a rien à attendre de ces gens-là, qui confondent tout : avenir et menace, adversité et désespoir, modernité et dépravation, mémoire et nostalgie, morale et rigidité d’esprit. Je crois au contraire qu’en dépit de tout, des jours radieux s’ouvrent devant nous. . Mais nous sommes de mauvais peintres, et nous manquons de recul, et peignons sur la toile un paysage déformé par notre vision trop étroite. Je ne vois personnellement aucune raison pour qu’il n’y ait pas dans le futur quelques êtres de bonne volonté et modernes (c’est-à-dire qui ne craignent en rien l’avenir), altruistes, à l’esprit lucide et éclairé, attentifs aux expressions de leur vie spirituelle. Nous ne serons jamais trop à unir nos forces dans l’établissement d’un monde durablement meilleur. »…

.

… « Souvent, je m’enferme chez moi à double tour et je me cache sous les draps. Les voix terribles que j’entends dans ma tête et les visions qui m’apparaissent, continuent pendant des heures. Toi, si tu es pourchassé par un malfaiteur, tu as toujours la possibilité de courir te mettre à l’abri. Moi je ne le peux pas. Le malfaiteur est dans mon cerveau et je ne peux pas m’enfuir. Ma seule porte de sortie est ce jardin où je te retrouve presque chaque jour et dans lequel résonne le pépiement si rassurant des oiseaux. Et encore : il arrive que même les oiseaux ne me suffisent plus. Alors il ne me reste plus que les pages des poètes. »…

.

...  » Si, aux turbulences de la foule, j’ai presque toujours préféré les remous de l’être, c’est sans doute justement parce que je sentais que le puits des premières s’alimentait à la source des seconds. Et c’est pourquoi la présence de mon frère à mes côtés m’est si précieuse. J’y redécouvre jour après jour ce débordement de l’âme qui précisément éclabousse ma vie. Ça n’est pas que l’âme de mon frère soit spectaculaire. Mais ce qui me plaît, c’est qu’elle cherche un passage vers le jour. Les oiseaux aussi font cela. Dans les derniers instants de la nuit, à l’heure du dur combat entre l’ombre et la lumière, ils s’envolent des nids et partent à la rencontre du soleil, comme pour en précipiter la venue… »… »

.

C’est une histoire belle et émouvante, celle de deux frères qui s’aiment et s’admirent profondément. Ils n’habitent pas très loin l’un de l’autre, leurs parents ne sont plus de ce monde.

Le plus jeune vit seul, il est employé à de petits travaux dans une pépinière de mars à novembre et s’acquitte de ses tâches minutieusement. Il souffre de schizophrénie. Ses paroles sont rares mais issues de multiples questionnements et de longues et profondes réflexions. L’ainé, le narrateur, vit avec son épouse Livia, leur chien Pablo et leur chat Lennon. Ils vieillissent doucement, leurs relations aux autres sont paisibles, toujours aimantes et bienveillantes.

La vie s’écoule, les souvenirs remontent, les petits bonheurs simples cueillis dans la nature s’égrainent et tentent de faire oublier des jours plus gris. Il y a une immense tendresse au sein de cette famille où ce frère malade est comparé à un fragile petit oiseau  arborant une tache de lumière sur la tête : le Roitelet.

Ce livre est vraiment un bijou, immensément délicat, écrit dans une fort belle langue,

et sa couverture… magnifique… tout un poème !

Aifelle en avait parlé —>

.

Extraits de : « Le Roitelet »  2021  Jean-François Beauchemin.

Illustrations : 1/« Chêne de West Hampnett Place-Chichester-1660 »  John Dunstall  1644-1693  2/Textile du XIXème  – Anonyme.

…..

Écouter avec empathie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Cœur ouvert…

lundi 1 mai 2023

.

.

« … Méditer à cœur ouvert permet en effet de regarder autrement tout ce qui nous entoure. Lorsque nous regardons une pierre, une fleur, un arbre, un papillon, une fourmi, un être humain, nous les regardons avec une attention aimante. Les poètes sont de grands méditants, car ils savent justement regarder les choses les plus ordinaires avec un regard neuf, émerveillé, attentif au petit détail qui nous échappe. Chaque texte de Christian Bobin, pour prendre un poète contemporain que j’aime particulièrement, est le fruit d’une méditation profonde et aimante sur un petit rien. Ses mots me bouleversent, car ils me font regarder ces petits riens – un pissenlit, le sourire fatigué d’une vieille femme, un nuage, une balançoire – avec acuité et tendresse. On pourrait dire la même chose de certaines peintures, notamment les natures mortes, qui nous font regarder autrement les choses les plus banales de notre quotidien. Lorsqu’il est regardé avec attention et amour, le réel n’est plus simplement regardé, il est contemplé. Méditer à cœur ouvert, c’est regarder le monde avec le regard du peintre et du poète. C’est peut-être le regarder aussi avec le regard du mystique qui voit Dieu en toutes choses. Le théologien orthodoxe Jean-Yves Leloup raconte ainsi son initiation à la méditation hésychaste  : « Il y a une trentaine d’années, au mont Athos, le père Séraphin m’a invité à apprendre à méditer, tout d’abord « comme une montagne », c’est-à-dire avec le monde minéral, puis « comme un coquelicot » avec le monde végétal, puis « comme un oiseau » avec le règne animal, ensuite « comme Abraham » avec le cœur, et enfin, ultime étape « comme Jésus »… Dieu est en toute chose. Il est lourd dans la pierre, il fleurit dans l’arbre au printemps, il chante dans l’oiseau, il prend conscience de lui-même dans l’homme, il jouit de lui-même dans le sage… »…

.

… l’identification à notre ego nous maintient dans l’illusion de la dualité. Lorsque nous expérimentons que nous ne sommes pas ce « moi » auquel nous nous sommes identifiés depuis notre enfance, mais que nous sommes une parcelle de l’Univers, que nous participons à la nature divine, que notre être profond est relié à tout ce qui existe, alors toutes les peurs liées à la dualité s’évanouissent : peur de mourir, d’être abandonné ou rejeté, d’être enfermé ou dominé… »

.

Un petit livre (accompagné d’un CD) qui se glisse dans un sac ou une valise, une lecture « légère » qui accompagne harmonieusement un moment de détente printanière ou estivale.

Frédéric Lenoir nous fait d’abord l’historique des différentes formes de méditation à travers le monde et à travers les temps, puis il nous invite à aiguiser notre attention en y joignant la notion d’amour pour être au monde, apprécier et partager la merveille qu’est la vie, enfin il nous propose des méditations guidées sur des sujets importants pour le mieux vivre et le mieux vivre ensemble -confiance, amour, pardon…

J’ai aimé la clarté et la bienveillance des propos qui enrichissent, l’auteur nous offre une belle entrée en matière sur ce sujet et nous insuffle une énergie propre à nous lancer dans une aventure riche d’humanité.

Un beau voyage m’a dit mon cœur…

.

Extraits de : « Méditer à cœur ouvert »  2018  Frédéric Lenoir.

Illustrations : 1/« Coquelicots »  Olga Wisinger-Florian 1844-1926   2/« Chardonneret sur une branche de cerisier »  Beatrice Whistler  1857-1896.

…..

Grappiller des perles pour s’élever en douceur…

BVJ – Plumes d’Anges.

Renaître au monde…

mardi 25 avril 2023

.

.

« … Vertu de la présence.

Prenons-nous assez le temps d’être simplement là où nous sommes, posés, disponibles à ce qui advient, dépourvus d’intention comme d’objectif ?

Assise, mains vides et yeux grand ouverts, à l’ombre du cerisier qui fermait le jardin au sud, j’approfondissais sans en avoir conscience les valeurs de la présence nue. Toute course avait été brutalement interrompue, tout but jeté aux orties. Il ne s’agissait même plus, comme au temps du combat contre la maladie, de tenir ni de durer, brûlant toutes les forces disponibles afin de protéger un temps que l’on savait de plus en plus réduit. Il ne s’agissait plus que d’aller d’un jour à l’autre, d’une heure à la suivante sans en attendre grand chose.

Il s’agissait d’être et rien de plus.

Ne rien espérer de l’autre qui est là – thuya, giroflée ou moineau. Ne rien demander. Ne projeter sur lui aucune intention, aucun vouloir, est la façon la plus certaine d’être en mesure de le rencontrer vraiment. De l’accueillir tel qu’il est. On peut appeler ça oraison ou médication, satori ou pleine conscience. On peut aussi ne rien nommer. On peut se contenter d’aller s’asseoir sous l’arbre et de le laisser nous rendre attentive à sa façon de pousser, à sa manière délicate  et déterminée de gonfler ses bourgeons, de déplier chacune de ses feuilles. Bientôt viennent les merles puis les cerises qui les régaleront. Un froissement d’ailes parmi les branches, et voici qu’une plume descend et se pose dans l’herbe, plus légère qu’un flocon.

Au dessus du jardin filent les nuages. On attend d’un jour à l’autre le retour des hirondelles. Non : on n’attend plus rien. Mais un jour elles sont là.

Comme les cerises.

Comme ce tressaillement de joie venu d’on ne sait où, qui vient un matin nous chatouiller le cœur… »

.

Suite à une longue et douloureuse épreuve, l’auteure quitte son appartement habité de trop de souvenirs et s’installe dans une maison dotée d’un petit jardin arboré et fleuri. Les oiseaux y sont très présents, au fil des mois ils se succèdent, elle apprécie leurs chants.

Une lente métamorphose s’opère, doucement Anne Le Maître ressent la force de la terre, tisse des liens avec le vivant qui l’entoure, de nouvelles racines se tracent. Les musiques des petits plumeux font renaître en elle un sentiment de joie, les sons et les couleurs, les rythmes de la nature la ressuscitent, elle n’est plus dans le faire mais simplement dans l’être.

On reconnait là le récit d’une femme peintre, une aquarelliste qui avec grand talent, par petites touches, nous offre le nouveau tableau de son présent. J’ai vraiment apprécié ce doux et paisible moment de lecture, il nous amène de l’ombre à la lumière…

Tania parle du Jardin nu –> ICI

.

Extrait de :  » Le jardin nu »  2023  Anne Le Maître.

Illustrations : 1/ « Oiseaux »  Orsola Maddalena Caccia  1596-1676  2/ « Plantes et insectes »  Shin Saimdang  1504-1551.

…..

Être sans intention aucune, simplement observer…

BVJ – Plumes d’Anges.

Faim de vie…

lundi 17 avril 2023

.

.

« … Je regardais distraitement le paysage défiler devant mes yeux, le menton posé sur mes genoux.

Un spectacle naturel, à l’opposé de l’environnement artificiel qui était le mien la veille encore. Mon esprit avait du mal à faire la mise au point. Je me sentais comme perdue au beau milieu d’un décor de cinéma particulièrement réaliste. L’île aux citrons était un lieu charmant et accueillant, l’endroit idéal pour s’oxygéner. Partout où mon regard se posait, je ne voyais que beauté. Une beauté qui frisait la perfection. La mer s’étendait jusqu’à l’horizon dans toutes les directions. Une vue qui apaisait l’âme…

.

… La thérapie du toucher de Madonna était différente d’un massage ou d’une séance de chiropraxie, dans la mesure où elle ne faisait que caresser mon corps. Ses mains étaient enduites d’huile essentielle d’agrumes récoltés sur l’île, et à chacun de ses gestes, je me retrouvais enveloppée d’un parfum frais et sucré. On aurait dit que l’île aux citrons m’entourait de ses bras.

Je me tournais sur le côté ou sur le dos, obéissant à ses instructions. La douleur s’envolait comme une nuée d’oiseaux sous les effets conjugués de l’odeur des agrumes et de la chaleur de ses mains…

.

… J’ai fermé les yeux, les paupières serrées, j’ai pris une profonde inspiration. C’était le vérité. Je pouvais sentir le parfum, soyeux et léger, des pruniers. J’ai eu la sensation que cet air frais, que j’avais goulûment aspiré, faisait éclore des centaines de fleurs de prunier en moi. Il y avait également un parfum d’agrumes, mon préféré. J’ai poussé une longue expiration.

Lorsque je concentrais toute mon attention sur le moment que j’étais en train de vivre, les tourments du passé et les affres de l’avenir s’envolaient. Il n’existait plus alors que l’instant présent.

Il y avait des choses, pourtant simples, qu’on ne réalisait qu’avec le temps. Être heureuse ici et maintenant me suffisait amplement désormais. (…) Je voulais simplement partager la vue qui s’offrait depuis cet endroit avec mon père et ma petite soeur. Leur en faire cadeau. Qu’ils rentrent à la maison non pas chargés du poids de la tristesse de nos adieux, mais avec l’image magnifique de l’union de la mer, du ciel et de la lumière. Car c’était le seul cadeau que j’étais en mesure de leur faire. Et admirer ensemble ce somptueux paysage était à mon avis le plus beau de tous les cadeaux.

J’étais heureuse d’être en vie.

Ivre de joie d’avoir pu vivre un jour de plus.

Il m’était impossible de retrouver le corps qui était le mien lorsque j’étais en bonne santé. Mais j’avais pu retrouver l’esprit qui l’habitait alors. Et j’en étais très fière.

Il soufflait en moi un vent de gratitude, comme une bourrasque de printemps…

.

.

… La vie est semblable à une bougie. Elle ne peut allumer ou souffler sa flamme elle-même. Et une fois la flamme allumée, il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre qu’elle se consume et disparaisse, en laissant la nature suivre son cours. Mais il arrive parfois qu’elle s’éteigne, soufflée par une force supérieure, comme cela a été le cas pour vos parents biologiques.

Vivre, c’est être la lumière de quelqu’un d’autre.

User sa propre vie en offrant sa lumière à l’autre. Et de cette façon, s’éclairer l’un l’autre. C’est ainsi que vous et votre père, l’homme qui vous a élevée, avez vécu. J’en suis certaine.

La bougie allumée en votre honneur a brûlé toute la nuit d’avant-hier devant l’entrée de la Maison du Lion.

C’était une nuit exceptionnellement venteuse, mais la flamme a continué de brûler, sans jamais s’éteindre, jusqu’à ce qu’elle disparaisse tranquillement, comme dans un dernier soupir, et que la fumée s’envole, aspirée par le ciel.

Je pense en secret que ce mince filet de fumée qui s’est envolé dans le ciel est ce qu’on appelle l’âme. Et vous Shizuku, qu’en pensez-vous ?… »

.

Imaginez une île posée sur une mer intérieure du Japon – l’Île aux citrons sur la mer de Seto – et la lumière se déploie immédiatement, la couleur jaune envahit l’espace.

Avec une immense délicatesse Ito Ogawa aborde un sujet difficile : la fin de vie pour des gens atteints d’une maladie incurable.

Shituzu, 33 ans, est accueillie par « Madonna » dans la Maison du Lion, havre de paix et de beauté qui propose à ses hôtes de vivre de doux moments avant l’inévitable grand départ. Le père de Madonna était très riche, il possédait beaucoup de terres sur cette île. Ayant hérité de sa fortune, elle a désiré la construction de ce lieu pour y recevoir des femmes et des hommes qui ne voulaient pas finir leurs jours seuls dans un hôpital, loin des leurs. Elle a passé les diplômes requis, s’est entourée de gens généreux – même les habitants participent à ce grand et beau projet. Mille et une attentions diverses et variées sont portées aux « invités ». Il y a par exemple – et il y en a tant d’autres à découvrir – ce rendez-vous du dimanche après-midi : tout nouvel arrivant, quand il se sent prêt, doit écrire une lettre et y relater le souvenir d’un dessert exquis ; les divines cuisinières tentent alors de reproduire ce met tant apprécié. Shituzu reprend goût à la vie, son cœur bat joyeusement dans l’instant présent aux côtés de Rocca une petite chienne affectueuse…

Ito Ogawa nous offre un cadeau avec ce livre d’une totale et élégante poésie, elle nous donne envie de nous dépasser pour accompagner les derniers temps de vie des êtres qui nous entourent. L’auteure peint un champs d’étoiles brillantes et scintillantes, c’est une lecture sensible, émouvante, MAGNIFIQUE…

.

Extraits de : « Le goûter du lion »  2022 Ogawa Ito.

Illustrations : 1/ « Citronnier »  Hans Simon Holzbecker XVIIème  2/ « Mer et ciel »  Albert Bierstadt  1830-1902  3/ « Huppe sur une branche de citronnier »  Peinture anonyme – Inde XIXème.

…..

Accompagner la lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.