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« … Je n’avais pas tout de suite remarqué que Kat Epadô, le pseudo de Sayo (sans doute parce qu’il résonnait rock, me faisant penser à Kat Onoma), était la première personne du présent du verbe grec : Chanter aux oreilles, Prononcer des paroles magiques, Ensorceler. J’avais trouvé ce choix bizarrement calé. Et même gonflé. Qui le lui avait soufflé ? De plus, un pseudo n’est jamais gratuit. Il vous camoufle et en même temps vous révèle. Je m’étais demandé pourquoi Sayo avait choisi un fragment de grec ancien. Pour le feu du son ou pour la cendre du sens ? Ou seulement pour l’élément mort d’une langue morte, complètement étrangère au Japon afin d’y passer elle aussi pour morte ? Et quand cessait-elle d’être Sayo pour devenir Kat-Epadô ? Qu’est-ce qui changeait alors en elle ? Je ne le lui ai jamais demandé.
Le samedi 1° décembre, j’ai découvert la nouvelle annonce :
CdG Tunique avec implant
Elle est en fine matière extensible, gris irisé.
Sur l’épaule gauche se trouve une longue forme qui entoure à moitié votre cou comme un implant bizarre
Moi je dis qu’elle est mon chat gris, mon chagrin, couché sur mes épaules =^^^= …
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… J’allume la radio, à chaque fois j’entends comme un immense tremblement de terre. Quelque chose s’écroule.
Je connais un oiseau qui chantait avec assurance au cœur de la dévastation, m’a soudain dit Emily D. La dévastation, on y est, ça c’est sûr, lui ai-je répondu. Mais comment chanter ? Chante, a dit Emily D…
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… Il existe toutes sortes de rencontres. On peut rencontrer un vêtement : il vous foudroie. On peut rencontrer un pseudo : il vous possède. On peut rencontrer un oiseau : il vous fait rougir. La plus petite rencontre contient sa part explosive qui fracture quelque chose en vous…
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… Autour de nous, je sentais un immense territoire dressé, avide, vivant. La nuit quelque chose s’éveille, sort, se tend, tiré, étiré en un grand bond, un jaillissement, et ça pousse, ça marche, ça avance. Beaucoup plus qu’en plein jour. Les rochers aussi (il y en avait beaucoup là bas, le chemin traversait un paysage de moraines), même eux, les rochers qui après avoir roulé semblaient s’être immobilisés, étaient en route, comme nous, je voyais bien qu’ils étaient encore en route, à leur dos rond, à leur épuisement, et j’ai compris qu’on n’est jamais arrivé, que rien n’a jamais de fin, même pour les pierres. Et quand je levais la tête, les constellations comme les moraines, leurs cygnes, leurs ourses, leurs lièvres, leurs chevaux et leurs chiens, traversaient le ciel, prises elles aussi dans le même interminable éboulement… »
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Zsazsa quitte son compagnon Thomas, abandonne Paris (pour une année au moins) et part dans les montagnes en vue d’étudier la langue des oiseaux, . Elle arrive la nuit, sous la neige, dans une baraque (dessinée par Jean Prouvé) au cœur de la forêt. Elle apporte dans ce lieu de solitude juste l’indispensable, deux livres d’Emily Dickinson publiés aux éditions Corti, deux livres de poésie chinoise (de Li Bai et de Du Fu), un livre signé du russe Isaac Babel, un IMac 27 pouces, un téléphone portable, un duvet, des draps…
Ce soir là, elle fait la connaissance sur EBay de Sayo, celle-ci vend sous le pseudo de Kat-Epadô, des fringues de la célèbre marque Comme des garçons. Ce qui interpelle la narratrice, c’est le style de la petite annonce accompagnant la photo du vêtement : un texte court, étrange, poétique, mystérieux, elle tombe immédiatement sous le charme. S’en suit une relation entre ces deux « oiseaux » qui évoluera au fil des pages…
J’ai adoré cette lecture, une sorte de petit roman japonais où l’on s’attache à la délicatesse des mots, à l’essence des choses. Zsazsa questionne et se questionne, tout a son importance mais tout est dérisoire aussi. C’est la quête de deux femmes qui vont grappiller un peu de l’autre, elles sont à une étape de leur vie, elles cherchent à entrevoir qui elles sont vraiment et vers où elles veulent aller.
L’écriture de l’auteure est toujours belle, ses descriptions de la nature, son côté sauvage et érudit, cet attachement aux maladresses et aux petits détails qui illuminent le présent sont un enchantement.
Sans se voir, sans se connaître, on peut tisser des liens, de lumineux liens.
AIFELLE en avait parlé –> LÀ
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Extraits de : « La langue des oiseaux » 2014 Claudie Hunzinger.
Illustrations : 1/ « Oiseaux » Elise Konstantin-Hansen 1858-1946 2/ « Roses » Elizabeth Bigelow Greene 1837-1915.
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Chercher un sens…
BVJ – Plumes d’Anges.
Texte empli de poésie, de mystères, de sons et de couleurs !
Oui, chère Brigitte, les relations humaines sont un fil solide
comme celui que j’ai extrait hier d’un coin de fenêtre
où l’araignée (invisible) semblait vouloir encore passer l’automne :
difficile de s’en débarrasser, une sorte de colle forte !
Quel matériau pourrions-nous inventer à partir de cette texture
se dit la chercheuse…que je ne suis pas ⁉️
« Écroulement » général suggère le passage ci-dessus,
j’aimerais tant le transformer en « Éclatement » qui pourrait être
de joie, de lumière et, bien sûr, de rire !
Lumineux liens d’amitié justement… pour toutes les plumes d’anges 🌟
les vêtures et les manières de se dire et de dire sont des aspects de l’être, le choc des vus, et la souplesse des mots, toute une palette qui demande de l’attention et des tensions même si elles sont légères et apparemment futiles….
La Nature est une source éternelle et jaillissante…
Très beau texte, chère Plume !
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Je n’ai lu que « Les grands cerfs » de cet auteur et je m’étais promis de chercher ses autres œuvres, tant j’avais aimé son écriture. Ces extraits de texte que tu nous proposes aujourd’hui sont très beaux et tu me donnes vraiment envie de m’immerger une nouvelle fois dans une telle ambiance…
Ben zut alors le seul livre de l’autrice que je n’ai pas lu grrrrr
tu viens de rallonger ma wishliste qui est déjà passablement longue
l’extrait est tentant et ton avis encore plus
le tableau oiseau de monsieur Konstantin Hansen est magnifique
Cela me donne envie de lire cet auteur que je ne connais pas… Ces illustrations sont si douces, l’oiseau, la rose, tout ce que j’aime !
L’histoire m’a rappelé quelque chose et pour cause ! je l’ai lue .. il y a 9 ans. Les petits mots sur les vêtements de « Comme des garçons » m’étaient restés en mémoire. L’écriture de Claudie Hunzinger est magnifique, son rapport à la nature aussi. http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2014/08/27/30474749.html
entendre les chants et gazouillis d’oiseaux, c’est un bonheur rare en ville, je suis heureuse de laisser manger quelques-unes de mes figues à deux ou trois chanteurs à plumes 🙂
De retour des Pouilles, c’était formidable, m’a fait du bien, j’ai adoré (photos sur Instagram). 15 jours ailleurs, et on repart (on DOIT !) d’un meilleur moral!!!
Tout ça, pour dire que la langue des oiseaux, j’adore. J’adore les êtres ailés: les oiseaux, les papillons, les anges (plumes!) et j’ai terminé mon voyage par le titre « Volare », car à Propignano a mare, il y a la statue de l’auteur de la chanson célèbre, bras écartés….Amitiés!
De douces images d’une rose et d’un oiseau pour illustrer tes belles « envolées »
Bises Brigitte et bonne fin de semaine
Beau billet, Brigitte. Ce titre est noté depuis que j’ai redécouvert cette écrivaine, merci de me le remettre en tête. Un oiseau d’or tient compagnie à une étoile au-dessus de mon bureau, de ces « petits détails qui illuminent le présent ».
J’aime cette douceur et cette poésie qui s’en dégagent, à l’instar de tes belles illustrations. Merci Plumes d’Anges et beau dimanche, bisous.
Bine sûr que les pierres voyagent et les montagnes vont toutes doucement vers la mer ! Belle semaine Brigitte
C’est tellement vrai!
« Sans se voir, sans se connaître, on peut tisser des liens, de lumineux liens. »