Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Éblouissement…

samedi 11 janvier 2020

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« … Il n’y a que des miracles dans cette vie, et notre aveuglement en est un, le plus grand. Dans cette librairie à Paris, j’ai regardé les visages et j’ai soudain compris que nous vivions tous à bas rythme, et j’ai vu que si nous vivions vraiment la librairie aurait été en feu, incendiée de visages pareils à des soleils…

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… Ce n’est pas moi qui voit les choses. Ce sont les choses qui me donnent leurs yeux. Les images pures, personne ne les invente. L’âme de l’arbre se sépare un instant de l’arbre, vient sur la page, écrit le poème sur l’arbre et signe Ronsard…

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… Il n’existe pas d’ « intelligence » artificielle. La racine de l’intelligence, son centre invisible à partir de quoi tout rayonne, c’est l’amour. On n’a jamais vu et on ne verra jamais d’ « amour artificiel »…

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… Un arbre s’est arraché un bras pour donner une porte à l’abbatiale. Une montagne ou une carrière ont donné des vertèbres pour que naissent les piliers. Le sable des rivières s’est dépouillé de sa blondeur pour colorer les murs. Des abeilles ont travaillé sans salaire pour qu’il y ait des bougies. La grâce est le fruit de milliers d’effacements… »

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Lecture époustouflante, elle est un feu de joie.

104 chapitres comme les 104 vitraux de l’abbatiale de Conques, 

l’auteur est sous le choc de la vision ,

les mots nous sont offerts,

l’âme de Conques est venue jusqu’à nous et a signé Christian Bobin…

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Extraits de : « La nuit du cœur »  2018  Christian Bobin.

Illustrations : 1/ « Étude de nuages »  2/ « Étude de rose »  Frederic Edwin Church  1826-1900.

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Vivre et transmettre la lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.

Prendre conscience…

lundi 6 janvier 2020

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« … Transparence a été créée sur l’idée que l’individu ne peut échapper à ce qu’il est et que toute personne doit être en mesure de tout savoir sur son interlocuteur, qu’il s’agisse de raisons sentimentales, mais aussi de raisons professionnelles. Très vite nous avons été sollicités pour accompagner les recrutements, les embauches.

La confusion entre l’être et l’avoir nous a confrontés au cours des années à des individus qui avaient de plus en plus tout en étant de moins en moins, ce qui n’a pas facilité nos travaux car il était, compte tenu du lissage des personnalités, difficile de connaître réellement celui qui existait derrière celui qui possédait. Être pour avoir sans rien faire est devenu le triptyque de la révolution numérique qui a succédé sans difficulté au travail-famille-patrie ou liberté-égalité-fraternité…

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… Le citoyen américain, comme le citoyen européen, s’exprimait sur tout, à partir de son terminal qui lui permettait de voter en permanence sur une grande variété de sujets, ce qui donnait l’illusion d’un pouvoir populaire, sachant que les moyens mis en œuvre pour manipuler cette opinion dépassaient considérablement ceux dédiés à l’éduquer, à la former. L’individu avait ainsi le sentiment de participer directement à chaque décision concernant la vie de sa cité ou de son pays. Le phénomène majoritaire battait son plein, tandis que les autres pouvoirs, ceux des médias, de la politique et du renseignement, convergeaient pour donner de l’importance à certaines informations destinées à influencer les votes… »

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En 1968, on rêvait d’un autre monde, de paix et d’amour, on peignait des fleurs et des papillons partout, on écoutait des musiques planantes tout en fumant des herbes exotiques…

Cent ans plus tard – Marc Dugain situe volontairement son roman en 2068 – le numérique a pris le pouvoir, l’homme s’est asservi volontairement, il s’est totalement livré, Google sait tout de lui, et une petite start-up devenue grande émerge en pays d’Islande, porteuse d’un projet fou…

Un roman d’anticipation qui nous entraine dans une histoire singulière

et nous fait réfléchir sur beaucoup de nos comportements humains.

L’homme pourra-t-il survivre à la crise climatique ?

Y-a-t-il un avenir pour un monde basé sur la production et le consumérisme ?

Un monde aux mains des grandes multinationales qui imposent le mal d’un côté

et ses remèdes de l’autre ?

Un monde de moutons qui suivent sans lever la tête les modes mercantiles ? 

À lire, il y a urgence, c’est prenant, c’est intelligent… et la chute, superbe !

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Extraits de : « Transparence »  2019  Marc Dugain.

Illustrations : 1/« Nous »  et  3/« Portait d’Aldagisa » (poétesse, épouse du peintre)  Ismael Nery  1900-1934  2/ « La ville »  Mikalojus-Konstantinas Ciurlionis   1875-1911.

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Refuser la société du toujours plus…

BVJ – Plumes d’Anges.

Au bout de soi…

dimanche 15 décembre 2019

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« … Certains voyages ont le goût des myrtilles et, comme elles,

la vertu d’aiguiser le regard…

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… Là, c’est un rite, Théo se met à genoux au milieu des fougères et boit cette eau qui sourd en bulles fraîches comme goulées de reconnaissance. Ce sont gorgées d’offrande claire. Chaque fois, après avoir bu à la source, il lui semble qu’il perçoit mille fois mieux tout ce qui l’environne. Chants d’oiseaux, stridulations d’insectes, craquements de lourdes branches, cliquetis de feuilles sèches…

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… J’ai bien tourné le dos au Monde. J’ai voulu disparaître. Dire que je ne sais même plus ce que j’ai voulu quitter ! C’est loin, si loin… Je me dis que je devrais avoir des regrets. Je n’en ai plus. Le sourire des miens, leur tendresse, leurs voix m’accompagnent. Mais ma vie est là, dans cet invraisemblable chaos minéral…

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… – Tiens, un cadeau pour toi. Elle l’a trouvé il y a deux jours, dans un labour, derrière la tour…

Lita lui tend une minuscule figurine en or massif. Elle représente une femme nue, les bras le long du corps. Elle est l’éternelle image des statuettes primitives. (…)

Théo ne peut la quitter des yeux. Il se dit que tout instant parfait tient du miracle. Le moindre mot, le moindre geste maladroits et tout s’envole comme un éparpillement de moineaux. Il y a chez Lita une telle acceptation des contraintes, il y a en elle un rêve si profond… et le tout cohabite, s’épanche ou se résume dans ce trait vigoureux , signe d’une ardeur en perpétuelle attente  : sa bouche…

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… L’incertitude est mon lot quotidien. Je souhaite simplement, que le plus longtemps possible, la couleur du Monde vienne encore chatouiller mon immense capacité de contemplation. C’est pour ça que je me battrai…

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… La montagne ondule, vibre, rampe, se secoue, siffle sa colère. Théo sait qu’elle ne peut ignorer sa détresse. Elle, dont il fut l’adopté,, le protégé, le gardien attentif, minuscule point de chair et de délicatesse, chaque jour, chaque nuit, bercé sous son grand corps de pierres rousses assoupies. Elle qui lui parle à voix haute maintenant, soupire, gronde, hoquette, le nomme, lui grogne à sa manière son chagrin partagé… »

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C’est un roman qui parle d’un fil de lumière au milieu de la « sombritude » du monde. Théo quitte tout et s’en va loin, très loin, il se retrouve au pied d’un volcan au milieu d’une étrange communauté d’âmes, des gens cabossés par la vie et des profiteurs. Théo est en quête de sens, il vit avec un âne merveilleux, Ferdinand, il se lie d’amitié avec Solstice, s’éprend de Lita, construit une cabane dans les brumes au dessus de la rivière, d’abord en bois, puis recouverte de pierres de lave. Il herborise à ses heures et cultive un petit jardin de fleurs. En bas, des forces s’affrontent, le mal fait ses ravages, Théo et Lita tissent un lien indestructible et vont au bout d’eux-mêmes et de leurs convictions profondes.

Ce fil de lumière persiste quand on ferme le livre. Pour vivre en cohérence avec soi-même il faut inévitablement faire des sacrifices. Le chemin choisi est courageux, c’est un chemin de solitude. Dans ces temps agités – comme le cratère d’un volcan actif – et cette période de l’année où les jours sont si courts, on sent l’impérative nécessité de tisser ces fils de lumière…

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Extraits de : « Mayacumbra »  2019  Alain Cadéo.

lllustrations : 1/« Cratère intérieur d’un volcan (Mauna Loa) »   William Hodges   1744-1797   2/« Lave volcanique »  Helen Thomas Dranga  1866-1927 .

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Tisser ardemment son fil de lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.

Riches chemins…

lundi 25 novembre 2019

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« … Être là, enfin.

Au présent.

Quand s’abolissent les frontières qui me séparent du monde.

Quand reflue ma conscience, ne laissant que l’instant jaillir comme une source. Être là comme un brin d’herbe parmi les autres brins d’herbe, malmené par l’hiver, bruni par la neige, secoué par le vent. Être là, sans plus de quand ni de pourquoi.

M’échapper à moi-même…

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Il n’est pas forcément nécessaire de nous enfermer dans un monastère ou de partir méditer au fin fond de l’Inde. Peut-être nous faut-il juste penser à respirer.

Lentement.

Être là maintenant.

Corps et âme.

Là. Dans l’humble et insignifiant moment présent qui toujours nous échappe, engoncés que nous sommes dans cette fatalité humaine qu’est la conscience du temps…

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… Débrancher.

Renouer, si peu que ce soit avec les cycles naturels. Aller jour après jour des ténèbres de l’hiver aux éclosions du printemps, des marées d’équinoxe aux mystérieux solstices.

Se connaître soi-même comme un être cyclique, avec ses temps de force et de faiblesse, ses moments fertiles et ses périodes où l’énergie reflue.

Laisser la Terre tourner…

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... J’aime à la folie cette ronde des saisons propre à nos latitudes tempérées, qui fait passer les collines du brun au vert puis à l’or poussiéreux des moissons. Qui chaque printemps rajeunit la forêt et ressuscite le lilas qui pousse sous ma fenêtre. Qui met dans la gorge du merle, et dans mon âme aussi, une telle ivresse de louange…

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… Retrouvons le pas allègre, la pensée incertaine – nous mourons de trop de certitudes.

Battons la campagne.

Plus rien de décidé ne nous guide, rien de tracé d’avance. Nous jetons… aux orties le monde bien jardiné de nos emplois du temps tracés au cordeau – ici un carré de rendez-vous, là un bosquet de réunions, saupoudrons de RTT, et trois repas quotidiens pour baliser le tout (mais n’oublions pas : cinq fruits et légumes par jour, pratiquons une activité physique régulière et pour votre santé, je vous en conjure, évitez de grignoter entre les repas).

Stop.

Pour quelques minutes ou quelques jours, passons des heures jardinées à la vie en friche, lesquelles, soustraites au temps balisé des horloges, s’enroulent et se déploient comme le fait le liseron qui lance ses lianes ductiles, épanouit ses corolles neigeuses et, dans un même abandon, reçoit lumière et rosée.

Passe ton chemin, homme de plans et de projets, c’est ici le monde sans projet, le monde au présent, sans autre but que la vie même.

Ne plus être pour, ne plus être quelqu’un, ou quelque chose. Renoncer aux attributs.

Être… »

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Pour continuer la balade…

Un des blogs d’Anne le Maître –> ici

Tania et Dominique en avaient parlé –> et 

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Ce texte est un bijou à l’écriture délicatement ciselée, on ne marche plus, on vole, on se fait oiseau dégustant des images entre Terre et Cosmos. L’auteure est peintre et poète, ses yeux embrassent le paysage et nous livrent un tableau enchanteur. Quelle énergie communicative, ce livre est un cadeau à s’offrir et à offrir à ceux que l’on aime pour maintenir l’éveil et l’émerveillement – ou le susciter -, c’est si précieux, c’est notre seule richesse, le seul éclat qui vaille en nos temps grisés de morosité.

Je ressens une énorme gratitude vis à vis de celles et ceux qui sèment ainsi des graines sur notre chemin de Petit Poucet…

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À l’heure où vous lirez ces lignes, je serai un peu loin, vers l’est, pour quelques petits jours, à bientôt…

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Extraits de : « Sagesse de l’herbe – Quatre leçons reçues des chemins »   2018  Anne le Maître.

Illustrations : 1/ « Après un orage d’été »  George Innes  1825-1894  2/ « La grande touffe d’herbe »  Albrecht Dürer  1471-1528.

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Marcher, découvrir, apprendre, être…

BVJ – Plumes d’Anges.

Part d’humanité…

jeudi 21 novembre 2019

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 » … Peut-être faut-il avoir abondamment lutté dans le noir et finalement accepté une forme de ténèbre pour reconnaître de quelle attention nous fûmes inlassablement l’objet. (…)

Cette conscience d’être sans cesse soutenu et aimé, elle est si lente à s’ouvrir à une époque où la confiance ne subsiste que dans le discours – si rarement dans les actes – quand l’assureur a remplacé la foi en l’instinct divin. C’est par cette confiance et cette conscience dont l’enfant est naturellement doté qu’il reconnaît que l’invisible l’appuie et le porte ; mieux, le protège. L’instinct divin, oui, de celui qui en soi ne s’est pas délié de l’infini d’où il vient. Il est là. Il attend. Nous espère. Je ne crois pas qu’il y ait urgence plus grande que de transmettre cette confiance entre les Hommes. Avec elle se redessinent tous les possibles quand bien même nous voilà apparemment détruits. Quel fil fait tenir les soirées d’ombre jusqu’aux matinées de joie, sinon celui de la confiance ? …

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… Je parie dessus et j’ai confiance. Non pas en l’Homme mais en tout ce qui œuvre à tresser en lui sa part d’humanité. Chaque pas que nous accomplissons sur notre propre chemin engendre son lot de défaites. C’est à ce prix que se forge la dignité. Mais la confiance nous redresse. Exactement comme le verbe nous emporte plus loin dans un manuscrit lorsqu’on s’abandonne à lui…

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... Pourquoi s’offusquer de quoi que ce soit ? Rien ne nous appartient. Rien ne nous sera repris. Seules nos illusions nous font croire le contraire. Que possédons-nous réellement sinon ce que nous avons patiemment fait fructifier en nous-mêmes ? C’est le seul trésor qui vaille. Tous nos rêves en s’accomplissant ouvrent sur un rêve plus radieux encore qui révèle la splendeur de la vie… »

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Un texte très intimiste, l’auteur remonte le cours de sa vie

et nous livre ses observations apaisées.

Quel travail, quel chemin pour poser ces mots,

quelle exigence pour vivre sa vérité !

C’est l’écriture qui l’a sauvée,

c’est le verbe qui lui a permis d’amener l’obscur vers la lumière.

Un livre courageux, généreux, d’un auteur inspiré,

qui nous incite à nous éveiller

et à exprimer notre part d’humanité…

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Extraits de : « Le chagrin des origines »  2019  Laurence Nobécourt.

Illustrations : 1/ « Main avec gland et noyau de prune »  2/ « Fœtus humain »  Encyclopédie médicale et sociale    d’Edward Bliss Foote  1829-1906.

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Exprimer notre part d’humanité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Vertus de la patience…

vendredi 15 novembre 2019

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« … Munier m’avait montré les photographies de ses séjours précédents. La bête mariait la puissance et la grâce. Les reflets électrisaient son pelage, ses pattes s’élargissaient en soucoupes, la queue surdimensionnée servait de balancier. Elle s’était adaptée pour peupler des endroits invivables et grimper les falaises. C’était l’esprit de la montagne venu en visite sur la Terre, une vieille occupante que la rage humaine avait fait refluer vers les périphéries…

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… – Vénérer ce qui se tient devant nous ? Ne rien attendre. Se souvenir beaucoup. Se garder des espérances, fumées au dessus des ruines. Jouir de ce qui s’offre. Chercher les symboles et croire la poésie plus solide que la foi. Se contenter du monde. Lutter pour qu’il demeure. (…)

– Les champions de l’espérance appellent « résignation » notre consentement. Ils se trompent. C’est l’amour…

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J’avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. Elle invitait à s’asseoir devant la scène, à jouir du spectacle, fût-il un frémissement de feuille. La patience était la révérence de l’homme à ce qui était donné.

Quel attribut permettait-il de peindre un tableau, de composer une sonate ou un poème ? La patience. Elle procurait toujours sa récompense, pourvoyant dans la même fluctuation le risque de trouver le temps long en même temps que la méthode pour ne pas s’ennuyer.

Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait, c’était que nous n’avions pas su regarder…

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L’affût commande de tenir son âme en haleine. L’exercice m’avait révélé un secret : on gagne toujours à augmenter les réglages de sa propre fréquence de réception. Jamais je n’avais vécu dans une vibration des sens aussi aiguisée que pendant ces semaines tibétaines. Une fois chez moi, je continuerais à regarder le monde de toutes mes forces, à en scruter les zones d’ombre. Peu importait qu’il n’y eût pas de panthère à l’ordre du jour. Se tenir à l’affût est une ligne de conduite. Ainsi la vie ne passe-t-elle pas l’air de rien. On peut tenir l’affût sous le tilleul en bas de chez moi, devant les nuages du ciel et même à la table de ses amis. Dans ce monde, il survient plus de choses qu’on ne le croit… »

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À l’invitation du grand artiste, photographe animalier, Vincent Munier,

Sylvain Tesson nous emmène dans une magnifique aventure sur les hauteurs tibétaines,

pour observer la panthère des neiges.

Attendre des heures dans des conditions climatiques évidemment difficiles,

affûter son regard pour déceler des signes, des traces de l’animal

est le « travail » de chaque jour.

Il y a très peu d’hommes et peu d’histoires d’hommes dans ce livre,

ce qui importe c’est de traquer la beauté,

 l’auteur semble avoir « grandi »,

son regard sur le quotidien ne sera plus jamais le même,

il nous décrit des paysages lumineux dans lesquels

les yeux – les yeux , l’âme ? – ont le pouvoir,

ceux des animaux qui observent,  sans se laisser voir très souvent

et ceux des voyageurs.

Des souvenirs remontent, des réflexions émergent,

il regarde et voit différemment, il est tout à l’instant.

C’est un très beau moment de lecture qui n’a rien à voir avec

« Le léopard des neiges » de Peter Mathiessen

ou le « Sans jamais atteindre le sommet » de Paolo Cognetti,

Sylvain Tesson rend là, il me semble, un hommage « silencieux »

à Vincent Munier,

il a de la gratitude vis à vis de lui.

Alors ?

On ne peut que partir à la découverte du livre de ce dernier : « Tibet, minéral animal »    .

Que de cadeaux !!!

Extraits de : « La panthère des neiges »  Prix Renaudot 2019  Sylvain Tesson.

Illustrations : 1/« L’Once »  Jacques de Sève  1742-1788   2/ »Pic dans les Monts Kulun »  1871  Planche extraite du livre de Robert Shaw « Visite en Tartarie, Yarkand et Kashgar« .

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Être à l’affût de ce que nous offre la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Mots inspirés…

jeudi 7 novembre 2019

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Signes

 

« Ils ramassent des coquillages

Ils cherchent des formes dans les nuages,

dans les lointains horizons.

 

J’ai cherché des signes

J’ai interrogé le ciel, les constellations,

ces fragments de destin

qui viennent des étoiles.

 

Un signe peut-être m’aurait fait signe,

Une voix parmi les voix.

 

Il n’y avait rien à comprendre.

Alors j’ai ramassé le néant. »

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Jardin secret

 

« Il est assez grand pour contenir nos rêves.

Sur ses murs,

lichens et mousses dessinent nos chimères.

Jardin d’herbes folles et de brindilles jaunies

plus vaste que le monde !

Jardin secret dans le creux de nos mains. »

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Ombre

 

« À l’ombre de soi

est la demeure de l’ombre.

 

Sables et pierres,

strates de l’âme,

le fond de l’être obscur.

Aller jusqu’à l’extrême de soi

pour trouver le désert

sans déplacer les pierres,

sans réveiller l’écho ni la lumière.

 

On ne connait son ombre

que dans l’ombre. »

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Inachevé

 

« Regarder pour le plaisir

les images dans l’eau,

perpétuelle recherche de la lumière.

Indicible écriture des eaux jamais en repos,

poursuivant des profondeurs secrètes.

Paysages de nos pensées

vivants parce qu’inachevés. »

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Une très belle écriture qui courre entre ombre et lumière.

Fruits de méditations, les mots s’envolent et se posent comme des oiseaux,

sur des mousses, des pierres, des âmes…

À lire et à relire.

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Extraits de : « La forme des pierres après le passage du vent«   (Encres de Fabienne Verdier)  2005  Anne Pion.

 

Illustrations : 1/« Mont Kuriko »  Takahashi  Yuichi
1828-1894   2/« Mémoire »  Elihu Vedder
1836-1923.

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Saupoudrer nos jours et nos nuits de poésie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Murmures des hauteurs…

lundi 4 novembre 2019

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« … Une plume inconnue, jaune et bleu gris, gît sur le sentier dans le scintillement du mica et l’éclat de pierres surprenantes. Et une intuition aigüe, où l’intellect n’a rien à faire, me persuade que dans cette plume sur la piste argentée, dans les rythmes du cuir et du bois, dans le soleil, le vent et le bouillonnement de la rivière, dans ce paysage sans passé ni avenir, dans cet instant, dans tous les instants, le transitoire et l’éternité, la mort et la vie ne sont qu’un…

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… Et bientôt tout ce que l’on entend, tout ce que l’on voit et ressent prend une imminence, une imminence comme si l’attention de l’Univers entier se trouvait éveillée, un Univers dont on est le centre, un Univers autre que Soi, et qui cependant n’en diffère pas, même scientifiquement parlant : l’homme comme les montagnes est composé d’hydrogène, d’oxygène, de calcium, de phosphore, de potasse et d’autres éléments. « Tu ne jouis jamais du monde tant que la Mer ne coule pas dans tes veines, que tu n’es pas vêtu des cieux, couronné des étoiles, et tant que tu ne te perçois pas comme l’unique héritier de l’univers entier et plus encore, car chacun des hommes qui y vit en est l’unique héritier comme toi*…

* Thomas Traherne   « Les Centuries « 

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… Et voilà que tout autour de moi, les monts s’animent ; la Montagne de Cristal bouge. Bientôt me parvient le murmure du torrent très loin en contrebas sous la glace : il semble impossible que je puisse l’entendre. Même en l’absence totale de vent, le bruit des rivières va et vient, s’élève et se réduit, comme le vent lui-même.  D’instinct je m’épanouis en laissant toute la vie pénétrer en moi, exactement comme une fleur se remplit de soleil. Se dégager de cette vieille gangue, libérer son énergie, voler…

(…) J’abaisse mon regard des pics immaculés aux épines luisantes, aux nappes de neige, aux lichens. Bien que je ne la voie pas, la Vérité est proche dans la réalité de ce roc sur lequel je suis assis. Ces pierres dures font percevoir à mes os ce que mon esprit n’a jamais pu comprendre dans le Sutra du Cœur, que « la forme est vacuité et la vacuité forme », que le Vide de l’espace bleu-noir est contenu dans tout. Parfois lorsque je médite, les énormes rochers dansent.

Le secret des montagnes est qu’elles existent, simplement, comme je le fais moi-même : les montagnes existent simplement, ce que je ne fais pas. Les montagnes n’ont pas de « signification », elles signifient ; elles sont. Le soleil est rond. Je résonne de vie, les montagnes résonnent, et quand je puis l’entendre, nous partageons cette résonance. Je comprends tout cela, non par le truchement de mon esprit, mais par celui de mon cœur, conscient de l’inanité qu’il y a à tenter de percevoir ce qui ne peut être exprimé, sachant que ces mots ne seront plus que des mots quand, un jour, je les relirai…

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… Ces doutes me désespèrent. Dans mon souci de l’avenir, je dépouille le présent, dans mon évasion je laisse derrière moi une authentique liberté… »

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Ces jours derniers, j’étais ailleurs, en voyage, un voyage virtuel, un voyage livresque.

C’était un cheminement dans de hautes montagnes au milieu de pics glacés, de troupeaux, de cascades, de pierres, de drapeaux de prières, de rêves d’apparitions…

J’étais au pays du Léopard des neiges – merci Dominique, les éditions Gallimard ont enfin réédité ce titre épuisé –  j’ai vraiment aimé ce périple aux côtés de Peter Matthiessen. Il accompagnait alors le zoologiste George Schaller venu étudier le comportement des bharals en rut, et tous deux souhaitaient ardemment apercevoir des léopards des neiges.

Les précieuses connaissances et observations que nous livre l’auteur font basculer dans un autre monde, celui de la spiritualité, celui de l’ombre et de la lumière pures, celui des extrêmes qui semblent ici cohabiter dans de nombreux domaines. J’aurais envie de dire que pour certains voyages, comme pour le Chemin :  « on ne fait pas le voyage, c’est le voyage qui nous fait ».

Un moment très fort, la semaine prochaine je repars en compagnie de « La panthère des neiges« , j’espère que la vibration sera aussi forte…

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Extraits de : « Le léopard des neiges »  Peter Matthiessen  1927-2014.

Illustrations : 1/« Paysage enneigé »  Albert Bierstadt  1830-1902  2/« Rhododendrons »  Adrienne Jacqueline’s Jacob  1857-1920.

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Voir avec le cœur, pour mieux comprendre…

BVJ – Plumes d’Anges.

Force d’un prénom…

vendredi 25 octobre 2019

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« … Il ouvre son sac et en sort un paquet qu’il pose sur la table.

– C’est ton cadeau d’anniversaire, ma petite Hekla. De ma part et de celle de ton frère. C’est Örn qu’il l’a emballé.

Il s’agit d’un livre, Images et Souvenirs, d’Asgrimur Jonsson. Je l’ouvre à la première page.

– Ce sont les mémoires de l’artiste qui a peint le tableau le plus monumental représentant l’Hekla. Ton grand-père était cantonnier dans la province des Hreppar à l’époque où Asgrimur y avait installé son chevalet pour peindre la mère de toutes les montagnes ainsi que plusieurs endroits de la région d’Arnessysla, en observant les lieux par l’ouverture de sa tente. Il avait monté une grande tente-cantine en toile brune qui sentait le moisi – sans doute parce qu’elle avait été repliée encore humide. Ton grand-père était allé le saluer, il m’a raconté que le coin d’herbe sur lequel l’artiste s’était installé avait été transformé en gadoue par la pluie et que c’était un véritable bourbier. Ça ne l’a pas empêché de percevoir la présence d’une chose plus grande, plus vaste. Vois-tu, Gottskalk, je crois que cette chose, c’était la beauté, m’a-t-il expliqué.

Il attrape le livre sur la table pour me lire les premières lignes qui parlent de l’éruption du Krakatindur, un des cratères de l’Hekla, en 1878. Je suis debout dans le champ, tout près de la ferme, gamin de deux ans, absolument seul. Soudain mon regard se porte vers le sud-est et là, tout à coup, des éclairs jaillissent dans l’air, gigantesques flèches rouges qui zèbrent la voute céleste enténébrée…« 

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ISLANDE, ce nom me fait rêver, j’imagine aussitôt des paysages sortis des premiers matins du monde – j’imagine mais je ne connais pas. Quand je vois sur la couverture d’un livre « Miss Islande », ce programme imagination s’enclenche immédiatement, si l’auteur est en plus Audur Ava Olafsdottir, mon cœur bat la chamade.

L’héroïne de l’histoire porte le nom d’un volcan, quand on sait ce qu’est la force d’un prénom, tout ce qu’il contient, on imagine volontiers sa personnalité. Hekla est une jeune femme déterminée, elle sait intuitivement ce qu’elle veut faire de sa vie, elle incarne la liberté même, celle de se donner les moyens de réaliser sa destinée. Elle est d’une générosité totale, ne se mettant jamais en avant, aidant ceux qui l’entourent, elle sait dire oui et elle sait dire non.  Sa créativité est permanente, elle ne cherche aucune gloire, elle cherche à ÊTRE dans toute la beauté du terme.

Décidément, je suis toujours en amour avec cette auteure, après lecture de son sixième roman…

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Extrait de : « Miss Islande »  2019  Audur Ava Olafsdottir.

Illustrations : 1/ et 2/ Carte de l’Islande montrant l’Hekla en éruption – Abraham Ortelius  1527-1598.

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Accomplir sa destinée…

BVJ – Plumes d’Anges.

Vivre conscient…

mardi 22 octobre 2019

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« … Vivre conscient n’est pas sans risques, et le recueillement pousse vite au désir de dépouillement, non pour s’appauvrir mais pour s’alléger…

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L’acceptation, finalement, suppose un choix paradoxal : celui de ne pas choisir ! De ne rien rejeter, de ne rien éliminer. Même le « pas désirable », le « pas bon », le « pas beau », le « pas bien »… On décide, à l’inverse, de tout accueillir, d’héberger ce qui passe et ce qui est. Par l’acceptation, on ouvre un espace intérieur infini, parce qu’on a renoncé à tout filtrer, à tout contrôler, à tout valider et mesurer et juger. En un sens, accepter, c’est s’enrichir et laisser le monde entrer en nous, au lieu de vouloir le faire à son image, et n’en prendre que ce qui nous convient et nous ressemble. C’est ce que disait à sa manière étrange Thérèse de Lisieux : « Je choisis tout. »…

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L’extase est une sortie de soi et une fusion dans autre chose de plus vaste : une révélation divine, ou parfois charnelle, l’accès à un autre monde que l’habituel, dans un autre état de conscience que l’habituel. Elle est une chute, un saut ou un détour – car, en général, on en revient – dans la transcendance et l’absolu. 

L’enstase est une chute en soi-même, et on y découvre que tout est là. C’est la douceur qui monte du dedans, le calme à qui l’on a permis d’émerger de l’intérieur. Tout à coup, éruption volcanique de sérénité. C’est toujours bouleversant de sentir cet apaisement autoproduit. Bouleversant de constater comme le calme enstatique nous relie au monde au lieu de nous en séparer. On se laisse alors transformer, au lieu de vouloir encore et toujours transformer ce qui nous entoure…

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Plutôt que le dépassement (de soi ou, pire, des autres), c’est l’accomplissement qui nous intéresse alors : ne plus penser sa vie en termes de victoires ou de défaites, mais d’expériences qui nous construisent… »

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J’ai beaucoup aimé ce livre, il est d’une grande bienveillance. Il se compose de 25 chapitres s’ouvrant chacun sur un tableau. L’auteur part de l’œuvre picturale pour soutenir son propos, son observation est fine, c’est très bien vu. Les mots nous parlent et élargissent notre univers.

Il y a aujourd’hui pléthore en matière de livres sur le sujet, celui-ci me semble d’un belle profondeur, le propos est limpide, tout s’éclaire en nous. On a envie de revenir sur cette lecture, on a envie de suivre Christophe André, c’est un livre de chevet qui fait du bien à l’âme…

Extraits de : « Méditer, jour après jour »   2011   Christophe André.

Photos BVJ – Plage de l’Almanarre – 1° octobre 2019.

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S’alléger et se sentir plus léger…

BVJ – Plumes d’Anges.