Murmures des hauteurs…

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« … Une plume inconnue, jaune et bleu gris, gît sur le sentier dans le scintillement du mica et l’éclat de pierres surprenantes. Et une intuition aigüe, où l’intellect n’a rien à faire, me persuade que dans cette plume sur la piste argentée, dans les rythmes du cuir et du bois, dans le soleil, le vent et le bouillonnement de la rivière, dans ce paysage sans passé ni avenir, dans cet instant, dans tous les instants, le transitoire et l’éternité, la mort et la vie ne sont qu’un…

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… Et bientôt tout ce que l’on entend, tout ce que l’on voit et ressent prend une imminence, une imminence comme si l’attention de l’Univers entier se trouvait éveillée, un Univers dont on est le centre, un Univers autre que Soi, et qui cependant n’en diffère pas, même scientifiquement parlant : l’homme comme les montagnes est composé d’hydrogène, d’oxygène, de calcium, de phosphore, de potasse et d’autres éléments. « Tu ne jouis jamais du monde tant que la Mer ne coule pas dans tes veines, que tu n’es pas vêtu des cieux, couronné des étoiles, et tant que tu ne te perçois pas comme l’unique héritier de l’univers entier et plus encore, car chacun des hommes qui y vit en est l’unique héritier comme toi*…

* Thomas Traherne   « Les Centuries « 

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… Et voilà que tout autour de moi, les monts s’animent ; la Montagne de Cristal bouge. Bientôt me parvient le murmure du torrent très loin en contrebas sous la glace : il semble impossible que je puisse l’entendre. Même en l’absence totale de vent, le bruit des rivières va et vient, s’élève et se réduit, comme le vent lui-même.  D’instinct je m’épanouis en laissant toute la vie pénétrer en moi, exactement comme une fleur se remplit de soleil. Se dégager de cette vieille gangue, libérer son énergie, voler…

(…) J’abaisse mon regard des pics immaculés aux épines luisantes, aux nappes de neige, aux lichens. Bien que je ne la voie pas, la Vérité est proche dans la réalité de ce roc sur lequel je suis assis. Ces pierres dures font percevoir à mes os ce que mon esprit n’a jamais pu comprendre dans le Sutra du Cœur, que « la forme est vacuité et la vacuité forme », que le Vide de l’espace bleu-noir est contenu dans tout. Parfois lorsque je médite, les énormes rochers dansent.

Le secret des montagnes est qu’elles existent, simplement, comme je le fais moi-même : les montagnes existent simplement, ce que je ne fais pas. Les montagnes n’ont pas de « signification », elles signifient ; elles sont. Le soleil est rond. Je résonne de vie, les montagnes résonnent, et quand je puis l’entendre, nous partageons cette résonance. Je comprends tout cela, non par le truchement de mon esprit, mais par celui de mon cœur, conscient de l’inanité qu’il y a à tenter de percevoir ce qui ne peut être exprimé, sachant que ces mots ne seront plus que des mots quand, un jour, je les relirai…

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… Ces doutes me désespèrent. Dans mon souci de l’avenir, je dépouille le présent, dans mon évasion je laisse derrière moi une authentique liberté… »

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Ces jours derniers, j’étais ailleurs, en voyage, un voyage virtuel, un voyage livresque.

C’était un cheminement dans de hautes montagnes au milieu de pics glacés, de troupeaux, de cascades, de pierres, de drapeaux de prières, de rêves d’apparitions…

J’étais au pays du Léopard des neiges – merci Dominique, les éditions Gallimard ont enfin réédité ce titre épuisé –  j’ai vraiment aimé ce périple aux côtés de Peter Matthiessen. Il accompagnait alors le zoologiste George Schaller venu étudier le comportement des bharals en rut, et tous deux souhaitaient ardemment apercevoir des léopards des neiges.

Les précieuses connaissances et observations que nous livre l’auteur font basculer dans un autre monde, celui de la spiritualité, celui de l’ombre et de la lumière pures, celui des extrêmes qui semblent ici cohabiter dans de nombreux domaines. J’aurais envie de dire que pour certains voyages, comme pour le Chemin :  « on ne fait pas le voyage, c’est le voyage qui nous fait ».

Un moment très fort, la semaine prochaine je repars en compagnie de « La panthère des neiges« , j’espère que la vibration sera aussi forte…

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Extraits de : « Le léopard des neiges »  Peter Matthiessen  1927-2014.

Illustrations : 1/« Paysage enneigé »  Albert Bierstadt  1830-1902  2/« Rhododendrons »  Adrienne Jacqueline’s Jacob  1857-1920.

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Voir avec le cœur, pour mieux comprendre…

BVJ – Plumes d’Anges.

13 commentaires sur “Murmures des hauteurs…”

  1. « Dans mon souci de l’avenir, je dépouille le présent » : une phrase à méditer, d’un livre qui figure depuis bien longtemps sur la pile à lire, et que tu me donnes envie de saisir dès à présent (je vais au moins attendre ce soir : j’ai du travail !!!)

  2. Anne dit :

    Belle harmonie entre texte, extrait littéraire (que je ne connais pas!) et tes errances…………..

  3. Dominique dit :

    Le léopard des neiges fait partie de ces lectures jamais oubliées et très souvent refaites
    la panthère des neiges j’attends un peu, cela me fait envie mais j’ai peur de la déception …
    Merci à toi pour le lien c’est très gentil

  4. Merci Brigitte pour la découverte de ce livre…et du blog de Dominique que je ne connaissais pas. Ces échanges sont riches, c’est vraiment le meilleur coté du monde des blogs ! Bon début de semaine, je t’embrasse. Claudie.

  5. Célestine dit :

    La montagne a cet effet-là : on s’y sent authentique, pleinement exister, sans plus aucune considération parasite que le bonheur d’être…
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  6. Fiorenza dit :

    Mille mercis pour la bouffée d’air que tu nous insuffles, chère Brigitte !
    Oui, la montagne nous transcende : loin des mesquineries de la vallée,
    elle nous tire, nous apaise, nous emplit de sa hauteur !

    La poésie des cimes « fait danser les rochers » !

    Je retiens cette image en me réjouissant du prix Renaudot attribué à notre
    cher Sylvain Tesson et…tant pis pour les grincheux qui, heureusement,
    ne recueillent pas souvent tes Plumes d’Anges 💫 😇 🌟

  7. eki eder dit :

    merci pour ce beau billet Brigitte et des illustrations choisies avec goût.
    Bon lundi et lecture.

  8. Tania dit :

    Déjà noté ce titre chez Dominique, merci pour ces larges extraits et ce beau pic illuminé. Une lecture-voyage à entreprendre un jour.

  9. claudeleloire dit :

    j’ai peu fréquenté la montagne, lui préférant la mer, mais j’ai le souvenir ravivé par les mots de l’auteur qui n’ont rien de gratuits puisqu’ils renvoient aux émotions vécues !
    amitié Brigitte .

  10. Cela m’enchante de lire ces extraits ce matin. Dominique est une belle pourvoyeuse de lectures fortes.
    Aller de l’avant, toujours.
    A bientôt !

  11. Colo dit :

    Que ces murmures sont beaux, envahissent nos êtres tout entiers.
    Je l’avais noté chez Dominique, je le souligne d’urgence maintenant!
    Bonne semaine, merci Brigitte

  12. Aifelle dit :

    « Le léopard des neiges » m’attend depuis longtemps, je l’ai mis sur le dessus d’une pile pour ne pas l’oublier. J’ai feuilleté le magnifique album de photos de Vincent Munier, parti avec Sylvain Tesson. Un voyage virtuel de toute beauté. Bonne journée Brigitte.

  13. Poussy dit :

    L’eau pure des glaciers court en toi Brigitte et ouvre tous les chemins de liberté.
    Et ça, les panthères/léopards des neiges le savent dans le sacré de leur coeur!
    La vibration sera toujours là, et la lumière aussi, tout est bien.

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