Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Grand festin…

mercredi 20 mars 2019

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« Il neige dans la nuit,

En secret, en sourdine.

En un instant, la terre

S’éclaircit, s’épaissit ;

L’air froid cède le pas

À une douceur subite…

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… Longtemps privés de feuilles,

Les arbres se sentent pousser

Des ailes ; de branche en branche

Ils suspendent des guirlandes,

Criant : « Demain la fête ! »

À l’aube, tout est fin prêt,

Tous s’habillent de neuf…

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… Conviés au grand festin,

Intimidés, mésanges

Et merles osent à peine

Bouger leurs pattes,

De peur de salir la nappe blanche… »

« Tout est signe,

Tout fait signe,

Souffle qui passe,

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… Fruit qui s’offre,

Main qui touche,

Face qui crie :

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… « Retourne-toi,

Reprends-toi,

Reçois tout

et fais signe ! »  « 

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Que cette saison nouvelle mette des couleurs dans notre vie,

que notre imagination nous fasse grandir

vers de jolis sommets et fleurir, fleurir encore…

BON PRINTEMPS À TOUTES ET À TOUS !

Poèmes extraits de : « La vraie gloire est ici » –  (Par ici nous passons) – 2015  François Cheng.

Photos BVJ – Entre Dolomites et Lac de Garde .

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Participer au grand festin du printemps…

BVJ – Plumes d’Anges.

Retour aux sources…

lundi 11 mars 2019

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« … Si vous l’aviez connu, vous n’auriez rien pu deviner, son regard était toujours doux, souriant. À ses côtés, on se sentait aimé. Mon père voulait savoir ce qu’il pouvait faire pour vous. Comment vous aider. Quel était votre désir.

Guettant la moindre grimace, le plus infime souffle de contrariété auquel il répondait :

– Cœur qui soupire n’a pas ce qu’il désire.

Alors, il partait en quête de ce qui pourrait vous soulager.

Le passé n’existait pas, seul le présent comptait.

Il répétait :

– Il ne faut offrir que de bons souvenirs…

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Pendant les cinq ans de l’Occupation, Gilbert a rencontré ce qu’il y a de meilleur et de pire dans l’humanité. De toutes ses forces, il a décidé qu’il ferait semblant d’oublier le pire et se tournerait vers le meilleur…

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Alors qu’on glorifie la supériorité occidentale, qu’on se félicite des découvertes, que l’on justifie alors la colonisation, Lévi-Strauss lui apprend à se défier de ses croyances dans un monde de progrès qui irait « vers l’avant ». Il dévoile les dévastations qui conduisent vers d’autres dévastations.

Gilbert lit et reconnaît ce qu’il a vécu enfant et adolescent, mais dans cet ouvrage, il reconnaît autre chose qui lui plaît, l’encourage, le charme.

Nous allons vers notre perte, il nous faut décrire et vivre la grâce de notre monde tant qu’il en reste des traces. Le pourpre d’un lever de soleil, les arômes suaves d’un fruit de la passion, l’ « ivresse olfactive » ressentis à l’arrivée en Amérique par l’océan, il reconnaît la fraîcheur verte de l’Arnette, la rivière dans laquelle il plongeait les deux bras jusqu’au coude, fouillant sans peur les pierres gluantes afin d’attraper des truites.

Tristes tropiques est son manuel, Claude Lévi-Strauss lui accorde l’impatience, la curiosité, l’inquiétude, le désir, la beauté et sa perte.

Il faut observer et voyager, Gilbert répétait à ses enfants, il faut vous créer de beaux souvenirs, reconnaissant que ce qui est bon et beau ne peut durer… »

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Ce roman est un voyage vers les origines. L’auteur tente de comprendre son père, Gilbert, le pourquoi de ses fuites, elle ressent des non-dits. Elle se tourne vers celles et ceux qui l’ont connu et vers les archives, celles de l’Allemagne nazie et de la guerre d’Algérie.

Après des années de questionnements, elle ressent enfin la lumière de la paix intérieure, une très belle lecture !

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Extraits de : « Les guerres de mon père »  2018  Colombe Schneck.

Illustrations ; 1/ « Renoncules d’eau »  Eero Järnefelt  1863-1937  2/ « Colombe » – étude –  Constantino Fernandes  1878-1920.

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Trouver ce qui nous encourage…

BVJ – Plumes d’Anges.

Synchronicité…

jeudi 7 mars 2019

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« … Mains

Avez-vous prêté attention aux mains dans le retable de la Tour-du-Pin ? Les mains du Christ ? Celles de sa mère ? Les mains de Madeleine ?

Je dirais presque : avez-vous reconnu la main du maître. Je prononce ces mots sans ostentation, en sincère humilité. C’est aux mains qu’on reconnaît le maître. Les mains de Roger. Les mains de Léonard. C’est dans les lignes de la main qu’on discerne la nature du peintre. Là il révèle sa personnalité, son style, qu’on appelle : sa main. Là, il se trahit.

Un soir j’ai observé le retable et j’ai constaté qu’il avait une manière propre. C’était ma manière, personne d’autre. C’était ma main.

Je me suis senti seul, très seul.

J’ai regardé ma main. Ses lignes. Sa paume.

J’ai vu que de l’unique paume plusieurs doigts sortaient. Ils s’écartaient doucement. Il s’éloignaient les uns des autres, chacun dans sa direction. Seul… »

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Les balades prennent souvent naissance dans un petit détail : voir, revoir, découvrir… un lieu, un objet, une personne… Ce dimanche là, c’est un tableau dont j’avais entendu parlé dans la presse locale qui, à la question, « Où pourrions-nous aller ? » m’a fait immédiatement répondre « Et si nous allions à…! ». Et la récompense fut BELLE !

Le hasard heureux s’ajouta à la fête, deux jours après, je découvrais avec grand plaisir un petit livre, Le Maître de La Tour-du-Pin, il racontait l’histoire d’un tableau et du chemin d’apprentissage et de la vie de son auteur au début du XVIème. Les secrets d’atelier étaient transmis aux apprentis et aux compagnons qui travaillaient sous l’autorité d’un maître. Des différences existaient entre le nord et le sud de l’Europe et c’est pourquoi les disciples voyageaient d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, avec des recommandations…

J’ai aimé cette réflexion sur les mains,  j’ai aimé celles-ci dans le tableau de Brea tout comme j’ai aimé ses visages d’une intense beauté… La presse locale racontait à ce propos que Ludovic Brea avait perdu l’amour de sa vie lors d’une épidémie de peste, dans nombre de ses tableaux était représenté le visage de celle-ci…

Il y a d’amusantes coïncidences entre l’histoire narrée dans ce livre et celle de ce maître niçois !

Comme dans nos vies, non ?

Extrait de : « Le Maître de La Tour-du-Pin »  1988  Jan Laurens Siesling.

Illustration : Polyptyque d’une « Vierge à l’enfant« 

(Église Saint Jean-Baptiste aux Arcs-sur-Argens dans le Var – Image Wikipédia)

Ludovic Brea  1450-1523.

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Suivre le chemin des coïncidences…

BVJ – Plumes d’Anges.

Mondes clos…

lundi 4 mars 2019

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« … Les gens ordinaires sont préoccupés par le haut et par le bas, l’endroit et l’envers, le commencement et la fin des choses. Quelles que soient ces choses, ils s’assurent instantanément de les positionner correctement, et si leur orientation n’est pas bonne ils perdent sur-le-champ leur quiétude et se sentent mal. Si vous accrochez au mur une peinture de Vincent Van Gogh la tête en bas, on se moque de vous, si une chaise se renverse on la replace aussitôt comme elle était. Quand une chaussette est à l’envers on la remet à l’endroit. Les nerfs sont ainsi faits qu’on ne peut faire autrement. Vous le savez sans doute déjà, mais les enfants nés par le siège sont différents. Ils sont doués de la capacité d’examiner l’opposé des choses. La chaise peut bien tomber tête la première ou les chaussettes se retrouver à l’envers, leur cœur n’en est pas troublé pour autant : ils restent sereins et peuvent saisir toutes sortes de secrets cachés dans le monde opposé. Les secrets dissimulés en cachette par Dieu. Dans les pièces de Shakespeare, comme dans les symphonies de Mozart ou bien sûr les tableaux de Vincent Van Gogh, les mondes inversés sont présents. De même que pour les fleurs, les étoiles et les oiseaux. Par exemple, lire Le Songe d’une nuit d’été en commençant par la fin. Écouter un enregistrement de pépiements d’oiseaux à l’envers. Il y a dans ces univers des choses surprenantes que l’on ne peut apprécier que de cette manière. Cela ressemble peut-être à l’existence de scènes qui ne se révèlent que lorsque qu’elles sont interrompues par un battement de cil… »

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Un roman étrange, à la lisière entre deux mondes. L’histoire se passe dans un univers clos et lumineux, les enfants sont soumis à la loi d’une mère aimante mais névrosée suite au décès d’une petite fille. Ils s’inventent alors un monde incroyablement poétique pour éloigner leur peur, on vogue dans la douceur et le surnaturel, la nature et ses éléments plantent un décor d’une grande beauté. La lecture de ce livre est parfois un peu déroutante, on perd le fil puis on le retrouve, comme dans les rêves et leurs invraisemblances…

Extrait de : « Instantanés d’Ambre »  2018  Yôko Ogawa.

Illustration : « Fillette au kimono blanc »  George Hendrik Breitner  1857-1923.

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Éloigner les peurs…

BVJ – Plumes d’Anges.

Chut ! il ne faut pas…

jeudi 28 février 2019

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Il est doux comme un bonbon,

Il est bon comme un doudou,

Il endort les petits enfants,

Il éveille les grands parents…

Le raconteur d’histoire peut broder à souhait autour de la lune,

des étoiles, de la couette dodue, des petits petons…

Ce livre est tout à la fois riche et épuré,

il y a là l’essentiel pour partir en douceur vers le pays des rêves,

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on aimerait se lover en deux pages et se laisser bercer…

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Chut ! Il ne faut pas réveiller les petits lapins qui dorment

le dernier livre d’Amélie Jackowski aux Éditions du Rouergue

est un céleste bijou,

trop chou !

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Photos A. et B. Jackowski.

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Faire et se faire du bien…

BVJ – Plumes d’Anges.

Passeurs…

lundi 18 février 2019

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« … ce que lui dit sa voix, au-delà du récit qu’il fait, c’est que la vie a passé. Son fils est là, devant elle, grand comme un homme. Elle le regarde avec émotion, semble le voir pour la première fois. Il croise son regard mais ne comprend pas que c’est le regard d’une mère qui découvre que son enfant ne lui appartient plus tout à fait. Elle le laisse parler, espérant qu’il le fera durant toute la nuit, même si elle s’endort, même si le feu s’éteint et que le froid les saisit : qu’il parle pour raconter tout ce qu’il a vu, pour que ces instants s’étirent et ne s’achèvent jamais. Elle a bien fait de le confier à la colonne. Elle s’était juré de la faire lorsqu’il était encore un nouveau-né. Malgré sa peur et ses réticences de mère, elle s’était juré de l’arracher régulièrement à ses propres bras. C’est ce qu’elle a toujours appelé « le serment d’Alika ». Aujourd’hui, il sent qu’elle n’a plus besoin d’autres voyages. Il est prêt. Il sait ce qu’il doit savoir. Alors, lorsqu’il se tait, lorsque la nuit est tombée et que les chèvres se sont regroupées, serrées les unes contre les autres en prévision du froid qui va descendre des montagnes, elle le regarde et lui dit simplement : « Demain, nous partirons. » Elle le dit avec une voix qui ne laisse aucun doute. Il n’est pas besoin de préciser ni où ni pourquoi. Il comprend que ce qu’ils vont quitter demain, ce ne sont pas seulement ces terres de cailloux, cette vieille hutte où s’entassent des objets d’exil et les montagnes alentour, c’est leur vie elle-même…

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… Darzagar s’assoit à la proue, face à Malaka, et se tait. Il s’installe dans l’attente et Malaka sent que cela peut durer des heures. Ce n’est plus ce qui compte. La barque dérive doucement, comme si le vieux passeur s’en était remis à la mer, ou à la lune, ou à tout autre force que Malaka ne connait pas mais qui régit l’ordre des choses. Le monde doit prendre une décision et ils ne peuvent ni le presser ni l’influencer…

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« Moi Malaka, fils de l’énigme, je ne peux pas raconter une enfance entière : ces longs jours de silence où Salina n’est qu’un corps blotti contre celui de Mamambala. Puis ses progrès, ses hésitations, ses tentatives… Ces jours où elle s’élance, babille, marche, puis parle. (…) Je ne peux pas raconter toutes ces années et pourtant il faudrait, car c’est là qu’elle rencontre Kano, fils de Sissoko Djimba. Il est pour elle un petit garçon avec lequel elle joue, avec lequel elle découvre le monde. Kano qu’elle aime. D’emblée. D’aussi loin qu’elle puisse se souvenir, parce qu’il est à la fois l’autre et elle-même. Avec lui, courses, jeux, premières peurs et serments de toujours. Avec lui, les mille choses qui ne sont rien, les mille gestes anodins et heureux de l’amour enfantin et la certitude que la vie est là, sûre, pleine et lumineuse. Je ne peux pas raconter le détail de chaque jour, la confiance qui croît entre la femme et la petite fille, mais je sais cela : il n’y a qu’une chose que Mamambala n’a pas dite, c’est que grandir était une exil. »… »

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Des blessures profondes, des êtres entiers, le poids des traditions, la colère… Dans un monde rude et âpre, un chant d’amour traverse le désert des cœurs. Il n’est entendu – de manières différentes – que par trois femmes, successivement, et par un fils… Une histoire très forte de l’ombre et de la lumière en pays d’Afrique, un récit aux  mots choisis qui nous envoutent. L’évocation est puissante, elle oscille entre les extrêmes, le chant est pénétrant, encore un très beau livre de cet auteur.

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Extraits de : « Salina-les trois exils »  2018  Laurent Gaudé.

Illustrations : 1/« Rochers »  Odilon Redon   1840-1916  2/« Coucher de soleil »  Alfred East   1844-1913.

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Tisser des fils d’amour…

BVJ – Plumes d’Anges.

Délicatesse…

mercredi 13 février 2019

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« … Le livre dont je m’inspirais était le Kôyagire daisanshû, la plus ancienne copie connue de poèmes Kokinshû. Puisque d’après l’Ainée, contempler de belles choses était un moyen de progresser, je passais mes journées à le feuilleter, au lieu de lire des livres pour enfants…

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… – Quelle est votre saison préférée, Madame Barbara ? ai-je demandé sans quitter la mer des yeux.

– Toutes, a-t-elle répliqué du tac au tac. Au printemps, les cerisiers sont beaux et en été, on peut se baigner. À l’automne, on mange plein de bonnes choses, et l’hiver, le calme règne et les étoiles sont magnifiques. Moi, je suis une gourmande incapable de choisir. Alors printemps, été, automne et hiver, j’aime toutes les saisons…

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Derrière les arbres nus, dépouillés jusqu’à la dernière de leurs feuilles, les étoiles brillaient. C’est alors que Madame Barbara a lancé :

– Je vais te confier quelque chose qui va t’aider, Poppo.

– Comment ça ? ai-je demandé.

– C’est la formule secrète du bonheur, que j’ai appliqué toute ma vie, a-t-elle dit en riant.

– Apprenez-la moi !

– Eh bien, il faut se dire à l’intérieur : « Brille, brille. » Tu fermes les yeux et tu répètes, « Brille, brille », c’est tout. Et alors, les étoiles se mettent à briller les unes après les autres dans les ténèbres qui t’habitent, et un beau ciel étoilé se déploie.

– Il suffit de répéter « Brille, brille » ?

– Oui, c’est simple, hein ? Et ça fonctionne n’importe où. Quand tu fais ça, les problèmes, les chagrins, tout s’efface sous un joli ciel plein d’étoiles. Vas-y, essaie…

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… Plutôt que de rechercher ce qu’on a perdu, mieux vaut prendre soin de ce qui nous reste. Et puis… a-t-il ajouté. Si quelqu’un vous a porté sur son dos, la prochaine fois, à vous de le faire pour quelqu’un d’autre. Moi aussi, ma femme m’a souvent soutenu. C’est pour ça que maintenant, je peux le faire à mon tour. Et ça, c’est déjà bien… »

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Un livre d’une incroyable douceur : une jeune fille revient sur les lieux de son enfance,  après la mort de sa grand mère, l’Ainée . Reprenant le métier de celle-ci, elle s’applique à l’exercer avec sérieux et  délicatesse. Elle retrouve le fil d’une jolie histoire, la leur, pleine d’amour et de générosité. Elle tisse petit à petit des liens d’une belle humanité avec ceux qui se présentent à elle, le monde n’est que découvertes, la paix peut prendre place et l’univers s’élargir, une lecture lumineuse…

Extraits de : « La papeterie Tsubaki »  2018  Ogawa Ito.

Illustrations : 1/« Vases, éventail et Amours-en-cage »  Hubert Vos  1855-1935  2/« Poèmes et fleurs »   Konoe Nobutada  1563-1614.

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Donner du sens…

BVJ – Plumes d’Anges.

Légèreté des jeunes êtres…

vendredi 8 février 2019

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« … Je saute à pieds joints dans les flaques. N’y voyez pas malice, c’est mon bonheur ! J’aurai trois ans en juillet : je marche sur le ciel.

Je cours derrière les papillons et bavarde avec les fourmis.

Si j’avale à petites gorgées l’eau de mon bain, ne vous affolez pas : je suis un buveur d’eau tiède. J’aime ce qui est doux et chaud. Après tout, le temps n’est pas si lointain où j’étais une espèce de poisson, nageant dans le ventre de maman.

Pardonnez-moi si j’arrache les pétales des fleurs et fais tomber les livres de la bibliothèque.

Je vide et je remplis. Je construis et détruis. Je fais, puis je défais. J’ai compris qu’en cette vie l’on doit répéter sans cesse les mêmes gestes…

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Je voudrais respirer les mots comme on respire le parfum des fleurs. Les cueillir sur le papier et les disposer en bouquets dans des vases si transparents qu’on en oublierait l’eau. Alors on se prendrait à croire que ces mots-fleurs coupés se tiennent debout tout seuls… Le livre dont je rêve, ce serait cela : un bouquet de fleurs parfumées plantées dans une eau invisible. Une sorte de miracle. Comme on en rencontre précisément dans les livres. Des fleurs sans histoire et sans ombre. Et pourquoi pas sans tiges, suspendues comme des étoiles au ciel. Ou comme des papillons…

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– Dessine-moi un poème !

Papa trace un rectangle sur la page et le remplit d’étoiles :

– Un poème, c’est une fenêtre qui brille. On voit le monde à travers… On peut aussi s’enfuir par là…

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La pluie est une jolie dame, pieds nus dans l’escalier. Sage et gracile, elle se repose sur chaque objet. Encore demeure-t-elle peu, vernis infime, pellicule précaire. Le monde est propre, il étincelle. Feux de la pluie. Quantité de minuscules planètes déboulent ainsi dans l’herbe comme les œufs blancs des papillons.

Elle ne se divise pas. Venue de nulle part, elle retourne chez elle. Douceur de la pluie dans la paume : rêve d’une poignée de pluie.

Chuchotis et tressaillements, furtives confidences, mailles, tissu, lacis, bruits doux et voix ; il faut pour dire le marivaudage de la pluie de grosses voyelles rondes en forme de gouttes d’eau. Le ciel sepose des questions bleues après l’averse… »

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Il faut un grand talent et beaucoup d’amour pour faire un tel Exercice de style, tout n’y est que poésie.  L’auteur fait ici un cadeau à son fils mais aussi à lui-même. Avoir dans sa tête et dans son cœur ce qui faisait de nous des enfants est un trésor… Un très joli moment de lecture que je vous recommande.

Extraits de : « Journal d’un enfant sage »  2010  Jean-Michel Maulpoix.

Illustrations : 1/« Visages d’enfants »  Hannah Frosterus-Segerstrâle   1867-1946  2/« Hydrangeas et autres fleurs »  Giovanni Segantini   1858-1899.

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Chausser nos yeux d’enfants…

BVJ – Plumes d’Anges.

Élan…

lundi 4 février 2019

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« … « Une galette en tableau n’apaise pas le faim », dit Dôgen dans l’un de ses sermons du Shôbôgenzô, reprenant à son compte la parole d’un ancien maître de l’Empire du Milieu, assertion qu’il triture en des gloses bizarres, jusqu’à en faire une proposition contraire : une galette apaise la faim du corps, mais seule une galette en peinture atteint à cet indicible qui satisfait la faim spirituelle. Voilà une manière de dire que, sans l’élan qui nous porte vers le monde, le monde en soi n’est rien. C’est pourquoi si vous attendez passivement du monde une révélation vous pourrez attendre votre vie entière. C’est quand vous allez au monde que le monde vient à vous. L’éveil est dynamique. Il y faut une énergie. Et c’est cette énergie, si on parvient à l’éveiller, qui transcende la passivité de la déprime…

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Dans un monde où les cervidés apparaissent à l’orée du bois, où les saumons remontent les ruisseaux, on doute moins du sens de la vie. Ces apparitions, ces présences, ce sont les nourritures psychiques dont l’homme a besoin. Un humain a besoin de vivre en résonance d’âme, que ce soit avec des sources, des arbres vénérables, des rochers, ou des animaux sauvages. Peut-être est-ce de vivre sans qui rend l’humanité si misérable…

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C’est quand l’existence surmonte un à un les obstacles que le sens vivant d’une vie prend forme. Dans la morne plaine, le cours de l’eau est sans obstacles, il s’affadit et s’envase. Il croupit. Telles sont les promesses d’une vie facile : en voudrait-on ?…

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comme lorsqu’on grimpe une montagne, passée la crête, c’est un grand paysage vide qui se révèle, où le rouge du levant est d’une beauté où l’on s’absorbe. Vous avez certes faim, vous avez froid et mal aux jambes, mais ces douleurs sont sans réelle importance. Ce que vous vivez est un ravissement de l’âme qui n’est pas seulement de l’ordre d’une expérience esthétique, d’une atteinte au sublime. Si vous regardez bien, à ce moment là, il n’y a plus personne. C’est comme si vous respiriez du divin dans l’éther. En étant de l’être de Dieu,pour parler comme maître Eckhart, votre être de misère s’est dissipé. C’est ce qu’il faut comprendre en redescendant de la montagne, pour en garder la marque en ce monde imparfait… »

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Encore une lecture vivifiante ! Ce n’est pas un roman mais une suite d’instants de vie qui se succèdent, racontent les lieux, les activités du jour et de la saison, les points de vue de l’esprit et de l’âme. L’auteur est riche d’un passé et de multiples expériences qu’il met en lien avec le présent. Merci à celles qui avaient parlé de ce livre, il y circule une précieuse énergie…

Extraits de : « Ma vie dans les monts »  2018  Antoine Marcel.

Illustrations : 1/ »Paysage »  et 2/ »Arbres »  Karoly Patko  1895-1941  3/ »Jouer avec les couleurs »  William Henry Holmes  1846-1933.

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Aller vers le monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

Grand fracas…

lundi 21 janvier 2019

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« … La salle de rédaction a d’abord été ce plan fixe d’un film opaque et mystérieux, pas encore tragique, ni vraiment commencé ni vraiment fini, un film dans lequel je jouais sans l’avoir voulu, sans savoir quoi jouer ni comment, sans savoir si j’étais premier rôle, doublure ou figurant. La scène brutalement improvisée flottait dans les décombres de nos propres vies, mais ce n’était pas la main d’un projectionniste qui avait tout arrêté : c’étaient des hommes en armes, c’étaient leurs balles ; c’était ce que nous n’avions pas imaginé, nous les professionnels de l’imagination agressive parce que ce n’était tout simplement pas imaginable, pas vraiment. La mort inattendue ; l’éléphant méthodique dans le magasin de porcelaine ; l’ouragan bref et froid ; le néant…

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La nécessité, tout accepter, et le devoir, l’accepter avec autant de gratitude et de légèreté que possible, avec une gratitude et une légèreté de fer, allaient me conduire à rendre immuable la seule chose qui pouvait, et devait, l’être : mon caractère en présence des autres. Les chirurgiens allaient aider la nature à réparer mon corps. Je devais aider cette nature à fortifier le reste. Et ne pas faire à l’horreur vécue l’hommage d’une colère ou d’une mélancolie que j’avais si volontiers exprimées en des jours moins difficiles, désormais révolus. Je me trouvais dans une situation où le dandysme devenait une vertu…

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… « Chers amis de Charlie et de Libération,

Il ne me reste pour l’instant que trois doigts émergeant des bandelettes, une mâchoire sous pansement et quelques minutes d’énergie au-delà desquelles mon ticket n’est plus valable pour vous dire toute mon affection et vous remercier de votre soutien et de votre amitié. Je voulais vous dire simplement ceci : s’il y a une chose que cet attentat m’a rappelée, sinon apprise, c’est bien pourquoi je pratique ce métier dans ces deux journaux – par esprit de liberté et par goût de la manifester, à travers l’information ou la caricature, en bonne compagnie, de toutes les façons possibles, même ratées, sans qu’il soit nécessaire de les juger.  »

Sept jours après l’attentat, j’ai publié dans Libération l’article qui débute par ces lignes… »

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J’avoue avoir tourné les 512 pages de ce livre avec une certaine appréhension. Je suis parvenue à la dernière, enrichie par la volonté de ceux qui souffrent ainsi dans leur chair. Les actualités nous parlent des disparus dans ces actes odieux mais jamais de ce par quoi passent les rescapés blessés qui deviennent vite des oubliés anonymes. Pourtant ils doivent affronter d’incroyables chirurgies et des douleurs sans nom, ils restent marqués à jamais par le sceau de la tragédie.

Ce texte est sobre, sans haine ni colère, plein d’une grande et belle humanité, on sent comme une victime doit se concentrer  pour mobiliser en elle toute  l’énergie réparatrice, on sent comme les soignants doivent prendre sur eux pour imaginer des solutions et  apaiser les angoisses, celles des patients et les leurs,  on sent comme famille et amis sont importants pour aider une possible reconstruction. Chacun a ses « trucs », là l’auteur s’aide de la musique, de la littérature, de la poésie, de l’écriture…, sa culture est grande.

C’est une lecture forte, très forte, on ne souhaite qu’une chose : que toutes ces victimes fleurissent à nouveau dans leur nouvelle existence…

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Extraits de : « Le lambeau »  2018  Philippe Lançon.

Illustrations : 1/« Éruption du Mont Bandai » Inoué Yasuji    1864-1889  2/« Branches de cerisier »  Alice Bailly  1872-1938.

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Avoir compassion après de grands fracas…

BVJ – Plumes d’Anges.