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« … À quarante ans, Rose n’avait presque pas vécu. Enfant, elle avait grandi dans une belle campagne, y avait connu les lilas éphémères, les champs et les clairières, les mûres et les joncs de ruisseau ; enfin, le soir, sous des cascades de nuages dorés et de lavis roses, elle y avait reçu l’intelligence du monde. À la nuit tombée, elle lisait des romans, de sorte que son âme était façonnée de sentiers et d’histoires. Puis un jour, comme on perd un mouchoir, elle avait perdu sa disposition au bonheur…
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« Nous marchons en ce monde
sur le toit de l’enfer
en regardant les fleurs »
Issa
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… Dans les temps chaotiques du Moyen Âge japonais que les chroniqueurs d’alors appelèrent un monde à l’envers, un samouraï esthète, également habile à l’art du sabre et à celui de la calligraphie, revenait périodiquement à sa maison de Kagoshima sur l’île de Kyûshû. Là se trouvaient sa femme et son fils et, dans le jardin intérieur bordé de galeries de bois, un érable magnifique. Quand l’enfant fut assez grand pour exprimer le désir de parcourir l’archipel, son père lui montra l’arbre aux feuilles flamboyantes d’automne et lui dit : Toutes les mutations sont en lui, il est plus libre que moi ; sois l’érable et voyage de tes métamorphoses… »
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Ce livre est doux, c’est un voyage sur les ailes d’un blanc papillon.
En douze chapitres
– 12, cycle complet, qui une fois achevé nous permet d’en
commencer un autre, d’emprunter un nouveau chemin –
douze chapitres qui sont douze tableaux « portés » par une fleur ou un arbre,
l’auteure nous amène de l’ombre à la lumière.
On traverse ces pages comme on traverserait un jardin, on y rencontre un champs de pivoines, des œillets rouge sang, des azalées buissonnants, un bosquet de bambous…
Il y a l’histoire, celle de Rose, botaniste, perdue dans sa vie solitaire , qui porte en elle une grande blessure. En suivant le fil d’or, par petites touches de couleurs, on la suit dans son voyage à Kyoto, elle y vient en effet recevoir l’héritage d’un père japonais qu’elle n’a jamais connu. C’est pour elle un difficile retour à la source de sa vie. L’histoire est très subtile, des plans se superposent et se rencontrent.
C’est un élixir à déguster chapitre par chapitre. Entre deux, le temps est suspendu, on plonge intérieurement dans la profondeur d’une fable, on imagine les paysages, on imagine les personnages, ils prennent corps, leurs traits, leurs costumes, leurs gestes apparaissent, le langage est délicat. On parcourt rapidement la laideur de certains lieux, on ne s’y arrête pas, la destination est un jardin fabuleux.
Les évocations poétiques sont ciselées par une main experte, ce livre est un véritable livre d’art, une potion magique, un voyage méditatif en royaume de beauté, une fois encore.
Vous l’aurez bien compris, j’ai adoré cette lecture.
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Extraits de : « Une rose seule » 2020 Muriel Barbery.
Illustrations : 1/ « Étude de chardons » 2/ « Étude d’azalées » Sophia L.Crownfield 1862-1929.
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Métamorphoser nos jardins intérieurs…
BVJ – Plumes d’Anges.