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… « J’ai rencontré un souvenir
Embusqué derrière une porte
Prêt à me faire trébucher
Un croque-en-coeur en quelque sorte
Boomerang d’un proche passé.
J’ai eu le temps de le sentir
Me bousculant sans que je tombe
Il s’est enfui tel un vampire
Aspirant en grande trombe
Les traces vives de l’insensé. »
Boomerang – juillet 1983.
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« Les gouttes d’eau ont fui aux gargouilles du rêve
et la rosée transsude aux feuilles des roseaux
la fraîcheur du matin essore l’arbrisseau
et les fleurs engourdies se dérouillent les sèves.
Le soleil a cillé des paupières il se lève
étirant ses rayons et lissant ses faisceaux
comme pour l’accueillir au travers des rideaux
la crémone a baillé, le store se soulève.
Les oiseaux ont jeté au ciel leurs vocalises
sur le pas de leurs nids les jeunes s’enhardissent
vannent en s’ébrouant l’eau frêle du matin.
Le soleil a tôt fait de dissiper les gouttes
sur la feuille l’oiseau l’herbe folle des routes
la toilette du ciel éclaircit les jardins. »
Rosée – Août 1981.
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« Une pétillance de l’eau
un miroitant jeu de lumière,
entre pierre et boue une source,
devenant capricieux ruisseau
ou bien un hiératique fleuve.
On peut bien rêver d’être fleuve
quand on est qu’un simple ruisseau ;
sur fond mélodique de l’eau
conserver la joie de la source
dans un legato de lumière.
La réfraction de la lumière
porte l’arc-en-ciel dès la source.
Les cascatelles des ruisseaux,
le train des chalands sur le fleuve ;
sillages, mémoire de l’eau.
Les villes reflètent dans l’eau
jeunesse et vieillesse du fleuve,
dans des plumetis de lumière.
Scintillant, miroitant ruisseau ;
souvenirs perdus de la source.
À l’ombre d’un chêne, une source
conte guilledou au ruisseau.
La mer a oublié le fleuve.
Soleil, lune, étoiles, lumières
sautillent à l’inconstant de l’eau.
Le fond mélodique de l’eau.
Les cascatelles du ruisseau,
tout en plumetis de lumière.
Le mer oublieuse du fleuve.
Entre pierre et boue une source. »
Quintine à la source
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« Chacun porte en son coeur
sa blessure secrète,
camouflée comme il peut.
Et, chacun comme il peut,
a son île déserte
où il s’évade heureux. »
Blessure secrète…
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Lucien Forno (1923-2006) éminent médecin neuropsychiatre à Toulon, très impliqué dans son métier et dans sa ville, fut marqué à l’adolescence par sa rencontre avec Saint-Pol-Roux.
Aimant les Arts, il fut naturellement attiré par celui de la poésie, mania superbement les mots et les langues anciennes, écrivit et offrit parfois ses poèmes à l’occasion des fêtes.
Un recueil humblement signé Lucien vit le jour en 1972 : « Sincèrement votre » aux éditions-saint-germain-des-prés.
… « Un bourgeon coupé/ une feuille tombée/ une fleur fanée/ à quoi cela sert-il,
au bourgeon de vivre/ à la feuille de pousser/ à la fleur d’embaumer/ au poète de rêver »…
Quelle surprise pour ses enfants quand, exhumant 17 ans après son décès, les archives de leur père, ils découvrirent un lumineux trésor : des essais, des traductions d’œuvres latines… et plus de 600 talentueux poèmes.
C’est le livre d’une vie, chaque poème est à lire, à relire pour en saisir toutes les facettes, toute la profondeur.
Lucien Forno qui pendant tant d’années écouta les maux et les mots des autres,
lui qui discrètement, tissant des poèmes, entra dans le souffle de la création,
face aux désordres de la tête et du cœur de ses patients,
il dut trouver des mots, les ordonner, les poétiser.
Il lui fallut découvrir des sources vives pour toujours alimenter le flux et apporter la lumière.
N’y-a-t-il pas dans son prénom LUCIEN, le mot LUCI, lumières en italien, Italie pays de ses racines ?
Il explora diverses formes poétiques, sonnets, quintines, sextines (une découverte pour moi, un exercice de style de haute voltige qu’il affectionna particulièrement ), il se lança des défis, jouant avec un vocabulaire d’une immense richesse.
Homme de passion, il sut fouiller les temps anciens pour en rapporter des mots cadeaux, il jongla avec certains trouvés aux confins du ciel ou inventa des mots nouveaux d’une exquise poésie.
Mettre en mots les joies et les souffrances, les ombres et les lumières, les moments d’intimité et de partage amoureux… quelle merveille !
À cette heure de libération de la parole, Lucien avait encore de belles choses à nous dire,
je vous invite vraiment à découvrir ce livre, il se lit, se relit puis se picore délicieusement,
merci à lui pour cette délicieuse sortie poétique, merci à ses enfants…
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Poèmes extraits de : « Lucien est de sortie « magnifique préface d’Isabelle Forno – 312 poèmes – 2024 Lucien Forno 1923-2006.
Illustrations : 1/ « Primevère, papillon et coléoptère » 2/ « Dent de lion, chenille et papillon » Barbara Regina Dietzsch 1706-1783.
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Cheminer dans le courant des mots…
BVJ – Plumes d’Anges.