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« … Tu pourrais écrire sur maintenant, a dit Eva, sur l’époque actuelle…
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… Nous hochons chacune la tête, nous sourions. Nous essayons chacune de nous attaquer à la difficile tâche de se remémorer le plaisir du passé sans lui accorder d’importance dans le présent…
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… Pendant longtemps rares étaient les jours durant lesquels le courant n’était pas coupé au moins une fois. À la fin, rares étaient les jours où le courant revenait. À un moment nous nous sommes rendu compte que nous avions perdu l’habitude de chercher à tâtons l’interrupteur en entrant dans une pièce…
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… Ta vie t’appartient. Lorsque l’une de nous courait vers elle pour se plaindre de l’autre – Eva refuse d’être le prince, Nell est en train de couper les cheveux de sa poupée, Eva ne veut pas ranger sa chambre – elle répondait mi-fermement, mi-fièrement, Sa vie lui appartient. Et la tienne aussi. Un jour tu comprendras…
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… Le soleil était comme une main sur mes épaules, les oiseaux chantaient au bord de la clairière et un papillon s’est posé sur le sol nu à côté de moi. Il est resté immobile un instant, puis a fermé et ouvert ses ailes plates et s’est envolé. J’ai oublié de scruter la forêt pour voir s’il y avait un intrus.
Je me suis rappelé les graines. (…) L’Encyclopédie rappelle que la seule raison d’être d’une fleur, c’est de produire des graines. Toute cette couleur, ce parfum et ce nectar existent uniquement pour attirer l’attention des insectes ou profiter du vent. La raison d’être d’une fleur, ce sont ces minuscules taches et boutons anodins et inertes, ces paumes ouvertes pleines de chromosomes qui nous nourriront peut-être un jour…
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… J’avais presque décidé de n’en garder aucun, quand un livre qui se trouvait toujours sur l’étagère à moitié vide a attiré mon regard. Je ne l’avais pas lu, n’avais fait rien de plus que parcourir ses mille pages, pourtant j’ai brusquement su qu’il serait le troisième livre que je prendrais. Je l’ai descendu, j’ai tracé son titre du bout du doigt : Index : A-Z.
Je ne pouvais sauver toutes les histoires, sauver toutes les informations – c’était trop vaste, trop disparate, peut-être même trop dangereux. Mais je pouvais emporter l’index de l’encyclopédie, je pouvais essayer de préserver cette liste majeure de tout ce qui avait été fait ou dit ou compris. Peut-être pourrions-nous créer de nouvelles histoires ; découvrir de nouveaux savoirs qui nous maintiendraient en vie. En attendant, j’emporterais l’Index pour ne pas oublier , afin de me rappeler – et de montrer à Burl – la carte de tout ce que nous avions dû abandonner derrière nous… »
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Extraits d’un livre très émouvant : « Dans la forêt » 2017 (en France) Jean Hegland.
Illustrations : 1/ « Fougères et roches » et 3/ « Séquoia » Albert Bierstadt 1830-1902 2/ « Papillon » détail d’une nature morte de Rachel Ruysch 1664-1750.
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Retrouver nos vraies richesses…
BVJ – Plumes d’Anges.





























