Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Entre les lignes…

vendredi 6 octobre 2017

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« … La vie ainsi se gagne et se regagne et il en faut du cœur pour souffler et attiser des braises minuscules, afin de relancer au ciel les mille scintillements d’une joie crépitante…

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Oui, une vie ça ne pèse vraiment pas lourd quand on veut la mettre en mots, mais si tu tombes sur un regard compatissant, c’est comme un glacier qui n’en finit pas de fondre. Et alors là, toute ton existence te file entre les mains. C’est aussi précieux qu’une éponge qui boit tes litres de tristesse. Parce que la vraie délicatesse est toute d’intuitions. Il lui suffit de lire entre les lignes et le Ciel au fond n’appartient qu’à ceux qui savent lire entre les lignes…

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Alors oui, il me plaît de croire que tous mes trajets sur cette terre dessinent une formidable figure dont la lecture totale me sera révélée, un jour que j’espère lointain, où ma vie s’éteindra.

Ce sera ma géographie à moi. On en a tous une. Et même le plus sédentaire d’entre nous, dans son propre voyage autour de sa chambre, et de sa chambre au bureau, et de son bureau au cimetière, dessine sans le savoir son chef d’œuvre bien à lui…

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Je ne sais pas comment il faut les nommer ces êtres rares qui ont le don d’extraire le meilleur de nous-même. Des veilleurs, des voyants, des anges exilés, des bienveillants ? En tous cas, ils font partie de ceux qui semblent s’oublier pour, de toutes leur force, nous permettre de nous extirper de nos affreuses chrysalides…

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Extraits d’un très très beau livre : « Chaque seconde est un murmure »  2016  Alain Cadéo.

Illustrations : 1/« le Bélier »   et 2/« la Vierge » Cartes 16 et 21 du « Miroir d’Uranie » gravées par Sidney Hall (1788-1831).

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Entre les lignes, lire d’autres histoires…

BVJ – Plumes d’Anges.

Instantané…

mercredi 4 octobre 2017

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« Comme tout le sel de la mer peut se goûter du bout d’un doigt

Ainsi toute l’éternité est le suspens d’un seul moment

L’unique battement de cils de la paupière originelle

Est à l’instant de tressaillir sur un œil qui ne le sait pas

 

Ce battement s’est répété des trillions de trillions de fois

Pourtant au bout du plus long cil l’étoile inexistante encore

Attend de poindre à la prunelle où elle est fixe pour jamais

Au crépuscule transparent d’un bleu d’avant le firmament

 

Ce petit jour est l’avant-goût annonçant le Commencement

D’où mille mondes sont issus et mille ères consécutives

Sans que se soit encore ouvert l’œil germinal de l’Univers

Que tout vivant au fond de soi couve jusqu’à la fin des mondes

 

Déployé une fois pour toutes et réduit à ce point d’or blanc

Dont l’image en miroir là-haut est l’immuable étoile absente

Ce même oiseau qui fait la roue sur l’arc entier de l’horizon

Est l’œuf dont vient de commencer l’interminable couvaison »

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« Instant »  poème extrait de : « Le Grand Œuvre »   Pierre Emmanuel  1916-1984.

Photos BVJ – Plage de l’Almanarre, un autre jour…

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Tout existe déjà…

BVJ – Plumes d’Anges.

Exil des cœurs…

jeudi 28 septembre 2017

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« … Je voudrais passer ma vie à récolter des histoires. De belles histoires. Dans un sac, je les mettrais et je les emporterais avec moi. Et puis au moment propice les offrir à une oreille attentive pour voir la magie naître dans le regard. Je voudrais semer des histoires dans les oreilles de tous les êtres. Je veux que ça fleurisse, qu’il en sorte des odeurs embaumantes à la place de toutes les fleurs manquantes, absentes, de toutes les Golé Maryam* qui auraient dû être offertes et qui n’ont pu l’être…

* (Golé Maryam : nom d’une fleur en Iran)

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Ses yeux brillent quand il sourit et même quand il ne sourit pas. Il a le regard des illuminés. Abbâs, c’est une étoile filante ; il n’aura pas une longue vie parce que son cœur, un jour, ne pourra plus contenir tout cet amour à donner. Un jour, son cœur explosera et j’espère que le monde sera éclaboussé de son amour.

Moi je le regarde et je lis tout ça dans ses grands yeux noirs intenses de vie…

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Il était une fois

Un père, une mère, une fille

Le père avait la forme d’une ombre se faufilant sur les murs

La mère, le visage caché, portait une longue robe balayant la terre

La fille, silhouette légère, avait les pieds suspendus dans l’air

Et tous les trois gardaient un secret dans le creux de la main

Sur leur paume, un mot était gravé : EXIL

 

La fille n’avait plus de jouets

On raconte qu’elle les avait échangés contre les lettres de l’alphabet

La mère n’avait plus de sourire

On raconte qu’elle l’avait échangé contre une poignée de souvenirs

Le père n’avait plus de jeunesse

On raconte qu’il l’avait échangée contre quelques pièces de monnaie

Et tous les trois peu à peu devenaient des étrangers

 

La terre se dérobait sans cesse sous les pieds de la fille

La mémoire s’échappait sans cesse de la tête de la mère

Les pièces manquaient toujours dans les mains du père

Et tous les trois peu à peu perdaient le goût de la vie

 

Alors, la fille détourna ses yeux de la terre pour apprendre à voler

La mère chassa la mémoire pour apprendre à oublier

Le père ne compta plus ses sous pour apprendre à rêver

Et tous les trois se mirent à rire

 

Leur rire résonnait si loin

Qu’il pénétra jusque dans les oreilles de leur famille

Leur rire résonnait si fort

Qu’il fit trembler leur terre délaissée

Leur rire résonnait si haut

Qu’il réveilla leur mémoire engourdie

Mais tous les trois, à force de rire, avaient les larmes aux yeux à présent… »

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Extraits du très beau livre : « Marx et la poupée »  2017  Maryam Madjidi.

Illustrations : 1/ « Pensive »  John Everett Millais  1829-1896   2/« Le vent »  Félix Vallotton  1865-1925.

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Compatir à la souffrance des exilés…

BVJ – Plumes d’Anges.

Magiques forêts…

lundi 25 septembre 2017

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« … La forêt est la forme de végétation présentant la plus grande surface foliaire. Chaque mètre carré de forêt correspond à 27 mètres carrés de feuilles et d’aiguilles de houppier. Une partie des précipitations se dépose sur le feuillage et s’évapore presque aussitôt. S’y ajoutent en été jusqu’à 2500 mètres cubes d’eau par kilomètre carré que les arbres absorbent et rejettent dans l’atmosphère par transpiration. La vapeur d’eau qui en résulte forme de nouveaux nuages qui se déplacent vers le centre des continents et se dissolvent de nouveau en pluie. Le mécanisme se répète à l’infini, de sorte que même les régions les plus éloignées de la mer sont arrosées. Ce système de pompage et de redistribution est d’une efficacité telle qu’en de nombreuses grandes régions du globe, dont le bassin de l’Amazone, le volume des précipitations est quasi identique sur les côtes et à des milliers de kilomètres de la mer. À une condition : qu’il y ait de la forêt, depuis le bord de la mer jusqu’au point le plus reculé du continent. Si jamais le premier maillon fait défaut, s’il n’y a pas de forêt en bord de mer, le système s’effondre. Nous devons la découverte de cette condition décisive à une équipe de scientifiques animée par Anastassia Makarieva, en Russie…

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… L’atmosphère de la forêt est synonyme d’air pur et sain. Quoi de mieux que la forêt pour s’aérer les poumons, courir ou faire du sport après une semaine en ville ? Cette bonne réputation n’est pas usurpée. L’air est effectivement beaucoup plus pur sous les arbres, car ils sont d’excellents filtres. Les feuilles et les aiguilles qui baignent en permanence dans les flux d’air captent nombre de particules qui y sont en suspension. Le volume qu’elles interceptent peut s’élever à 7000 tonnes par an au kilomètre carré. Cela s’explique par l’immense surface foliaire que représentent les houppiers…

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… La futaie jardinée* est à l’exploitation forestière ce que la culture biologique est à la production de denrées alimentaires. Cette méthode de gestion durable de la forêt mêle étroitement des arbres de tailles et d’âges différents, si bien que les enfants-arbres grandissent sous leur mère. Seuls quelques gros troncs sont abattus ici et là, en veillant à ne pas endommager le reste du peuplement, puis débardés en douceur, par des chevaux. Et afin que même les vieux arbres aient toutes leurs chances, 5% à 10% de la forêt sont placés sous protection. Le bois provenant de ces exploitations respectueuses des arbres peut être employé sans hésitations. Malheureusement, 95% des forêts exploitées de l’Europe tempérée sont encore des cultures monospécifiques qui utilisent de lourds engins de chantier. Il n’est pas rare que des non-professionnels perçoivent mieux que les forestiers la nécessité de changer de pratiques culturales. Ils interviennent de plus en plus souvent dans la gestion des forêts publiques et parviennent à imposer aux autorités décisionnaires des critères environnementaux très exigeants au niveau local. Dans le cas de la Suisse, c’est un pays tout entier qui se soucie du bien-être des végétaux. La constitution fédérale édicte des dispositions concernant l’obligation de traiter les animaux, les plantes et tout organisme vivant dans le respect « de la dignité de la créature ». Couper ds fleurs sur le bord ds routes sans nécessité est répréhensible. Hors de Suisse, cette vision éthique a certes suscité quelques hochements de tête dubitatifs mais, pour ma part, j’approuve sans réserve cette brèche ouverte dans la frontière idéologique entre animaux et végétaux. Quand les capacités cognitives des végétaux seront connues, quand leur vie sensorielle et leurs besoins seront reconnus, notre façon de considérer les plantes évoluera… ».

*En sylviculture, les termes « jardinage » et « jardiner » désignent un mode d’exploitation de la forêt. La futaie jardinée est une pratique ancienne fondée sur des coupes légères et fréquentes. Respectueuse des processus naturels, elle assure la stabilité et la permanence de la forêt.

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Extraits de : « La vie secrète des arbres »  2017  Peter Wohlleben.

Illustrations : 1/« La solitude des bois »  2/« Ruisseau et forêt »  Eduard Leonhardi  1828-1905.

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Vibrer au son de la nature…

BVJ – Plumes d’Anges.

Je veux croire…

jeudi 21 septembre 2017

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« … Je veux croire qu’il y en a, des vies comme ça, des vies de nuit qui portent leur lumière et leur mémoire et qui s’avancent pourtant comme de pauvres bateaux avec leur maigre lanterne dans la tempête du chaos et des souvenirs, mais qui par leur espérance allument des soleils magnifiques. C’est ce que je veux. En dépit de tout. Allumer des soleils. C’est ce qui m’a toujours portée…

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Dieu se réveillera-t-il un jour de sa sieste ou le rêve du monde se poursuivra-t-il aussi longtemps que son sommeil ? Je suis une pivoine, je suis entrée dans le rêve, il y a des années, dans le rêve de mon nom, une pivoine aux pétales défaits qui a cherché Yasuki toute sa vie, cherché la vérité. Car la poésie est liée à la vérité. Elle est parfaitement réelle. Elle est ce point de pureté du réel qui, lorsqu’on le perçoit, fait de nous des êtres humains incarnés et vivants, manifestation du divin, spiritualisant la matière. Notre tâche d’homme, je ne cesse de le répéter : déplier l’absolu en nous…

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Lorsque nous mourrons, toute notre énergie positive participe de l’avancée du projet cosmique. Et l’énergie négative retourne à la masse de ce qui doit être transformé, à l’inconscient de l’Univers, pour être de nouveau représentée, distillée et modifiée dans le creuset alchimique qu’est l’homme. Jusqu’à ce que, entièrement transformée, l’énergie puisse muter et ouvrir à un autre champ de conscience. Nous sommes l’athanor, le creuset dans lequel se distille la conscience. Notre responsabilité dans l’Univers est une responsabilité d’alchimiste. C’est cela qu’il fut transformer : l’émotion en caractère

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… Yasuki me dit qu’il y a deux hémisphères sur la terre pour que les êtres humains ne dorment pas tous en même temps ; sans quoi il n’y aurait pas assez de rêves pour faire exister le monde. Et aussi qu’il y a deux hémisphères dans le cerveau… »

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Extraits de : « La vie spirituelle » 2017  Laurence Nobécourt.

Illustrations : 1/« Printemps à Atagoyama »  2/« Pluie de printemps »  Hasui Kawase  1883-1957.

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Illuminer les nuits intérieures…

BVJ – Plumes d’Anges.

Mémoire du cœur…

lundi 18 septembre 2017

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« … Les éléphants, sans aucun doute, comprennent la mort. Ils ne s’y préparent peut-être pas comme nous ; ils n’imaginent peut-être pas des vies compliquées dans l’au-delà, à la façon de nos doctrines religieuses. Pour eux, la tristesse est plus simple, plus propre. Elle porte entièrement sur la perte.

Les éléphants n’accordent pas un intérêt particulier aux os des autres animaux morts, seulement à ceux de leurs congénères. Même s’ils tombent sur le corps d’un éléphant mort depuis longtemps, ses restes dévorés par les hyènes, son squelette éparpillé, ils se rassemblent et la tension est perceptible. Ils s’approchent de la carcasse en groupe et caressent les ossements avec ce qu’on ne peut décrire que comme du respect. Ils caressent l’éléphant mort, en le touchant sur tout le corps avec leur trompe et leurs pattes arrière. Puis ils sentent. Il arrive qu’ils prennent une défense ou un os et l’emportent pendant un moment. Ils mettent sous leurs pieds des fragments d’ivoire, même minuscules, et les font doucement rouler. (…)

J’ai vu passer une fois un troupeau d’éléphants dans la réserve du Botswana, et Bontle, leur matriarche, tomber. S’apercevant qu’elle allait mal, ils tentèrent d’abord de la relever avec leurs trompes et de l’aider à se tenir debout. Comme ça ne marchait pas, quelques-uns des jeunes mâles montèrent Bontle, cherchant à la ranimer. Kgosi, son petit, alors âgé de quatre ans, lui mit sa trompe dans la bouche, comme le font les éléphanteaux pour saluer leur mère. Le troupeau grondait et le petit émettait des sons qui semblaient être des pleurs. Puis tous firent silence. Je compris à cet instant qu’elle venait de mourir.

Quelques éléphants partirent à la lisière de la forêt où ils ramassèrent des feuilles et des branches qu’ils rapportèrent pour recouvrir Bontle. D’autres jetèrent de la terre sur son corps. Le troupeau se tint solennellement près du corps de Bontle pendant deux jours et demi, les éléphants ne s’éloignant que pour aller chercher de l’eau ou de la nourriture en revenant aussitôt. Même des années plus tard, alors que ses os avaient blanchi et étaient dispersés, et que son crâne massif restait coincé dans une courbe asséchée du fleuve, le troupeau s’arrêtait quand il passait et les éléphants restaient immobiles pendant deux minutes au-dessus des restes… »

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Extrait de : « La tristesse des éléphants »  2017  Jodi Picoult.

(Un roman émouvant, une intrigue au dénouement inattendu et parallèlement,

une belle recherche sur la vie des éléphants…)

Illustrations : 1/« Éléphant d’Afrique »  Aloys Zötl 1803-1887  2/« Le jardin des délices » – détail du panneau central – Jérome Bosch  1450-1516.

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Penser paisiblement à ceux dont nous sommes issu(e)s…

BVJ – Plumes d’Anges.

Reprendre vie…

mardi 12 septembre 2017

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« C’est dans les endroits

les plus nus

que la semence nouvelle,

porteuse de foi,

vient s’enraciner

le plus profondément…

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… L’homme traita mon oncle d' »idiot du village ». Mais ce démarcheur ne connaissait pas mon oncle. Il ne savait pas qu’il avait vu sa vie réduite en cendres et qu’il demeurait pourtant gentil avec les enfants et attentif avec les animaux, tout en continuant à croire que la terre était un être vivant, doté de ses propres espoirs, de ses propres besoins et de ses propres rêves…

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Je sais que dans chaque terrain en friche, une nouvelle vie attend de renaître. Plus encore, que la vie nouvelle viendra, qu’on le veuille ou non. On peut à chaque fois tenter de la déraciner, à chaque fois elle émettra de nouvelles racines et fera de nouveau souche. Le vent apportera de nouvelles semences qui continueront à arriver et avec elles les opportunités de changer, raccommoder, récupérer son cœur et, enfin, enfin, de choisir à nouveau de vivre. Oui, j’en suis certaine.

Qu’est-ce qui ne peut mourir ? C’est cette force de foi que nous portons en nous et qui nous dépasse, qui appelle les nouvelles semences vers les lieux nus, endommagés et arides pour que nous germions à nouveau…

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… Une prière

Refuse de tomber.

Et si tu ne peux refuser de tomber,

Refuse de rester à terre.

Si tu ne peux refuser de rester à terre,

Élève ton cœur vers le ciel

Et tel un mendiant affamé,

Demande à ce qu’il soit rempli

Et rempli il sera.

On peut te faire toucher le sol.

On peut t’empêcher de te relever.

Mais personne ne peut t’empêcher

d’élever ton cœur

vers le ciel, personne sauf toi-même.

C’est au plus noir du malheur

Que tout s’éclaire.

Dire que de là rien de bon

N’est issu

Est faire la sourde oreille. »

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Extraits de : « Le jardinier de l’Éden »  1998  Clarissa Pinkola Estés.

Illustrations : 1/« Jour de brouillard » William Trost Richards  1833-1905  2/« Pins dans les marais Pontins » Henryk Cieszkowski  1835-1895.

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Renaître à la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Vraies richesses…

vendredi 8 septembre 2017

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« … Le mariage eut lieu quelques semaines plus tard. Don Salvatore bénit leur union. Puis Elia convia tous les invités au trabucco pour un grand festin. Michele, le fils de Raffaele, avait dressé une longue table au milieu des filets et des poulies. Toute la famille était là. La fête était simple et joyeuse. Les victuailles en abondance. À la fin du repas, Donato se leva, calme et souriant, demanda le silence et se mit à parler :

« Mon frère, dit-il, tu t’es marié aujourd’hui. Je te regarde, là, dans ton costume. Tu te penches sur le cou de ta femme pour lui murmurer quelque chose. Je te regarde lever ton verre à la santé des invités et je te trouve beau. Tu as la beauté simple de la joie. Je voudrais demander à la vie de vous laisser tels que vous êtes là, intacts, jeunes, pleins de désirs et de forces. Que vous traversiez les ans sans bouger. Que la vie n’ait pour vous aucune des grimaces qu’elle connaît. Je vous regarde aujourd’hui. Je vous contemple avec soif. Et lorsque les temps se feront durs, lorsque je pleurerai sur mon sort, lorsque j’insulterai la vie qui est une chienne, je me souviendrai de ces instants, de vos visages illuminés par la joie et je me dirai : N’insulte pas la vie, ne maudis pas le sort, souviens-toi d’Elia et de Maria qui furent heureux, un jour au moins, dans leur vie, et ce jour tu étais à leurs côtés. »…

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… « Les générations se succèdent, don Salvatore. Et quel sens cela a-t-il au bout du compte ? Est-ce qu’à la fin, nous arrivons à quelque chose ? Regardez ma famille. Les Scorta. Chacun s’est battu à sa manière. Et chacun, à sa manière, a réussi à se surpasser. Pour arriver à quoi ? À moi ? Suis-je vraiment meilleur que ne le furent mes oncles ? Non. Alors à quoi ont servi leurs efforts ? À rien. Don Salvatore. À rien. C’est à pleurer de se dire cela.

– Oui, répondit don Salvatore, les générations se succèdent. Il faut juste faire de son mieux, puis passer le relais et laisser sa place. »

 Elia marqua un temps de silence. Il aimait, chez le curé, cette façon de ne pas tenter de simplifier les problèmes ou de leur donner un aspect positif. Beaucoup de gens d’Église ont ce défaut. Ils vendent à leurs ouailles le paradis, ce qui les pousse à des discours niais de réconfort bon marché. Don Salvatore, non. À croire que sa foi ne lui était d’aucun réconfort.

 » Je me demandais justement, reprit le curé, avant que tu n’arrives, Elia, qu’est devenu ce village. C’est le même problème. À une autre échelle. Dis-moi, qu’est devenu Montepuccio ?

– Un sac d’argent sur un tas de cailloux, dit amèrement Elia.

– Oui. L’argent les a rendu fous. Le désir d’en avoir. La peur d’en manquer. L’argent est leur seule obsession.

– Peut-être, ajouta Elia, mais il faut reconnaître que les Montepucciens ne crèvent plus de faim. Les enfants n’ont plus la malaria et toutes les maisons ont l’eau courante.

– Oui, dit don Salvatore. Nous nous sommes enrichis, mais qui mesurera un jour l’appauvrissement qui est allé de pair avec cette évolution ? La vie du village est pauvre. Ces crétins ne s’en sont même pas aperçus… »

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Extraits de : « Le soleil des Scorta »  2004  Laurent Gaudé.

Illustrations : 1/« Paysage italien »  Henryk Siemiradzki  1843-1902  2/« Coquillage »  Odilon Redon 1840-1916.

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Choisir avec le coeur…

BVJ – Plumes d’Anges.

Plonger…

samedi 2 septembre 2017

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« … Un vieil homme sage est interrogé sur la trajectoire de son existence jusqu’à ce jour. Et voilà comment il en résume les trois étapes : « À vingt ans, je n’avais qu’une prière : mon Dieu, aide-moi à changer ce monde si insoutenable, si impitoyable. Et vingt ans durant, je me suis battu comme un fauve pour constater en fin de compte que rien n’était changé. À quarante ans, je n’avais qu’une seule prière : mon Dieu, aide-moi à changer ma femme, mes parents et mes enfants ! Pendant vingt ans, j’ai lutté comme un fauve pour constater en fin de compte que rien n’avait changé. Maintenant je suis un vieil homme et je n’ai qu’une prière : mon Dieu, aide-moi à me changer – et voilà que le monde change autour de moi ! »

Et pas de malentendu ! Ce n’est pas d’un renoncement à l’action qu’il s’agit mais bien au contraire d’une action neuve dans un esprit libre, libéré des scories de la puissance, du vouloir paraître, des vanités individuelles, des rivalités, des règlements de comptes ! Une action libre dans la joie de servir…

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Voilà ce que je tente d’exprimer par ce livre : il faut reprendre confiance, passionnément confiance dans notre destinée ! Nous sommes tous inhibés, frigides, des frigides de l’amour du divin, frigides devant Dieu ! Nous n’osons plus la ferveur, nous n’osons plus croire que la ferveur que nous vivons dans la dimension de notre destin peut avoir une importance démesurée sur l’univers entier. À partir du moment où nous entrons dans une dimension de ferveur, nous pouvons déplacer des montagnes. Et quelque chose au fond de nous le sait. Tout l’édifice de l’appris, toutes les ruines qui se sont écrasées sur notre cœur au cours de l’existence, tous ces débris amoncelés nous empêchent de voir ce qu’au fond de nous, pourtant, quelque chose obstinément continue de savoir

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Il n’y a rien de ce que nous vivons chacun dans notre être, dans nos destins particuliers, qui ne soit l’affaire de tous. Il n’y a aucune expérience que nous fassions, aucune chose que nous vivions, qui ne se répande, que nous le sachions ou non, à travers le monde. Toutes les dégradations que nous vivons nous dégradent tous. Toutes les relations claires et hautes nous éclairent tous et nous élèvent. D’autres sont branchés sur les mêmes longueurs d’ondes et peuvent les amplifier. Si je m’élève, j’élève les autres. Imaginez ce filet de pêcheur sur une plage. Je ne peux soulever une maille sans que le filet entier vienne avec. Il n’y a rien qui soit séparé. Cessez de croire que vos expériences de l’amour ne concernent que vous. Chacun de nous, dans chacune de ses amours, est responsable de l’amour sur terre…

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Failli pas failli, fauté pas fauté, péché pas péché, trahi pas trahi… Qu’est-ce que ça peut lui faire au ciel ? Pendant tout ce temps que tu mets à ruminer, tu pourrais enfiler des perles pour sa plus grande joie !!! L’injustice règne partout ? Eh bien glorifie la justice ! Le mal est partout ? Eh bien, fais le bien ! La parole est dévastée, pourrie ? Eh bien recommençons à zéro et balbutions nos premiers mots !… »

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Extraits de : « Du bon usage des crises »  Christiane Singer  1943-2007.

Illustrations : 1/« Coucher de soleil à marée haute »  2/« La Valse »   3/« Clair de lune »   Félix Valotton  1865-1925.

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Plonger dans notre profondeur…

BVJ – Plumes d’Anges.

Respirer…

mardi 29 août 2017

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« Destitué à la suite d’une faute, je n’avais pas de pays où rentrer. Je partis vers le sud sur un petit bateau et arrivai à Wu (Suzhou). On était au plus fort des chaleurs de l’été et la maison que je louai était, comme toutes celles de l’endroit, si étriquée qu’on ne pouvait y respirer. Je cherchais sans succès une demeure vaste et aérée où vivre à mon aise.

Un jour que je passais près de l’école de la préfecture, je vis à l’est une dense végétation autour d’une haute colline et un large cours d’eau, comme on en voit guère à l’intérieur des remparts d’une ville. Je fis quelques centaines de pas vers l’est le long de l’eau sur un étroit sentier bordé de fleurs variées et de grands bambous, et arrivai sur une terre à l’abandon de quatre ou cinq cents pieds de côté, entourée d’eau sur trois d’entre eux. Elle se déployait au sud d’un petit pont, sans une habitation contiguë ni rien, à gauche et à droite, que des arbres, écrans feuillus percés de lumière.

Je m’informai auprès de vieux habitants du voisinage. C’était, me dit-on, l’ancien jardin de Sun Chengyou, parent du roi Qian. La grâce de ses reliefs était intacte et son dessin originel se devinait encore. Épris, je le parcourus en tous sens et finis par l’acquérir pour la (modeste) somme de quarante mille sapèques.

J’ai construit sur la colline au nord un Kiosque que j’ai nommé Les Vagues Bleues. J’ai mis des bambous devant et de l’eau derrière, puis encore des bambous au nord de l’eau et ainsi à l’infini, courants transparents et troncs verts dont les reflets et les ombres mêlées pénètrent par les portes et les fenêtres, encore plus beaux associés au vent ou à la lune. Je m’y rends souvent en barque, vêtu sans façons, et je m’y sens si dispos que j’oublie de rentrer. Je bois et chante, ou m’assieds dans la posture des taoïstes et pousse leur long sifflement. Mes rustiques voisins ne me rendent pas visite mais les poissons et les oiseaux se réjouissent avec moi. Mon corps se détend, mon esprit s’apaise et comme je ne vois ni n’entends rien d’aberrant, ma raison s’éclaircit. Quand je repense au monde où la gloire alterne avec l’humiliation, où l’on se bat pour un avantage ou une perte infimes, je me dis qu’il faut être tombé bien bas pour se priver du charme véritable de la vie.

Les hommes sont séduits par les choses qui les entourent ; les passions qui les agitent alors refoulent leur vraie nature et ne s’assouvissent que par la possession des choses. À la longue, ils sont esclaves et les croient naturelles, ils ne peuvent plus chasser leur humeur morose s’ils ne trouvent pas des choses encore plus séduisantes. (…)

C’est parce que j’ai été destitué que j’ai acquis ce jardin ; j’ai trouvé la paix dans le détachement et ne veux plus courir avec les autres. Désormais je comprends mieux les causes de succès et d’échec dans nos rapports au monde… »

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Extrait de :« Les paradis naturels – Jardins chinois en prose » :

« Le kiosque des Vagues Bleues » SU Shunqin  1008-1048,

(traduit en 2001 par Martine Valette-Hémery)

 

Illustrations : 1/« Paysage »  2/« Libellule sur un bambou »  Qian Xuan  1235-1305.

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Découvrir notre vraie nature…

BVJ – Plumes d’Anges.