Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Lente résilience…

dimanche 23 février 2025

.

.

« ... La Line d’aujourd’hui – celle qu’on déterre et qu’on ramène à la vie – est née d’un séisme. Elle incarne un miracle. Comme ces légendes, au cœur des catastrophes, qui échappent au désastre – fantômes sortant des décombres, bébés aux sourires immaculés extraits de l’enfer, arbres centenaires et vieux temples épargnés par les secousses meurtrières. Ces histoires, on les murmure comme des contestations ; elles obéissent aux lois d’un monde dévasté.

Au cœur du chaos, elles ouvrent des chemins de lumière…

.

Thomas passa la matinée à chercher des récits et des témoignages de survivants de catastrophes en tout genre. Il lui fallait comprendre l’effacement, lent, graduel de Line – cette métamorphose qui opérait en elle de manière sourde, mais radicale. À quel moment les êtres s’effaçaient-ils ? À quel moment quittaient-ils réellement l’histoire ? Était-ce simplement une question de présence au monde, de mouvement, de corps ?…

.

… À mesure que les mots revenaient frapper à la porte de sa conscience, à mesure que les souvenirs devenaient plus nets, Line avait poursuivi ses recherches. Elle pensait à la femme de Tokyo, tout le temps. Quel que soit l’endroit où elle se trouvait, elle n’arrivait pas à la semer. Et elle n’en dormait plus. Depuis le séisme, enfin un désir était né. Plus qu’un souhait, c’était une nécessité, un besoin qui balayait tout le reste : la retrouver. Savoir ce qu’ils avaient extrait de la terre.

Elle en était venue à la conclusion qu’il n’existait qu’un lieu où elle pourrait avoir des réponses : cette île, dont Saki avait parlé, où elle avait grandi – son île abhorrée. Line était obsédée par cette terre. Où se trouvait-elle ? À quoi ressemblait-elle ? Qui vivait là ? Qui la visitait ?…

.

… L’agitation des oiseaux du littoral, leurs cris et leurs manœuvres mystérieuses, le tumulte incessant des vagues. Ce paysage était à la fois immuable et changeant. En bord de mer, aucun jour ne ressemblait à un autre, aucune nuit n’était la même. Suivant le continuel mouvement des marées, la lumière et la densité de l’air se modifiaient sans cesse. Quelque chose – une couleur, une voile, la force du vent ou la forme d’un nuage – venait toujours s’immiscer dans le décor pour la bouleverser.

Saki pensait aux systèmes parfaits, utopiques, où tout pouvait se dérégler si rapidement. Où tout parasite corrompait l’ensemble. Elle pensait aux abeilles, aux fourmis, s’organisant à merveille pour maintenir la vie de leur ruche, de leur nid. Elle pensait à sa propre famille, à ce microcosme qu’ils avaient formé tous les trois avant le départ de son père. Un merveilleux système qui avait été rompu à leur arrivée sur l’île…

.

… Tout a une fin, Line. Mais l’espoir… L’espoir n’a pas de fin… »

.

.

Ce livre écrit en deux parties, raconte une longue – et difficile – histoire de renaissance suite à un traumatisme vécu. Line, hôtesse de l’air, est appelée à en remplacer une autre sur la ligne Paris Tokyo. C’est l’époque des cerisiers en fleurs, le spectacle sera grandiose. MAIS, un énorme tremblement de terre frappe cette île japonaise, et Line se retrouve prisonnière des décombres, aux côtés d’une autre jeune femme, Saki. Elles vont se donner la main, parler sans cesse et taper alternativement au cas où elles pourraient être entendues.  Line pense et se souvient, elle voulait devenir danseuse mais un accident de moto à l’adolescence fracture certains de ses os, son rêve est brisé… Elle volera dans les airs et deviendra hôtesse de l’air. Certaines bribes du passé remontent et une nouvelle compréhension émerge.

Le calvaire durera 8 jours et 8 nuits, Line, sortie de cet enfer, est hospitalisée pendant quelques jours au Japon puis en France, où elle retrouve son compagnon Thomas, son appartement. À la chance d’être survivante succède une profonde dépression… puis une reconstruction.

Je vous laisse découvrir la suite. Ce qui m’a touchée dans ce livre, c’est l’histoire bien-sûr mais aussi la façon de traiter ce sujet grave et douloureux. Le respect pour les victimes est toujours présent et l’auteure parvient à raconter les faits dans une langue poétique. Elle analyse avec justesse les tourments du miraculé, le combat contre ses fantômes, le séisme intérieur et cette nécessité, après l’enfermement, de partir à la rencontre de Saki et de respirer l’air du large pour rentrer dans un processus de résilience.

Un roman vraiment talentueux que je vous conseille.

.

Extraits du livre : « Insula »  2024  Caroline Caugant.

Illustrations : 1/ « Bouquet de jasmin »  2/ « Rangées d’arbres »  3/ « La route des merveilles »  Jan Mankes  1889-1920.

…..

Rechercher la voie de la lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.

Silencieusement…

dimanche 16 février 2025

.

.

« … Dans son pas qui martèle le sol elle sent monter maintenant une autre force. Cette force-là, c’est celle qui fait traverser à ceux qui souffrent les épreuves les plus dures, celle qui fait naître la vision des matins paisibles à nouveau, où la bonne odeur du pain chaud viendra accompagner le jour. Elle redonne le courage de continuer, même si le temps des maisons rassurantes est loin. Il suffit parfois de si peu pour que l’espérance revienne. Un parfum, un chant, le regard qui voit à nouveau la beauté du ciel ou d’une ombre sur un mur. Et quelque chose dans les cœurs épuisés se remet à battre. Et qu’importe que cela ne dure pas, que le poids des guerres et de la misère revienne écraser les poitrines. Le temps où la vision a été là a ouvert une fissure dans le mur qui obstrue la vie. Cette fissure là ne se comblera plus. Et elle, du chant qu’elle reprend maintenant, essaie de toutes ses forces d’agrandir la fissure…

.

.

… Il y a tant d’amour dans le cœur de Jean.

Il y a des jours où tout l’amour qu’il porte en lui déborde. Il voudrait que chacun en ait sa part. Il voit si souvent que les cœurs des hommes sont pauvres. Mais personne ne peut combler le cœur d’un autre, il l’a appris.

Alors il donne cet amour si vaste à tout ce qui l’entoure. Il pense, comme elle, que les arbres, les pierres, les galets, contiennent l’amour qu’on leur donne longtemps pour que quelqu’un, un jour, passe et le découvre. Alors l’amour s’éveille même là où on le pensait éteint depuis longtemps. C’est silencieux. Ces passages-là n’ont pas besoin de mots. Ils se font par le regard, par la paume de la main, par un effleurement sur une roche ou une branche, c’est tout. Et c’est bien ainsi.

Que savait-il son guide de tout cela ? Il ne leur parlait pas des arbres, des pierres ni des galets mais parfois il posait sa main sur une épaule et c’était la terre entière qui réchauffait celui qu’il touchait. Est-ce que c’était cela ses miracles ?…

.

.

Ceux qui veulent faire de la vie une chose bien établie avec ceci puis cela et après cela encore ne veulent surtout pas du mystère. Ils veulent des chaussures qui tiennent un nombre bien défini de saisons mais c’est oublier que le vent peut user la route, que les pluies qui tombent parfois si violentes peuvent raviner le chemin, qu’une pierre sous une semelle peut venir à bout du pas le plus décidé et qu’on trébuche.

La vie aussi s’use au vent et sur les pierres des routes.

Et puis voilà, elle peut reprendre par surprise tout son éclat comme si on voyait les choses de tous les jours pour la première fois et on est heureux. Il suffit de si peu, la voile bien gonflée d’une barque sur la mer bleue et la poitrine s’ouvre large et on respire autrement, comme si on était à la proue du bateau, seul et libre, ou bien le chant d’une femme qui tisse et accompagne son mouvement régulier d’une chanson apprise par sa mère et la mère de sa mère, une chanson qui vous rassure et vous dit que les liens du fil et de la laine ne s’arrêtent jamais, qu’ils vont former peu à peu un motif et qu’on le verra apparaître pour peu qu’on soit patient… »

.

.

Comme il fut difficile de choisir des extraits de ce livre qui raconte un moment de vie, une étape dans l’existence d’une mère. L’eau est très présente, les pierres, les galets, le souffle du vent, le dessin, l’écriture, une petite fille qui a perdu la parole, une femme instruite qui lit et écrit, des femmes, des hommes qui veillent les uns sur les autres, qui s’entraident naturellement, silencieusement…

Les personnages ne sont pas nommés sauf un, Jean. L’histoire se met en place doucement et l’on comprend celle qui se raconte là. Il y a pour tous ces êtres un avant et un après, ils ont vécu « la grande souffrance ». Ils sont comme aériens, en pleine mutation, dans le mystère de ce que sera demain, ils l’acceptent, avancent à leur rythme, chacun observe, grandit, laisse l’autre libre d’accomplir son destin sans entrave ni jugement. Quand deux souffrances se rencontrent, elles peuvent aller au plus profond de la douleur, l’extirper des entrailles et mettre au monde une vie nouvelle, un enfantement dans la douceur au sein d’une nature sauvage. L’écriture est belle, merci à Jeanne Benameur pour ce texte magnifique et si plein de délicatesse…

.

Extraits de : « Vivre tout bas »  2025  Jeanne Benameur.

Illustrations :  1/ « Vierge de l’annonciation »  Antonello da Messina  1430-1479   2/ « Vagues et rochers »  3/ « Paysage sombre »  Carl Rottmann  1797-1850  5/ « Vagues »  Paul Richard Schumann  1876-1946   4/ « Vagues sur des rochers »  Alois Kirnig 1840-1911.

…..

Vivre silencieusement dans l’espérance…

BVJ – Plumes d’Anges.

Paradis des oiseaux…

dimanche 5 janvier 2025

.

.

« … L’Age d’Or est encore de ce monde. C’est nous qui ne le voyons pas.

Novalis l’avait pressenti. Écoutons-le : »Le paradis est dispersé sur toute la terre.

C’est pourquoi nous ne le reconnaissons plus.

Il faut réunir ses traits épars. »

L’oiseau, l’élan des retrouvailles

De manière tout à fait inattendue, comme s’il intensifiait le lien à mon propre milieu, un oiseau, l’engoulevent, va donc me permettre de renouer avec des formes d’attention que j’avais connues, enfant. Parce qu’il sort vraiment du lot, cet oiseau m’a permis de retrouver mon enthousiasme : « Ah oui cet oiseau là ! »…

.

Jusqu’alors, je m’étais passionné pour l’oiseau. Dès l’enfance, c’est lui qui avait provoqué, sculpté ma sensibilité aux autres formes de vie. Désormais, c’était au-delà : l’oiseau serait mon guide. « Écoute ! Écoute-moi, écoute ce que je fais ! Tais-toi une seconde, et même tiens arrête. » De cette écoute, il s’agit non seulement de parler, de rédiger un hommage à l’oiseau, ou de lancer l’alerte. Les oiseaux n’ont que faire de notre joie ou de nos craintes. Mais aussi de faire quelque chose, concrètement, de ce voisinage, tirer les leçons de cet échange, de cette secousse provoquée par l’oiseau.

Par exemple initier un projet qui, d’un seul coup, ferait que ma vie de forestier, augmentée d’un geste poétique, retrouve un sens. Faire quelque chose de beau. Chacun de nous porte en lui l’image imprécise d’un paradis antérieur dans lequel il rêve de se réfugier quand les saccages alentour deviennent insoutenables. Dans ces moments là, ce n’est pas seulement un répit qu’on appelle ; mais aussi une consolation, quelque chose de plus que la cessation du tourment que l’on endure. Comme si celui-ci donnait droit à un bonheur au dessus de tous les autres, qui n’est plus, depuis longtemps de ce monde. Rêver d’une autre façon de vivre dans un monde abîmé. Inventer une autre manière d’habiter. L’imagination, voilà le trésor de l’homme ; son exercice doit précéder celui de la volonté. (…)

  Il n’y a pas de pourquoi, il y a un Parce que l’oiseau. Pourquoi lutter, s’y prendre autrement pour accompagner la forêt, pour vivre ? Parce que l’oiseau. Car « les oiseaux ne sont pas des voisins comme les autres (…) Eux qui portent la forêt sur leur dos, des graines du monde au bec. Que serait le monde sans eux ? Un ciel sans oiseaux ? Par rapport à cette horreur qui semble aujourd’hui plausible, tout oiseau est un commencement, un enclenchement, une résistance. Qui commence par une présence. L’enjeu est donc de repeupler. De quoi veux-tu t’entourer ? De fleurs, d’arbustes chargés de baies, de fruits, d’insectes, de chants et de vols d’oiseaux ! D’où l’idée de sanctuariser un fragment de notre forêt pour que l’oiseau y « déploie ses signes à lui ». Le Paradis des oiseaux ! Naïveté ? Elle sauve. Utopie ? Elle transfigure… »

.

Voulant réaménager une parcelle de châtaigniers moribonds dans la forêt de la Bonne Foussi en Dordogne, Jean Mottet, forestier, professeur de cinéma et écrivain, apprend « de la bouche du chanteur d’oiseaux Jean Boucault que l’engoulevent en provenance de la forêt du Gabon, s’installerait dans cette coupe rase au prochain printemps ! ».

Amoureux des oiseaux depuis l’enfance, l’éblouissement intérieur provoqué par une telle révélation, incite notre forestier à réfléchir et préparer la fête à venir, il veut faire œuvre de beauté, œuvre poétique. Il plantera là des centaines de chênes et des centaines de fruitiers sauvages, des buissons buissonnants… Chaque jour ou presque, il viendra observer la création en devenir et de mars à septembre pourra admirer la danse et le drôle de chant de l’engoulevent, un quart d’heure avant le coucher du soleil… De nombreuses citations fleurissent au fil des pages, invitant Rainer Maria Rilke, Claudie Hunzinger, Henry David Thoreau, Philippe Jaccottet, Vincianne  Despret, et bien d’autres…

Ce petit ouvrage très vivant, mêlant art, poésie et science de la terre, se lit d’une traite, il est passionnant, il surprend, il interroge.  N’est-il pas en plus, une leçon de vie qui nous inciterait à agir, à préparer l’écrin du  jardin des merveilles futures que nous aimerions attirer à nous  ?

Comme le dit Amélie Nothomb en quatrième de couverture : « Dans ce monde des lettres où tout le monde aborde des questions futiles, désespérantes, inintéressantes ou laides, Jean Mottet consacre un livre à l’engoulevent. Enfin un sujet important ! Bravo à l’auteur pour son sens des priorités ! »

Un bel hommage qui invite la beauté à sa table, lecture à déguster joyeusement !

.

Extraits de : « Éloge de l’engoulevent  – Un hymne au vivant »   2024   Jean Mottet.

Illustrations : 1/« La forêt »  Dominique Peyronnet  1872-1943  2/« L’engoulevent » – Illustration – Alexander Wilson  1766-1813.

…..

Chanter et danser la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Loin des foules…

vendredi 20 décembre 2024

.

.

.

.

.

.

.

.

Tout est paisible en cette saison en ce lieu,

les couples de Colverts lancent de joyeux couacs,

les cimes enneigées se mirent dans l’eau du lac,

au dessus, orangers et oliviers illuminent les jardins,

de petits bateaux cabotent silencieusement tels des bateaux de papier…

Ici et maintenant tout est parfait.

.

« La beauté n’est pas une fantaisie, elle possède le sens éternel de la réalité. Les faits qui causent l’abattement et la tristesse ne sont qu’une brume, et lorsqu’à travers cette brume la beauté perce ça et là, nous comprenons que la paix est vraie et non le conflit, que l’amour est vrai et non la haine et que la vérité est l’unité et non la multitude disjointe. »

Rabindranath Tagore dans « La religion du poète » .

Photos BVJ – Lac de Garde décembre 2024.

…..

Choisir la paix et la beauté, une fois encore…

BVJ – Plumes d’Anges.

Senteur, saveur…

dimanche 8 décembre 2024

.

.

« … La clémentine a bonne taille. Elle vient se lover dans la main, et y trouve sa juste place. On l’éprouve du pouce ; sa consistance n’est ni dure, ni molle. Sa peau légèrement grenue est agréable, sans sophistication soyeuse ni rugosité. On l’emporte partout. Au fond du sac, elle se glisse sans effort, ne tache pas, ne pèse rien. On peut l’extraire à tout moment, dans un moment creux de préférence. Manger une clémentine est un rite consenti par tous les entourages, une petite virgule concédée sans dégoût ni restriction, dans les voyages automobiles ou les trajets ferroviaires.

La volupté suprême est de commencer à la dépiauter d’une seule main, de l’abandonner du regard en continuant de lire un livre ou de consulter son smartphone. Quand la peau est trop fine, cela résiste un peu, mais elle a d’ordinaire une souplesse conciliante. Il faut insister au passage du filament central, précieusement préservé dans la consommation domestique, quand on veut en faire la mèche d’un minilampion, mais arraché, sacrifié dans la dégustation ambulante.

Cela semble une gageure, et pourtant on y parvient toujours. On tient l’écorce entière et le fruit dans la paume. Un parfum frais, léger, commence à s’épancher. On sait qu’il n’incommode pas les autres, leur dit des souvenirs de cours d’école avant l’étude du soir, ou d’hivernances. C’est qu’il est temps d’abandonner l’indifférence et de consacrer ses deux mains à la séparation des tranches. Là encore, la clémentine ne fait pas sa coquette. Sa bonne volonté fait penser à Paul et Virginie, un monde où les melons seraient nervurés pour que les humains puissent y découvrir des parts satisfaisantes. Mais dans la bouche le fruit sage et conditionné n’en explose pas moins, calme la soif, la faim, laisse planer dans les wagons entiers cette question troublante : est-ce la clémentine qui sent Noël, ou Noël qui sent la clémentine ?… »

.

Texte issu d’un joli livre de Philippe Delerm dans lequel par petites touches incroyablement variées, il parle avec justesse d’instants de vie que nous connaissons toutes et tous, sortes de clichés photographiques fixés dans une mémoire. Le vocabulaire est riche, les tournures grammaticales élégantes, l’observation fine, ces petits riens quotidiens ou presque sculptent l’existence et y ajoutent une note joyeuse et  espiègle… un doux plaisir à partager, comme ce gâteau qui donnera un air de fête à cette fin d’année, régalez-vous et régalez ceux que vous aimez, il n’y a jamais trop d’amour et de douceur paisible à distribuer…

.

.

GÂTEAU AUX CLÉMENTINES

.

Ingrédients : 5 clémentines BIO (400 g.), 6 œufs, 200 g. de cassonade, 250 g. de poudre d’amandes, 10 g. de beurre pour le moule.

Réalisation : Faire bouillir un grand volume d’eau pour pocher les fruits entiers pendant 1 heure, à feu moyen. Égoutter, laisser refroidir,  les réduire en purée au blender ou au mixer.

Battre les œufs avec le sucre, ajouter la poudre d’amandes puis la purée de fruits.

Verser cette pâte dans un moule beurré, enfourner 50 minutes environ à 180 degrés.

Laisser tiédir et démouler.

J’ai rajouté un petit glaçage au Grand Marnier…

.

Texte extrait de : « L’extase du selfie et autres gestes qui nous disent »  2019  Philippe Delerm.

Tableau : « Fruits et porcelaines »  Antonio Ponce  1608-1677  –  Photos PJ.

…..

Apprécier l’importance des petites choses…

BVJ – Plumes d’Anges.

Bien veiller…

dimanche 1 décembre 2024

.

.

« ... Je m’appelle Giacomo, comme le saint patron de Prats – Prazzo en italien -, le village au fond de la vallée où j’ai passé mon enfance avec ma mère, dans la maison du grand-père Giacomo et de sa femme Desideria, déjà veuve quand il l’épousa. Mon grand-père aussi était veuf avant de se marier. Mais la femme à qui il avait passé la bague au doigt était morte juste après avoir mis au monde mon père. En somme, les deux seules personnes auxquelles j’étais lié par le sang étaient mon grand-père et ma mère, qui porte d’ailleurs un bien joli nom, Lunetta, « petite lune », parce qu’au moment où elle poussa son premier cri ici-bas, un croissant de lune apparut à la fenêtre.

Nous habitions une maison spacieuse et commode, donnant sur les méandres de la Maira, entourée d’un vaste pré sur lequel avaient spontanément poussé des bosquets de jeunes aulnes et de bouleaux à l’écorce argentée. Chaque année, les troncs de mélèze coupés au sommet dévalaient la pente avant d’être empilés dans ce pré pour le séchage. Même quand j’étais tout petit, mon grand-père m’emmenait parfois voir les troncs dégringoler dans la montagne, et je m’en souviens bien, car ils rebondissaient et faisaient un vacarme énorme. Je n’aimais pas les entendre se fracturer contre les pierres, mais je humais de toutes mes narines la forte odeur qu’ils charriaient avec eux, un délicieux mélange de résine, d’herbe écrasée et de terre humide. J’avais l’impression que ce parfum était le souvenir qu’ils laissaient aux bois qui les avaient vus naître.

Je suis resté dans cette maison jusqu’à mes huit ans, ne faisant rien d’autre que grimper aux arbres, courir après les agneaux, pêcher dans la Maira, accompagner parfois Desideria aux champignons dans le sous-bois. Et puis un jour, on me conduisit auprès d’un vieux prêtre qui ne passait par Prazzo que l’été. À son tour, le curé m’emmena au monastère de Pedona, à Borgo San Dalmazzo. Un lieu éloigné, à trois ou quatre jours de marche, là où commence déjà la plaine. Le monastère avait jadis connu des jours fastes, mais les choses avaient bien changé : les moines étaient tous partis et ce prêtre était devenu une espèce de gardien de l’église, de la crypte et de tout ce qui restait des anciens bâtiments alentour.

« Le moment est venu pour toi de recevoir un peu d’éducation, d’apprendre quelque chose que tu ne trouveras pas chez nous. Don Egildo sera ton maître en échange de menus services, chez lui et à l’église, pendant la messe. Je suis sûr que tu te plairas là-bas. » Une fois de plus, mon grand-père s’était contenté de quelques mots, auxquels personne n’avait songé à s’opposer…

.

… En 1915, l’année de mon retour dans le val Maira, l’Italie entra en guerre…

.

... Les officiers de Cuneo avaient laissé entendre que la guerre serait rapide comme l’éclair, elle durerait un an tout au plus, et la victoire nous tomberait dans le bec. Mais Grand-Père savait qu’ils avaient commencé à ouvrir d’autres fronts, et il se doutait que la guerre durerait plusieurs saisons.

Et moi dans tout ça ?

Toi tu feras le caviè parce que les cheveux restent encore la denrée la plus précieuse, et que je ne voudrais pas que les femmes, là-haut, dit-il, le doigt pointé vers les montagnes, quelqu’un d’autre prenne leur butin. J’en connais qui ne sont pas partis à la guerre et qui ne demande qu’à faire main basse dessus. C’est pour ça qu’il faut rester à l’affût et se tenir prêt à prendre la route à tout moment.

– Mais je ne suis pas caviè, moi. Je ne t’ai accompagné que deux ou trois fois.

– Foutaises! Tu seras meilleur que moi. Tu as toutes les qualités requises : tu es jeune, tu ne manques pas de distinction, tu parles bien, tu es convaincant, et tu as le charme de l’étranger. Après les dix années passées loin du village, tout le monde a oublié que tu étais d’ici. Si tu ajoutes à ça un peu de gentillesse et de boniment, qui te viendront avec le temps, tu feras un parfait pellassier… »

.

Un joli roman qui se passe donc dans les Alpes italiennes, tout près de la France, aux alentours de la guerre de 1914-1918. Le grand-père est un personnage très autoritaire qui mène sa famille et ses affaires d’une main de fer. Son fils fuyant cette autorité, est parti travailler en France, espérant mettre de l’argent de côté pour faire venir sa femme et son unique enfant. Malheureusement, il y meurt accidentellement.

Le grand-père décide que son petit-fils, après dix années d’école, prendra sa suite. Celui-ci se révèle en effet doué et courageux, malgré sa jambe boiteuse. Il aime profondément ces paysages que l’auteur nous décrit fort bien. Mais il a quelque chose de plus que son aïeul, c’est son grand cœur et l’intelligence de ce cœur. Chaque année au printemps, il va sur les sentiers alpins du Piémont, recueille les histoires de ces femmes et de ces hommes qui ont traversé l’hiver dans une grande solitude. Il tisse avec eux des liens de solidarité, Giacomo aime les gens et ils le lui rendent bien, il est bienveillant, a conscience d’être un privilégié, cherche à aider ceux qui vivent des difficultés, les affaires, qu’il sait importantes, viennent après. Il fait de belles et importantes rencontres qui marquent sa jeune existence.

J’ai été très intéressée par la vie dans ces magnifiques montagnes, à cette époque, peut-être parce que les noms des  villages, des rivières me parlent, j’aime énormément balader dans ces régions. Savoir comment vivaient les anciens, les raisons de l’immigration en France ou ailleurs, la découverte de ce commerce de cheveux des pauvres pour en faire des perruques pour des plus riches… font un roman rude et tendre à la fois que je vous recommande vivement.

 .

Extraits de : « L’inventaire des nuages »  2024  Franco Faggiani.

Illustrations : 1/ »Moissons »  2/« Voyageurs dans les montagnes »  Carlo Ademolo  1824-1911.

…..

Cultiver l’intelligence du cœur…

BVJ – Plumes d’Anges.

Écoute…

dimanche 24 novembre 2024

.

.

« … Comme il est facile de se prendre au piège de ses propres prisons conceptuelles !

Le mental humain, dans son désir de connaître, de comprendre et de contrôler, prend ses opinions et ses points de vue pour la vérité. Il dit : c’est ainsi que cela fonctionne. Vous devez dépasser la pensée pour vous apercevoir que, peu importe comment vous interprétez « votre vie », celle d’un autre ou son comportement, et peu importe le jugement que vous portez sur une condition, ce n’est qu’un point de vue parmi maintes possibilités. Ce n’est qu’un amas de pensées.  Mais la réalité est un ensemble unifié dans lequel tout est entrelacé, où rien n’existe en soi ni isolément. La pensée fait éclater la réalité ; elle la découpe en fragments conceptuels.

Le mental, cet instrument utile et puissant, devient fort contraignant s’il s’empare totalement de votre vie, si vous ne voyez pas qu’il constitue un aspect négligeable de la conscience que vous êtes…

.

… Chaque fois que vous le pouvez, « regardez » en vous pour voir si vous êtes en train de créer inconsciemment un conflit entre l’intérieur et l’extérieur, entre votre condition extérieure à cet instant – où vous êtes, avec qui vous êtes ou ce que vous faites – et vos pensées et vos sentiments. Sentez-vous à quel point il est pénible de s’opposer intérieurement à ce qui est ?

En le reconnaissant, vous vous voyez maintenant libre de laisser tomber ce conflit futile, cet état de guerre intérieur…

.

La plupart des interactions humaines se limitent à l’échange verbal – le domaine de la pensée. Il est essentiel d’apporter du calme, surtout dans vos relations intimes.

Aucune relation ne peut s’épanouir sans le sentiment d’ampleur qui accompagne le calme. Méditez, ou passez  du temps ensemble en silence dans la nature. En vous promenant, ou assis dans la voiture ou à la maison, coulez-vous dans votre calme commun. Ce dernier ne peut et ne doit pas être créé. Il suffit d’être réceptif au calme déjà présent, mais généralement couvert par le bruit mental.

Sans ce calme spacieux, la relation sera dominée par le mental et aisément envahie par les problèmes et les conflits. Le calme, lui, peut tout contenir.

.

L’écoute véritable est un autre moyen d’apporter le calme dans la relation. Lorsque vous écoutez vraiment, la dimension du calme émerge, devenant un aspect essentiel de la relation. Mais l’écoute véritable est un talent rare. Habituellement, une personne accorde une grande part de son attention à sa pensée. Au mieux, elle peut évaluer vos paroles ou préparer son prochain propos. Ou elle n’écoute peut-être pas du tout, perdue dans ses propres pensées.

L’écoute véritable dépasse largement la perception auditive. C’est l’attention éveillée, un espace de présence dans lequel les paroles sont reçues. Celles-ci deviennent alors secondaires, pouvant ou non avoir un sens. Ce qui compte, bien plus que ce que vous écoutez, c’est l’écoute même ; l’espace de présence inconsciente se manifeste dans votre écoute. Cet espace est un champs de conscience homogène dans lequel vous rencontrez l’autre sans les barrières créées par la pensée conceptuelle. Ainsi, cette personne n’est plus « autre ». Dans cet espace, vous êtes tous deux reliés en une seule conscience… « 

.

Autres extraits —> ICI

.

Petit livre dont le propos est à picorer chaque jour, il est lumineux, et aujourd’hui nous avons tant besoin de lumière. Prendre du recul, se détendre, écouter l’autre, admirer la nature et ses merveilles pour ressentir profondément notre vrai conscience humaine, ce joyau intérieur qui nous relie les uns aux autres et qui n’est pas la pensée…

À lire encore et encore, à offrir sans modération…

.

Extraits de : « L’art du calme intérieur »  2003  Eckhart Tolle.

Illustrations : 1/« Lac de l’œil de mer »  2/« Lac vert »  Aleksander Mroczbowski  1850-1927.

…..

Se relier à nos profondeurs infinies…

BVJ – Plumes d’Anges.

Azur et aurore…

dimanche 17 novembre 2024

.

.

« Oui mais on commémore ici

et les bombes sèment

la mort là-bas

des hommes et des femmes et des enfants

des enfants tombent

et les plus jamais ça et les cessez le feu qui pleuvent

rien n’y peuvent

things fall apart !

 

et au milieu de la violence et de l’absurde, la poésie et le sens des choses qui s’enfuient, la beauté toujours envisagée, toujours recherchée, toujours trouvée quelque part, dans une phrase-étincelle, le sourire irradiant d’un amour, la grâce de certains silences, mère nature verdoyante, les arbres et leurs feuilles au printemps, la roche qui sourit, la rivière émeraude sereine, le chant d’éternité de Sita, les refrains des tisserands de Suza, le soleil après l’orage, tes notes de lumière au piano, simple et délicieux l’horizon au loin au plus près de nous, la vague heureuse qui déferle pleine et déverse sa joie au pied des filles et des fils de la terre, du ciel et de la mer que nous sommes, la poésie et le sens que nous donnons à la vie, la poésie et le sens que nous ordonne la vie, envers et contre tout, en vers et en prose et en actes, et avec toutes celles et tous ceux qui continuent obstinément à croire, qu’un autre monde est possible…

.

Collé à la vitre de la réalité, je relis Char

la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil

des peuples trinquent et payent l’addition bien salée, de conflits commandés par des puissances et des organisations arrogantes, retranchées dans des palais d’indifférence de marbre. la poésie ne sauvera pas les Hommes en guerre contre eux-mêmes, depuis des siècles et des siècles et des siècles, pourtant elle invente encore et toujours des routes vers l’amour, qui se meurt partout sur la terre. la poésie ne sauvera pas les Hommes qui refusent d’être sauvés, c’est un fait. pourtant elle invite encore et toujours, à arpenter le chemin, de l’harmonie qui nous manque…

.

Que personne

ne nous mente

le monde est beau

et il y a, il y aura toujours

quelque chose à sauver

le rire d’un enfant

le bleu du ciel

le chant des oiseaux

le sourire d’un amour

inénarrables instants

qui donnent à nos âmes

le sens plein de notre présence au monde

oui il y a et il y aura toujours

quelque chose à sauver

sur cette terre de joies et de larmes

il y a et il y aura toujours

au mitan de la nuit

dans le vacarme des bombes

une mère veilleuse

qui bouchera les oreilles

de sa fille ou de son fils

pour lui épargner ce qui peut l’être encore

un père courage

qui s’interposera par amour

entre les siens et cette balle qui ne porte d’autre message

que la mort

il y a a et il y aura toujours quelque chose à sauver

un vers de lumière

une note de silence

étincelles d’espérance

que rien ni personne

ne peut éteindre en nous

il y a a et il y aura toujours quelque chose à sauver

alors nous

ne barricaderons jamais nos cœurs

ne baisserons jamais la garde

et garderons à jamais

dans nos mots

l’azur et l’aurore

armes miraculeuses

à portée de nos mains

en fleurs généreuses

l’azur et l’aurore

armes miraculeuses

qui nous fondent

et nous font tenir

au dessus de la mêlée

tenir

à la paix à la dignité à la justice

tenir à la tendresse

tenir et être toujours

du côté de la vie de l’envol de l’envie

être et tenir

toujours

parole claire

dans le jour

 

j’adresse prière à l’aube… »

.

Magnifique petit livre – merci C.S. – qui nous parle de l’importance des mots, de la poésie, de la beauté, de l’humanisme, de toutes ces choses même anodines mais qui ont leur importance pour élever nos âmes…

« Les choses s’effondrent » mais il y a toujours quelque chose à sauver, quelque chose qui touche au cœur, les mots sont là pour le dire…

.

Extraits de : « PRIÈRE A L’AUBE »  2024  MARC ALEXANDRE OHO BAMBE.

Illustrations : 1/ « Fillette au fichu rose »  William Perkins Babcock  1826-1899 

2/ « Fleurs de magnolia«  Ida Jolly Crawley  1867-1946.

…..

Dire la lumière de la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Au-delà de…

dimanche 10 novembre 2024

.

.

« N’être plus rien c’est quelque chose. Être aérien, c’est moins que rien, diront en se gaussant les pieds de plomb. Et pourtant, c’est là, que de tout l’espace tu disposes. Le corps est l’ancre, le lest, la cage de ton âme. Nul ne te demande de t’en débarrasser, mais ne lui accorde que l’importance qu’il mérite… et surtout laisse l’esprit le plus souvent s’en échapper. Ce n’est pas fuir que s’élever, c’est voir de haut ce qui est trop près. C’est oublier ce qu’on était, quitter les lourdes fièvres de la peur et concevoir en un éclair ce cœur universel qui pulse et bat vers l’au-delà. 

Si la Terre appartient aux Hommes, c’est à eux qu’il revient d’oser apercevoir, sans logique ni preuve, d’où ils viennent, où ils vont… et libres, à l’intuition, comme à tâtons, de se laisser guider par des cascades de lumières. Que puis-je vous dire de plus ? Rien, si ce n’est légers, de sillonner le ciel comme un vol d’hirondelles. »

Billet du 23 février 2024.

.

« Le désir, quel que soit son objet, profane ou sacré, est un fruit rouge et rare, délicieux, faisant valser les Mondes. Braise du Corps autant que de l’Esprit, puissant énergétique, il désintègre l’interdit et nous laisse entrevoir la toute puissance du souffle, de la houle des âmes voguant allègrement et sans fatigue sur des distances infinies, vers je ne sais quelle île ayant un goût de paradis.

Le désir est vecteur, étrave, figure de proue, soc soulevant les champs et les vagues patiemment assoupis autour de nénuphars, larges nappes phosphorescentes qui sont en mer comme sur terre, lucioles ou plancton, nos seuls guides et nos aimants bleutés.

Retrouver le désir, croyez-moi, quel que soit son objet, profane ou sacré, c’est retrouver la voie de quelque chose à accomplir se situant entre l’ensorcelant inatteignable et un parfait qu’on porte en soi… devant… au confluent des fleuves et d’un grand Océan brassant sans fin l’énigme de nos Vies.

Quoi qu’il en soit, quoi que l’on fasse, sans ces épices chauffant les nerfs, fouettant l’esprit et décuplant nos forces pour tendre vers un pétillant inconnu, il n’y a rien qu’un étang mort, la dépouille d’une âme flottant dans le formol. »

Billet du 6 septembre 2023.

.

« Si le monde est entre les mains de foutriquets, il appartient à chacun d’entre nous, d’une manière ou d’une autre, de leur laisser voracement bâfrer le gras, l’épais et le visible, pour s’emparer et protéger de puissantes racines souterraines et cachées d’où jailliront les plus beaux arbres et l’entière santé d’un univers absolument réconcilié avec les Hommes neufs, n’ayant d’autre objectif que de privilégier bonté, beauté, douceur, le tout sous le lin blanc d’une parfaite humilité. Y croire est suffisant, c’est la magie des grands sorciers du Verbe et du chant. On ne les voit pas, on ne les connait pas, c’est vous, c’est moi, mais toutes choses les entendent. »

Billet du 8 mars 2024.

.

Alain Cadéo a quitté notre monde terrestre au mois de juin 2024… Un grand vide apparait quand une belle âme doublée d’une belle plume passe de l’autre côté du miroir. Heureusement, nous pourrons relire et relire encore les cadeaux déposés au fil de son existence et y découvrir quelque fleur ou papillon oubliés par notre vieille mémoire. Il fut voyageur, marcheur, découvreur d’objets insolites, écrivain, semeur de mots, semeur d’étoiles… la liste est longue.

Ma première lecture d’Alain Cadéo fut le livre FIN, un magnifique début pour moi, j’ai lu ce livre plusieurs fois tant il m’a émerveillée. Je l’avais découvert dans les rayons d’une bibliothèque municipale. Une année après, il avait disparu, peut-être subtilisé par un indélicat ou au contraire, par un lecteur passionné.

Un dernier titre vient d’être publié par « Les cahiers de l’Égaré« , ce sont 26 billets écrits dans les moments difficiles à traverser de la maladie, entre septembre 2023 et mai 2024, ce sont il me semble des billets-testaments sur des sujets importants aux yeux de l’auteur, ils nous incitent à une réflexion profonde et à une libération de notre vraie nature. Les textes sont accompagnés de 20 photographies – très belles – de celles et ceux qu’il aimait, des photographies de lieux ou de moments qui vibrent intensément.

Un beau cadeau posthume de ce grand monsieur, MERCI à lui…

Vous pourrez retrouver des extraits de certains de ses livres

ICI,

ICI,

ICI,

ICI,

ICI,

ICI,

ICI.

 .

Extraits de : « IL Y A QUELQUE CHOSE ENCORE, DEVANT Je ne sais pas ce que c’est mais nous devons y aller »

2024  – Alain Cadéo  30/12/1950 – 12/06/2024.

Illustrations :1/ « Contemplation »  2/ « Cercle chromatique »  Augusto Giacometti  1877-1947.

…..

S’habiter humblement…

BVJ – Plumes d’Anges.

Humanités…

dimanche 3 novembre 2024

.

.

« Pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive. »

(Quatrième de couverture)

Avers – Des nouvelles des indésirables

JMG LE CLÉZIO – 2023.

.

.

« … La nuit, c’était l’hiver, il faisait si froid qu’ils n’arrivaient pas à dormir. Marwan a allumé un feu de brindilles, et ils se sont couchés l’un contre l’autre, la tête tournée vers les flammes. Mehdi avait toujours peur de la nuit, il ne s’endormait qu’au petit jour. Il ne pouvait pas rester seul. Quand Marwan se levait pour uriner, Mehdi venait aussi. Marwan avait accepté tout cela, il ne le repoussait plus, et souvent même, il oubliait de l’injurier. Il restait les yeux ouverts, regardant la nuit. Mehdi parlait. Il voulait savoir des choses impossibles. Il demandait : « Quand est-ce-qu’on arrivera à la ville où il y a le bateau ? » Marwan disait : « Il n’y a pas de bateau, tu ne vas pas croire à cette histoire de bateau ? » Il avait beau dire cela durement, en levant le poing comme s’il allait frapper, Mehdi continuait à croire au bateau. Plus tard il en parlait encore, et des pays où il n’y avait pas de guerre, pas de voleurs. C’était toute une histoire, et dans cette nuit noire, glaciale, avec les étoiles qui scintillaient au dessus d’eux, il arrivait cette chose étrange, Marwan lui-même se laissait prendre par le bruits des paroles, et il commençait à croire, comme on glisse dans un rêve. C’était maintenant lui qui parlait des pays : « De l’autre côté de la mer, on arrivera dans une grande ville pleine de jardins et de maisons, des maisons où on pourra entrer, parce que tout le monde nous attendra… »

« Il y aurait des arbres, on pourrait vivre dans les arbres… »

« Oui, il ne ferait pas froid, on ne serait jamais malade. »

« Il y aurait beaucoup d’enfants, chacun pourrait avoir sa famille… »

« On dormirait dehors sous les arbres… »

« Ou bien dans de grandes chambres avec des lits, des coussins, des rideaux. »

« On n’aurait pas besoin d’argent pour vivre, on aurait à manger tout ce qu’on veut, même si on ne voulait pas travailler. »

« Il n’y aurait jamais d’avions. »

« Une ville sur un grand lac d’eau douce, et les gens vont dans des barques, ils apportent les fruits, les légumes dans les barques… »

« Les enfants ont des jardins immenses, il y a une fête chaque jour, de la musique, les filles vont danser. »

« On peut aller à l’école, on sait lire les livres. »

« Il n’y a plus de batailles, personne n’est ennemi. »

« On a chacun son cheval, on peut galoper dans les forêts. »

« Les animaux sont apprivoisés, même les serpents, même les chacals. »

Mehdi écoutait, les yeux grands ouverts dans la nuit. Quand l’aube venait, Mehdi s’endormait enfin. Marwan écoutait la respiration calme de son frère, il sentait contre lui le poids de sa tête. Alors il s’endormait lui aussi, tandis que la lumière grandissait au dessus-des collines. Il n’y avait jamais de mal, ni d’avions le matin. C’était une heure pour les bergers, pour les fillettes qui vont chercher de l’eau… »

.

Parler de sujets graves avec un infini respect et une langue toujours magnifique, montre le grand talent et la profonde humanité de l’auteur.

Huit nouvelles nous emmènent sur des chemins difficiles aux quatre coins du monde, on y rencontre Maureez qui, à la mort de son père, fuit deux odieux personnages (sa belle mère et son nouvel amant), sa voix et le chant la sauveront. On y rencontre Chuche et Juanico, deux enfants qui fuient la société des hommes et les abus  de ces derniers, un vieil homme les recueillera un soir de Noël, il leur restituera leur dignité. On y rencontre « Les rats des rues » : le chemin des rêves – et celui des tragédies – va passer par les égouts entre le Mexique et les États Unis  (texte de 2003 publié dans un recueil d’Amnesty International, Nouvelles pour la liberté), on y rencontre beaucoup d’autres « indésirables », ceux dont on ne parle pas, ceux que l’on n’ose regarder…

Ces histoires marquent notre esprit et notre cœur : la loi du plus fort écrase les innocents, enfants ou adultes. Ils vivent dans de lointains pays ou tout près de nous dans les grandes villes, ils vivent la peur, l’injustice, la violence, la guerre toujours intolérable, la souffrance, la trahison, l’abandon, les abus de pouvoir, ils sont marqués à jamais et l’Histoire se répète…

Au milieu de ces chaos, de petites étoiles s’allument parfois, des brins d’amour fleurissent, les souvenirs fragiles d’un bonheur ancien émergent, faisant place à une espérance, tout aussi fragile.

JMG LE CLÉZIO nous fait naviguer dans des mondes où certains puissants sacrifient encore et toujours les autres, où chaque « indésirable » tente de survivre. La survie n’est pas la vie, l’auteur dit et veut que l’on sache, qu’on n’oublie pas ces invisibles, ces abandonnés, ces humbles… L’émotion est vive au fil des pages, AVERS est une belle et riche lecture.

.

Illustrations : 1/ « Arbres et village »  2/ « Arbres »  3/ « Troncs d’arbres »  Sohrâb Sepehri  – peintre et poète iranien – 1928-1980.

…..

Vouloir la paix, passionnément…

BVJ – Plumes d’Anges.