Dernier linceul…

7 avril 2024

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Derniers sursauts des neiges éphémères,

Les blancs s’étirent, s’allongent, se polissent,

L’étoffe virginale de l’hiver s’évanouira pour bientôt

Fondre dans de brumeux souvenirs…

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Construire le silence,

Sans un geste, sans un bruit,

Pas même le bruissement d’ailes

D’un invisible oiseau…

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Royaume de la courbe

Sinuosités sans fin,

La brise sculpte des draperies,

Décline ellipses ou paraboles…

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Danse voluptueuse de la nature,

« Ne pas rompre l’équilibre »

Murmure secrètement l’Esprit des lieux,

Ici règne la perfection…

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Monde lunaire, monde stellaire,

Dire adieu à la froidure ;

Dans les profondeurs cristallisées

J’entends comme un chant d’étoiles…

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« … Les vrais compagnons, ce sont les arbres, les brins d’herbes, les rayons du soleil, les nuages qui courent dans le ciel crépusculaire ou matinal, la mer, les montagnes. C’est dans tout cela que coule la vie, la vraie vie, et on n’est jamais seul quand on sait la voir et la sentir… »

 « Journal de voyage: tome 1 – Lettres à son mari 1904/1917 » 

Alexandra David Neel  1868-1969.

Poésies vagabondes  de BVJ –

Photos BVJ – Col de Vars  – Avril 2024.

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Espérances de temps nouveaux…

BVJ – Plumes d’Anges.

Instants résurrectifs…

31 mars 2024

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… « L’humanité a contracté une maladie collective. Les gens sont si absorbés par ce qui arrive, si hypnotisés par le monde des formes fluctuantes, si pris par le contenu de leur vie, qu’ils ont oublié leur essence, ce qui se trouve au delà du contenu, de la forme, au delà de la pensée. Ils sont si régentés par le temps qu’ils ont oublié l’éternité qui est leur origine, leur bercail, leur destinée. L’éternité, c’est la réalité vivante de ce que vous êtes.

 

À la vue de la beauté d’une fleur, les humains s’éveillaient ainsi, même si ce n’était que brièvement, à la beauté qui fait essentiellement partie de leur être le plus profond, qui fait partie de leur véritable nature. La première fois que la beauté fut reconnue constitua un des évènements les plus significatifs dans l’évolution de la conscience humaine étant donné que les sentiments de joie et d’amour lui sont intrinsèquement liés. Sans que nous le réalisions pleinement, les fleurs sont devenues pour nous l’expression manifestée de ce qui est le plus élevé, le plus sacré et en fin de compte le non manifesté en nous. Plus éphémères, plus éthérées et plus délicates que les plantes dont elles sont issues, les fleurs sont devenues en quelque sorte les messagères d’un autre monde, un pont entre le monde physique manifesté et le monde non manifesté. Elles transmettent non seulement une odeur délicate et agréable aux humains, mais également la suavité du royaume de l’esprit.

Lorsque vous contemplez une fleur, un cristal ou un oiseau sans le nommer mentalement, vous avez ainsi accès au non-manifeste…

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… Nous pouvons apprendre à briser l’habitude qui nous fait accumuler et perpétuer les vieilles émotions en battant des ailes, métaphoriquement parlant, et en nous retenant mentalement de nous attarder sur le passé, peu importe que l’évènement se soit produit hier ou trente ans plus tôt. Nous pouvons apprendre à ne pas maintenir en vie dans notre esprit les situations et les évènements, et à ramener continuellement notre attention à l’éternel et pur présent, plutôt que de nous jouer des films. Alors, c’est notre Présence même qui devient notre identité au lieu que ce soient les pensées et les émotions… »

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Joyeuses fêtes de Pâques à toutes et à tous,

faisons éclore en nous et autour de nous un nouveau monde…

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Extraits de : « Le chemin vers l’unité » (billet 1 —> ICI)  2008  Eckhart Tolle.

Illustrations : 1/ « Œufs »  2/ « Bouquet »  Lucie van Dam van Isselt  1871-1949.

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Nous relier à notre éternité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Les yeux de l’esprit…

24 mars 2024

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« … Malgré ces exceptions, Henry faisait le constat affligeant que le temps de l’enfance est, par commodité, majoritairement imprégné d’objets futiles et laids. Et Mona n’échappait pas à la règle. La beauté, la vraie beauté artistique, n’entrait que clandestinement dans son quotidien. C’était absolument normal, notait Henry : l’affinement du goût, la construction de la sensibilité viendraient plus tard. À ceci près – et cette pensée l’étrangla – que Mona avait bien failli perdre la vue et que , si ses yeux s’éteignaient définitivement dans les jours, les semaines ou les mois à venir, elle n’emporterait avec elle, dans les confins de sa mémoire, que le souvenir de choses clinquantes et vaines. Une vie entière dans le noir, à composer mentalement avec ce que le monde produit de pire, sans échappatoire pour les souvenirs ? C’était impossible, c’était terrifiant…

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Nous sommes sur la bonne voie. Écoute : Mondrian s’intéressait de très près à une doctrine qui faisait fureur en Europe à l’époque, une doctrine qui prétendait être en mesure de révéler une vérité très ancienne et universelle. Il s’agit de la théosophie.

– C’est une religion ?

– En quelque sorte. Les mauvaises langues diront que c’est une secte, les partisans prétendront que c’est une sagesse. Disons que la théosophie cherchait une réconciliation généralisée de tous les cultes de l’Orient et de l’Occident, et même de toutes les connaissances pour créer sur Terre un climat d’harmonie où chaque être humain serait habité par l’Illumination. Il s’agit de s’épurer soi-même le plus possible pour arriver à l’essentiel, c’est une quête de dépouillement et de sagesse. D’ailleurs, si nous avions la possibilité d’avoir devant les yeux toute la production de Mondrian, nous verrions qu’entre ses débuts et sa maturité, l’artiste a procédé de la sorte : il a tendu vers le plus grand dépouillement…

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« Oublie le négatif, ma chérie ; garde sans cesse la lumière en toi. « … »

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Mona, petite fille de 10 ans, fait tranquillement ses exercices de mathématiques aux côtés de sa mère Camille. Gênée par le pendentif – offert par sa grand-mère Colette – qui se balance sur sa feuille, elle l’ôte délicatement. Soudain une nuage sombre l’envahit, tout devient noir en elle pendant… 63 minutes ! Amenée par ses parents affolés à l’hôpital, les examens médicaux se succèdent mais aucune cause n’est décelée. L’ophtalmologue préconise la consultation d’un pédopsychiatre pour soutenir Mona. Camille demande à son père Henry – Dadé pour Mona – s’il peut s’en charger. Il accepte mais après mûre réflexion, livre une idée très personnelle à sa petite fille : si Mona doit devenir aveugle, il lui faut voir les merveilles du monde contenues dans les musées, pour s’en nourrir et en être riche à jamais. Sous le sceau du secret, il décide de l’emmener dans les musées du Louvre, d’Orsay et de Beaubourg…

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Thomas Schlesser, historien d’art, directeur de la Fondation Hartung-Bergman, écrivain, nous livre un roman original, qui a demandé des années de travail. Ce livre est une leçon de vie, l’histoire fait du bien, elle enrichit intellectuellement et humainement, elle se déploie avec une régularité de métronome : entre un prologue et un épilogue – qui se rejoignent, 52 chapitres dont l’entête porte le nom de l’artiste (40 masculins, 12 féminins)  et le message délivré par l’œuvre d’art visitée .

Qui n’a pas rêvé d’une telle complicité entre une petite fille et son grand père ? Ce dernier l’invite à entrer dans le silence, à observer, aiguiser son regard, percevoir les formes, les couleurs, les détails, à réfléchir la beauté du monde. Il lui explique le contexte dans lequel émerge l’œuvre pour mieux en saisir le message. Si les ténèbres venaient à l’envahir totalement, la lumière absorbée serait gravée en elle à jamais.

C’est une histoire qui parle aussi de la mort, de la transmission, de la force des injonctions auxquelles on se soumet sans en avoir conscience.  Un secret sur la disparition de Colette sa grand-mère vient roder dans la vie de Mona. Les enfants savent, ressentent les non-dits parce que les mots et les silences ont le même pouvoir.

Parallèlement, il y a ces 52 chefs d’œuvre et les formidables explications de l’auteur à leur sujet. Thomas Schlesser a une grande culture et la partage avec nous en toute humilité, il nous montre aussi l’importance d’être guidé pour mieux comprendre l’Art.

Il me semble qu’aucune personne, après cette lecture, n’abordera les trésors des galeries ou des musées comme avant.

Les Yeux de Mona m’ont séduite, j’espère que vous aussi  tomberez sous leur charme…

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Extraits de « Les yeux de Mona »  2024  Thomas Schlesser.

Illustrations : 1/ « Conversation mystique »   2/ « La Palme »  Odilon Redon  1840-1916  .

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Tendre au dépouillement…

BVJ – Plumes d’Anges.

Nouveau printemps d’un poète…

17 mars 2024

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… « J’ai rencontré un souvenir

Embusqué derrière une porte

Prêt à me faire trébucher

Un croque-en-coeur en quelque sorte

Boomerang d’un proche passé.

 

J’ai eu le temps de le sentir

Me bousculant sans que je tombe

Il s’est enfui tel un vampire

Aspirant en grande trombe

Les traces vives de l’insensé. »

 

Boomerang  –  juillet 1983.

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« Les gouttes d’eau ont fui aux gargouilles du rêve

et la rosée transsude aux feuilles des roseaux

la fraîcheur du matin essore l’arbrisseau

et les fleurs engourdies se dérouillent les sèves.

 

Le soleil a cillé des paupières il se lève

étirant ses rayons et lissant ses faisceaux

comme pour l’accueillir au travers des rideaux

la crémone a baillé, le store se soulève.

 

Les oiseaux ont jeté au ciel leurs vocalises

sur le pas de leurs nids les jeunes s’enhardissent

vannent en s’ébrouant l’eau frêle du matin.

 

Le soleil a tôt fait de dissiper les gouttes

sur la feuille l’oiseau l’herbe folle des routes

la toilette du ciel éclaircit les jardins. »

 

Rosée  –  Août 1981.

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« Une pétillance de l’eau

un miroitant jeu de lumière,

entre pierre et boue une source,

devenant capricieux ruisseau

ou bien un hiératique fleuve.

 

On peut bien rêver d’être fleuve

quand on est qu’un simple ruisseau ;

sur fond mélodique de l’eau

conserver la joie de la source

dans un legato de lumière.

 

La réfraction de la lumière

porte l’arc-en-ciel dès la source.

Les cascatelles des ruisseaux,

le train des chalands sur le fleuve ;

sillages, mémoire de l’eau.

 

Les villes reflètent dans l’eau

jeunesse et vieillesse du fleuve,

dans des plumetis de lumière.

Scintillant, miroitant ruisseau ;

souvenirs perdus de la source.

 

À l’ombre d’un chêne, une source

conte guilledou au ruisseau.

La mer a oublié le fleuve.

Soleil, lune, étoiles, lumières

sautillent à l’inconstant de l’eau.

 

Le fond mélodique de l’eau.

Les cascatelles du ruisseau,

tout en plumetis de lumière.

Le mer oublieuse du fleuve.

Entre pierre et boue une source. »

 

Quintine à la source

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« Chacun porte en son coeur

sa blessure secrète,

camouflée comme il peut.

 

Et, chacun comme il peut,

a son île déserte

où il s’évade heureux. »

 

Blessure secrète…

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Lucien Forno  (1923-2006) éminent médecin neuropsychiatre à Toulon, très impliqué dans son métier et dans sa ville, fut marqué à l’adolescence par sa rencontre avec Saint-Pol-Roux.

Aimant les Arts, il fut naturellement attiré par celui de la poésie, mania superbement les mots et les langues anciennes,  écrivit et offrit parfois ses poèmes à l’occasion des fêtes.

Un recueil humblement signé Lucien vit le jour en 1972 : « Sincèrement votre » aux éditions-saint-germain-des-prés.

… « Un bourgeon coupé/ une feuille tombée/ une fleur fanée/ à quoi cela sert-il,

au bourgeon de vivre/ à la feuille de pousser/ à la fleur d’embaumer/ au poète de rêver »…

Quelle surprise pour ses enfants quand, exhumant 17 ans après son décès, les archives de leur père, ils découvrirent un lumineux trésor : des essais, des traductions d’œuvres latines… et plus de 600 talentueux poèmes.

C’est le livre d’une vie, chaque poème est à lire, à relire pour en saisir toutes les facettes, toute la profondeur.

Lucien Forno qui pendant tant d’années écouta les maux et les mots des autres,

lui qui discrètement, tissant des poèmes, entra dans le souffle de la création,

face aux désordres de la tête et du cœur de ses patients,

il dut trouver des mots, les ordonner, les poétiser.

Il lui fallut découvrir des sources vives pour toujours alimenter le flux et apporter la lumière.

N’y-a-t-il pas dans son prénom LUCIEN, le mot LUCI, lumières en italien, Italie pays de ses racines ?

Il explora diverses formes poétiques, sonnets, quintines, sextines (une découverte pour moi, un exercice de style de haute voltige qu’il affectionna particulièrement ), il se lança des défis, jouant avec un vocabulaire d’une immense richesse.

Homme de passion, il sut fouiller les temps anciens pour en rapporter des mots cadeaux, il jongla avec certains trouvés aux confins du ciel ou inventa des mots nouveaux d’une exquise poésie. 

Mettre en mots les joies et les souffrances, les ombres et les lumières, les moments d’intimité et de partage amoureux… quelle merveille ! 

À cette heure de libération de la parole, Lucien avait encore de belles choses à nous dire,

je vous invite vraiment à découvrir ce livre, il se lit,  se relit puis se picore délicieusement,

 merci à lui pour cette délicieuse sortie poétique, merci à ses enfants…

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Poèmes extraits de : « Lucien  est de sortie «   magnifique préface d’Isabelle Forno – 312 poèmes – 2024  Lucien Forno  1923-2006.

Illustrations : 1/ « Primevère, papillon et coléoptère »  2/ « Dent de lion, chenille et papillon »  Barbara Regina Dietzsch  1706-1783.

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Cheminer dans le courant des mots…

BVJ – Plumes d’Anges.

Esprit de système…

10 mars 2024

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« Le caractère particulier et distinctif de notre génération c’est l’esprit de système. Chacun a sa conviction arrêtée sur toutes choses, et suivant ses convictions, il construit dans son esprit un système de gouvernement, un système de croyance, un système physique, un système historique. L’un est républicain et l’autre est monarchiste ; l’un est catholique et l’autre anticatholique, et, partant de là, sans nulle autre recherche, il se fait un système sur le monde et un système sur l’histoire. Quelques uns ensuite pensent à faire des recherches, mais ils les font dans la ligne de leur conviction, et ils arrivent aux résultats que leurs convictions attendaient. Bien rare est l’homme qui se soucie uniquement de la vérité. Tous ont cet amour de la vérité dans la bouche ; tous prendraient volontiers pour devise veritatem diligo. Et ils ne sont pas de mauvaise foi ; seulement il arrive que l’éducation qu’ils ont faite à leur esprit l’asservit à quelque idée préconçue. Regardez nos plus grands érudits ; observez l’opinion générale que chacun s’est faite à l’âge de 20 ans, c’est-à-dire avant de commencer ses travaux d’érudition, et vous reconnaitrez que toutes les études qui sont venues depuis les ont conduits à des résultats qui s’adaptent à leurs opinions premières…

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Voir les choses telles qu’elles ont été a toujours été difficile et l’est plus que jamais à notre époque. En vain nos moyens d’investigation se sont perfectionnés ; en vain nous sommes plus convaincus qu’on ne l’a jamais été de la nécessité de la critique, en vain proclamons-nous plus haut que jamais l’indépendance de la science. C’est l’esprit de chacun de nous qui n’est pas libre, et il ne l’est pas, parce qu’il s’est fait sur des croyances avant de faire des recherches. »

Numa Denis Fustel de Coulanges  1830-1889.

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Je ne prétendrai pas ici parler de l’œuvre de Fustel de Coulanges, mais juste de ce texte retrouvé par hasard et qui m’a interpellée.

Dans le monde en perpétuelle évolution où une voix unique cherche à s’imposer, ne nous faudrait-il pas pour approcher la vérité – sans énoncer notre opinion – douter de tout, faire des recherches personnelles, remonter à la source première des textes, ne pas répéter un propos entendu sans l’avoir vérifié et étudié (chacun, sans mauvaise intention aucune, interprétant l’histoire) ?

À la fin, nous pourrions peut-être constater qu’il n’y a rien à affirmer, seulement observer, libérer notre esprit et proposer une force agissante pour nous élever ensemble… Qu’en pensez-vous ?

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Illustrations : 1/ « La peinture »  2/ « La sculpture »  3/ « L’architecture »  Esquisses pour le décor de la porte des Beaux-Arts de l’exposition universelle de 1878  4/ « La céramique »  Esquisse pour le décor de la façade de la manufacture Loebnitz – Musée de Beauvais – Huiles sur carton de Lazare Meyer  1847-1945.

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Tenter d’approcher une vérité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Contre vents et marées…

3 mars 2024

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« … – Regarde, un arc-en-ciel.

Ça ne veut rien dire, grommela la fillette. Il y a des arcs-en-ciel partout.

– Je n’ai pas dit que ça voulait dire quelque chose. Parfois les choses sont belles même quand elles ne veulent rien dire. Tiens, ce sera ta première leçon.

Ils arrivèrent en surplomb d’une anse. Les échouages paisibles reposaient au bout des câbles les reliant à de longs pieux plantés dans la vase de basse mer. Ils descendirent, se trouvèrent encerclés de saleuses et de pêcheurs. Le duelliste exposa son projet, mais il n’avait pas encore trouvé les bons arguments. Il disait : « V’là votre occasion de changer les choses » et ensuite, il lisait l’incompréhension sur les visages burinés. Il voyait dans leurs yeux le reflet de cet océan qui ne laissait jamais savoir à l’avance combien de poissons il allait donner ni combien d’hommes il allait prendre.

« Elles changent bien assez comme ça, les choses », lui répondit-on.

Il disait : « Tout ceci, toute cette côte, ce n’est pas obligé d’être une fatalité pour vos petits. On peut en faire un passage, un tremplin, au lieu d’un échouement. »…

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… – Jacques, dis-moi, c’est vrai qu’on est des héros ?

– Non, on n’est pas des héros. Nous, on ne fait que notre devoir. Ce qu’on a fait pour les naufragés, beaucoup l’auraient fait pour nous.

– Mais justement, eux autres disaient le contraire. Ils disaient que personne l’aurait fait.

– Je sais. On vit dans un monde de naufrageurs, mais faut faire comme si.

– Comme si quoi ?

– Comme si on vivait dans un monde où les principes servent à nous grandir plutôt qu’à nous épaissir…

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… « La mer parle, il faut savoir l’écouter. Ce n’est pas un langage comme le nôtre, construit de syllabes et de voyelles qui se succèdent. Ses sons se superposent et s’agencent comme les éléments d’un orchestre. Il faut être sensible au tableau qu’elle crée, à l’harmonie de sa cacophonie. Elle a plus de dimensions que nous autres, qui ne connaissons que bâbord et tribord, nord et sud. Ce qui fait que la mer est mer, c’est que toutes ses contradictions existent en même temps »… »

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Une incroyable fresque qui chevauche le temps – cela se passe au XVIIIème siècle -, sur l’île imaginaire d’Ys, sise entre Terre-Neuve et Ouessant : sur son sommet est posée une ville fortifiée, verticale, où l’on ne peut pénétrer que si l’on a commis un acte héroïque ou si l’on est l’invité d’un habitant.

C’est une histoire tout à fait singulière, celle de Danaé Berrubé-Portanguen, dite Poussin. Elle est orpheline, possède l’incroyable don de savoir nager, don unique sur l’île d’Ys où les femmes salent la morue et ramassent le goémon, chantent ou hèlent le chaland… Elle prend sa vie en main dès le plus jeune age, s’aventure dans les eaux, sauve des vies, récupère des morceaux de trésors engloutis, expérimente au gré de ses rencontres des situations et émotions universelles.

La première rencontre de Danaé est celle d’Enoc Martel, un homme précieux, élégamment vêtu, il apparait sur les côtes balayées par les vents, poussant une brouette dont le contenu est caché par une toile goudronnée dont il se protège la nuit. Il offre ses services aux habitants mais ne sait visiblement pas faire grand chose, il était Maitre d’armes, duelliste plus précisément. Quatre autres rencontres vont suivre au fil des chapitres…

C’est un très beau roman, riche, coloré, plein de vie et de fantaisie, avec des histoires incroyables qui se succèdent. La force de ce conte est aussi dans la qualité de l’écriture de Dominique Scali, la richesse de son vocabulaire – elle est experte en vocabulaire maritime – et un art des descriptions à la manière d’un artiste peintre. Son imagination nous emporte loin avec la force de l’océan omniprésent et la transmission de certaines valeurs humaines.

Je vous souhaite à tous de rencontrer ce livre un peu fou, une douce folie, n’ayez peur…

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Extraits de : « Les marins ne savent pas nager »  2022  Dominique Scali.

Illustrations : 1/ « Pêche côtière »  2/ « Le naufragé »  Ambroise Garneray  1783-1857.

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Naviguer au gré des vents, au gré des vagues, avec sagesse…

BVJ – Plumes d’Anges.

Croissants de lune…

25 février 2024

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Pomme de pin,

cône femelle boisé dont les écailles ordonnées en une géométrie parfaite,

protègent de précieuses graines : les pignons…

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Glande pinéale,

elle était, disent certains, nommée kornarion par les égyptiens,

ce qui signifie pignon de pin, parce qu’elle en a la forme.

René Descartes pensait que l’âme siégeait en son sein…

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Lune inspirée,

hier était jour de pleine lune dite Lune des neiges.

Elle m’a semblé inspirante…

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« Si pleine lune m’était contée,

En fins croissants la couperais,

Quelques pignons ajouterais,

Objets célestes honorerais,

Rais de lumière multiplierais,

Au clair de lune dégusterais… »

BVJ

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– Croissants lunaires aux pignons –

– Ingrédients : 125 g. de poudre d’amande, 125 g. de cassonade (vanillée), 1 blanc d’œuf (non battu), 100 g. de pignons.

– Réalisation : Bien mélanger le sucre et la poudre d’amande, ajouter le blanc d’œuf, pétrir à la main pour obtenir une boule de pâte.

Former ensuite un long boudin, le diviser en quinze portions, former de petits croissants avec chacune, les recouvrir de pignons.

Les poser sur une plaque recouverte de papier sulfurisé, enfourner environ 15 minutes à 180°.

Se régaler en rêvant…

 

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« Par le chemin intérieur

Par le chemin de l’éveil

Se dissipent les ténèbres

Commence à s’ouvrir le chemin lumineux

Celui

Où bat le cœur de l’univers

Où s’éveillent les cellules

Je lance des graines  des lumières

Sur la terre et dans le ciel »

Bang Hai Ja  1937-2022.

Illustrations : 1/ « Pinus pinea »  Illustration botanique de Pancrace Bessa   1772-1846 .

2/ et 3/   Photos BVJ.

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Suivre le fil d’or de nos divagations intérieures…

BVJ – Plumes d’Anges.

Poésie extrême…

18 février 2024

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« … J’attends devant la table vide. Rêver, c’est se taire. Ce sillon de silence à mes lèvres est mon plus grand voyage. Il faut qu’à chaque instant j’use et j’épuise tout ce que je possède pour être neuf. À chaque instant. J’écris pour vous rejoindre mes frères et sœurs du monde analphabète du rêve, d’un rêve qui doit tout au mont Blanc du cœur, plus haut sommet de nos vies…

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… L’ambulance n’est pas une ambulance, mais une carriole destinée à recevoir et amplifier chaque bosse de la route, c’est la place de Grève. Je vois les nuages. Je dis à l’ambulancière : « C’est beau les nuages. » Il est très facile et très difficile d’être jeune. Elle réfléchit et dit : « Tout est beau. » Sa parole explose dans l’ambulance.

– Qu’est-ce-que tu fais dans la vie ?

– Moi ? Rien. Je réfléchis sur ce qu’est un sourire, un vrai sourire.

– C’est tout ? Rien d’autre ?

– Non, rien d’autre, mais ça me prend tout mon temps. Il me semble que si je découvre de quel abîme étoilé remonte vers nous un vrai sourire, alors je n’aurai perdu ni mon temps, ni ma vie.

Et les larmes ?

– Les larmes – pas celles du sentiment, de la perte, mais les larmes sans origine -, quand tu te penches sur leur eau blanche et salée, tu peux y entrevoir un sourire comme celui-là qui m’intrigue tant.

– Qu’est-ce qui t’aide à vivre ?

– Rien. Ah si peut-être : écrire. Tirer les moustaches du tigre.

– Je ne comprends pas. Qu’est-ce que tu écris au juste ?

– C’est très proche de l’enfantin trépignement de la pluie sur une verrière colorée dont une plaque est brisée : je passe, j’entends ce petit piétinement et c’est comme si j’entendais ce « Ah ! » dont les japonais disent qu’il est le souffle, l’âme, la substance des choses que parfois elles délivrent. Quelque chose chuchote quelque chose. L’écriture reprend ce chuchotement et l’amplifie.

– Dans quel but ?

– Arracher le langage à l’enfer des opinions…  »

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Une déclaration d’amour absolu, des mots cueillis dans les jardins de la poésie, les mots simples et enchantés de l’ami Bobin, une musique jouée par le pianiste russe Grigory Sokolov, des pages ultimes écrites sur son lit d’hôpital, les deux derniers mois de sa vie terrestre : un magnifique cadeau fait à son épouse.

Quand la fin du Voyage approche, il ne reste que l’essentiel, l’amour.

Mille et un mots naissent, le portent à explorer, à réfléchir, à écrire encore et encore, ils s’élèvent en lui depuis le cœur, nid de l’éclosion et se posent dans le nôtre.

On pense ici à Christiane Singer dans « Derniers fragments d’un long voyage « . L’émotion est intense face à ces œuvres de l’extrême, on ne peut que saluer la profondeur et la sérénité de ces auteurs. Ils sont de ces gens qui ne s’attribuent pas leur œuvre, qui n’en tirent pas de gloire personnelle, leur main est poussée par l’inspiration, le souffle, le souffle des anges. Magnifique dernier murmure…

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Extraits de : « Le murmure »  2024  Christian Bobin  1951-2022.

Illustrations : Médaillons Le Lys et la Rose attribués au sculpteur André-Joseph Allar  1845-1926 et au céramiste Jules Loebnitz  1836-1895.

 (exposés à l’Union des Arts décoratifs de 1884 à Paris) 

  – Photos BVJ  Janvier 2024  –  Exposition du Musée d’Art de Toulon

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Ne parler qu’avec son cœur…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Luministe…

10 février 2024

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« Le salon de musique »

« Ou comment choisir d’une part entre la beauté profuse, toujours renouvelée, du monde sensible avec ses grands ciels suaves, ses lointains, ses contrées, tout ce que les saisons et les jours déposent en nous d’intrigues, d’errances, la rencontre de l’aube, de la nuit, les amours, les chemins, et d’autre part ce que la solitude, le confinement et l’esprit distillent lentement, l’œuvre élaborée, philtre ou formule, concrétion étrange de ce qui a été plus rêvé que vécu ?

C’est ce doux va et vient entre Narcisse et Goldmund qui est ici mis en scène. C’est la théâtralisation d’une double soif, jamais étanchée, entre les deux tentations majeures, celle de la vie dépensée ou celle du repli méditatif.

L’aventurier ou le scribe.

Parmi les œuvres de l’esprit et de la main entassées dans ce vaste salon, la présence fragile d’une rose coupée nous parle de ce qui est inimitable, mais aussi quelle musique vient de résonner ici, digne du ciel impeccable dont elle provient ? »

Pascal Vinardel

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« Le retour d’Ulysse »

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« L’inconnue »

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« La vigie »

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« Pandore »

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« Le vent chaud »

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Dans l’exposition TERRA INCOGNITA qui se tient au Musée de la Banque à Hyères les Palmiers jusqu’au 19 mai 2024 , le peintre PASCAL VINARDEL semble nous tenir la main d’une toile à une autre, il a quelque chose à nous raconter et prend le temps de le raconter.

Il célèbre la lumière de l’aurore ou des dernières clartés du jour, juste avant que la nuit ne dépose son voile sombre. Vient le moment où les intérieurs s’éclairent, les familles se réunissent, les solitudes s’exacerbent…

Des tableaux qui suggèrent une chaleur intense. Une ville qui s’étire au creux d’une baie – est-ce toujours la même ? Les fenêtres et les portes ouvertes sur l’extérieur nous invitent à poser un regard attentif sur les paysages et les espaces clos : la petitesse de certains personnages et la hauteur des plafonds impressionnent, des rideaux comme des voiles gonflées par la brise, des tableaux ou des miroirs dorés aux murs, quelquefois une icône qui attrape joyeusement la lumière, verre, carafe d’eau limpide, piano, pendule, lampe à huile, ventilateur ou lustre à pampilles au plafond, au sol un tapis, des livres , des feuilles égarées, un chat qui médite… vestiges d’anciennes splendeurs, vestiges d’un passé révolu… Tout cela nous parlent d’intériorité, de souvenirs gravés dans la mémoire du cœur. L’atmosphère est paisible, silencieuse, les couleurs chaudes y participent. Au dehors, pas de routes goudronnées mais des chemins de terre, souvent sinueux ou pentus. Rues désertes, vieilles demeures tels des palais abandonnés, rares volets aux fenêtres, stores en toile écrue, un aéroplane, un bus, navires, automobiles d’un autre temps, personnages esquissés, presque fantomatiques, légers comme des plumes, fontaines, flaques d’eau circulaires…

Toutes ces images émanent d’un feu intérieur, une « terre inconnue » qui donne naissance à l’œuvre.

L’homme artiste commence par un texte – très beau – dans lequel il décrit un sujet, son intention, puis il crée le tableau. Là il maitrise totalement le geste, la main dessine, construit des architectures, les pinceaux immortalisent des ambiances liées au passé ou rêvées. La matière picturale est talentueusement travaillée, ombres et lumières sont omniprésentes.

À côté de ces grands formats, quelques petites peintures sur bois et des lavis en noirs et blancs qui confirment le grand talent de Pascal Vinardel.

Vous l’aurez sans doute compris, la découverte de cet artiste est pour moi un enchantement.

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« … L’humanité n’a pas vieilli. Elle peut à chaque instant retrouver ses pouvoirs d’embellissement. C’est le monde qu’elle s’est fabriquée qui vieillit de plus en plus vite, drainé par ses nouveautés incessantes, se fissurant à chaque instant, se regardant tomber en miettes… » 

Jaime Semprun  1947-2010  dans « Andromaque, je pense à vous ! »  (œuvre posthume).

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« Les joueurs »

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« La grande terre »

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« Anna au chemisier blanc »

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« Le royaume »

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« Noli me tangere« 

« … Au mur, un pan de « Noli me tangere » du Titien.

« Ne me touche pas » dit le Christ à Marie Madeleine. Sa résurrection accomplie, il n’appartient plus désormais au monde « tangible ».

Peut-on toucher l’aurore ? Étreindre un chant ? Peut-on s’emparer de ce qui est lointain ? Quoi de plus intact qu’une jeune fille ? Quoi de plus impalpable qu’une buée dans une vitre, qu’un visage reflété dans une glace, qu’une lumière d’aube qui saupoudre une chevelure, un livre, quoi de plus évanescent que l’air ?

Il est dit ici que le monde sonore et lumineux est inaccessible et ne peut s’appréhender que par la contemplation.

Mais il est dit aussi que le peintre, et seulement lui, par la magie de ses onguents et la conscience de son office, peut donner chair à ce monde et nous offrir, par le truchement mystérieux du tableau, de le « toucher ».

Pascal Vinardel.

Tableaux de Pascal Vinardel.

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Aspirer à l’authenticité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Rencontre toscane…

4 février 2024

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« … Il n’est pas bien difficile de comprendre pourquoi les habitants de Monterchi sont aussi attachés à cette image. Elle est née là, fresque peinte sur le mur d’une petite chapelle qui marquait la limite entre la Toscane  et l’État de l’Église ; puis la chapelle fut englobée dans le cimetière ; en 1911, on détacha la fresque du mur pour qu’elle échappe à l’effondrement de la construction et on la transporta à Sansepolcro en 1917, où elle demeura dans le musée communal jusqu’en 1925, date à laquelle, une fois encadrée, on la rapporta à son ancien emplacement. C’est donc pour les habitants de Monterchi, une Vierge familière, une Vierge née dans le village : Piero della Francesca venait de Sansepolcro mais on dit que sa mère était originaire de Monterchi ; quand il peignit cette fresque, il voulut peut-être honorer la mémoire de sa mère et , dans ce portrait, il se la représenta en pensée telle qu’elle devait être quand elle était jeune et qu’elle était enceinte de lui.

Le décor entourant la vierge est de style traditionnel. Deux anges, placés symétriquement aux deux angles inférieurs de la peinture, soulèvent, chacun de son côté, les lourdes tentures d’un pavillon royal, de forme conique comme la tente de la célèbre fresque du Songe de Constantin…

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Mais le mystère que dévoile ces deux anges n’a rien de royal ni de divin. C’est là la nouveauté sublime de cette révélation : le mystère en question est tout entier humain et terrestre.  l’intérieur du pavillon fourré d’hermine se trouve une femme de cette terre, de ce peuple, vêtue modestement, sans manteau royal ni riches vêtements, sans aucun ornement symbolique visant à la faire paraître différente des autres femmes : c’est une fille du peuple qui se montre à la porte de sa maison. Mais la jeune femme est enceinte et dans la simplicité pensive de son attitude, elle ne cherche pas à dissimuler les signes visibles de son état, au contraire elle s’en glorifie presque en elle-même : tel est le miracle que révèlent les anges… »

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Merveilleux petit livre et sublime fresque !

Piero Calamandrei, juriste, auteur, professeur, recteur d’université et photographe à ses heures se promène avec des amis dans les villages de Toscane et d’Italie centrale. Ils visitent en ce printemps de 1938 le Monastère de Camaldoli, quand l’un de ses amis propose d’aller jusqu’à Monterchi pour « faire la connaissance » de la Madonna del Parto.

 À cette époque elle se trouvait dans une chapelle « enfermée dans le cimetière ». Puis la guerre arrivant, elle fut miraculeusement épargnée lors des destructions d’œuvres d’art par les allemands et les gouvernants fascistes (qui dictaient ordres et contre-ordres pour mettre à l’abri les trésors italiens). Elle fut aussi protégée par les femmes du village auxquelles s’associèrent de nombreux hommes…

Je vous laisse découvrir ce très beau texte admirablement illustré dans lequel on perçoit l’émotion de l’auteur face à cette découverte, son imagination vagabonde vers d’autres œuvres, il nous parle d’art et de beauté…

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Je viens de faire ce voyage – énergisant – et j’ai pu admirer la Madonna del Parto.

Cette vision est magique, tout est délicieusement simple et infiniment merveilleux dans cette représentation. La Madonna est plongée dans son intériorité, elle vit l’attente et le mystère, son regard presque mélancolique invite à se porter sur l’essentiel, les teintes de l’œuvre restaurée (en 1990) sont douces, plus douces que celles employées par l’artiste à Arezzo.

La seule petite ombre au tableau serait l’écrin qui abrite la fresque, c’est l’ancienne école du village dont l’intérieur a la froideur d’un crématorium, mais ceci n’est qu’un détail…

Dominique en avait parlé –>

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Extraits de : « Rencontre avec Piero della Francesca »  Piero Calamendrei  1889-1956.

Photos BVJ.

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Partir à la rencontre du beau, du simple, du vrai…

BVJ – Plumes d’Anges.