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« … Mon père qui était un médecin de l’armée coloniale britannique a été choqué par une scène qui m’est restée dans l’esprit. Nous étions dans le bus et le conducteur, un français, à un moment donné, a arrêté son bus, il a contrôlé les passagers ; or il y avait là un pauvre vieux qui n’avait pas de quoi payer son trajet. Le chauffeur a fait descendre ce pauvre paysan marocain sur la route, c’était en plein champ, il est descendu. Mon père m’a dit : « Tu vois, ça, c’est la colonisation, il faut mettre fin à ce système parce que ce n’est pas normal qu’on ne partage pas avec un homme âgé et qu’on ne l’aide pas en lui accordant le passage dans le bus. » C’est donc en allant à Marrakech que j’ai aperçu les injustices de la colonisation…
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… L’Afrique, ce continent qui fut fracturé et malmené par l’histoire (…). Les hommes et les femmes de ce continent ont besoin de se connaître, de se reconnaître.
En traversant les frontières, la littérature permet cette connaissance, cette reconnaissance. Dans l’échange, dans l’aventure, nous cessons d’être des étrangers, nous partageons des rêves, des idées, des mots, des sentiments. Nous apprenons à être ce que souhaite le romancier et peintre marocain Mahi Binebine, des voisins, et qui sait, un jour peut-être comme le souhaitait le grand Martin Luther King dans sa célèbre formule : « Nous avons appris à nager comme des poissons, nous avons appris à voler comme des oiseaux, mais nous n’avons pas appris l’art tout simple de vivre ensemble comme des frères et des sœurs. » Grâce à la littérature, grâce à ces voix multiples, nous avons les armes qu’il faut pour lutter contre ceux qui, malgré les enseignements de l’histoire, revêtent aujourd’hui les loques trouées du racisme et de la xénophobie…
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… L’idée de l’engagement est venue de mon père mais je me souviens également de ce que racontait ma mère ; lorsqu’elle s’est mariée, elle s’est résolue à quitter la France, à partir vivre en Afrique pour le suivre. Ses amis ont tous réagi par des remarques de type : « Mais tu vas vivre dans un pays de sauvages. » Elle leur a répondu : « C’est vous les sauvages, je crois que je vais apprendre beaucoup en Afrique. » Elle voulait dire que l’aveuglement, l’égoïsme, l’indifférence de ses amies parisiennes lui semblaient être la vraie sauvagerie, le vrai manque de civilisation… »
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Ce petit livre de Jean-Marie G. Le Clézio est une riche réflexion à propos de la littérature et du pouvoir des mots. L’auteur raconte au fil des pages des souvenirs marquants, des situations vécues sur lesquelles ou contre lesquelles il s’est construit. Homme solitaire, profondément humain, frère de cœur des opprimés, engagé dans l’écriture – la seule chose qu’il sache faire – par petites touches, contre l’injustice.
Né à Nice pendant la guerre, il a connu les privations, il a vu la détresse des enfants et des personnes âgées « qui sont les premières victimes dans les conflits. » Âgé de huit ans, déjà doté d’un esprit curieux, il part rejoindre son père, médecin au Nigéria, accompagné de sa mère et de son frère. Il quitte « la France dévastée pour l’Afrique, terre d’abondance et de vraie liberté « , il en reste ébloui. Mais il découvre le système colonial, ses abus et ses maltraitances, les guerres entre les communautés montées les unes contre les autres par des européens avides…
Jean-Marie G. Le Clézio nous parle des rencontres, des hasards de la vie, des lectures, de la nature, de sa beauté, des artistes et écrivains femmes et hommes qui ont une vraie importance à ses yeux… Tout cela est le terreau qui l’amène à l’écriture et au travers des mots et des histoires, à son engagement. Il y a toujours à apprendre des autres, merci à la littérature de faire circuler des textes importants pour élever l’homme dans son humanité.
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Extraits de : « Identité nomade » 2024 Jean-Marie Gustave Le Clézio.
Illustrations : 1/« Jonquilles dans un pot vert » 2/« Bouquet de fleurs rouges » Pierre Bonnard 1867-1947.
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Apprécier la richesse des racines multiples…
BVJ – Plumes d’Anges.
Quel billet stimulant pour un début de semaine ! Merci beaucoup.
Le récit du vieil homme dans le bus au Maroc a probablement été fondateur
de la sensibilité de J.M.Gustave Le Clézio, nous la comprenons…évidemment !
Oui, Brigitte, notre champ d’action est si vaste dans la morne plaine des injustices
que la POÉSIE, comme souvent, vient à notre aide et à notre consolation !
Avec Delphine Horvilleur ce matin sur France-Inter, voilà un bon début de semaine…
au centre du tourbillon actuel 👏
les arts se peuvent un lien éclairant entre les gens, mais l’alphabétisation n’est pas toujours au rendez-vous ?
la musique, la danse… et les images se peuvent des aides ou d’autres voies voix ?
Richesse des couleurs de nos différences…
Un texte qui donne à réfléchir sur les comportements de notre humanité…
ton billet m’a donné l’envie de relire tous les livres de Le Clézio que j’ai dans ma bibliothèque…
Merci et bonne semaine
J’ai lu plusieurs livres de Le Clézio et j’aime beaucoup sa sensibilité, son regard sur les plus pauvres, les opprimés, mais aussi son lien à la terre, la mer, le ciel, les autres horizons. C’est un homme riche de plusieurs cultures.
Je n’ai jamais été déçue par un seul de tes billets, chère Plume.
Et ta constance de publication me force le respect.
Chapeau pour tes recherches littéraires et iconographiques. Cela donne un blog d’une grande qualité, dont ta sensibilité n’est pas la moindre !
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Heureusement que la poésie, la littérature, la musique et la peinture existent pour nous enjoliver la vie et nous permettre de voir la beauté des choses.
Ton billet est riche en couleurs.
Bonne semaine Brigitte
ah un Le Clézio que je n’ai pas lu merci à toi pour ce beau billet qui me donne envie de lire à nouveau cet auteur que j’apprécie depuis très longtemps
ah ces gens qui croient faire leur devoir et en réalité se montrent inhumains…
Pas lu non plus ce Le Clézio, chouette donc, une belle lecture en vue grâce à toi!
Tu as choisi de Bonnard aux couleurs de l’Afrique, chaudes, orange, vert, jaune. Merci.
Edifiants les § de tes extraits de livre.
On se sent porté vers le haut par des vœux de partage entre les Hommes.
Rien de le dire, il faut mettre ça en application.
Apprenons à vivre ensemble, devenons transparents à tout égoïsme.
Construisons l’humanité nouvelle.
Et pour les 24 tableaux du grand vitrail d’Autrey, je vais m’en faire des devoirs de vacances :-))
Amic@lement. > Yann
Ce livre m’attend dans la pile des emprunts à la bibliothèque, je viendrai donc lire ton billet plus tard. Merci pour les bouquets de Bonnard.
Un livre à avoir dans sa bibliothèque…. La littérature est un étendard pour la lutte contre les injustices et l’intolérance. Si nous savions apprendre de tout ce qu’elle enseigne et contient d’humanité… Je suis en train de mettre en place mon programme pour l’année prochaine. Je puise en elle tout ce qui est susceptible d’éclairer le regard de mes ados sur le chaos de l’actualité dans laquelle ils baignent, souvent passivement…
Merci pour cet article et le message qu’il véhicule…on a tant besoin d’en prendre conscience !
Bisous Brigitte 🙂
Je ne connais pas du tout ce livre de JMG LeClézio qui est pourtant un auteur connu et que j’aime beaucoup. Merci de me le faire découvrir. Je me suis régalée à lire tes extraits et à découvrir les superbes illustrations que tu as choisies pour illustrer tes propos du jour…de belles valeurs que nous voudrions tous voir appliquer autour de nous.
Lecteur de le Clézio je note cette référence dont je te remercie Brigitte de nous l’avoir fait connaître. La xénophobie le racisme le simple sentiment de supériorité est un poison qui tue l’esprit de celui qui en est atteint Beau week end