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« … Je regardais distraitement le paysage défiler devant mes yeux, le menton posé sur mes genoux.
Un spectacle naturel, à l’opposé de l’environnement artificiel qui était le mien la veille encore. Mon esprit avait du mal à faire la mise au point. Je me sentais comme perdue au beau milieu d’un décor de cinéma particulièrement réaliste. L’île aux citrons était un lieu charmant et accueillant, l’endroit idéal pour s’oxygéner. Partout où mon regard se posait, je ne voyais que beauté. Une beauté qui frisait la perfection. La mer s’étendait jusqu’à l’horizon dans toutes les directions. Une vue qui apaisait l’âme…
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… La thérapie du toucher de Madonna était différente d’un massage ou d’une séance de chiropraxie, dans la mesure où elle ne faisait que caresser mon corps. Ses mains étaient enduites d’huile essentielle d’agrumes récoltés sur l’île, et à chacun de ses gestes, je me retrouvais enveloppée d’un parfum frais et sucré. On aurait dit que l’île aux citrons m’entourait de ses bras.
Je me tournais sur le côté ou sur le dos, obéissant à ses instructions. La douleur s’envolait comme une nuée d’oiseaux sous les effets conjugués de l’odeur des agrumes et de la chaleur de ses mains…
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… J’ai fermé les yeux, les paupières serrées, j’ai pris une profonde inspiration. C’était le vérité. Je pouvais sentir le parfum, soyeux et léger, des pruniers. J’ai eu la sensation que cet air frais, que j’avais goulûment aspiré, faisait éclore des centaines de fleurs de prunier en moi. Il y avait également un parfum d’agrumes, mon préféré. J’ai poussé une longue expiration.
Lorsque je concentrais toute mon attention sur le moment que j’étais en train de vivre, les tourments du passé et les affres de l’avenir s’envolaient. Il n’existait plus alors que l’instant présent.
Il y avait des choses, pourtant simples, qu’on ne réalisait qu’avec le temps. Être heureuse ici et maintenant me suffisait amplement désormais. (…) Je voulais simplement partager la vue qui s’offrait depuis cet endroit avec mon père et ma petite soeur. Leur en faire cadeau. Qu’ils rentrent à la maison non pas chargés du poids de la tristesse de nos adieux, mais avec l’image magnifique de l’union de la mer, du ciel et de la lumière. Car c’était le seul cadeau que j’étais en mesure de leur faire. Et admirer ensemble ce somptueux paysage était à mon avis le plus beau de tous les cadeaux.
J’étais heureuse d’être en vie.
Ivre de joie d’avoir pu vivre un jour de plus.
Il m’était impossible de retrouver le corps qui était le mien lorsque j’étais en bonne santé. Mais j’avais pu retrouver l’esprit qui l’habitait alors. Et j’en étais très fière.
Il soufflait en moi un vent de gratitude, comme une bourrasque de printemps…
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… La vie est semblable à une bougie. Elle ne peut allumer ou souffler sa flamme elle-même. Et une fois la flamme allumée, il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre qu’elle se consume et disparaisse, en laissant la nature suivre son cours. Mais il arrive parfois qu’elle s’éteigne, soufflée par une force supérieure, comme cela a été le cas pour vos parents biologiques.
Vivre, c’est être la lumière de quelqu’un d’autre.
User sa propre vie en offrant sa lumière à l’autre. Et de cette façon, s’éclairer l’un l’autre. C’est ainsi que vous et votre père, l’homme qui vous a élevée, avez vécu. J’en suis certaine.
La bougie allumée en votre honneur a brûlé toute la nuit d’avant-hier devant l’entrée de la Maison du Lion.
C’était une nuit exceptionnellement venteuse, mais la flamme a continué de brûler, sans jamais s’éteindre, jusqu’à ce qu’elle disparaisse tranquillement, comme dans un dernier soupir, et que la fumée s’envole, aspirée par le ciel.
Je pense en secret que ce mince filet de fumée qui s’est envolé dans le ciel est ce qu’on appelle l’âme. Et vous Shizuku, qu’en pensez-vous ?… »
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Imaginez une île posée sur une mer intérieure du Japon – l’Île aux citrons sur la mer de Seto – et la lumière se déploie immédiatement, la couleur jaune envahit l’espace.
Avec une immense délicatesse Ito Ogawa aborde un sujet difficile : la fin de vie pour des gens atteints d’une maladie incurable.
Shituzu, 33 ans, est accueillie par « Madonna » dans la Maison du Lion, havre de paix et de beauté qui propose à ses hôtes de vivre de doux moments avant l’inévitable grand départ. Le père de Madonna était très riche, il possédait beaucoup de terres sur cette île. Ayant hérité de sa fortune, elle a désiré la construction de ce lieu pour y recevoir des femmes et des hommes qui ne voulaient pas finir leurs jours seuls dans un hôpital, loin des leurs. Elle a passé les diplômes requis, s’est entourée de gens généreux – même les habitants participent à ce grand et beau projet. Mille et une attentions diverses et variées sont portées aux « invités ». Il y a par exemple – et il y en a tant d’autres à découvrir – ce rendez-vous du dimanche après-midi : tout nouvel arrivant, quand il se sent prêt, doit écrire une lettre et y relater le souvenir d’un dessert exquis ; les divines cuisinières tentent alors de reproduire ce met tant apprécié. Shituzu reprend goût à la vie, son cœur bat joyeusement dans l’instant présent aux côtés de Rocca une petite chienne affectueuse…
Ito Ogawa nous offre un cadeau avec ce livre d’une totale et élégante poésie, elle nous donne envie de nous dépasser pour accompagner les derniers temps de vie des êtres qui nous entourent. L’auteure peint un champs d’étoiles brillantes et scintillantes, c’est une lecture sensible, émouvante, MAGNIFIQUE…
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Extraits de : « Le goûter du lion » 2022 Ogawa Ito.
Illustrations : 1/ « Citronnier » Hans Simon Holzbecker XVIIème 2/ « Mer et ciel » Albert Bierstadt 1830-1902 3/ « Huppe sur une branche de citronnier » Peinture anonyme – Inde XIXème.
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Accompagner la lumière…
BVJ – Plumes d’Anges.