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« … À quel moment commence réellement le voyage ? L’envie, le désir certes, la lecture, bien-sûr tout cela définit le projet, mais le voyage lui-même, quand donc peut-on le dire entamé ?…
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… Comment procéder avec les ivresses induites par le voyage ? Écrire ? Noter ? Dessiner ? Envoyer des lettres ? Et si oui, brèves ou longues ? Préférer des cartes postales ? Photographier ? Transporter avec soi des carnets sur lesquels on consigne croquis et phrases, mots et silhouettes, chiffres et nombres …
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… Noter, donc. Noter ce qui, dans le déroulement temporel et fluide du temps réel, dégage du sens et quintessencie le voyage. Couper, tailler dans le ruban de la chronologie des durées magnifiques, des instants qui rassemblent et résument l’idée, puis synthétisent l’esprit de déplacement. La mémoire fonctionne ainsi : prélever dans l’immensité longue et lente du divers les points de repère vifs et denses utiles pour cristalliser, constituer et durcir les souvenirs…
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… Dans le fouillis et le fatras de l’expérience vécue, la trace cartographie et permet le relevé d’une géographie sentimentale…
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… Entre l’absence de trace et leur excès, la fixation des instants forts et rares remplace le long temps de l’évènement en un temps court et dense : celui de l’avènement esthétique. Avec de longues durées, il s’agit de produire de brèves émotions et du temps concentré dans lequel se comprime le maximum d’émotions expérimentées par le corps. Un poème réussi, un cliché retenu, une page qui reste supposent la coïncidence absolue entre l’expérience vécue, accomplie et la souvenance réactivée, toujours disponible malgré l’écoulement. D’un voyage ne devraient rester que trois ou quatre signes, cinq ou six, guère plus. En fait, autant que les points cardinaux nécessaires à l’orientation…
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… Réactiver la fixation des vertiges, reprendre ses notes, ses carnets de croquis, ses photos, ses billets, ses carnets, ses papiers divers, consulter à nouveau les supports auxquels on a confié ses impressions sollicite la mémoire avec efficacité. On replonge dans le fouillis des impressions immédiates arrêtées dans le temps en pouvant dégager l’essentiel et faire remonter à la surface les morceaux de lumière avec lesquels se construit le souvenir. L’œuvre s’annonce puis s’énonce dans ce travail volontariste. Avec du passé se prépare du futur, ainsi le présent se trouve densifié, durci, plus cohérent, plus consistant. Ordonner les traces débouche, met en forme l’âme… »
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Extraits de : « Théorie du voyage – Poétique de la géographie » 2006 Michel Onfray.
Illustrations : 1/ 2/ 3/ Feuilles d’un « Carnet de voyage au Maroc » Eugène Delacroix 1798-1863.
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Extraire les quintessences de nos petits et grands voyages…
BVJ – Plumes d’Anges.