Panorama intérieur…

29 novembre 2021

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« …  Colette et Lucien

Au cœur de mon prénom ma maman s’est donnée une place.

Une sorte de petit banc modeste, mais bien ancré sur ses quatre lettres,

Et toujours bienvenu, lorsque l’on a besoin d’un peu de repos, d’une halte sur sa route, d’un repaire pour inviter les siens, ou se retrouver soi-même, lorsqu’à perte de vue, il n’y a plus personne.

Elle s’appelait Colette Sabe.

À l’époque c’était le nom du mari qui primait et qui transmettait le sien à toute la lignée.

Et les jeunes filles acceptaient sans mots dire, la violence sans nom de ce marquage au fer, refoulant dans les limbes leurs rêves entrevus d’un avenir immense, que les airs de la noce avaient faits s’envoler. 

Quand je suis née, ma mère ne savait pas si je vivrais longtemps mais elle voulait laisser une trace d’elle, aussi imperceptible et définitive que l’enregistrement d’un prénom sur un registre d’État civil, aussi précise que l’entaille d’une pointe à graver sur la stèle de marbre veiné.

Pour ne jamais oublier cette mise au monde, dont elle était la reine secrète, discrète, impériale.

Alors comme l’on brode au point de croix sur le bavoir du nourrisson les lettres fondatrices de son nouveau prénom, elle a tramé dans Isabelle en douce, le fil de chaîne de son nom.

C’est peut-être là qu’a commencé ma curiosité pour les mots, pour leurs cœurs et leurs tripes et mon envie de palper, d’ausculter d’entendre, les mystères cachés dans leurs ventres gravides.

Aucun prénom n’est jamais donné au hasard, mais seul le hasard donnera du sens au vôtre…

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Point à la lune

J’aime le point du i

Et la lune dans la nuit.

J’aime son ventre noir qu’un trait de plume souligne,

J’aime son ventre blanc porté par les ténèbres.

Et l’oreille attentive à leur matrice tressaillante

Attend patiemment,

Que les mots accouchent d’un sens,

Et la nuit de la lumière…

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Mare nostrum

De vos naissances,

Je garderai toujours

Le souvenir vivant

De cette vague sauvage,

Puis du plaisir

Débordant et total,

Qui a déferlé sur mon corps

Pendant que vous atteigniez

La rive des humains…

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… La femme des sables

Comment nourrir ces feuilles ?

Comment y faire germer la graine de mes mots ?

J’appelle la caresse généreuse du semeur

Sur ce lopin de terre vierge,

Je pleure les mots écrits et repris,

Le geste étroit et malhabile,

La main qui retient sans y croire

Le sable fluide et tiède de la vie…

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… Rigoletto

La mort me serre dans son travelling,

Haletante, violente, éreintante.

Crissements de freins sur fond glissant d’autoroute,

Cris de femme et de tôle,

Entrelacs de chair et de ferraille,

Éclats d’asphalte sous pluie cinglante.

 

Aux berges des plaies encore ouvertes,

Des sourires en boursouflure

Tracent des lèvres qui ne rient plus.

 

Comme de petites bouches muettes,

D’où l’on distingue au fond

La griffe ultime de l’existence,

Trempée dans l’encre rose-sanguine.

… Coupez !… »

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Un livre « pittoresque » qui porte le titre de « Concertina » , le mot a deux significations nous dit-on, « Le concertina est un type de fil de fer barbelé… » mais aussi « Le concertina est un instrument de musique ressemblant à l’accordéon… ».

Une très belle couverture expose à notre regard une photographie, celle d’un généreux fil d’or taché de rouge sur fond d’océan cosmique, sorte de papier reliure résultat de moult couches de peinture sur la coque immergée d’embarcations, apprend-on, – l’eau salée et le temps ont fait leur grand œuvre –   le photographe – Jacques Guyomar – est lui aussi talentueux.

Le ton est donné, nous sommes invité(e)s à suivre les notes poétiques portées sur la partition d’une vie, celle de l’auteure. Les mots chantent, dansent, jouent, chuchotent, crient… ça swingue, ça décoiffe, ça ose, les poèmes en vers ou en prose se succèdent de sa naissance à aujourd’hui, de la jeunesse au vieillissement, des faits, des impressions, des ressentis comme des bulles, l’écriture est très belle, sensuelle, le propos intime, joyeux, profond, le questionnement riche d’humanité,

l’artiste épure et épure encore, c’est magnifique,

je vous avoue là un immense coup de cœur,

à découvrir, absolument !

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Extraits de : « Concertina »  2021  Isabelle Forno.

Calligraphies d’Ambrosius Perlingh  1657-1718.

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Polir nos aspérités…

BVJ – Plumes d’Anges.

Terre d’ombre…

22 novembre 2021

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« … Les jambes allongées au soleil, on ne parlait pas vraiment avec Charlie, on échangeait des pensées qui nous couraient dans la tête, sans bien faire attention à ce que l’autre racontait de son côté. Des moments agréables, où on laissait filer le temps en sirotant un café. Lorsqu’il m’a dit qu’il avait dû faire piquer son chien, ça m’a surpris, mais sans plus. C’est toujours un peu triste un clebs qui vieillit mal, mais passé quinze ans, il faut se faire à l’idée qu’un jour ou l’autre il va mourir.

– Tu comprends, je pouvais pas le faire passer pour un brun.

– Ben, un labrador, c’est pas trop sa couleur, mais il avait quoi comme maladie ?

– C’est pas la question, c’était pas un chien brun, c’est tout.

– Mince alors, comme pour les chats, maintenant ?

– Oui, pareil…

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Quelque temps après, c’est moi qui avais appris à Charlie que le Quotidien de la ville ne paraîtrait plus. Il en était resté sur le cul : le journal qu’il ouvrait tous les matins en prenant son café crème !

– Ils ont coulé ? Des grèves, une faillite ?

– Non, non, c’est à la suite de l’affaire des chiens.

– Des bruns ?

– Oui, toujours. Pas un jour sans s’attaquer à cette mesure nationale. Ils allaient jusqu’à remettre en cause les résultats des scientifiques. Les lecteurs ne savaient plus ce qu’il fallait penser, certains même commençaient à cacher leur clébard !

– À trop jouer avec le feu…

– Comme tu dis, le journal a fini par se faire interdire.

– Mince alors, et pour le tiercé ?

– Ben mon vieux, faudra chercher tes tuyaux dans les Nouvelles brunes, il n’y a plus que celui-là. (…)

Après, ça avait été au tour des livres de la bibliothèque, une histoire pas très claire, encore.

Les maisons d’édition qui faisaient partie du même groupe financier que le Quotidien de la ville étaient poursuivies en justice et leurs livres interdits de séjour sur les rayons des bibliothèques… »

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Charlie et le narrateur nous racontent leurs journées bousculées par de nouvelles lois absurdes. Ils ferment les yeux, les acceptent, ils veulent vivre comme « avant » mais se laissent dépasser.

Un tout petit livre – onze pages écrites dans la langue de tous les jours – qui nous parle du danger de la pensée d’un seul, de la montée des totalitarismes, il nous incite à demeurer lucides, il y a toujours de vieux démons qui rodent… Une fois le processus, éternellement insidieux à ses débuts, mis en marche, il est de plus en plus difficile de s’en sortir, le peuple est bâillonné, l’ampleur des dégâts devient considérable.

Dans un pays sage, la voix – la voie – unique ne peut exister. Dans l’ombre permanente, on perd sa liberté de penser, de réfléchir, de créer. En étant soi-même, on apporte sa lumière au monde, ombre et lumière se révélant l’une par rapport à l’autre. Ensemble, nos différences nous aident à nous élever, à libérer les couleurs de la vie et exprimer notre humanité. Il est bon, me semble-t-il, de toujours parler, discuter, exprimer nos ressentis avec bienveillance, quelquefois faire silence…

J’ai vraiment aimé ce texte court et incisif, c’est un cri du cœur lancé en 1998 face à certains évènements, il est et sera toujours d’actualité.

RESTONS VIGILANTS …

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Extraits de :  » Matin brun » 1998  Franck Pavloff  ici en audio-livre, il est bien-sûr publié en version papier aux éditions CHEYNE et en version illustrée chez ALBIN MICHEL.

Œuvre : « Saint Georges et le dragon »  – détail –  Giorgio Barbarelli dit Giorgione  1477-1510.

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Ne pas céder à la tentation de la facilité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Montaison…

15 novembre 2021

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« Je suis le saumon sauvage. Vous aimez mon frère d’élevage, puisque vous le mangez. On le trouve chez tous les poissonniers et vous le dévorez pour quelques euros le kilo. Élevé en captivité, au Chili ou en Norvège, nourri, entre autres, avec des farines animales, il est abondant : 1 million de tonnes, 300 fois les captures de saumons sauvages ! C’est paradoxal : on se moque de l’avenir des saumons sauvages, et on « cultive » serrés, en cage, les héritiers, les lointains descendants de ces grands voyageurs…

Mais ce saumon-là, ce n’est pas moi : il s’agit d’une pâle copie de ce que je suis. Mon histoire n’est pas celle du circuit du froid, des normes ISO, mais celle du saumon sauvage, celui d’avant les barrages, d’avant la surpêche océanique. La légende d’un animal qui, pendant les derniers 25 000 ans  a contribué à la culture des hommes. Ceux des côtes du Pacifique et de l’Atlantique Nord.

Pendant des siècles, j’ai fait battre votre cœur. Le grand saumon sauvage, mon aïeul, a fait danser les chasseurs-pêcheurs des bords de la Vézère, qui l’ont peint dans leur abri, à Laugerie-Basse, avec l’ours et le cheval sauvage. Plus tard, les Romains nous ont donné notre nom, « Salar », le sauteur. J’étais chez moi au Portugal, en Germanie, en Gaule. Les Celtes me vénéraient : j’étais « Fintan« , le dieu saumon. Les chrétiens ont pris la relève. Les moines de l’abbaye de Sordes, sur le gave, en Pyrénées, ont remercié Dieu de ma présence : grâce à mes ascendants en route vers la mer, ils pêchaient une nourriture abondante. Les artistes du Moyen Âge m’ont peint sur les tympans de leurs vaisseaux de pierre. Je suis sur la cathédrale d’Oloron-Sainte-Marie, sur des édifices romans plus humbles, dans la Haute-Loire. Les festins royaux étaient composés de saumon. J’ai sauvé de la famine les pauvres de France : mon histoire est liée à la vôtre, comme celle de tant d’animaux sauvages que vous n’admirez plus… J’étais… je ne suis pratiquement plus. (…)

Revenons à ma naissance. À l’origine je suis un œuf, minuscule promesse, blotti parmi d’autres au fond du lit de la rivière. Je me trouve alors dans le Haut-Allier, à près de mille kilomètres de l’embouchure. À ma naissance, j’ai la taille d’une groseille orangée posée sur le gravier. Je reste quatre mois au fond de gorges où niche l’aigle botté, où passe le Cévenol, enjambant frayères et viaducs, en route vers Nîmes. Après quelques mois dans cet univers, d’éleveurs de moutons, de haies, de forêts, je deviens alevin, c’est-à-dire un tout petit poisson. J’ai un drôle de sac sous le ventre, une « vésicule vitelline » où je puise ma nourriture. Puis je me fais tacon, nom que l’on donne au jeune saumon, et je grandis dans l’eau fraîche, saturée d’oxygène et d’odeurs incomparables : hêtre, tourbe de la Margeride… Je mémorise toutes ces senteurs, elles sont mon chez-moi, le « clos de ma maison, qui m’est une province, et même davantage« . Je m’en imprègne en prévision de mon futur retour du Pacifique. Je passe ainsi deux ans sur le Haut-Allier, croquant toutes sortes d’insectes qui peuplent en abondance les eaux. J’ai une belle robe sombre, des taches rouges sur les flancs, je glisse silencieusement dans mon territoire, parmi les truites, les loutres, les moules perlières. C’est une merveilleuse enfance… »

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Faisant un tri dans des livres et des magazines, j’ai relu avec intérêt un article sur la saumon sauvage, je ne peux vous en donner l’intégralité, il est très long…

Tout petit détail, hasard ou coïncidence ? un communiqué de presse daté d’octobre 2021, signé du même Martin Arnoult, nous apprend que les poissons migrateurs peuvent désormais franchir librement le barrage de Poutès  sur le haut de l’Allier entre octobre et décembre suite à des travaux importants sur le site, la montaison des saumons sauvages devrait avoir lieu.

La société change, le progrès technique est là, mais faisons attention, nous ne pouvons accepter n’importe quel progrès, tout n’est pas réparable dans le vivant.

Penser à ces poissons, oiseaux ou insectes migrateurs suscite toujours une émotion et leurs instincts sont perturbés voire empêchés, ils répondent à l’appel de la vie, un cri de l’invisible ordonne leur départ, beaucoup perdent la vie dans ces longs voyages mais ils « se » doivent de les faire…

La Nature n’est-elle pas merveilleusement stupéfiante ?

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Extraits d’un article émouvant sur l’épopée du saumon sauvage, signé Martin Arnoult

dans le numéro 3 de la revue Canopée – 2005.

Illustrations : 1/ « Rapides sur l’Hudson »  2/ « Chutes d’eau dans les Adirondacks »   Winslow Homer   1836-1910.

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Protéger le feu de la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Mouvements…

8 novembre 2021

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« La nuit ouvre ses yeux en nous.

Rien ne retient plus le regard.

On fait corps avec le cœur.

L’onde est porteuse.

Juste à l’angle du temps.

La survie peut être célébrée.

On puise, mais avec une telle précision… »

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Zéno Bianu dans « Infiniment proche« 

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Quelque chose monte du tréfonds de la vie,

il nous faut découvrir ce qui

nous appartient en propre, le partager,

ne pas suivre la mode, l’air du temps, les ordres

mais réfléchir dans notre silence intérieur,

 donner naissance à notre vision du monde.

Avancer, naviguer en toute liberté,

garder confiance en les cieux et leurs mouvements.

Voyez-vous là-bas poindre une lumière ?

Aidons-la à éclairer le monde…

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Études de nuages de Konrad Krzyzanowski  1872-1922.

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Aider la lumière à renaître…

BVJ – Plumes d’Anges.

Certains…

1 novembre 2021

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« Certains aiment la poésie

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Certains,

pas tout le monde,

pas la majorité, mais une minorité.

Hormis les écoliers qui le doivent,

et les poètes eux-mêmes,

ça doit faire dans les deux sur mille.

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Certains aiment,

mais on aime aussi le potage aux vermicelles.

On aime les compliments et la couleur bleu clair.

On aime un vieux foulard.

On aime avoir raison.

On aime flatter un chien.

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La poésie, mais qu’est-donc la poésie ?

Plus d’une réponse brûlante a déjà été donnée.

Et moi je n’en sais rien.

Je n’en sais rien et je m’y accroche comme à une rampe de salut. »

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 La poésie, à mes yeux, n’est pas simplement un genre littéraire,

elle est une évocation, un chant, une musique,

une création harmonieuse du monde

un cœur à cœur.

Le peintre ici se fait poète,

utilisant le ciel, la mer et les oiseaux

comme sources d’inspiration.

Ce thème incantatoire donne une construction

« anaphorique » à son œuvre picturale…

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Mais qu’est donc la poésie pour vous,

aminautes de France, de Navarre et d’Ailleurs…?

Poème « Certains aiment la poésie » de Wislawa Szymborska  1923-2012.

Marines de Max Jensen  1860-1908.

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Naviguer sur de vastes mers…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Travail d’orfèvre…

25 octobre 2021

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Face à la Nature,

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on ne peut qu’expulser les poussières encombrantes,

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les tensions inutiles,

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les boulets que l’on traine,

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les conflits qui ne sont que poisons…

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– ABANDON DE L’ANCIEN SOI –

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Tout est beau alentour,

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dans la présence à soi notre regard de transforme,

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le monde semble parfait, unique, incroyable,

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les tonalités, les formes, les matières.

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Mystère du temps qui accomplit son travail d’orfèvre.

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– CRÉATION D’UN NOUVEAU SOI –

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En pays de beauté, de poésie et de liberté,

des flocons de joie envahissent l’espace.

Un père de famille rencontré récemment nous disait qu’en ces temps troubles,

il avait réfléchi à ce qu’il pouvait offrir à ses enfants pour les aider à se « construire »,

une réponse lui était apparue :

leur montrer la beauté sur terre, ses mystères et la force de nos origines.

Ils sont en ce moment en Égypte…

Nous pouvons trouver ces vibrations plus près de nous,

pour peu que nous soyons attentifs et observateurs :

les roches érodées par d’anciens glaciers,

les couleurs insensées qui inondent un lieu,

les saisons qui peignent de nouveaux paysages,

les fleurs qui se transforment en oiseau…

sont une source d’inspiration inépuisable !

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« Ne quémande rien. N’attends pas

D’être un jour payé de retour.

Ce que tu donnes trace une voie

Te menant plus loin que tes pas. »

François Cheng

Photos BVJ – Alpes Suisses – octobre 2021.

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Créer un Soi, tel un nouveau matin du monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

Livres de mots ou d’images…

17 octobre 2021

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À basse mer, le sable se fait papyrus, nait une plage d’écriture :

Lune et Soleil dialoguent avec la Terre.

Depuis la nuit des temps, le rythme est sans faille,

jusqu’à la fin des temps, les pages se succèderont,

le Calligraphe au geste habile et gracieux,

tient dans sa main la Plume d’un Ange…

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Ou bien ou bien, est-ce là l’œuvre d’un invisible Eaufortiste,

il s’emploie à graver algues, coquilles, roches ou autres fantaisies,

veille à témoigner de la Beauté du Monde,

ici tout se crée et se recrée éternellement,

tout est « effet mer ».

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Sommes-nous des lecteurs ou des observateurs assidus,

capables de décrypter les Signes célestes et maritimes ?

Il nous faudrait peut-être nous y employer,

le Livre de la Vie est si riche…

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« Toute la journée silencieux

face à la mer

jusqu’à la marée haute »

Santoka

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Photos BVJ – Septembre 2021.

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Recevoir avec gratitude les cadeaux du monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

Grincements et grains semés…

11 octobre 2021

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« Comment va la vie

me demande un ami

 

ça grince

de tous côtés

mais j’accorde

les grincements

et je m’en fais un orchestre

 

en attendant de jouer

un morceau

tendre comme la nuit… »

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Et vous, quels grains auriez-vous envie de semer aujourd’hui,

pour accorder les grincements de la vie,

des grains de folie, des grains de hasard, des grains de pluie,

des grains de malice, des grains de beauté ?

N’hésitez pas à déposer ici votre grain de sel…

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Poème de Radu Bata découvert sur le net…

Tableau : « Hommage à Goya » Odilon Redon
1840-1916.

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Rester en vol libre…

BVJ – Plumes d’Anges.

Monde glacial…

4 octobre 2021

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« … Depuis la mort de ses parents, Clara Roussel avait une conscience aiguë de la fragilité humaine. À l’age de vingt-cinq ans , et pour le reste de son existence, elle avait compris qu’on pouvait sortir un matin, serein et confiant, et ne jamais rentrer chez soi…

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Ce matin-là, ils s’étaient levés comme tous les matins, ignorant qu’il ne leur restait que quelques heures de bonheur, de sérénité, et que le soir même leur vie aurait sombré dans un désastre qui n’avait pas de nom. Qui pouvait imaginer cela ? Elle aurait donné n’importe quoi pour revenir en arrière. Quelques heures. Seulement quelques heures. Dire non. Voilà tout. Non, vous n’allez pas jouer dehors. Il suffisait de rien, trois fois rien…

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… Clara se sentait parfois si triste et si décalée. Ce n’était pas nouveau. Cependant cette sensation s’était accrue au cours des dernières années et, bien que dénuée d’amertume, était devenue douloureuse. Elle avait raté une marche, un épisode, une étape. Elle, à qui on avait offert 1984 et Fahrenheit 451 le jour de ses quatorze ans, elle qui avait grandi au milieu d’adultes toujours prompts à contester les dérives de leur époque (qu’auraient pensé Réjane et Philippe de celle dans laquelle elle vivait ?), elle qui venait d’un monde où tout devait sans cesse être questionné, pensé, avait regardé le train partir sans pouvoir monter dedans. Ses parents s’étaient trompés. Ils croyaient que Big Brother s’incarnerait en une puissance extérieure, totalitaire, autoritaire, contre laquelle il faudrait s’insurger. Mais Big Brother n’avait pas eu besoin de s’imposer. Big Brother avait été accueilli les bras ouverts et le cœur affamé de likes, et chacun avait accepté d’être son propre bourreau. Les frontières de l’intime s’étaient déplacées. Les réseaux censuraient les images de seins ou de fesses. Mais en échange d’un clic, d’un cœur, d’un pouce levé, on montrait ses enfants, sa famille, on racontait sa vie. Chacun était devenu l’admirateur de sa propre exhibition, et celle-ci était devenue un élément indispensable à la réalisation de soi… »

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Une histoire glaçante, une histoire qui est ou pourrait être vraie.

L’évolution d’un monde où des gens ne vivent plus que par

téléphones interposés, réseaux sociaux, addictions, surconsommation,

un monde qui se raconte des histoires, plonge dans la folie,

un monde où l’humain a trébuché…

Ce roman parle de la quête de reconnaissance, de l’argent qui coule à profusion,

de ces parents délirants qui gavent leurs progénitures

de produits en tous genres, de malbouffe

et qui signent des pactes avec des compagnies douteuses.

Les dégâts psychologiques qui s’ensuivent sont considérables.

C’est une histoire très forte, admirablement écrite et construite,

elle nous interroge sur les chemins empruntés par notre société,

sur ces adultes qui ne pensent plus à protéger leurs enfants,

à leur transmettre des valeurs universelles,

une histoire terrible d’une cruelle actualité.

L’art, le grand art de Delphine de Vigan est encore présent,

souhaitons que l’humanité se réveille, s’élève et se lève !

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Extraits de : « Les enfants sont rois »  2021  Delphine de Vigan.

Illustrations : 1/ « Charité »  Abbott Handerson Thayer  1849-1921  2/ « La ville »  Mikalojus Konstantinas Ciurlionis  1875-1911.

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Ouvrir l’œil de la vigilance…

BVJ – Plumes d’Anges.

Guide radieux…

27 septembre 2021

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« … Pourquoi la vue d’une lampe allumée en plein jour glace-t-elle le cœur ? Pourquoi suis-je toujours fasciné par le partage des ombres et des lumières ?…

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Débarcadère blanc de givre, ciel empli d’étoiles. Au bout d’un long filin je jette un seau à la mer. Il faut mettre à tremper du poisson pour demain. Les sabots cloutés glissent sur les pierres. Quelques étincelles jaillissent. Le courant miroite…

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Midi. Le bruit de la vague et le silence, l’ombre épaulant la lumière, j’ai soudain l’impression que le phare est fondé sur leur équilibre. Et chaque geste le dresse un peu plus.

C’est fragile comme une rencontre d’oiseaux. Il faut être soi-même invisible là-dedans. Et présent pour lancer la ronde.

Toutes les lueurs du jour, qui tournent et volent dans l’air léger de l’escalier, est-ce qu’elles ne se retrouvent pas au soir, dans la couronne de flammes secrètes du foyer ? 

À la lucarne près de laquelle je travaille aujourd’hui, on voit l’horizon partager exactement le ciel et la mer.

Le soir. Tout notre travail est pour l’horizon. Cette lente avalanche de la lumière vers le haut, les prismes la cassent durement, la renvoient au large.

Moi j’ai besoin de lumière, je suis affamé de lumière. Les murs, les cuivres. Par quelle roue d’un moulin secret devrai-je moi-aussi passer ?… »

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La construction du phare d’ArMen – situé à l’extrémité de l’île de Sein –

prit 14 années, un travail titanesque !

La vision de cette « torche » par Jean-Pierre Abraham fut un éblouissement,

l’auteur se sentit attiré par cette vie particulière

comme un papillon l’est par la lumière.

Il demande alors une formation pour en devenir le gardien…

Ce texte – un journal de bord – semble né des brumes,

de l’écume et des vagues qui l’habitent.

Tout est métaphore.

C’est un temps de rites et de taches répétitives, indispensables,

c’est aussi un temps de luttes : les éléments souvent se déchainent,

l’humidité est permanente, pénétrante.

Il faut entretenir l’édifice, le réparer pour ne pas mourir.

C’est une véritable école de la vie dans laquelle l’homme

apprend à se connaître, à explorer son intériorité.

Il fait équipe avec Martin,

ils semblent éprouver un grand respect l’un pour l’autre,

être solidaires dans l’épreuve et dans les joies.

Trois livres l’accompagnent, lus et relus,

scrutés dans leurs moindres détails :

un album sur Vermeer, un autre sur un monastère cistercien

et un dernier de poèmes de Pierre Reverdy.

Les ombres et les lumières omniprésentes

font de ce texte une lecture forte et précieuse,

elle laisse une belle trace.

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Extrait de : « ArMen » Jean-Pierre Abraham 1936-2003.

Illustrations : 1/« La mer »  Wladyslaw Slewinski  1856-1918  2/« Phare sur la côte bretonne »  Théodore Gudin 1802-1880.

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Découvrir sa destinée…

BVJ – Plumes d’Anges.