Panorama intérieur…

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« …  Colette et Lucien

Au cœur de mon prénom ma maman s’est donnée une place.

Une sorte de petit banc modeste, mais bien ancré sur ses quatre lettres,

Et toujours bienvenu, lorsque l’on a besoin d’un peu de repos, d’une halte sur sa route, d’un repaire pour inviter les siens, ou se retrouver soi-même, lorsqu’à perte de vue, il n’y a plus personne.

Elle s’appelait Colette Sabe.

À l’époque c’était le nom du mari qui primait et qui transmettait le sien à toute la lignée.

Et les jeunes filles acceptaient sans mots dire, la violence sans nom de ce marquage au fer, refoulant dans les limbes leurs rêves entrevus d’un avenir immense, que les airs de la noce avaient faits s’envoler. 

Quand je suis née, ma mère ne savait pas si je vivrais longtemps mais elle voulait laisser une trace d’elle, aussi imperceptible et définitive que l’enregistrement d’un prénom sur un registre d’État civil, aussi précise que l’entaille d’une pointe à graver sur la stèle de marbre veiné.

Pour ne jamais oublier cette mise au monde, dont elle était la reine secrète, discrète, impériale.

Alors comme l’on brode au point de croix sur le bavoir du nourrisson les lettres fondatrices de son nouveau prénom, elle a tramé dans Isabelle en douce, le fil de chaîne de son nom.

C’est peut-être là qu’a commencé ma curiosité pour les mots, pour leurs cœurs et leurs tripes et mon envie de palper, d’ausculter d’entendre, les mystères cachés dans leurs ventres gravides.

Aucun prénom n’est jamais donné au hasard, mais seul le hasard donnera du sens au vôtre…

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Point à la lune

J’aime le point du i

Et la lune dans la nuit.

J’aime son ventre noir qu’un trait de plume souligne,

J’aime son ventre blanc porté par les ténèbres.

Et l’oreille attentive à leur matrice tressaillante

Attend patiemment,

Que les mots accouchent d’un sens,

Et la nuit de la lumière…

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Mare nostrum

De vos naissances,

Je garderai toujours

Le souvenir vivant

De cette vague sauvage,

Puis du plaisir

Débordant et total,

Qui a déferlé sur mon corps

Pendant que vous atteigniez

La rive des humains…

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… La femme des sables

Comment nourrir ces feuilles ?

Comment y faire germer la graine de mes mots ?

J’appelle la caresse généreuse du semeur

Sur ce lopin de terre vierge,

Je pleure les mots écrits et repris,

Le geste étroit et malhabile,

La main qui retient sans y croire

Le sable fluide et tiède de la vie…

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… Rigoletto

La mort me serre dans son travelling,

Haletante, violente, éreintante.

Crissements de freins sur fond glissant d’autoroute,

Cris de femme et de tôle,

Entrelacs de chair et de ferraille,

Éclats d’asphalte sous pluie cinglante.

 

Aux berges des plaies encore ouvertes,

Des sourires en boursouflure

Tracent des lèvres qui ne rient plus.

 

Comme de petites bouches muettes,

D’où l’on distingue au fond

La griffe ultime de l’existence,

Trempée dans l’encre rose-sanguine.

… Coupez !… »

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Un livre « pittoresque » qui porte le titre de « Concertina » , le mot a deux significations nous dit-on, « Le concertina est un type de fil de fer barbelé… » mais aussi « Le concertina est un instrument de musique ressemblant à l’accordéon… ».

Une très belle couverture expose à notre regard une photographie, celle d’un généreux fil d’or taché de rouge sur fond d’océan cosmique, sorte de papier reliure résultat de moult couches de peinture sur la coque immergée d’embarcations, apprend-on, – l’eau salée et le temps ont fait leur grand œuvre –   le photographe – Jacques Guyomar – est lui aussi talentueux.

Le ton est donné, nous sommes invité(e)s à suivre les notes poétiques portées sur la partition d’une vie, celle de l’auteure. Les mots chantent, dansent, jouent, chuchotent, crient… ça swingue, ça décoiffe, ça ose, les poèmes en vers ou en prose se succèdent de sa naissance à aujourd’hui, de la jeunesse au vieillissement, des faits, des impressions, des ressentis comme des bulles, l’écriture est très belle, sensuelle, le propos intime, joyeux, profond, le questionnement riche d’humanité,

l’artiste épure et épure encore, c’est magnifique,

je vous avoue là un immense coup de cœur,

à découvrir, absolument !

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Extraits de : « Concertina »  2021  Isabelle Forno.

Calligraphies d’Ambrosius Perlingh  1657-1718.

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Polir nos aspérités…

BVJ – Plumes d’Anges.

17 commentaires sur “Panorama intérieur…”

  1. Fiorenza dit :

    Un vrai saut dans l’inconnu ce matin !

    Chère Brigitte, je découvre une artiste, une prose poétique, des mots
    si étranges pour moi, si incisifs, qu’il me faudra plusieurs jours
    pour les décrypter !

    Flottant dans un monde plus serein, les rêves de douceur continuant
    à entretenir mon imaginaire, me voilà bien réveillée soudainement !
    Ici, « l’encre rose-sanguine » s’est renversée dans les nuages
    derrière les grands pins 🎨🌲🎨

    Bonne semaine, chère amie, au son du petit accordéon « nommé »
    Concertina : à nous de choisir entre le fil de fer et la musique douce-amère 🎶

  2. Anne dit :

    Flûte, les code antispam étaient illisibles, mon message parti aux oubliettes.
    Bref, en plus court, je regrette que tu ne montres pas la couverture dont tu parles à cause de ce fil d’or ou rouge qui relie chaque âme à une autre, une histoire que j’aime raconter ou illustrer. Sinon, tout le reste nous donne une envie terrible pour ce coup de cœur dont tu parles si bien!

  3. Même pensée qu’Anne, tu as aiguisé notre curiosité , la couverture doit être splendide !
    Quelques lettres dans un prénom forment une trace subtile, discrète et…indélébile. Quelle belle idée !
    Mille Mercis Brigitte, je t’embrasse. Douce nouvelle semaine.

  4. thé ache dit :

    la calligraphie est un art qui se fait moins présent depuis que les claviers sont à l’oeuvre, ce qui vient écrire sur d ‘autres surfaces invite à lire d’autres expériences

  5. Adrienne dit :

    ça pousse à la réflexion sur la filiation et quels noms on transmet, quels noms on oublie!
    (remonter la généalogie de mère en mère est extrêmement plus difficile que de suivre le fil patrilinéaire!)

  6. Aifelle dit :

    Tu te fais très tentante aujourd’hui ! je n’ai pas entendu parler de ce livre mais l’histoire est superbe et cette calligraphie .. Merci et bon après-midi. Bises

  7. eki eder dit :

    sa maman a bien trouvé la manière d’inclure son nom de jeune fille.
    Un livre raffiné au vu de sa couverture, je note.
    bonne soirée Brigitte, muxu

  8. Dominique dit :

    quelle belle découverte aujourd’hui chez toi, j’aime faire ainsi la cueillette de textes, d’auteurs et de dessins superbes on ne revient jamais les mains vides de chez toi

  9. Célestine dit :

    J’aime beaucoup l’idée d’avoir brodé son nom de jeune fille dans le prénom de sa fille…Mais ça ne marche pas souvent !
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  10. Toutes les âmes sont liées les unes entre elles, c’est sûr et les prénoms ne sont jamais jamais donnés par hasard. Tu me tentes bien avec ce Concertina !
    Il fait très froid ce matin de ce côté-ci de la rade…

  11. Tania dit :

    Belle couverture et beau titre pour ce livre, merci pour ton aperçu et pour ces calligraphies dansantes. Bonne journée, Brigitte, en espérant qu’il fasse soleil chez toi, le temps est si maussade ici.

  12. DANIEL dit :

    Un livre qui ne doit pas laisser indifférent. Les extraits que tu diffuses montrent une écriture puissante et originale !

  13. Marie Minoza dit :

    Merci pour ces extraits…

    coup de coeur pour cet extrait:

    … Mare nostrum

    De vos naissances,

    Je garderai toujours

    Le souvenir vivant

    De cette vague sauvage,

    Puis du plaisir

    Débordant et total,

    Qui a déferlé sur mon corps

    Pendant que vous atteigniez

    La rive des humains…

  14. C’est bien cruel de nous donner ainsi des envies de livre…. Mais je suis comme certaines qui regrettent l’absence de photo de couverture… Belle journée à vous et merci pour cette découverte partagée.

  15. gazou dit :

    « Concertina » me tente bien

  16. Ulysse dit :

    Merci Brigitte pour ces jolis poèmes ciselés une vraie dentelle de mots ! belle semaine à toi

  17. Florinette dit :

    Tout ce que tu dis donne très envie de se plonger dans ce livre, j’aime beaucoup quand l’auteur jongle avec les mots, leur donne vie, les fait chanter, mais ils peuvent également être incisif d’où certainement ce titre à double signification. Merci Plumes d’Anges pour ce beau partage et doux dimanche, je t’embrasse.

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