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« … Durant tout le mois d’avril, le cerisier de notre jardin a été en fleur. Les longues branches noueuses, constellées de blanc, se détachaient devant la fenêtre de notre chambre, s’élevant vers le ciel. C’était d’une beauté. Chaque matin, avant de partir à l’hôpital, je prenais quelques secondes pour le regarder. Regarder n’est pas le terme exact : je m’en absorbais, m’en nourrissais. Je me transportais en songe à l’intérieur de l’arbre et m’y répandais, m’y fondais, m’y étalais de tout mon long. Mes bras touchaient le ciel et les racines de la terre, mon ventre se frottait à l’humus. Je buvais la sève, les fleurs, le bois, les odeurs, je me barbouillais de joie.
Puis, à nouveau j’étais dans la chambre, derrière la fenêtre, à nouveau j’étais debout, dans le corps d’une femme de quarante-sept ans qui s’apprêtait à prendre un escalier, à ouvrir une porte de maison, à partir pour une chambre d’hôpital où l’attendait un petit garçon – son petit garçon. J’étais remplie de beauté vibrante. Quelques minutes plus tard, au moment d’entrer dans le bunker, je convoquais la vision du cerisier en fleur…
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… Lorsque Adam, au cours de sa première cure de chimio, a été plongé en aplasie profonde, nous sommes entrés dans l’attente : on nous avait parlé de deux ou trois semaines en moyenne pour qu’il sorte d’aplasie, alors nous comptions les jours. Chaque jour passé était, pensions-nous, un pas de plus franchi vers la lumière. Il s’agissait de passer chaque heure, chaque jour, chaque nuit sans qu’Adam attrape d’infection, et donc, pour nous, d’apprendre à être à l’intérieur de cette attente, à la traverser en n’attendant rien, précisément.
S’efforçant simplement que la journée ait existé pour Adam : que quelque chose d’elle, même minuscule – une histoire, une phrase, une chanson -, ait déposé sa vibration en lui. Il s’agissait d’apprendre le non-vouloir. Apprendre à repousser la peur. Apprendre à être dans l’instant, uniquement dans l’instant : la lutte se passait au présent, pas dans quelques semaines. Le « dans quelques semaines » n’existait pas. Il ne fallait pas relever la tête et tenter de l’apercevoir au loin : il était inatteignable. Il faisait battre le cœur trop douloureusement. Le seul temps qui existait, c’était l’instant présent. L’instant à passer sans embûche…
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… Il faut veiller sur la lumière…
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... Étrangement, alors que les frontières dedans/dehors étaient encore plus marquées qu’au cours des quatre premiers mois d’hospitalisation, il me semblait davantage sentir la présence des autres, leur souffle. Ils étaient là, dérivant en orbite au-dessus de nous, tel un chœur parfaitement harmonieux alors que pourtant ils étaient peu à se connaître, et leur chant limpide, vibrant, s’élevait jusqu’à nous. À eux tous ensemble ils avaient façonné, à la force de leur amour, comme un épais tapis de mousse qu’ils me tendaient inlassablement pour que je puisse, de temps à autre, m’allonger et reprendre mon souffle, humer des odeurs de vie, des odeurs organiques, me souvenir qu’au-dehors existaient encore le monde et sa joie… »
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Quelle histoire forte, quel amour déployé !!!
Le 17 mars 2020, quand le gouvernement français décide le confinement général et que les médias déversent leurs informations anxiogènes, une famille vit un drame absolu. Le petit garçon de l’auteure, un mois avant son cinquième anniversaire, est hospitalisé en urgence atteint d’une leucémie foudroyante.
Là est le récit d’une mère qui va se battre aux côtés de son fils, nuit et jour, dans un contexte plus que difficile. On comprend son besoin irrépressible de poser des mots sur les 158 jours passés en ce lieu clos. La lumière qui se dégage de ce texte est incroyable, c’est un cri d’amour, un hommage à tous ceux qui les ont accompagnés sur ce chemin terrifiant, c’est une ode au courage de ce petit homme, de sa famille, de quelques amis, des soignants, tous leur ont donné la main – une main parfois invisible…
D’une page à l’autre, elle décrit le quotidien, effleure les moments douloureux avec pudeur et choisit de raconter les lumineux détails qui jonchent le chemin, les beaux échanges, les petites victoires, les étincelles qui enluminent une journée. J’avoue mon admiration, être ainsi dévastée et ne retenir que l’embrasement des étoiles est une performance inouïe pour la lectrice que je suis, gratitude infinie !!!
C’est une leçon de vie qui raconte dans une fort belle langue, l’épreuve traversée. L’émotion est vive mais cette lumière toujours présente l’emporte, c’est une lecture splendide.
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Extraits de : « D’une aube à l’autre » 2022 Laurence Tardieu.
Illustrations : 1/ « Forget-me-not » Mary Vaux Walcott 1860-1940 2/ « Printemps » – détail – Alois Tott 1870-1939.
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Remercier le vivant et la belle humanité…
BVJ – Plumes d’Anges.