.
.
« … L’Univers est. Une Puissance-créatrice l’a fait advenir. Il se présente à nous sous forme du Cosmos, au sein duquel se déploie une entité spécifique : la Vie. Première constatation qui frappe l’esprit : l’aboutissement de cette Création n’est pas la réalité physique du Cosmos, mais la Vie.
Certes, le Cosmos nous émerveille par sa splendeur sans égale et sa vastitude sans bornes, alors que la Vie se développe dans un espace plus que restreint, même si bien d’autres planètes que la nôtre pourraient être habitées. Cette écrasante disproportion de volume ne doit pas faire oublier, à l’inverse, une différence de substance tout aussi écrasante. Alors que le Cosmos ignore sa propre existence, la Vie, elle, vécue par nous, est douée de conscience. Nous, les humains, connaissons la réalité de l’univers physique jusqu’à un certain degré, et surtout, nous sommes capables de nous interroger sur notre destinée en son sein. Le mouvement du Cosmos est mécanique et répétitif ; la voie de la Vie, en revanche est en devenir, comportant étapes et étages qui ouvrent sur de possibles dépassements qualificatifs. Elle est d’un autre ordre.
Je suis donc là et j’observe. La magnificence produite par les milliards de galaxies aux feux entrecroisés m’impressionne, me stupéfie. Que de fois pourtant, face à la sublime scène d’un soleil levant ou d’un couchant, nous pouvons nous dire : « Cela est sublime parce que nous, humains, l’avons vu. Sinon tout serait en pure perte, tout serait vain. » Je prends soudain conscience que nous sommes, à notre niveau, l’œil ouvert et le cœur battant de cet univers. Si nous sommes à même de penser l’univers, c’est que véritablement, il pense en nous…
.
… À quinze ans, s’éveilla en moi la révélation de la poésie. Surgis d’une source inconnue, des mots alignés, chantants, signifiants, illuminants, telles les coulées d’une lave, traversaient le souterrain de mon être.
Puis vint le jour divin. Dans une aube délavée par une brusque averse, sur la colline habillée de hauts pins dont les aiguilles scintillent de perles irradiantes, un oiseau qui soudain s’envole fait entendre les échos d’une chute toute proche. Une présence, aussi souveraine que maternelle, se penche sur l’adolescent tremblant d’émotion. D’une voix résolue, elle lance un appel : « Chante, et tu seras sauvé, et tout sera sauvé.
Désormais, même au moment du plus imminent risque de perdition, retentirait en moi cette voix d’injonction qui m’empêcherait de succomber au néant… »
.
François Cheng, poète, romancier, essayiste, calligraphe, enseignant… nous offre ici un texte qui parle de la vie et de la mort, texte incandescent dédié à son épouse disparue le 30 juin 2024 et si profond qu’on pourrait croire son auteur riche de mille vies.
Une lectrice presque inconnue, sachant son goût pour la méditation en des lieux retirés, lui offre sa maison pour un court séjour. Il nous raconte cette nuit passée seul au cap de la Chèvre sur la divine presqu’île de Crozon, loin du bruit du monde, immergé dans le cosmos, au bord d’un l’océan riche du chant des vagues. L’instant prête à une réflexion, un retour sur son passé – il fut un enfant fragile et hypersensible qui eut du mal à trouver sa voie – , il se sent envahi par une gratitude et un amour infini envers ceux qui l’ont précédé ou accompagné. La corde poétique de l’auteur vibre ici avec une infinie délicatesse, inspiration et lucidité brillent comme la lune pleine dans le ciel nocturne.
Splendide !
.
…
Extrait de : « Une nuit au Cap de la Chèvre » 2025 François Cheng.
Illustrations : 1/« Nuit » Georgia O’Keeffe 1887-1986 2/« Frégate » John White 1540-1593.
…..
Élever la fréquence de notre chant humain…
BVJ – Plumes d’Anges.