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« … Malgré ces exceptions, Henry faisait le constat affligeant que le temps de l’enfance est, par commodité, majoritairement imprégné d’objets futiles et laids. Et Mona n’échappait pas à la règle. La beauté, la vraie beauté artistique, n’entrait que clandestinement dans son quotidien. C’était absolument normal, notait Henry : l’affinement du goût, la construction de la sensibilité viendraient plus tard. À ceci près – et cette pensée l’étrangla – que Mona avait bien failli perdre la vue et que , si ses yeux s’éteignaient définitivement dans les jours, les semaines ou les mois à venir, elle n’emporterait avec elle, dans les confins de sa mémoire, que le souvenir de choses clinquantes et vaines. Une vie entière dans le noir, à composer mentalement avec ce que le monde produit de pire, sans échappatoire pour les souvenirs ? C’était impossible, c’était terrifiant…
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… Nous sommes sur la bonne voie. Écoute : Mondrian s’intéressait de très près à une doctrine qui faisait fureur en Europe à l’époque, une doctrine qui prétendait être en mesure de révéler une vérité très ancienne et universelle. Il s’agit de la théosophie.
– C’est une religion ?
– En quelque sorte. Les mauvaises langues diront que c’est une secte, les partisans prétendront que c’est une sagesse. Disons que la théosophie cherchait une réconciliation généralisée de tous les cultes de l’Orient et de l’Occident, et même de toutes les connaissances pour créer sur Terre un climat d’harmonie où chaque être humain serait habité par l’Illumination. Il s’agit de s’épurer soi-même le plus possible pour arriver à l’essentiel, c’est une quête de dépouillement et de sagesse. D’ailleurs, si nous avions la possibilité d’avoir devant les yeux toute la production de Mondrian, nous verrions qu’entre ses débuts et sa maturité, l’artiste a procédé de la sorte : il a tendu vers le plus grand dépouillement…
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… « Oublie le négatif, ma chérie ; garde sans cesse la lumière en toi. « … »
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Mona, petite fille de 10 ans, fait tranquillement ses exercices de mathématiques aux côtés de sa mère Camille. Gênée par le pendentif – offert par sa grand-mère Colette – qui se balance sur sa feuille, elle l’ôte délicatement. Soudain une nuage sombre l’envahit, tout devient noir en elle pendant… 63 minutes ! Amenée par ses parents affolés à l’hôpital, les examens médicaux se succèdent mais aucune cause n’est décelée. L’ophtalmologue préconise la consultation d’un pédopsychiatre pour soutenir Mona. Camille demande à son père Henry – Dadé pour Mona – s’il peut s’en charger. Il accepte mais après mûre réflexion, livre une idée très personnelle à sa petite fille : si Mona doit devenir aveugle, il lui faut voir les merveilles du monde contenues dans les musées, pour s’en nourrir et en être riche à jamais. Sous le sceau du secret, il décide de l’emmener dans les musées du Louvre, d’Orsay et de Beaubourg…
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Thomas Schlesser, historien d’art, directeur de la Fondation Hartung-Bergman, écrivain, nous livre un roman original, qui a demandé des années de travail. Ce livre est une leçon de vie, l’histoire fait du bien, elle enrichit intellectuellement et humainement, elle se déploie avec une régularité de métronome : entre un prologue et un épilogue – qui se rejoignent, 52 chapitres dont l’entête porte le nom de l’artiste (40 masculins, 12 féminins) et le message délivré par l’œuvre d’art visitée .
Qui n’a pas rêvé d’une telle complicité entre une petite fille et son grand père ? Ce dernier l’invite à entrer dans le silence, à observer, aiguiser son regard, percevoir les formes, les couleurs, les détails, à réfléchir la beauté du monde. Il lui explique le contexte dans lequel émerge l’œuvre pour mieux en saisir le message. Si les ténèbres venaient à l’envahir totalement, la lumière absorbée serait gravée en elle à jamais.
C’est une histoire qui parle aussi de la mort, de la transmission, de la force des injonctions auxquelles on se soumet sans en avoir conscience. Un secret sur la disparition de Colette sa grand-mère vient roder dans la vie de Mona. Les enfants savent, ressentent les non-dits parce que les mots et les silences ont le même pouvoir.
Parallèlement, il y a ces 52 chefs d’œuvre et les formidables explications de l’auteur à leur sujet. Thomas Schlesser a une grande culture et la partage avec nous en toute humilité, il nous montre aussi l’importance d’être guidé pour mieux comprendre l’Art.
Il me semble qu’aucune personne, après cette lecture, n’abordera les trésors des galeries ou des musées comme avant.
Les Yeux de Mona m’ont séduite, j’espère que vous aussi tomberez sous leur charme…
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Extraits de « Les yeux de Mona » 2024 Thomas Schlesser.
Illustrations : 1/ « Conversation mystique » 2/ « La Palme » Odilon Redon 1840-1916 .
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Tendre au dépouillement…
BVJ – Plumes d’Anges.
Ce livre, déjà propulsé sur les plus hautes marches de la renommée,
semble remplir parfaitement sa fonction d’aide de vie .
Je n’ai pas encore eu le temps de découvrir les 52 semaines somptueuses
que tu évoques si bien, chère Brigitte, j’attends…un peu par gourmandise !
Les œuvres d’art et les jardins représentent notre quête insatiable de beauté
c’est-à-dire d’harmonie, remercions les artistes qui contribuent à enrichir
la vie de toutes les Mona de la terre ☀️
une éducation fait autan appelle à la sensibilité q’au savoir, souvent les grands parents sont de bons éducateurs pour les petits enfants car plus éloignés des nécessités du travail et du quotidien, Odilon Redon est une bonne approche de ces moments ?
Il a déjà de très bonnes critiques depuis sa sortie en ce début d’année…et je l’ai déjà vu passer ici ou là. Malheureusement il n’est pas encore dans mes médiathèques car trop récent. Je pense en effet que cela doit être un très beau livre non seulement par rapport à la relation entre ce grand-père et sa petite Mona mais aussi pour la transmission intergénération autour de l’art. Merci de nous en parler je vais le mettre en pense-bête pour ne pas l’oublier…
Ce livre semble vraiment merveilleux.
Merci ma Plume pour cette découverte
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Tu es extrêmement tentante, avec ces yeux-là. je crois que je vais me le faire offrir. J’aime beaucoup Odilon Redon, qui a une belle profondeur dans ses toiles. J’aime bien aussi le petit surnom de « ma Plume ».=^.^=
Un livre merveilleux, pour moi.
Une histoire humaine si profonde, des êtres reliés les uns aux autres par un lien d’amour et c’est vrai, cette façon d’expliquer l’histoire derrière les tableaux, de laisser la place à la contemplation, à la compréhension de tout pour aider et pour aimer.
Merci pour ce livre Brigitte, qu’il soit lu le plus possible, je t’embrasse fort
Merci pour les deux tableaux d’Odilon Redon, je trouve qu’on ne le voit pas assez en général. J’ai noté le livre depuis sa sortie, j’attendrai qu’il arrive à la bibliothèque ; l’idée de départ est belle, et l’auteur a l’air très érudit. Bises Brigitte.
Oui ils sont beaux les yeux de Mona…
Ce livre doit être une merveille…
Bises Brigitte et bon mardi
ce livre m’attend bien entendu et je pense que tu retrouveras des traces sur mon blog d’ici peu :-))))
Ce livre est déjà noté pour ma prochaine visite en librairie. Merci pour ces beaux extraits, Brigitte, et pour Odilon Redon qui illumine nos regards.
je compte l’acheter, merci pour ce partage
bon mardi Brigitte
Je l’ai déjà remarqué ailleurs mais là, je suis vraiment très attirée par ce thème. Merci ! Et bravo pour les illustrations.
Bonne après-midi (une très forte pluie de ce côté-ci de la rade).
Une relation d’une grande complicité et un thème très fort….Un roman à lire !
Tu donnes envie de lire ce livre…
Il me fait penser à un livre pour enfant que j’aime beaucoup
Loin des yeux près du coeur
de
Thierry Lenain
» Aveugle, ce n’est pas comme lorsque vous fermez les yeux.
Quand vous fermez les yeux et qu’on vous dit « bleu », vous voyez du bleu dans votre tête. Quand on vous dit « jaune », vous voyez du jaune.
Les gens qui sont nés aveugles n’ont jamais vu les couleurs. Ils ne peuvent donc pas s’en souvenir.
Votre bleu, votre jaune, votre rouge ou votre vert n’existent pas pour eux.
Aussi , pendant que vous êtes occupés à regarder les couleurs, les gens aveugles regardent autre chose.
Je le sais, moi qui suis aveugle.
Aïsseta et moi, nous nous donnions la main quand nous nous promenions dans les rues, dans le parc ou au bord du canal.
Cela la troublait que je ne connaisse pas les couleurs. Je lui avais pourtant affirmé que ce n’était pas grave, que ça ne m’empêchait ni de vivre, ni d’aimer…Elle tenait pourtant à me les apprendre.
Alors il y eut le jaune comme le soleil qui chauffe sur la peau, le vert comme le parfum de l’herbe mouillée le matin, le bleu comme l’océan quand tu es devant. « Tu t’es déjà tenu devant l’océan, pour écouter les vagues et sentir le vent sur ton visage? M’avait-elle demandé. Eh bien le bleu, c’est comme çà »
Et elle me répétait inlassablement: ça c’est jaune comme le soleil qui chauffe la peau, ça c’est vert comme l’herbe mouillée le matin et ça c’est bleu comme l’océan quand tu es devant.
C’étaient nos couleurs. Les couleurs de notre amour.
Aïssata disait que nos bébés seraient couleur café au lait, et que je n’avais qu’à boire du Ricoré chaud et sucré pour me faire une idée de cette couleur.
J’ai eu trente-huit ans hier.
J’ai écrit cette histoire pour parler d’Aïsseta à mes deux enfants. Et peut-être dans l’espoir que, où qu’elle soit , ce livre lui parvienne aussi un jour.
Aïsseta le saura alors: pour moi, aujourd’hui encore, le jaune c’est comme le soleil qui chauffe la peau, le vert comme le parfum de l’herbe mouillée le matin, le bleu comme l’océan quand tu es devant.
Et le noir, c’est comme la douceur de son visage au bout de mes doigts. »
Comment ne pas se laisser tenter par la pureté et la douceur lumineuse qui se dégage de cette présentation tout en tendresse. Nous sommes trop souvent nous mêmes aveugles, enfermés dans l’obscurité d’un monde dont nous ne voyons plus les couleurs, trop pris dans la tourmente des événements négatifs. Apprendre à ouvrir les yeux sur la beauté des choses en suivant Mona la main dans celle de son grand-père. Voir à travers les yeux innocents de l’enfance les merveilles qui nous entourent. Comprendre dans le drame qui frappe cette pauvre enfant que l’urgence de saisir la beauté, la saveur de la vie est une priorité. La poésie, l’art ont cela en commun : nous inviter à faire entrer la lumière et à oser les couleurs !
Les bonnes critiques de ce livre sont même arrivées jusqu’ici! (bon , pas dans le potager;.))
Superbes illustrations, merci pour tout et excellent week-end de Pâques….ici encore et toujours ces terribles processions que tu connais sûrement.
Un beso
Odilon Redon m’émeut toujours autant.
Et merci pour cette belle et bonne page.
Bonne journée !
Merci pour partager avec nous ce livre. C’est tentant car l’on se sent comme happé par l’histoire. Un livre fort et l’on ne reste pas insensible.
Douce fin de semaine Pascale pour toi et les tiens. Bises
Brigitte je viens de l’acquérir et ce que tu en dis me conforte dans mon choix…..Beau week end de Pâques