Contre vents et marées…

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« … – Regarde, un arc-en-ciel.

Ça ne veut rien dire, grommela la fillette. Il y a des arcs-en-ciel partout.

– Je n’ai pas dit que ça voulait dire quelque chose. Parfois les choses sont belles même quand elles ne veulent rien dire. Tiens, ce sera ta première leçon.

Ils arrivèrent en surplomb d’une anse. Les échouages paisibles reposaient au bout des câbles les reliant à de longs pieux plantés dans la vase de basse mer. Ils descendirent, se trouvèrent encerclés de saleuses et de pêcheurs. Le duelliste exposa son projet, mais il n’avait pas encore trouvé les bons arguments. Il disait : « V’là votre occasion de changer les choses » et ensuite, il lisait l’incompréhension sur les visages burinés. Il voyait dans leurs yeux le reflet de cet océan qui ne laissait jamais savoir à l’avance combien de poissons il allait donner ni combien d’hommes il allait prendre.

« Elles changent bien assez comme ça, les choses », lui répondit-on.

Il disait : « Tout ceci, toute cette côte, ce n’est pas obligé d’être une fatalité pour vos petits. On peut en faire un passage, un tremplin, au lieu d’un échouement. »…

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… – Jacques, dis-moi, c’est vrai qu’on est des héros ?

– Non, on n’est pas des héros. Nous, on ne fait que notre devoir. Ce qu’on a fait pour les naufragés, beaucoup l’auraient fait pour nous.

– Mais justement, eux autres disaient le contraire. Ils disaient que personne l’aurait fait.

– Je sais. On vit dans un monde de naufrageurs, mais faut faire comme si.

– Comme si quoi ?

– Comme si on vivait dans un monde où les principes servent à nous grandir plutôt qu’à nous épaissir…

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… « La mer parle, il faut savoir l’écouter. Ce n’est pas un langage comme le nôtre, construit de syllabes et de voyelles qui se succèdent. Ses sons se superposent et s’agencent comme les éléments d’un orchestre. Il faut être sensible au tableau qu’elle crée, à l’harmonie de sa cacophonie. Elle a plus de dimensions que nous autres, qui ne connaissons que bâbord et tribord, nord et sud. Ce qui fait que la mer est mer, c’est que toutes ses contradictions existent en même temps »… »

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Une incroyable fresque qui chevauche le temps – cela se passe au XVIIIème siècle -, sur l’île imaginaire d’Ys, sise entre Terre-Neuve et Ouessant : sur son sommet est posée une ville fortifiée, verticale, où l’on ne peut pénétrer que si l’on a commis un acte héroïque ou si l’on est l’invité d’un habitant.

C’est une histoire tout à fait singulière, celle de Danaé Berrubé-Portanguen, dite Poussin. Elle est orpheline, possède l’incroyable don de savoir nager, don unique sur l’île d’Ys où les femmes salent la morue et ramassent le goémon, chantent ou hèlent le chaland… Elle prend sa vie en main dès le plus jeune age, s’aventure dans les eaux, sauve des vies, récupère des morceaux de trésors engloutis, expérimente au gré de ses rencontres des situations et émotions universelles.

La première rencontre de Danaé est celle d’Enoc Martel, un homme précieux, élégamment vêtu, il apparait sur les côtes balayées par les vents, poussant une brouette dont le contenu est caché par une toile goudronnée dont il se protège la nuit. Il offre ses services aux habitants mais ne sait visiblement pas faire grand chose, il était Maitre d’armes, duelliste plus précisément. Quatre autres rencontres vont suivre au fil des chapitres…

C’est un très beau roman, riche, coloré, plein de vie et de fantaisie, avec des histoires incroyables qui se succèdent. La force de ce conte est aussi dans la qualité de l’écriture de Dominique Scali, la richesse de son vocabulaire – elle est experte en vocabulaire maritime – et un art des descriptions à la manière d’un artiste peintre. Son imagination nous emporte loin avec la force de l’océan omniprésent et la transmission de certaines valeurs humaines.

Je vous souhaite à tous de rencontrer ce livre un peu fou, une douce folie, n’ayez peur…

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Extraits de : « Les marins ne savent pas nager »  2022  Dominique Scali.

Illustrations : 1/ « Pêche côtière »  2/ « Le naufragé »  Ambroise Garneray  1783-1857.

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Naviguer au gré des vents, au gré des vagues, avec sagesse…

BVJ – Plumes d’Anges.

14 commentaires sur “Contre vents et marées…”

  1. Cathie Flore dit :

    Une épopée qui a l’air autant humaine que maritime, l’auteur possédant un doctorat de psychologie. J’imagine que ce roman est fascinant et doit laisser une empreinte durable.

  2. eMmA MessanA dit :

    J’ai parfois l’impression que nous sommes tous des naufragés. Mais il y en a certains qui ne s’en relèvent jamais…
    Belle semaine, en gardant la tête hors de l’eau.

  3. Florinette dit :

    C’est une belle métaphore de la vie il y a des moments calmes et des moments tempétueux. J’aime beaucoup ce qu’il dit à cette fillette qui n’arrive plus à s’émerveiller « Parfois les choses sont belles même quand elles ne veulent rien dire. » Car la beauté va bien au-delà… Merci Plumes d’Anges pour ce beau moment et passe une agréable semaine, je t’embrasse.

  4. Thé âche dit :

    Homme libre toujours tu chériras la mer, et ces contes qui viennent des temps anciens, on attend de découvrir, les plages cachées… sous les vagues homériques…

  5. Fiorenza dit :

    Le livre « un peu fou » suggère une épopée marine semblable,
    en quelque sorte, au voyage d’Ulysse : sa quête d’émotions fortes
    impressionne la terrienne que je reste malgré (et peut-être à cause de ?)
    la proximité de la mer parfois déchaînée qui rythme ma vie depuis toujours…

    Merci, chère Brigitte, tes trouvailles stylistiques et picturales
    sont toujours un plaisir 🌝

  6. eki eder dit :

    je note
    merci pour ce partage et choix d’illustrations appropriées
    bonne soirée Brigitte

  7. Aifelle dit :

    Tu en parles si bien que je ne peux que le noter ; j’en avais déjà entendu parler. Les peintures sont impressionnantes. Bonne journée Brigitte, bises.

  8. daniel dit :

    La force des mots ! Avec les mots on peut créer des atmosphères étranges, un imaginaire original!

  9. La description est si bonne que je note avec plaisir.
    Souvent c’est le temps qui me manque mais j’espère y remédier.
    Merci Brigitte.

  10. Dominique dit :

    Quelle belle idée de lecture

  11. Colo dit :

    Un peu fou, naufrages et cette côte qui peut être « un passage, un tremplin, au lieu d’un échouement. », c’est très tenant.
    Merci pour la suggestion et les superbes tableaux.
    Bonne et douce semiane, un beso.

  12. yannn dit :

    Au niveau des 2 tableaux de tes choix, l’idée de mouvement est parfaitement rendu.
    Et je retiens aussi que mieux vaut grandir en hauteur de vue, qu’en épaisseur.
    Amic@lement; Yann

  13. Ulysse dit :

    Merci Brigitte pour cette nouvelle découverte Oui comme le dit Jacques  » faisons comme si on vivait dans un monde où les principes servent à nous grandir plutôt qu’à nous épaissir…je te souhaite une belle et sereine semaine

  14. manou dit :

    Un livre à découvrir je n’en doute pas et ce que tu en dis me tente beaucoup…une histoire singulière, de belles rencontres et la mer…tout me plait ! Les tableaux sont superbes. Merci pour ton enthousiasme

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