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« … Le Chemin est une alchimie du temps sur l’âme.
C’est un processus qui ne peut être immédiat ni même rapide. Le pèlerin qui enchaîne les semaines à pied en fait l’expérience…
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… Une étrange douceur s’était emparée de moi. Je n’avais plus mal nulle part, entraîné que j’étais par les centaines de kilomètres parcourus. Mes désirs avaient maigri plus vite que moi : ils se réduisaient à quelques ambitions, certaines faciles à satisfaire, manger, boire, une autre assez inaccessible, mais j’en avais pris mon parti : dormir. Je commençais à percevoir en moi la présence d’un délicieux compagnon : le vide. Mon esprit ne formait plus d’image, aucune pensée, encore moins de projet. Mes connaissances, si j’en avais eues, avaient disparu dans les profondeurs et je n’éprouvais aucun besoin d’y faire appel. En découvrant un paysage, il ne me venait pas à l’esprit qu’il pût ressembler à la Corse, ni à nul autre lieu que j’aurais connu. Je voyais tout avec une fraîcheur éblouissante et j’accueillais la complexité du monde dans un cerveau redevenu aussi simple que celui d’un reptile ou d’un étourneau. J’étais un être nouveau, allégé de sa mémoire, de ses désirs et de ses ambitions, un Homo erectus mais d’une variété particulière : celle qui marche. Minuscule dans l’immensité du Chemin, je n’étais ni moi-même ni un autre, mais seulement une machine à avancer, la plus simple qui se pût concevoir et dont la fin ultime autant que l’existence éphémère consistaient à mettre un pied devant l’autre.
Alors, devant mes yeux dessillés, les Asturies déployèrent tous leurs charmes. Ce fut, pendant ces jours merveilleux, une pavane interminable de vallées sauvages et de côtes somptueuses, de villages inviolés et de chemins tracés comme des caresses divines au flanc des montagnes. Ce furent des heures vertes comme les pâturages d’altitude et des nuits bleues comme le ciel d’acier qui recouvrait ces paysages. La pureté des sources qui désaltèrent au moment où l’on a soif, le moelleux blond des pains de villages, la douceur troublante du vent qui glisse ses doigts dans la chevelure raidie de poussière du marcheur, tout est entré en moi avec force, sans la médiation d’une pensée, sans l’ombre d’un sentiment, d’une impatience ou d’un regret…
Et dans ces splendeurs, le Chemin m’a confié son secret. Il m’a glissé sa vérité qui est tout aussitôt devenue la mienne… »
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Extraits de : « Immortelle randonnée » 2013 Jean-Christophe Ruffin.
Tableaux : 1/« Los Picos de Europa » Carlos de Haes 1826-1898 2/« Lys » Jaime Morera Galicia 1854-1927.
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À chacun, son Chemin…
BVJ – Plumes d’Anges.