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… » Une petite feuille solitaire, au bout d’une petite branche perdue dans l’immense feuillage roux d’un grand chêne, pleure dans l’automne finissant qui l’a parée de tous les ors du ciel. Elle sait que l’hiver est proche, prêt à étendre sa torpeur mortelle sur le monde végétal. Et elle ne veut pas mourir.
Elle aime passionnément la forêt majestueuse traversée par l’intimité odorante des petits sentiers bordés de fougères, dans le bruissement de ses frondaisons et le bourdonnement étouffé de ses insectes.
Elle craint le vent de novembre qui flagellera durement les feuilles sèches du bel arbre séculaire, figeant la Vie dans le processus lent et inexorable qui la fait remonter à travers l’écorce rigide et la moelle tendre, jusqu’à l’instant initial et obscur des origines.
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La petite feuille est inconsolable. C’est alors qu’une nuit, tandis que la lune émerge de la cime des arbres, un oiseau inconnu se posa sur la branche voisine et lui parla doucement, dans le langage des habitants de la forêt ;
« Pourquoi cette tristesse petite feuille ?
– Parce que j’ai peur de mourir.
– Pourquoi parles-tu de mourir ? Tu ne mourras pas, tu abandonneras seulement ta forme flétrie. N’entends-tu pas le chant de la forêt à travers les branches ?
– Certes, je l’entends, mais je suis seule comme chacune des feuilles mes sœurs, séparées les unes des autres à jamais, et j’ai peur… »
La petite feuille tremblait de toutes ses nervures et l’étrange oiseau reprit :
« Tes sœurs se croient séparées parce qu’elles se prennent pour des feuilles poussées sur les branches du chêne, et seulement pour cela. Cette impression d’isolement leur cause un malaise intolérable. Mais à toi, ce soir, je vais dévoiler la vérité :
Une seule vie anime l’arbre et tous les arbres de la forêt. Elle se multiplie en se divisant en petits tourbillons dont les uns habitent les racines, d’autres le tronc, d’autres les branches et d’autres encore les feuilles, puis les glands…Chacun de ces tourbillons se prenant pour lui-même dans sa forme particulière, sans relation avec son voisin.
Et de cela, naît toute la douleur du monde…
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La vie »coule » dans les moindres nervures des feuilles, comme dans les plus minuscules artérioles des oiseaux. Toi-même, petite sœur, tu es à la fois l’infime « tourbillon-feuille » et l’ensemble de tous les tourbillons tissant l’Univers qui débouche sur l’Infini.
La Vie ne cesse jamais. Ce sont les formes qui la contiennent qui naissent et meurent. »
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Histoire extraite de : « La conscience d’être : ici et maintenant. » 1999 – Jeanne Guesné.
Illustrations : 1/ et 3/ « Vierge Hesselin »(Vierge au rameau de chêne) Simon Vouet 1590-1649 2/ Planche « Garrulus Leucotis » 1877 – John Gerrard Keulemans 4/« Paysage avec chênes » Alexandre Calame 1810-1864.
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Ressentir l’unicité de la Vie…
BVJ – Plumes d’Anges.