Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Qui suis-je ?…

mardi 21 novembre 2017

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« Cher Boèce…,

En m’attardant auprès de votre géniale maïeuticienne, j’ai noté comment elle excelle à nous rediriger vers l’essentiel. Alors que nous pouvons aisément nous oublier dans la lutte, dans la lamentation, l’envie ou le regret, elle nous prie de revenir à nous. « Qui es-tu ? ». Mine de rien la question peut déconcerter car, lorsque nous avons épuisé les banalités d’usage, il reste à affronter un vide.

Une parabole tirée de la philosophie hindoue rejoint l’intuition de votre guérisseuse. N’y voyez aucun exotisme. Une femme meurt et arrive auprès du Maître de l’univers. Son divin interlocuteur lui demande : « Qui es-tu ? » Et la défunte de répondre : « Je suis la femme de l’épicier. » Dieu, fin psychologue, renchérit : « Qui es-tu ? » La fidèle épouse en vient à dire qu’elle s’est mariée avec M.Y. Dieu s’en moque et, sans relâche, poursuit son interrogation. La dame, après avoir successivement décliné sa profession, le nombre de ses enfants, son age, ses loisirs, les hauts faits de sa vie, ne parvenant guère à se définir, demeure muette. Certains esquivent souvent la question par un « J’ai trente ans d’expérience ». Et Dieu pourrait leur rétorquer que l’expérience ressemble à un peigne qui ne sert quaux chauves.

Plus sérieusement, en nous conviant à un exercice de présence, l’historiette soulève la périlleuse tentation qui nous incline à nous réduire à nos actes. Si l’identification aliène, il est fécond de s’interroger : qui suis-je aujourd’hui ? Que reste-t-il sous les rôles ? Qu’est-ce-que l’essentiel d’une personne ? Avant tout, il sied d’oser désapprendre en revisitant nos habitudes, nos modes de pensée, nos préjugés… « 

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Extrait de : « La construction de soi »  2006 Alexandre Jollien.

Illustrations : 1/« L’esprit de l’automne »  2/« Paysage avec vaches »  Albert-Pinkham-Ryder  1847-1917.

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Être plutôt que faire…

BVJ – Plumes d’Anges.

Dégustation…

vendredi 17 novembre 2017

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« … Il faut que chaque instant soit bien plein. De gestes, de surprises, de bagarres,

de gens, de rires, d’imprudences et de cris. De tout, mais plein.

L’attente est un accroc dans le droit fil de la solitude, un désert sans espace à traverser

seul. Alors il faut se peupler de l’intérieur. On croit que j’attends tristement, que

je m’ennuie à rester ainsi immobile, silencieuse. Mais non, je fais la vache. J’ai la panse

pleine de choses avalées sans précaution mais tellement serviables et nourrissantes,

toujours disposées à meubler un petit creux. Mes instants de goinfre je les verse dans

mes instants de gouffre. Alors je déguste bouche à bouche avec ma mémoire… »

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Extrait de : « Les soleils rajeunis »  1977  Anne Bragance.

Photos BVJ.

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Se délecter de nos belles mémoires…

BVJ – Plumes d’Anges.

Chemin d’amour…

lundi 13 novembre 2017

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« … Mais le pigeon ne se trouvait pas bien avec les autres animaux de la décharge, de la même façon que le vieil homme ne se trouvait pas bien avec les autres êtres de son espèce dans les villes des hommes, pas plus qu’avec les autres clochards.

Alors parfois il s’éloignait, parcourait de longs trajets dans l’espace – car c’était un pigeon voyageur – et regardait en bas pour voir ce qu’il y avait dans le monde.

Et puis un jour, tandis qu’il passait de son vol bancal dans le ciel, son œil avait été attiré par une corolle bigarrée de sacs et de haillons tout autour d’un vieil homme couché sur un trottoir, comme mort.

Il avait ralenti son vol. Il était descendu. Il s’était posé à terre tout doucement, sur sa patte abîmée.

Il avait regardé le vieil homme qui semblait dormir, tournant deux ou trois fois la tête, l’œil rond.

Mais le vieil homme ne dormait pas.

Il avait entendu le léger bruit de ses ailes et il s’était alors retourné lui aussi pour regarder le pigeon.

Il s’était levé un peu sur son coude, avait farfouillé dans un sac en plastique plein de croûtes de pain sec qui tintaient comme des morceaux de bois.

Il en avait émietté une et l’avait laissée tomber près du pigeon.

Puis il avait refermé les yeux.

De ce jour-là, le pigeon l’avait élu son seul ami au monde.

Et il en avait été de même pour le vieil homme…

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… – Moi j’étais là, tout seul, dans le froid, dans la rue… Pourquoi m’as-tu cherché ?

– J’ai deviné qui tu es, je t’ai reconnu…

Il se taisait.

– Je suis née pour faire quelque chose de grand, je sens en moi la grandeur…, dit-elle encore au bout d’un moment, subitement, d’un trait, dans le noir. Ensemble nous allons faire quelque chose de grand. C’est pour ça que je suis née, c’est pour ça que je t’ai cherché et que je t’ai trouvé…

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Cette nuit-là non plus la fille merveilleuse ne comprit pas pourquoi ce pigeon était venu chez elle, ni d’où il venait, ni ce qu’il était venu lui dire avec ce long voyage entre la mort et la vie qui l’avait laissé à l’agonie sur la coursive.

Mais peut-être que, sans s’en rendre compte, elle comprit quelque chose, qui peut le dire… (…)  Ça fait combien de temps ? se demanda-t-elle. Qu’est-ce qui est arrivé à ma vie ? Pourquoi avant j’étais quelqu’un et puis je suis devenue quelqu’un d’autre ? (…) Elle éprouva alors une énorme douleur, car elle s’était rappelée tout à coup qu’il y avait, enfouie en quelque point inaccessible de sa vie, cette rencontre impossible qu’elle avait recherchée, puis qu’elle avait trahie, ce trésor perdu. Et ce n’était pas seulement lui qu’elle avait trahi, mais elle-même, y compris la partie la plus secrète et la plus haute d’elle-même…

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Ils se prirent par la main, sans parler, et se mirent à marcher en silence dans les rues de l’infinie ville des morts qui se réveillait sous un manteau de neige.

Ils n’entendaient que le bruit de la neige qui se tassait sous leurs chaussures trouées.

Au dessus de leur tête, le pigeon volait de plus en plus invisible et lointain, dieu sait vers quelle nouvelle ville ou vers quels nouveaux mondes, tout en haut dans le ciel, là où se formaient les tourbillons de neige. Puis il disparut… »

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Extraits du bel et étonnant livre : « Fable d’amour »  2015  Antonio Moresco.

Illustrations : 1/« Élevages de pigeons »  – planche 5 –  Gottlob Neumeister  XIXème  2/Carte du XVIIIème – 2 de cœur  – Edition J.S.Haymard   3/ détail d’un tableau  de Piero di Cosimo  1462-1521.

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Nous sommes tous nés pour faire quelque chose de grand…

BVJ – Plumes d’Anges.

Graines d’enfances…

vendredi 10 novembre 2017

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« …  À cet instant, une autre pensée traversa l’esprit de la mère.

« Tu étais une enfant à la larme facile, tu sais. Voir tomber les pétales du camélia d’hiver te faisait pitié. Tu les ramassais, tu les mettais dans une enveloppe ou entre les pages d’un livre… Je ne t’ai jamais vu les balayer et les jeter.

– Oui, quand j’étais petite.

– Tu confectionnais souvent des coussins avec des pétales séchés de différentes fleurs, les camélias, les daphnés, les violettes. (…) Tu étais une enfant si attentionnée, si minutieuse…

– Père aimait les coussins dont les fleurs avaient des parfums doux.

– Tu lui as même fabriqué un oreiller avec ces fleurs. Il a d’ailleurs eu du mal à s’y habituer.

– Oui, c’est vrai, je m’en souviens bien. – « Pourquoi cet arbre est-il arrivé dans notre jardin et y donne-t-il des fleurs ? Il aurait très bien pu pousser et fleurir dans une montagne, dans un bois ou dans le jardin de quelqu’un d’autre n’est-ce pas ? » Te souviens-tu d’avoir posé cette question à ton père d’un air très sérieux ? Sur le coup, il n’a pas su quoi répondre et il t’a dit : « Eh bien, il a eu envie de fleurir chez nous afin de devenir mon oreiller. » « Ah bon ! as-tu répondu. Alors l’arbre et les fleurs doivent être contents. » Il a ri, il t’a caressé les cheveux…

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– Les enfants disent des choses compliquées.

– Les enfants trouvent tout curieux, dit Ineko, et dès qu’ils commencent à trouver une chose curieuse, l’ensemble de ce qui les entoure, les choses concrètes comme les phénomènes leur paraissent totalement mystérieux. Qu’est-ce-que c’est que ça ? Et pourquoi ça existe ? Ils ne comprennent pas…

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Comme je détestais la tombée de la nuit quand j’étais petite, j’ai demandé à Père : « Pourquoi y a-t-il la nuit ? Il m’a répondu : « Parce que s’il n’y avait que le jour, ni Inéko ni moi ne pourrions dormir. » Je m’en souviens. « Alors, qui nous a donné la nuit ? » « Eh bien, ce doit être le dieu qui endort les humains. » « C’est le dieu du sommeil ? Il est comment ? Où se trouve-t-il ? » « On ne peut pas le voir puisqu’on dort. »…

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– Il y a fleurs et fleurs. « La voix des bambous montre le chemin, les fleurs de pêcher illuminent l’esprit. »… »

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Extraits de : « Les pissenlits » livre inachevé de Yasunari Kawabata 1899-1972.

Illustrations : 1/ »Petite fille tenant des fleurs roses »  Helen Hyde  1868-1919   2/« Oiseau et camélia »  Hiroshige  1797-1858.

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Prendre soin des graines d’enfances…

BVJ – Plumes d’Anges.

Cadeau de lumière…

lundi 30 octobre 2017

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« … Ma main s’ouvrait à la douce chaleur du jour. Puis elle se détacha, commença de caresser cette peau rugueuse des pierres, cette peau tiède, bien cuite et dorée comme un pain, hâlée par des millions d’étés, crispée par les tourmentes et le gel.

Soudain, je compris la sagesse profonde de la lumière, cette vérité qu’elle étalait crûment devant mes yeux aveugles et que ma folie refusait d’apercevoir : car ceci vivait. Ces pierres vivaient, mais pas dans le même temps ; et leur vie nous était aussi peu perceptible qu’une existence humaine pour l’éphémère qui danse devant la fenêtre un soir d’été. C’était une autre trajectoire, un autre rythme presque inappréciable, mais que nous pouvions tout de même deviner,  imaginer. Il y avait eu une naissance des pierres, jadis, dans le feu et les clameurs. Et maintenant elles étaient en train de vivre, de parcourir elles aussi  leur cycle prévu et harmonieux entre les deux métamorphoses de la naissance et de la mort. Je me souviens d’avoir vu des pierres malades ; au milieu d’autres granits durs et sains, des veines lépreuses qui s’effritaient comme du sel entre les doigts. Peut-être souffraient-elles aussi ? Peut-être poussaient-elles de longs cris à travers le temps, de longs cris que nous n’entendions pas ? Peut-être qu’il fallait cent ans pour une seule oscillation de l’onde qui portait ces cris ? Et elles mourraient  aussi un jour. Mais cette mort elle-même ne serait qu’une apparence dissimulant une vérité plus large, qu’un changement de décor. Et j’éprouvai alors combien nous étions immortels, mes sœurs les pierres et moi, et tout ce que contenait l’univers… »

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Extrait de : « L’amateur d’abîmes »  du très talentueux  Samivel  1907-1992.

Illustrations : 1/« Entrée de la grotte Saint Béatus en Suisse »  2/« Bas du glacier de Grindelwald »  Caspard Wolf  1735-1783.

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Tout vibre, tout est vivant…

BVJ – Plumes d’Anges.

Destinée…

vendredi 13 octobre 2017

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« … « Tu vois le torrent ? dit-il. Mettons que l’eau, c’est le temps qui coule : si l’endroit où nous sommes, c’est le présent, tu dirais qu’il est où l’avenir ? »

Je réfléchis. Cette question là me paraissait déjà plus facile. Je répondis ce qui me paraissait le plus évident : « L’avenir est du côté où l’eau descend, en contrebas.

– Faux, déclara mon père, et heureusement ! »…

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… Je commençais alors à comprendre que tout, pour un poisson d’eau douce, vient de l’amont : insectes, branches, feuilles, n’importe quoi. C’est ce qui le pousse à regarder vers le haut : il attend de voir ce qui doit arriver. Si l’endroit où tu te baignes dans un fleuve correspond au présent, pensais-je, dans ce cas l’eau qui t’a dépassé, qui continue plus bas et va là où il n’y a plus rien pour toi, c’est le passé. L’avenir, c’est l’eau qui vient d’en haut, avec son lot de dangers et de découvertes. Le passé est en aval, l’avenir en amont. Voilà ce que j’aurais du répondre à mon père. Quel que soit notre destin, il habite les montagnes au dessus de nos têtes…

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Le glacier, dit-il à Bruno et moi, c’est le souvenir des hivers anciens que la montagne garde pour nous. Passée une certaine hauteur, elle en conserve le souvenir, et si on veut retrouver un hiver lointain, c’est là-haut qu’il faut aller le chercher.

« On appelle ça l’altitude des neiges éternelles, expliqua-t-il : c’est la hauteur à laquelle il ne fait pas assez chaud l’été pour faire fondre toute la neige qui est tombée l’hiver. Une partie résiste jusqu’à l’automne et finit ensevelie sous la couche de neige de l’hiver suivant. À ce stade, elle ne craint plus rien. Petit à petit, elle se transforme en glace, s’ajoute aux autres couches du glacier qui s’entassent, exactement comme les anneaux des arbres, et il suffit de les compter pour connaître son âge. Mais un glacier ne reste jamais au sommet de la montagne. Il bouge. Toute sa vie il ne fait que glisser.

– Pourquoi ? demandai-je.

-Pourquoi, d’après toi ?

– Parce qu’il est lourd, dit Bruno.

– Parfaitement, dit mon père. Le glacier est lourd, et la roche sur laquelle il est posé, très lisse. Du coup, il descend. Lentement, mais sûrement. Il glisse jusqu’à ce qu’il ne supporte plus la chaleur. C’est l’altitude de la fusion. Vous la voyez, là-bas ? »…

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Je restais à l’écouter. Je sentais qu’il avait longuement réfléchi, et qu’il avait trouvé les réponses qu’il cherchait. Il dit : « Il faut faire ce que la vie t’a appris à faire. Si t’es très jeune, à la rigueur, tu peux peut-être encore changer de route. Mais à un moment donné, il faut s’arrêter et se dire : bon, ça je suis capable de le faire, ça pas. Et je me suis demandé : de quoi je suis capable, moi ? Moi, je sais vivre en montagne. Qu’on me mette là-haut tout seul, et tu verras que je m’en sors. C’est pas rien quand même, non ? Et bien il m’a fallu attendre quarante ans avant de comprendre que ça n’était pas donné à tout le monde. »… »

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Extraits du très beau livre : « Les huit montagnes » 2017 Paolo Cognetti.

Illustrations : 1/« Randonneur près d’un torrent »  Andreas Achenbach  1815-1910  2/« Glacier du Grindelwald »  Thomas Fearley  1802-1842.

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Éclairer nos plus beaux dons…

BVJ – Plumes d’Anges.

Écrire…

mardi 10 octobre 2017

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« … On dit de la peine qu’elle est une chance, un miracle, une tempête bienvenue dans notre vie. On dit qu’il n’y a point de pensée sans souffrance. On dit aussi, c’est l’accent d’une autre voix, que la plus forte pensée est l’ignorance, le balbutiement. Ignorance absolue de ce qui va advenir sur la page, ignorance de tous les signes noirs ou bleus, ignorance de ce que sera demain dans notre vie : une épopée, un désastre ? Nous n’avons que très peu de mots nous permettant d’énoncer notre vie sans histoire. Des mots de tous les jours récoltés dans la rumeur des rues, sous la poussière des voyages ou dans la chambre du silence. L’écriture serait un papillon, un oiseau dont le vol ne cèderait rien au commentaire, au chahut de la conversation. Plus simplement, l’écriture serait une énigme dont le souffle épouserait la marche. On écrirait presque par magie, à force d’avoir heurté les murs. Après tout cela, l’écriture serait une flèche décochée par l’archet invisible…

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Ce matin, je regarde se lever le monde. Une lumière pâle monte de la terre, de gouffres invisibles, décoiffant les fleurs, les rocs, les herbes et jusqu’aux souvenirs qui battent tambour dans la mémoire…

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La beauté du monde, car il y a une beauté du réel, en particulier de la nature — la beauté du monde nous lance un appel et nous partons alors vers des endroits secrets, déshérités où les grands arbres d’or nous émeuvent, où les oiseaux volent sans inquiétude, où les herbes et les fleurs n’ont jamais vu l’ombre d’un rapt, où les pierres innombrables roulent sous nos pas ou font silence dans le lit des rivières aux eaux si transparentes. Ils ne sont rien, ces endroits là. Ils ne sont évoqués nulle part. Depuis des lustres, ils existent sans références et, sans doute, est-ce pour cela que nous les aimons, que nous aimons nous perdre en leur sein, dans une solitude infinie où le savoir serait un moyen-âge…

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Là, au bord de l’Océan, contre ce monde. Contre ce gris que fait soudainement éclater le rire d’un enfant.

C’est la vie qui commence, se dit l’enfant. Il faut bien un commencement à toute chose, une sorte de ligne de départ, un rivage, une berge d’où se jeter à l’eau. Mais ce commencement n’a-t-il pas déjà le goût de la fin ? Comme l’automne sur la terre, dans ces jours qui s’accumulent en fin d’année, semblables aux dernières lumières de l’été, aux volets que l’on ouvre dans le soir pour, à nouveau, accueillir la chaleur puis la fraîcheur neuve d’un crépuscule. La rouille est sur le seuil mais l’enfant, d’un geste, d’un simple mouvement, efface l’ombre que projette toute naissance, efface les peintures ternies, les troublants malentendus. C’est normal, l’enfant est à sa vie et ne connaît pas d’autre puissance que celle-ci : vivre, s’appuyer comme aucun sur l’instant. Cela est sans doute la plus belle leçon de l’enfance, une leçon qui ne s’enseigne pas. Nous l’emportons avec nous tout au long de notre vie ou bien nous l’avons oubliée quelque part et pour toujours. Mais pourquoi, grandissant, avons-nous assassiné tant d’insouciance ?…

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Oui, on voudrait que les mots rendent gorge, que la vie soit au sommet, la simple vie. Qu’il n’y ait plus ni douleur, ni souffrance. Qu’il n’y ait plus dans notre nuit qu’un immense éclat de rire, infini, vertigineux, plus beau que toute ivresse, plus fou que la folie, que la démence. Mais où est l’azur comblé de paix ?… »

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Extraits de : « La vie nue »  1997  Joël Vernet.

Illustrations : 1/« Le miel du Mont Hymette »  2/« Le Berceau »   Sarah Paxton Ball Dodson  1847-1906.

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Se laisser habiter par le souffle créateur…

BVJ – Plumes d’Anges.

Entre les lignes…

vendredi 6 octobre 2017

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« … La vie ainsi se gagne et se regagne et il en faut du cœur pour souffler et attiser des braises minuscules, afin de relancer au ciel les mille scintillements d’une joie crépitante…

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Oui, une vie ça ne pèse vraiment pas lourd quand on veut la mettre en mots, mais si tu tombes sur un regard compatissant, c’est comme un glacier qui n’en finit pas de fondre. Et alors là, toute ton existence te file entre les mains. C’est aussi précieux qu’une éponge qui boit tes litres de tristesse. Parce que la vraie délicatesse est toute d’intuitions. Il lui suffit de lire entre les lignes et le Ciel au fond n’appartient qu’à ceux qui savent lire entre les lignes…

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Alors oui, il me plaît de croire que tous mes trajets sur cette terre dessinent une formidable figure dont la lecture totale me sera révélée, un jour que j’espère lointain, où ma vie s’éteindra.

Ce sera ma géographie à moi. On en a tous une. Et même le plus sédentaire d’entre nous, dans son propre voyage autour de sa chambre, et de sa chambre au bureau, et de son bureau au cimetière, dessine sans le savoir son chef d’œuvre bien à lui…

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Je ne sais pas comment il faut les nommer ces êtres rares qui ont le don d’extraire le meilleur de nous-même. Des veilleurs, des voyants, des anges exilés, des bienveillants ? En tous cas, ils font partie de ceux qui semblent s’oublier pour, de toutes leur force, nous permettre de nous extirper de nos affreuses chrysalides…

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Extraits d’un très très beau livre : « Chaque seconde est un murmure »  2016  Alain Cadéo.

Illustrations : 1/« le Bélier »   et 2/« la Vierge » Cartes 16 et 21 du « Miroir d’Uranie » gravées par Sidney Hall (1788-1831).

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Entre les lignes, lire d’autres histoires…

BVJ – Plumes d’Anges.

Instantané…

mercredi 4 octobre 2017

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« Comme tout le sel de la mer peut se goûter du bout d’un doigt

Ainsi toute l’éternité est le suspens d’un seul moment

L’unique battement de cils de la paupière originelle

Est à l’instant de tressaillir sur un œil qui ne le sait pas

 

Ce battement s’est répété des trillions de trillions de fois

Pourtant au bout du plus long cil l’étoile inexistante encore

Attend de poindre à la prunelle où elle est fixe pour jamais

Au crépuscule transparent d’un bleu d’avant le firmament

 

Ce petit jour est l’avant-goût annonçant le Commencement

D’où mille mondes sont issus et mille ères consécutives

Sans que se soit encore ouvert l’œil germinal de l’Univers

Que tout vivant au fond de soi couve jusqu’à la fin des mondes

 

Déployé une fois pour toutes et réduit à ce point d’or blanc

Dont l’image en miroir là-haut est l’immuable étoile absente

Ce même oiseau qui fait la roue sur l’arc entier de l’horizon

Est l’œuf dont vient de commencer l’interminable couvaison »

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« Instant »  poème extrait de : « Le Grand Œuvre »   Pierre Emmanuel  1916-1984.

Photos BVJ – Plage de l’Almanarre, un autre jour…

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Tout existe déjà…

BVJ – Plumes d’Anges.

Exil des cœurs…

jeudi 28 septembre 2017

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« … Je voudrais passer ma vie à récolter des histoires. De belles histoires. Dans un sac, je les mettrais et je les emporterais avec moi. Et puis au moment propice les offrir à une oreille attentive pour voir la magie naître dans le regard. Je voudrais semer des histoires dans les oreilles de tous les êtres. Je veux que ça fleurisse, qu’il en sorte des odeurs embaumantes à la place de toutes les fleurs manquantes, absentes, de toutes les Golé Maryam* qui auraient dû être offertes et qui n’ont pu l’être…

* (Golé Maryam : nom d’une fleur en Iran)

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Ses yeux brillent quand il sourit et même quand il ne sourit pas. Il a le regard des illuminés. Abbâs, c’est une étoile filante ; il n’aura pas une longue vie parce que son cœur, un jour, ne pourra plus contenir tout cet amour à donner. Un jour, son cœur explosera et j’espère que le monde sera éclaboussé de son amour.

Moi je le regarde et je lis tout ça dans ses grands yeux noirs intenses de vie…

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Il était une fois

Un père, une mère, une fille

Le père avait la forme d’une ombre se faufilant sur les murs

La mère, le visage caché, portait une longue robe balayant la terre

La fille, silhouette légère, avait les pieds suspendus dans l’air

Et tous les trois gardaient un secret dans le creux de la main

Sur leur paume, un mot était gravé : EXIL

 

La fille n’avait plus de jouets

On raconte qu’elle les avait échangés contre les lettres de l’alphabet

La mère n’avait plus de sourire

On raconte qu’elle l’avait échangé contre une poignée de souvenirs

Le père n’avait plus de jeunesse

On raconte qu’il l’avait échangée contre quelques pièces de monnaie

Et tous les trois peu à peu devenaient des étrangers

 

La terre se dérobait sans cesse sous les pieds de la fille

La mémoire s’échappait sans cesse de la tête de la mère

Les pièces manquaient toujours dans les mains du père

Et tous les trois peu à peu perdaient le goût de la vie

 

Alors, la fille détourna ses yeux de la terre pour apprendre à voler

La mère chassa la mémoire pour apprendre à oublier

Le père ne compta plus ses sous pour apprendre à rêver

Et tous les trois se mirent à rire

 

Leur rire résonnait si loin

Qu’il pénétra jusque dans les oreilles de leur famille

Leur rire résonnait si fort

Qu’il fit trembler leur terre délaissée

Leur rire résonnait si haut

Qu’il réveilla leur mémoire engourdie

Mais tous les trois, à force de rire, avaient les larmes aux yeux à présent… »

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Extraits du très beau livre : « Marx et la poupée »  2017  Maryam Madjidi.

Illustrations : 1/ « Pensive »  John Everett Millais  1829-1896   2/« Le vent »  Félix Vallotton  1865-1925.

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Compatir à la souffrance des exilés…

BVJ – Plumes d’Anges.