Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Bienheureux revers…

vendredi 26 janvier 2018

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« … En ce jour merveilleux où nous nous retrouvons pour célébrer votre réussite scolaire, j’ai décidé de vous parler des bienfaits de l’échec. Et alors que vous vous tenez à l’orée de ce qu’on appelle parfois « la vraie vie », je veux chanter les louanges de l’imagination, qui est primordiale.

Ces choix vous paraîtront peut-être chimériques ou paradoxaux, mais donnez-moi une chance de vous convaincre.

Se souvenir de la jeune fille de 21 ans que j’étais lorsqu’on m’a remis mon diplôme est une expérience plutôt inconfortable pour la femme de 42 ans qu’elle est devenue. Lorsque j’avais la moitié de mon âge actuel, je tentais de préserver un équilibre précaire entre les ambitions que j’avais pour moi-même et ce que mes proches attendaient de moi.

J’étais convaincue que la seule chose que je voudrais jamais faire était écrire des romans. Néanmoins, mes parents, qui venaient tous deux de milieux pauvres et qui n’avaient pas été à l’université, estimaient que mon imagination suractive était une excentricité amusante de mon caractère qui n’aiderait jamais à rembourser un emprunt immobilier ni à garantir une retraite.

Ils espéraient que je suivrais une filière professionnelle ; je voulais faire de la Littérature anglaise. Nous atteignîmes un compromis qui, avec le recul, ne satisfaisait personne, et j’étudiai les Langues vivantes. La voiture de mes parents avait à peine tourné au coin de la rue que je me suis empressée d’abandonner l’allemand pour me précipiter au département de Langues anciennes.

Je ne me souviens pas avoir jamais dit à mes parents que je faisais des Langues anciennes ; il est très possible qu’ils l’aient découvert le jour de la remise de diplômes. De toutes les matières sur Terre, je pense qu’aucune ne leur paraissait plus inutile que la mythologie grecque quand il s’agissait de réussir à voyager en classe affaires.

Je voudrais préciser, entre parenthèses, que je ne reproche pas leur point de vue à mes parents. Il y a une date limite au-delà de laquelle on ne peut plus reprocher à ses parents de nous avoir mis dans la mauvaise direction ; à l’instant où vous avez l’âge de vous diriger vous-mêmes, c’est vous qui êtes responsables. De plus, je ne peux pas en vouloir à mes parents d’avoir espéré que je ne vivrais jamais dans le besoin. Eux-mêmes avaient été pauvres, et je suis d’accord avec eux pour dire que ce n’est pas une expérience anoblissante. La pauvreté introduite la peur, le stress et parfois la dépression ; cela implique des milliers de petites humiliations et de difficultés. Se sortir de la pauvreté à la force de ses bras, voilà quelque chose dont on peut être fier, mais il n’y a que des imbéciles pour penser que la pauvreté elle-même est très romantique.

Ce dont j’avais le plus peur à votre âge, ce n’était pas la pauvreté. C’était l’échec.

À votre âge, malgré un clair manque de motivation à l’université – où j’avais passé bien trop longtemps à la cafétéria à écrire des histoires, et bien trop peu de temps en cours – j’avais un certain talent pour passer des examens, et depuis des années, c’était là la mesure de ma réussite dans ma vie et dans celle de mes pairs.

Je ne suis pas suffisamment bornée pour penser que parce que vous êtes jeunes, doués et avez reçu une éducation de qualité, vous n’avez pour autant jamais connu des épreuves ou du chagrin. Le talent et l’intelligence n’ont jamais vacciné personne contre les caprices des Parques, et je suis loin de m’imaginer que tous ceux présents ici ont connu une vie de privilèges et de contentement sans un pli.

Néanmoins, le fait que vous sortez de Harvard suggère que vous n’avez pas l’habitude de l’échec. Peut-être même êtes-vous poussés par la peur de l’échec autant que par le désir du succès. En fait, votre conception de l’échec n’est peut-être pas très éloignée de ce que le citoyen lambda appellerait une réussite, vues les hauteurs que vous avez déjà atteintes d’un point de vue scolaire.

En fin de compte, c’est à chacun de décider pour soi-même ce qui définit un échec, mais le monde autour de vous meurt d’envie de vous donner un ensemble de critères, si vous êtes prêt à les accepter. Alors je pense qu’on peut dire que toutes les mesures conventionnelles établiraient que seulement sept ans après ma remise de diplôme, j’avais échoué de façon monumentale. Un mariage exceptionnellement court avait implosé, j’étais sans emploi, une mère seule, et aussi pauvre qu’on peut l’être au Royaume-Uni aujourd’hui sans être SDF. Les craintes que mes parents avaient pour moi, et que j’avais moi-même, s’étaient avérées, et selon tous les critères habituels, j’étais le plus gros échec que je connaissais.

Je ne vais pas me tenir devant vous et vous dire que l’échec est une expérience amusante. Cette période de ma vie était sombre, et je n’avais aucune idée qu’il allait y avoir ce que les journaux appellent une fin en conte de fées. Je n’avais aucune idée de la longueur du tunnel, et pendant longtemps, la seule lumière au bout était plus un espoir qu’une réalité.

En ce cas, pourquoi parler des bienfaits de l’échec ? Tout simplement parce que mon échec m’a fait me séparer de tout le superflu. J’ai arrêté d’essayer de me convaincre que j’étais autre chose que ce j’étais vraiment, et j’ai commencé à concentrer toute mon énergie sur la seule œuvre qui m’importait vraiment. Si j’avais jamais réussi quoi que ce soit d’autre dans ma vie, je n’aurais jamais eu la détermination nécessaire à la réussite dans la seule arène à laquelle je pensais réellement appartenir. J’étais libérée, parce que ma plus grande crainte s’était déjà réalisée, et j’étais encore vivante, et j’avais encore une fille que j’adorais, et j’avais une vielle machine à écrire et une grande idée. J’avais touché le fond, mais le fond est devenu la fondation solide sur laquelle j’ai rebâti ma vie.

Peut-être n’échouerez-vous jamais autant que moi j’avais échoué, mais on ne peut pas éviter une certaine dose d’échec dans la vie. On ne peut pas vivre une vie sans échouer quelque part, à moins de faire tellement attention à tout qu’on aurait tout aussi bien ne pas vivre – auquel cas on échoue par défaut.

L’échec m’a donné une sécurité intérieure que je n’avais jamais atteinte en passant des examens. L’échec m’a appris des choses sur moi-même que je n’aurais jamais pu apprendre autrement. J’ai découvert que j’avais une volonté d’acier, et plus de discipline que je ne le croyais ; j’ai aussi découvert que j’avais des amis qui valaient plus que des rubis.

Savoir qu’on est sorti plus sage et plus fort d’un revers permet de se rendre compte que finalement, on est capable de survivre. Vous ne vous connaîtrez jamais vous-même, ni ne connaîtrez la force de vos relations, à moins d’avoir été mis à l’épreuve. Cette connaissance est un véritable cadeau, même si elle est douloureuse à obtenir, et à mes yeux, il vaut plus que tous les diplômes que j’ai jamais reçus.

Si j’avais une machine à remonter dans le temps, ou un Retourneur de Temps, je dirais au moi de 21 ans que pour être heureux, il faut savoir que la vie n’est pas une liste d’acquisitions ou d’accomplissements qu’il faut obtenir. Vos diplômes, votre CV ne sont pas votre vie, même si vous rencontrerez beaucoup de gens de mon âge ou plus vieux qui confondent les deux. La vie est difficile, compliquée, personne ne peut la contrôler, et avoir l’humilité de savoir cela vous permettra de surmonter ses vicissitudes…. »

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Extraits du discours de J.K.Rowling  (auteure d’Harry Potter) lors de la remise des diplômes à Harward en 2008 (MERCI M.C.).

Je vous invite à lire la traduction intégrale ici, elle est formidable, merci à ce site !

Les Éditions Grasset ont publié le 15 novembre 2017, la traduction française de ce magnifique discours sous le titre « La meilleure des vies« , une idée de cadeau à un étudiant ?

Illustrations : 1/« Anémones »  Leon Wyczolkowski  1852-1936  2/« Danseur »  Vladimir Burljuk  1886-1917.

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Concentrer son énergie sur ce que l’on veut vraiment pour soi...

BVJ – Plumes d’Anges.

Harmonieux accords…

lundi 22 janvier 2018

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MILLE ET UNIÈME BILLET…

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« … Le plus grand des grands hommes est souvent celui qui, pour les autres, ne passe pas pour tel, mais ne fait pas de bruit et traverse son existence sur la pointe des pieds ontologiques. Ses combats sont contre lui-même, ses victoires aussi. Ses champs de bataille ? Lui-même encore. Ses embuscades ou ses assauts, ses rixes et ses offensives ? Encore et toujours lui-même…

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Paradoxalement, c’est en portant son individualité à son point d’incandescence que l’homme parvient à l’universel et qu’il devient grand…

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En nos temps démocratiques, le grand homme est celui qui mène seul son chemin. En lui parle l’âme du monde…

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Il publie Walden en 1854. Il s’agit d’un authentique et grand livre de philosophie. On n’y trouve aucun concept, aucun personnage conceptuel, mais une réflexion sur les conditions de possibilités d’une expérience existentielle : comment mener une vie philosophique ? Thoreau n’invite pas à ce qu’on l’imite, mais il montre comment on peut faire, à charge pour chacun d’inventer son chemin, de trouver sa voie.

Grand et vrai livre de philosophie existentiel dis-je. En effet. Thoreau propose ce qu’il nomme une « médecine eupeptique », autrement dit une médecine pour produire du bon, du bien et écarter le mauvais, le mal. Quelle est-elle ? Se féliciter de la splendeur de chaque matin ; opposer une volonté de jouissance au mouvement naturel de la négativité qui nous tire vers le pessimisme ; désirer le bonheur qui n’est pas donné mais à construire ; se mettre ou se remettre au centre de soi ; transformer les inconvénients en avantages ; rechercher le positif dans le négatif ; vouloir faire de sa vie une fête.

Il invite également à refuser « la vie mesquine ». La vie mesquine, c’est la vie tournée vers les fausses valeurs : l’argent, les honneurs, le pouvoir, les richesses, la propriété, la réputation. C’est la vie salie par les vices de la société de consommation : convoiter, acheter, posséder, consommer, remplacer. C’est aussi une vie fausse avec autrui : une vie réduite à la surface, aux apparences, à la mondanité, aux salons, aux bavardages…

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Mener cette vie qu’on dirait aujourd’hui « décroissante », voilà une option politique. Celle qui lui permettait d’écrire dans La Désobéissance civile : « Que votre vie soit le frottement qui arrête la machine. »(…) Au nom de cette même thèse, être le frottement qui arrête la machine, on peut aussi se vouloir une force de résistance plus qu’une force d’inertie. Force d’inertie : vivre dans les bois. Force de résistance : désobéir pour réaliser ce qui nous semble juste. Non plus vivre pour soi, mais vivre contre ce qui empêche de vivre pour soi.

C’est le second temps dans la si brève vie de Thoreau. Le temps de La Désobéissance civile, un très grand petit livre. Je ne sais pas s’il a lu le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie. C’est peu vraisemblable. (…) L’un et l’autre ouvre la voie d’une pratique politique libertaire radicale – c’est celle dans laquelle je me retrouve. Pas d’appel au crime, au meurtre et au sang chez l’un et chez l’autre ; pas de têtes sur le billot ou au bout des piques pour réaliser la liberté ; pas de guillotine, de terreur, de camp de concentration au nom du bien de ceux qu’on décapite ou qu’on enferme ; pas de massacre des hommes au nom de l’humanité ; pas d’armées, de milices, de soldats tirant sur les hommes pour le bonheur futur – juste une recette extrêmement simple : le pouvoir n’existe que par le consentement de ceux sur lesquels il s’exerce, il suffit de ne plus consentir pour obtenir que le pouvoir s’effondre… »

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Extraits de : « Vivre une vie philosophique – Thoreau le sauvage »   2017  Michel Onfray.

Illustrations : 1/« Montagnes blanches dans le New-Hampshire »  Thomas Doughty  1793-1856  2/« Paysage »  Asher Brown Durand  1796-1886.

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Accorder notre vie et nos pensées…

BVJ – Plumes d’Anges.

Histoire d’Indien…

jeudi 18 janvier 2018

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« … C’est quelque chose qui m’est venu au collège et que je pratique encore. J’ai forgé des résistances et des abris. Je sais déserter le réel quand il est trop dur, je me laisse happer par mes idées, mes histoires. Je rentre en moi…

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… À trente ans, j’ai fait un rêve. Une voix me disait : il y a deux sortes d’individus dans la vie, les Classiques et les Indiens. Cette phrase a claqué dans ma nuit comme une vérité. La voix off était comme un troisième personnage qui m’indiquait ma voie.

Le Classique est un homme pétri par la norme, il n’inventera jamais rien, ne fera qu’obéir et suivre le mouvement en rêvant d’ascension sociale. C’est mon père.

L’Indien est un intuitif, un insoumis, un créatif…

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Il faudra toujours des gens qui peignent, sculptent, écrivent loin du système, sans détester le passé, la rigueur et les règles de l’art, sans renoncer à la sincérité et à l’émotion que notre époque éteint ou détourne à force de surenchère.

Les artistes sont aujourd’hui comme les alpinistes une fois l’Everest vaincu. Ils peuvent décider de monter sans cordes ni piolet, à reculons, torse nu, surenchérir toujours sur la performance. Ou au contraire mettre leurs pas dans ceux des maîtres, chercher leurs propres sensations, leurs propres vibrations sur le toit du monde… »

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Extraits de : « L’intranquille »  2009  Gérard Garouste avec Judith Perrignon.

Illustrations : 1/« Tête de cerf »  Diego Velasquez  1599-1660  2/« Vol d’oiseaux autour d’un petit hibou »  Frans Snyders  1579-1657.

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Chercher à mieux comprendre les hommes…

BVJ – Plumes d’Anges.

Brumes…

lundi 15 janvier 2018

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« … – Pourtant êtes-vous si sûre, chère dame, de souhaiter être libérée de cette brume ? Ne vaut-il pas mieux que certaines choses restent cachées à nos esprits ? 

– Pour certains peut-être, mon père, mais pas pour nous. Axl et moi souhaitons retrouver les moments de bonheur que nous avons partagés. En être privés, c’est comme si un voleur était venu dans la nuit nous prendre ce que nous avons de plus précieux.

– Pourtant la brume recouvre tous les souvenirs, les bons comme les mauvais. N’en est-il pas ainsi, madame ?

– Les mauvais nous reviendront aussi, même s’ils nous font pleurer ou trembler de colère. Car n’est-ce pas la vie que nous avons vécue ensemble ?

– Vous n’avez donc pas peur des mauvais souvenirs, madame ?

– Qu’y a-t-il à craindre, mon père ? Ce que nous ressentons l’un pour l’autre au fond de notre cœur nous dit que le chemin pris ici ne peut recéler aucun danger pour nous, quand bien même la brume nous le cacherait. C’est comme une histoire qui finit bien, quand même un enfant sait qu’il n’a pas à en redouter les péripéties. Axl et moi nous rappellerons notre vie commune, quelle que soit sa forme, car c’est une chose qui nous est chère…
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… « Batelier, dit-elle. Il existe une légende que j’ai entendue autrefois, peut-être quand j’étais enfant. À propos d’une île remplie de bois accueillants et de torrents, un lieu aux étranges qualités. Beaucoup de gens s’y rendent, mais pour chacun de ceux qui y résident, c’est comme s’il se promenait seul sur l’île, car il ne voit ni n’entend ses voisins. S’agit-il de l’île qui se trouve devant nous, monsieur ? »

Je continue de casser de menues branches et de les disposer avec soin sur les flammes. « Chère dame, je connais plusieurs îles qui correspondent à cette description. Qui sait si celle-ci en est une ? »

Une réponse évasive, qui lui inspire de l’audace. « J’ai aussi appris, poursuit-elle, que, parfois, ces curieuses conditions cessent de prévaloir. Que des dispenses particulières sont accordées à certains voyageurs. Ai-je bien compris, monsieur ? »

– Chère dame, dis-je, je ne suis qu’un humble batelier. Ce n’est pas mon rôle d’aborder de pareils sujets. Mais puisqu’il n’y a personne d’autre ici, permettez-moi de vous proposer cette réponse. J’ai entendu dire que, quelquefois, peut-être pendant un orage comme celui qui vient de s’achever, ou une nuit d’été lorsque la lune est pleine, un insulaire peut avoir la sensation que d’autres personnes se déplacent à ses côtés dans le vent. C’est peut-être ce que l’on vous a raconté.

– Non, batelier, insiste-t-elle, c’est plus que cela. On m’a dit qu’un homme et une femme, après des années de vie commune, et liés par un amour d’une force inhabituelle, peuvent se rendre sur l’île sans être contraints de l’arpenter en solitaire. J’ai entendu dire qu’ils peuvent savourer le plaisir d’être ensemble comme ils l’ont fait tout au long de leur existence passée. Serait-ce la vérité batelier ?… »

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Extraits de :  « Le géant enfoui »  2015  Kazuo Ishiguro.

Illustrations : 1/« Lever de soleil sur un paysage nordique »  Eduard von Buchan    1800-1876  2/« Coucher de soleil »  Harald Sohlberg  1869-1935.

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Dissiper les brumes de notre vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Fil conducteur…

lundi 8 janvier 2018

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« … On entendra des chants d’oiseaux et le monde sera printanier et sans nuit lorsque je cesserai d’exister. Est-ce que je manquerai au monde ? Non. Sera-t-il pire sans moi ? Non plus. Continuera-t-il de tourner sans moi ? Oui. Est-il meilleur maintenant que lorsque j’y ai fait mon entrée ? Non. Qu’ai-je fait pour améliorer le monde ? Rien…

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– C’est incroyable de voir ce grand gaillard aujourd’hui et de penser à quel point il était sensible.

– Maman…

– Si on retrouvait un oiseau avec une aile cassée dans le jardin, il fondait en larmes… Un écorché vif… Toujours triste de voir les hommes si peu généreux les uns envers les autres. Il disait : « Quand je serai grand, je consolerai le monde… Parce que le monde souffre tant, parce qu’il faut qu’on en prenne soin…

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« PLUS NOUS NOUS ÉLEVONS

PLUS NOUS PARAISSONS PETITS AUX REGARDS

DE CEUX QUI NE SAVENT PAS VOLER »…

« Aurore »  Friedrich Nietzsche.

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– Savais-tu, dit-elle, que l’an dernier deux cent quarante mille milliards de couronnes ont été dépensés en armes et équipements militaires dans le monde ?

Elle avale une première gorgée et essuie la crème de sa lèvre supérieure.

– Il faut calculer , poursuit-elle, les dommages causés par les profiteurs de guerre et leur faire payer. Ils réaliseront ainsi que la guerre coûte bien plus cher que la paix. De toute façon la seule langue qu’ils comprennent, c’est l’argent, ajoute-t-elle…

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… « IL Y A TANT DE VOIX DANS LE MONDE

ET AUCUNE D’ELLES N’EST DÉPOURVUE DE SENS. »…

1°Épitre de Saint Paul aux Corinthiens.

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– Imaginez que c’est un voyage, poursuit-elle.

– Comme ça ?

– Oui, comme ça. Comme quand on marche.

– Nous sommes pareils, dis-je.

– Je sais, répond-elle, sans me regarder.

Elle sourit, semble chercher ses mots :

– Ce matin, pour la première fois depuis longtemps, j’ai senti l’odeur de l’herbe.

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« IL FAUT DU TEMPS À LA LUMIÈRE DES ASTRES »

« Le gai savoir »  Friedrich Nietzsche… « 

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Extraits de :  » Ör «   2017  Audur Ava Olafsdottir.

Illustrations : 1/« Dessin de pigeon »  Jean Bernard  XVIIIème  2/« Midi »  Abbott Handerson Thayer  1884-1913.

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Retrouver le fil conducteur de sa vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Sources de vie…

vendredi 5 janvier 2018

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« … Nos vies sont toutes de sable, nos vies sont toutes des fables et c’est seulement dans la manière de les conter que se dévoilent leurs lumineuses trames.

Nos vies, comme ces toiles d’araignée, invisibles le jour, qui, au petit matin, apparaissent perlées de rosée, purs chefs-d’œuvre de symétrie.

Voilà mes élucubrations, dernière élégance de ma solitude de forçat au milieu d’un champ de pierre…

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…  Je ne le dirai jamais assez, un rien me nourrit, la moindre graine d’humanité se transforme en jardin. J’ai tellement appris à me contenter de peu. Tout est devenu festin, tout me comble, le plus petit cadeau du monde est une joie au cœur de mon silence…

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P.-S. : J’ai vu votre tristesse. Je n’en connais pas la cause et ne demande rien. Tout ce que je peux vous dire c’est de ne pas renoncer à ce que vous êtes profondément. Il y a en vous une sorte de lumière qui fait du bien au monde. Quoi qu’il arrive, n’oubliez pas : rien ni personne n’a le pouvoir de saccager l’innocence. Quoi qu’il arrive nous devons nous battre pour préserver notre aptitude à la Joie. »…

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À l’aube, il s’installe devant la meurtrière de son bureau triangulaire, et il lui semble au fond qu’il ne fait que recopier ce qu’une voix lui dicte. Moine calligraphe il couvre ainsi des pages, d’une écriture appliquée. (…) « La force, c’est cette tenace capacité d’incursion, plongée méthodique dans le labyrinthe de l’esprit. Mieux se connaître afin de mieux comprendre toute l’humanité. Nous possédons en creux, dans la matrice, toutes les caractéristiques de l’Humain.

Si chacun développe ses particularités, il demeure cependant au fond de nous un formidable ou monstrueux potentiel.

Il s’agit d’ « être », et cela en dépit du monde dans lequel nous vivons. Il est trop facile de « se laisser être » en arguant de je ne sais quel contexte.

Être, c’est choisir au-delà. Après avoir farfouillé dans l’immense bric-à-brac de nos cerveaux, il nous faut sortir, tirer, extirper les paquets de racines bouchant les sources de vraie vie…

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Notre terre est jonchée de pierres, d’arbres, de parfums, de situations et de visages, qui, lorsque nous les croisons, réveillent en un éclair la perfection de nos âmes. Plus que tout, j’aime ces bulles-parenthèses, annihilant le temps.

Ce sont d’étranges petits moments faisant chavirer la raison. Paramnésie, impressions troublantes de déjà vu, déjà vécu, vertiges délicieux, ivresse…

Apesanteur.

Quoi qu’en disent nos spécialistes du cerveau, psychiatres et autres cafouilleurs, maniaques de l’explication, je tiens ces instants comme des révélations mettant l’individu face à l’éternité dont il procède et qu’il ne cesse de vouloir retrouver.

Nous sommes sans le savoir transporteurs d’infini. Nous sommes de doux cargos fantômes, soutes pleines, perdus au beau milieu d’un océan, qui cherchent désespérément un port d’attache pour alléger nos coques… »

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Extraits d’un (encore) très beau livre : « Zoé »  2015  Alain Cadéo.

Illustrations : 1/« Madone à l’œillet »  (détail)  Léonard de Vinci  1459-1519  2/« Insectes » Dessin chinois anonyme – Collection Cooper-Hewitt – Musée Smithsonian – USA   3/« Coucher de soleil »  Félix Valotton  1865-1925.

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S’interroger pour être soi…

BVJ – Plumes d’Anges.

Bulles d’enfances…

lundi 11 décembre 2017

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« … Comme nous sommes heureux lorsque nous sommes enfants. Comme la voix de la raison étouffe la lumière. Nous errons à travers la vie – une monture sans pierre. Puis un jour nous prenons un virage et elle est là, par terre, devant nous, la goutte de sang à facettes, plus réelle qu’un fantôme, qui luit. Si nous nous agitons elle risque de disparaître. Si nous tardons à agir rien ne sera retrouvé. Il existe un chemin dans cette petite devinette. Dire sa prière bien à soi. De quelle manière, cela n’a aucune importance. Car à la fin, celui qui suit ce chemin possèdera le seul joyau qui mérite d’être conservé. La seule graine qui mérite d’être disséminée.

Une petite main m’a offert une dent-de-lion.

Fais un vœu  !

Je l’ai prise. La fleur jaune vif – sauvage, insignifiante et chérie par Dieu. Elle se transforme par la grâce de notre désir en un nuage séculaire. Des bribes de manne duveteuse descendent sur le monde…

Fais un vœu, souffle…

Possédant mon souffle, que puis-je demander de plus. Tout mon être s’est élevé dans cette quête. J’avais l’avantage du ciel qui sait, en un clin d’œil, devenir tout.

J’ai fouillé les nuages en quête d’augures, de réponses. Ils se mouvaient à toute vitesse, trame délicate, en forme de dôme. Le visage de l’art, de profil. Le visage du déni, béni.

Que faisons-nous, Grand Barrymore ?

Nous titubons.

Que ferons-nous, simple moine ?

Cultiver la bonté du cœur.

Et ces conseils, prodigués avec une grâce si entière, ont empli mes membres d’une telle légèreté que j’ai été soulevée jusqu’à planer au dessus de l’herbe, même si tous me voyaient encore parmi eux, prises dans les tâches humaines, les deux pieds sur terre. »

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Extrait de : « Glaneurs de rêves » 2014  Patti Smith.

Illustrations : 1/ « La convalescente »  Hélène Schjerfbeck  1862-1946  2/ « Pissenlits et Pâquerettes » Otto Didrik Ottesen  1816-1892.

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Faire un vœu, croire en sa réalisation pour qu’elle advienne…

BVJ – Plumes d’Anges.

Belle Vie…

mardi 5 décembre 2017

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« TOUT PASSE MAIS »… ,

mon « GRAND RÊVE » serait que la « ROUE DU MONDE » tourne

afin que l’ « EXISTENCE » ne soit plus qu’un « CHANT D’OR »

 

Merci Monsieur D’Ormesson d’avoir fait de votre vie ce qu’elle fut

et d’avoir illuminé la nôtre par vos livres.

Votre joie, votre élégance, votre humour, votre culture, votre intelligence, votre charme

furent des cadeaux dont nous sommes riches à jamais,

MERCI !

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Illustrations : 1/« Oiseau mort »  Albert Pinkham Ryder  1847-1917  2/« La vague verte – près de Camaret »  Georges Lacombe Vohor 1868-1916.

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La vie sur Terre est et restera un mystère…

BVJ – Plumes d’Anges.

Balise intérieure…

mardi 28 novembre 2017

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« … Cette maison ne nous attendait pas. Elle était seule déjà, abandonnée et pourtant étrangement vivante, en retrait au bord d’une rue qu’engloutissaient de vieux jardins puis la prairie où terre et ciel s’épousaient. Comme quoi, parfois, les choses les plus éclatantes, les plus profondes n’ont l’air de rien, sont effacées alors qu’elles vibrent à l’intérieur. De l’intérieur. Elles sont en feu sans nous montrer la moindre flamme. Elles ne parlent pas haut, jamais. Elles se taisent même, préférant le silence total au moindre bruit d’une conversation. Bien des maisons n’ont jamais voix au chapitre. Leurs peuples sont silencieux. Bien qu’en bordure de rue ou en rase campagne, elles semblent dormir un peu, tout au moins somnoler paisiblement. Mais lorsque la lumière du jour les éclaire d’un seul coup, elles s’éveillent, s’ébrouent, paraissent reprendre vie. Il suffit que le soleil échappe aux nuages et leur façade, en un instant, s’illumine et l’on aperçoit alors l’ombre d’un lézard, qui grimpe au mur et cherche à vive allure l’abri d’un volet…

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… Je ne retiens d’elle qu’une image globale, une sorte de cliché pris à la va-vite, une photo du bien être sous laquelle nous savons combien notre vie était si difficile. Mais ce mot n’est pas juste : rien n’est difficile quand la vie circule, que la lumière vient frapper aux portes. Rien ne nous éclaire plus que les ténèbres…

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… Sous la neige, j’aime ainsi avancer vers la sombre façade. Toucher son mur, écouter les voix de l’intérieur, celles de tous les temps, de tous les siècles et de l’avenir. Il y a une telle puissance dans l’abandon de cette ruelle. Les choses les plus oubliées, les plus enfouies, ne sont-elles pas les plus vivantes ? …

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… La maison de l’enfance ne s’arrête pas à ses portes. Elle se prolonge dans la nature, elle va jusqu’aux fontaines, aux champs, aux forêts…

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… Vagabond, nomade, j’erre où le hasard et la chance m’entraînent mais, toujours, dans la tête, la belle architecture de la maison immobile. Vivre est courir avec les copeaux d’enfance dans le cœur… »

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Cette maison immobile peut être celle de notre enfance ou celle de nos vacances lointaines… Avez-vous remarqué comme sa silhouette, ses parfums d’antan, les paysages attenants parlent en nous une langue chaleureuse ?

Extraits de : « Les petites heures » précédé de « Au bord du monde » et suivi de « La maison immobile »  2014 Joël Vernet.

Illustrations : 1/« Paysage dans le Connecticut »  Julian Alden Weir  1852-1919  2/« Façade »  Albin Egger-Lienz   1868-1926.

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Se relier aux parcelles d’or de l’enfance…

BVJ – Plumes d’Anges.

S’interroger…

vendredi 24 novembre 2017

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« … De toi, j’ai appris que s’élancer dans les gouffres permet à nos ailes de pousser. Sans cette absolue confiance dans la vie, tout nous retient. Et l’existence n’est plus qu’un rendez-vous raté avec soi…

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… Mais la question demeure : a-t-on le droit de vivre tout ce que l’on veut et mérite d’être ? A-t-on le droit moral d’aimer la totalité de ceux que son cœur éclaire ? A-t-on le droit d’être soi, merveilleusement vivant de corps et d’esprit ?

Un esprit court te vilipenderait, trouverait salubre de te convertir à la tempérance.

Après des années d’interrogations et de jugements hâtifs, j’en arrive à mon intime et joyeuse conviction : oui, nous avons le droit d’être. C’est même là sans doute notre premier devoir moral. Notre erreur à nous, les enfants, est sans doute de n’avoir pas cru au roman parental merveilleux que tu nous proposais. Chercher l’exactitude n’aboutit à rien. l’ADN est la pire des illusions. La vérité réside toujours dans le roman que l’on se raconte pour parvenir à vivre. Le vrai réel, c’est l’histoire qui nous constitue, pas les faits. Mais l’essentiel ne rayonne-t-il pas dans la quantité de questionnements dont tu nous a fait les légataires, nous tes trois enfants ? En osant être tout ton être, à plein courage, tu nous as transmis mille questions qui perdureront au fil des générations.

S’interroger, c’est accoucher de soi.

Vivre, c’est ne pas finir de naître…

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… – Ta maman est cette femme-là. Que vas-tu en faire ?

Toujours, tu as renvoyé les autres à leur liberté de réaction. La seule chose qui t’intéresse réside dans cette interrogation : que faisons-nous tous de ce qui survient, de l’étrangeté irréductible d’autrui, de l’inattendu qui nous chambarde et détruit soudain l’idée que nous nous faisions de la vie ? Tu fais confiance à l’Autre pour s’en dépatouiller. À tes yeux, maman, protéger un être c’est le sous-estimer. Exposer, c’est croire en ses ressources insoupçonnées…

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… – Pourquoi as-tu confiance dans les êtres ?

– Ils le méritent. Je crois en leur beauté ineffable, en leur noblesse méconnue.

– Tu ne doutes jamais d’eux ?

– Qui suis-je pour douter des êtres ?

Cette phrase m’est restée. « Qui suis-je pour douter d’eux ? » Qui est-on donc pour s’accorder le droit de douter du courage des gens ?… »

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Extraits d’un TRÈS BEAU LIVRE : « Ma mère avait raison »  2017  Alexandre Jardin.

Illustrations : 1/ et 3/ Mules du XVIIIème – détails de tableaux de  François Boucher  1703-1770.  2/« Beau visage » Frank Weston Benson  1862-1951.

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Nous sommes riches de ce qui nous a construit…

BVJ – Plumes d’Anges.