Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Mots doux…

lundi 12 mars 2018

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« … Le cœur, quand il existe, se voit de loin : un mont Fuji dans la poitrine.

L’écriture doit venir nous chercher où nous sommes, nous sortir de la tombe de nos vies, faire revenir dans nos veines le sang vieil or de l’amour…

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Ils sont partout sauf en eux, ces gens qui font le tour du monde. Le plus long voyage que j’ai fait, c’était dans les yeux d’un chat. Les bêtes sont des anges. Leur silence est proche de celui des livres. Leur silence est de l’encre. Il porte une tunique de papier, une ceinture d’encre. Il entre dans notre cœur et il parle. De l’intérieur de nous. Sans mots. Les livres qui n’ont pas cette grâce ne sont que des marchandises, pesanteur et poison. Les livres – anges, les livres – animaux s’endorment une joue plaquée contre la paroi intérieure de notre cœur…

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Madame,

vous m’avez demandé ce que c’était que les anges. C’est vrai qu’ils s’attardent dans mes livres bien après la fermeture de l’encre. Quand les phrases dorment, ils veillent. (…) Ma réponse ne serait pas complète si je n’ajoutais qu’on peut être parfois si présent à ce qu’on vit qu’il n’y a plus besoin de paradis – aucun mot ne suffisant pour dire la vie et la mort dépassées.

La vraie réponse c’est sans doute vivre, simplement vivre sans oublier de jouer. Les anges protègent les châteaux de sable, pas ceux de pierre… »

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Extraits de : « Un bruit de balançoire   » 2017  Christian Bobin.

Illustrations : 1/ « Fleurs d’Orchidée blanche et Bégonia » Léon Wyczolkowski  1852-1936  2/ « Chat blanc » Takahashi Hiroaki  1871-1945.

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Dans des choses simples se cachent des trésors…

BVJ – Plumes d’Anges.

Perception des choses…

jeudi 8 mars 2018

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« … – Tu ne soignes pas des résultats d’analyse, tu soignes des personnes…

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… – Pardon de vous avoir interrompue, tout à l’heure, au début de la consultation. Vous avez compris pourquoi je l’ai fait ?

– Non.

– Ce qu’une femme ressent est beaucoup plus important que ce que vous savez. (…)

– Chaque fois que vous interrompez une patiente, vous l’empêchez de dire ce qui est essentiel pour elle. Chaque fois que vous remettez en question la véracité de ce qu’elle dit, vous la faites douter.

– Mais si elle dit quelque chose de faux ?

– D’abord, ce n’est pas « faux », c’est ce qu’elle ressent. Son interprétation n’est peut-être pas conforme aux acquis de la science, mais elle lui permet d’appréhender la situation d’une manière intelligible, de ne pas se laisser gagner par la panique. Notre boulot, ce n’est pas de lui dire que ce qu’elle ressent est « vrai », ou « faux », mais de chercher pour son bénéfice, et avec son aide, ce que ça signifie. Si tu veux que les patientes respectent ton avis, il faut d’abord que tu respectes leur perception des choses…

– Même si elle repose sur une vision complètement fantasmatique ?

– Bien sûr. Respecter ça ne veut pas dire adhérer. Ça veut dire : plutôt que de perdre son temps dans un bras de fer (j’ai raison, tu as tort), essayons de trouver un terrain commun. Une relation de soin, ce n’est pas un rapport de force… »

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Extraits du livre : « Le Chœur des femmes » 2009  Martin Winckler.

Une histoire singulière, mais oh combien bouleversante ! Un autre titre de cet auteur qui traite avec tact d’un sujet différent mais tout aussi délicat : « En souvenir d’André » 2012.

Illustrations : 1/« Docteur Washington, mon docteur »  2/« Pivoines japonaises »  Lawrence Alma-Tadema  1836-1912.

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Respecter le ressenti de l’autre…

BVJ – Plumes d’Anges.

Rêve de paix…

lundi 5 mars 2018

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« … La dureté. Partout la dureté. La dureté des êtres les uns envers les autres. La dureté inconsciente des êtres envers eux-mêmes. L’une reflétant l’autre. Et nous qui faisons semblant de l’ignorer. Pour nous protéger de quelque chose qui fait trop mal : la perception aiguë de la guerre qui fait rage, dans le monde et en chacun de nous, une guerre contre les tendances destructrices et les élans de vie, une guerre entre l’ombre et la lumière.

Nous ne pouvons pas grand chose contre la vieillesse et la mort. Pourtant, il est un mal qui relève entièrement de nous : la guerre. La guerre est une création humaine et, en tant qu’humanité, nous pouvons enrayer le fléau. Lorsqu’un être souffre, la vérité est que nous souffrons aussi. Lorsqu’une population meurt de faim, une partie de nous reste triste et affamée.

Le concept « d’inconscient collectif » proposé par Jung trouve ici son utilité. Il nous rappelle d’abord que la communauté se compose d’une somme d’individus et que la somme des inconscients personnels produit ce que nous appelons l’inconscient collectif. Ainsi, nous pouvons raisonnablement penser que ce qui arrive dans le monde reflète ce qui se passe en chacun de nous. En ce sens, les conflits mondiaux sont la somme des conflits individuels non résolus. Et non l’inverse.

Par un étrange retournement des choses, nous nous éloignons tellement de cette perspective que nous en venons à penser que nous, individus, nous n’y pouvons rien. Croire en cette impuissance, c’est oublier que nous ne sommes pas séparés. L’émanation de chaque individu agit et influence les autres, tout comme les émanations des autres nous influencent. En réalité, ce que nous pensons et ressentons fabrique à chaque instant l’univers psychique collectif. (…)

Nous n’avons certes pas, à l’échelle individuelle, un grand pouvoir d’influence sur les conflits mondiaux. Pourtant, si nous comprenons que notre ressenti intérieur, notre vibration personnelle,  participe à la vibration du monde, nous pouvons comprendre qu’en incarnant nos élans créateurs au lieu d’être exclusivement occupés à la satisfaction de nos besoins nous contribuons à améliorer la situation.

Par exemple, lorsque vous êtes heureux, vous vibrez d’une joie communicative. Il en est de même pour la tristesse. Ainsi mieux les êtres humains apprennent à conscientiser leurs peurs et les conflits inconscients qui en résultent, plus ils œuvrent à les dépasser, plus ils collaborent à leur sécurité intérieure et à la paix dans le monde… »

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Extrait de : « Victime des autres, bourreau de soi-même »  Guy Corneau  1951-2017.

Illustrations : 1/« Paix »  Giuseppe Mentessi  1857-1931  2/« Petit lac de plaine »  Rosa Bonheur  1822-1899.

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La paix en soi pour la paix dans le monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

Étranges mélodies…

jeudi 1 mars 2018

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« … Enfin Tsukuru Tazaki comprit, jusqu’au plus profond de son âme. Ce n’est pas seulement l’harmonie qui relie les cœurs des hommes. Ce qui les lie bien plus profondément, c’est ce qui se transmet d’une blessure à une autre. D’une souffrance à une autre. D’une fragilité à une autre. C’est ainsi que les hommes se rejoignent. Il n’y a pas de quiétude sans cris de douleur, pas de pardon sans que du sang ne soit versé, pas d’acceptation qui n’ait connu de perte brûlante. Ces épreuves sont les bases d’une harmonie véritable. 

  « Tu sais Tsukuru, elle continue à vivre vraiment dans beaucoup de choses, murmura Eri, d’une voix rauque et forcée. Je le ressens. Dans toutes sortes d’échos qui nous environnent, dans la lumière, dans les formes, et dans tellement… »…

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Durant quelques instants, ils étaient restés sans rien dire, sans même se mettre en quête de mots. Les gazouillis étaient porteurs d’une étrange mélodie très particulière, qui se répétait ensuite dans les bois.

« Ce sont les parents qui apprennent à gazouiller à leurs petits », avait expliqué Eri. Puis elle avait souri. « Avant d’arriver ici, je ne savais pas que les oiseaux devaient apprendre à chanter. »

La vie ressemble à une partition compliquée, se dit Tsukuru. Elle est remplie de doubles croches, de triples croches, de tas de signes bizarres et d’inscriptions ambiguës. La déchiffrer correctement est une tâche  presque impossible, et on aura beau le faire avec le plus d’exactitude possible, puis la transposer dans les sons les plus justes possibles, rien ne garantit que la signification qu’elle recèle sera comprise exactement ou qu’elle sera estimée à sa vraie valeur. Qu’elle fera nécessairement le bonheur des hommes. Pourquoi faut-il que la vie soit infiniment compliquée ?… »

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Extraits de : « L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage »  2014  Haruki Murakami.

Illustrations : 1/« Carnet de croquis : papillons » Satake Shozan  1748-1785  2/« Deux hirondelles et une cloche dans le vent »  Sakai Hoitsu  1761-1828.

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La vie : Pourquoi ? … Parce que…

BVJ – Plumes d’Anges.

Jour gris…

jeudi 22 février 2018

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« … il fait froid, gris, on se demande d’où jaillira l’étincelle, l’émotion, car elles viendront de manière somptueusement inattendue comme toujours.

Jour si long, depuis que des journées a disparu la lumière du jour, affaiblissement du regard porté sur les choses ? de la vue ? de la rétine ? ou, pourquoi pas, des rayons du soleil ! La nature s’affaiblirait-elle au même rythme que nous ou la devancerions-nous sur le chemin d’une perte où elle nous accompagnerait obligeamment en nous donnant le change : c’est elle qui s’exténue et rétrécit, pas nous. Pourtant, la nature en nous, rivée à nous, lorsque les bourgeons s’ouvrent, est là pour te dire, à toi l’élu et à toi seul, que tu es l’unique être capable de percevoir l’entièreté de leur poussée et de leur beauté intransigeante, généreuse, beauté de la turgescence, beauté des efflorescences, beauté de la grâce rêveuse des corolles, des étamines et des pistils différemment agencés selon les espèces et beauté transparente de leur nom : asphodèle, boule-de-neige, bouton-d’or, chrysanthème, digitale…

Qu’est-ce-que savoir, qu’est-ce-que vieillir ?…

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… Je connais un chat qui s’appelle Vladimir. Il est blanc et peureux. Son comportement n’a rien à voir avec son prénom guerrier. Il entre de biais, frôle les murs, qu’il hume, mais s’échappe prestement si on veut lui mettre la main dessus. Il n’est pas possible de le caresser. Un jour, allongée dans ma chambre, en convalescence, quelque chose a soudainement changé dans la consistance de l’air ou du silence : j’ai ouvert les yeux, Vladimir était là, beauté blanche, immobile, tel un hibou, assis sur la couette au pied du lit. Me regardant, comme s’il attendait quelque chose qui ne venait pas. Il avait profité d’une porte mal enclenchée sur le couloir. Il y a eu là comme un échange. Je ne sais plus lequel de nous deux a dit « Miaou »… »

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Mon chat à moi s’appelait Pompilius, Pompon pour les intimes, il était gris, un peu sauvage, il allait avoir 18 ans au début de l’été mais il est parti le 20 février… La maison semble incroyablement vide, le rayonnement de la présence d’un chat est immense. Dehors un petit oiseau chante, peut-être pour me rassurer? me dire que tout va bien de l’autre côté du miroir, c’est juste la vie qui s’étire et se transforme, bientôt reviendra le printemps. Plus on avance en age, plus l’on me semble fragile, pourtant la sagesse voudrait le contraire, il y a encore du travail à faire sur soi…

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Extrait de : « Au gré des jours »  Françoise Héritier  1933-2017.

Illustrations : 1/« Poussière dansant dans la lumière »  Vilhelm Hammershoi  1864-1916 (illustration déjà utilisée ici) 2/« Oiseau chanteur »  Christoph Ludwig Agricola   1667-1719.

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Au gré des jours et des nuits, la vie chante différemment, c’est sa richesse…

BVJ – Plumes d’Anges.

Petite musique…

lundi 19 février 2018

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« … Un bouquet à la main : la joie…

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… Les mains de l’espérance, tu les appelles les mains ensoleillées

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… La bonté suprême : la main qui donnerait son cœur…

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… On offre par le cœur. On tend l’offrande par la main. La main est le relais du cœur…

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… Honorer les mains qui ont du cœur…

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… Détrompe-toi, il ne s’agit pas pour toi de vivre comme eux, montre en main. Tout au contraire, va de ton pas, de ta petite musique, ne cède pas aux sirènes de la vitesse, ne te soucie ni de l’ornière ni du résultat. Laisse ta main brouiller les pistes, dessiner des ébauches, inventer son destin. Ne te soumets jamais aux gains dérisoires… »

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Extraits de : « La main de personne »  1997 Joël Vernet  .

Illustrations : 1/détail de « La madone aux œillets »  2/détail de « La madone au diadème bleu »  Raphaël  1483-1520.

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Donner et recevoir les caresses de la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

Fidélités…

jeudi 15 février 2018

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« Les loyautés.

Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants -, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de notre mémoire.

Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.

Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves… »

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Ainsi commence ce court roman à la fort belle écriture.

Il se lit d’un trait,

on ne peut pas le poser,

c’est un souffle,

c’est un cri,

aucun jugement n’est porté sur quiconque,

s’y mêlent conjointement douceur et douleur,

 lumière et ombre,

présence et absence,

visible et invisible… par touches impalpables.

Une lecture puissante

et une lumineuse dernière phrase  !

 

Extrait de : « Les loyautés »  2018  Delphine de Vigan.

Illustrations : 1/« Écolier »  Albert Anker  1831-1910.

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Aides ou freins, les loyautés cisèlent notre être…

BVJ – Plumes d’Anges.

Une drôle de blague, tout de même…

lundi 12 février 2018

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« … Longtemps, j’ai erré dans une forêt obscure. J’étais presque seul. Peu de voisins, pas d’amis. Pour ainsi dire pas de parents. (…) quelques lunes à peine plus tard (…) Je réfléchissais. Je parlais de plus en plus vite. Les mots m’amusaient. Le monde était beau. Et il y avait autre chose à découvrir que ma forêt primordiale et les arbres où je grimpais. Nous marchions.

Longtemps je m’étais déplacé de bas en haut et de haut en pas. Maintenant je marchais droit devant moi, la tête haute, impatient et curieux. Le soleil n’en finissait pas de se lever devant nous. Je découvrais avec ahurissement, avec admiration un monde nouveau dont je n’avais aucune idée : des peuples, des langues, des villes, des religions, des philosophes et des rois…

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Tantôt homme, tantôt femme, je suis, vous l’avez déjà deviné, je suis l’espèce humaine et son histoire dans le temps. Ma voix n’est pas ma voix, c’est la voix de chacun, la voix des milliers, des millions, des milliards de créatures qui, par un miracle sans nom, sont passés par cette vie. Je suis partout. Et je ne peux pas être partout. Je vole d’époque en époque…

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Je n’en finis pas d’alterner le bien et le mal – ou ce qui vous apparait à vous, pauvres de vous, comme le bien et le mal. Je n’en finis jamais d’enchaîner ce que vous appelez mes « grandes dates » et les incidents les plus minuscules de votre vie quotidienne qui relèvent aussi de moi. Je monte jusqu’aux étoiles, je descends jusqu’au ruisseau. Je passe des triomphes, des catastrophes, de tous les bouleversements , de la naissance et de la ruine des civilisations à vos problèmes de santé ou d’argent – qui vous occupent, je peux le comprendre, beaucoup plus que la fin de Troie ou la chute de l’Empire d’Occident – et à vos chagrins d’amour…

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Partout, l’amour est à l’œuvre pour permettre à mon règne de n’avoir pas de fin…

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Je suis le temps. Et je suis vous. Au-dessus du temps et au-dessus de vous, au-dessus de l’univers et au-dessus de moi, y-a-t-il quelque chose d’autre ?

Rien peut-être ? Ou seul Dieu peut-être ?… « 

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Extraits de : « Et moi, je vis toujours »  Jean d’Ormesson  1925-2017.

Illustrations : 1/« Hêtraie » Gustav Klimt  1862-1918   2/« Parapluies sous la pluie   »  Maurice Prendergast  1858-1924.

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La race humaine, une drôle d’histoire dont il vaudrait peut-être mieux rire ou sourire…

BVJ – Plumes d’Anges.

Élargissement…

jeudi 8 février 2018

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« Qui n’a pas ressenti que tout ce qui nous éclaire, nous ouvre à plus de vie, à une meilleure compréhension de nous-même et de l’autre, de nos désirs, de nos rapports, se traduit en fin de compte par un sentiment d’accroissement et d’élargissement ? Et je pense qu’il nous est arrivé à tous de sentir, de constater même, que la rencontre avec une œuvre d’art, l’articulation active qui se noue, immédiatement ou progressivement entre elle et nous, peut nous faire accéder à plus de force et de confiance à des moments obscurs ou opaques, nous montrer une ouverture pour l’esprit, pour tous les mouvements de la vie qui tournaient en rond ou étaient paralysés par l’adversité, par notre aveuglement. »

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Extrait de : « Apprentissage » précédé de  « Approche de la parole«    2004   Lorand Gaspard.

Illustration : « Le Grand Canyon »   Eliott Daingerfield   1859-1932.

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Aller encore et toujours vers la beauté du monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

Culture…

lundi 5 février 2018

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« … J’ai vu le jour à Saïgon, là où les débris des pétards éclatés en mille miettes coloraient le sol de rouge comme des pétales de cerisier, ou comme le sang des deux millions de soldats déployés, éparpillés dans les villes et les villages d’un Vietnam coupé en deux.

Je suis née à l’ombre de ces cieux ornés de feux d’artifice, décorés de guirlandes lumineuses, traversés de roquettes et de fusées. Ma naissance a eu pour mission de remplacer les vies perdues. Ma vie avait le devoir de continuer celle de ma mère…

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... L’Histoire du Vietnam, celle avec un grand H, a déjoué les plans de ma mère. Elle a jeté les accents de nos noms à l’eau quand elle nous a fait traverser le golfe du Siam, il y a trente ans. Elle a aussi dépouillé nos noms de leur sens, les réduisant à des sons à la fois étrangers et étranges dans la langue française. Elle est surtout venue rompre mon rôle de prolongement naturel de ma mère quand j’ai eu dix ans…

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Mes parents nous rappellent souvent, à mes frères et à moi, qu’ils n’auront pas d’argent à nous laisser en héritage, mais je crois qu’ils nous ont déjà légué la richesse de leur mémoire, qui nous permet de saisir la beauté d’une grappe de glycine, la fragilité d’un mot, la force de l’émerveillement. Plus encore, ils nous ont offert des pieds pour marcher jusqu’à nos rêves, jusqu’à l’infini. C’est peut-être suffisant comme bagage pour continuer notre voyage par nous-mêmes. Sinon, nous encombrerions inutilement notre trajet avec des biens à transporter, à assurer, à entretenir.

Un dicton vietnamien dit : « Seuls ce qui ont des cheveux longs ont peur, car personne ne peut tirer les cheveux de celui qui n’en a pas. » Alors, j’essaie le plus possible de n’acquérir que des choses qui ne dépassent pas les limites de mon corps… »

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Extraits de : « ru »  2009  Kim Thuy.

Illustrations : 1/« Visage de Ah-Ho »  Helen Hyde  1868-1919  2/« Azalée rose »  Leon Wyczolkowski 1852-1936.

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Cultiver notre capacité d’émerveillement…

BVJ – Plumes d’Anges.