Culture…

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« … J’ai vu le jour à Saïgon, là où les débris des pétards éclatés en mille miettes coloraient le sol de rouge comme des pétales de cerisier, ou comme le sang des deux millions de soldats déployés, éparpillés dans les villes et les villages d’un Vietnam coupé en deux.

Je suis née à l’ombre de ces cieux ornés de feux d’artifice, décorés de guirlandes lumineuses, traversés de roquettes et de fusées. Ma naissance a eu pour mission de remplacer les vies perdues. Ma vie avait le devoir de continuer celle de ma mère…

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... L’Histoire du Vietnam, celle avec un grand H, a déjoué les plans de ma mère. Elle a jeté les accents de nos noms à l’eau quand elle nous a fait traverser le golfe du Siam, il y a trente ans. Elle a aussi dépouillé nos noms de leur sens, les réduisant à des sons à la fois étrangers et étranges dans la langue française. Elle est surtout venue rompre mon rôle de prolongement naturel de ma mère quand j’ai eu dix ans…

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Mes parents nous rappellent souvent, à mes frères et à moi, qu’ils n’auront pas d’argent à nous laisser en héritage, mais je crois qu’ils nous ont déjà légué la richesse de leur mémoire, qui nous permet de saisir la beauté d’une grappe de glycine, la fragilité d’un mot, la force de l’émerveillement. Plus encore, ils nous ont offert des pieds pour marcher jusqu’à nos rêves, jusqu’à l’infini. C’est peut-être suffisant comme bagage pour continuer notre voyage par nous-mêmes. Sinon, nous encombrerions inutilement notre trajet avec des biens à transporter, à assurer, à entretenir.

Un dicton vietnamien dit : « Seuls ce qui ont des cheveux longs ont peur, car personne ne peut tirer les cheveux de celui qui n’en a pas. » Alors, j’essaie le plus possible de n’acquérir que des choses qui ne dépassent pas les limites de mon corps… »

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Extraits de : « ru »  2009  Kim Thuy.

Illustrations : 1/« Visage de Ah-Ho »  Helen Hyde  1868-1919  2/« Azalée rose »  Leon Wyczolkowski 1852-1936.

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Cultiver notre capacité d’émerveillement…

BVJ – Plumes d’Anges.

12 commentaires sur “Culture…”

  1. JC dit :

    Je suis tellement en adéquation avec tout ce que dit Kim Thuy. Je crois que les gens qui ont dû émigrer connaissent les véritables valeurs, celles du coeur, de la mémoire. Belle semaine à toi. Bises. Joëlle

  2. Marie Minoza dit :

    « je crois qu’ils nous ont déjà légué la richesse de leur mémoire, qui nous permet de saisir la beauté d’une grappe de glycine, la fragilité d’un mot, la force de l’émerveillement. Plus encore, ils nous ont offert des pieds pour marcher jusqu’à nos rêves, jusqu’à l’infini. C’est peut-être suffisant comme bagage pour continuer notre voyage par nous-mêmes. Sinon, nous encombrerions inutilement notre trajet avec des biens à transporter, à assurer, à entretenir. »

    Un texte à lire et relire, nous passons souvent à côté de nos vraies richesses.

  3. Tania dit :

    Etonnant, ce dicton. L’héritage des valeurs est inestimable, au contraire des biens.
    De beaux extraits et quelle belle couleur a l’azalée, merci Brigitte. (Il y en a deux qui fleurissent en ce moment sur la terrasse, une rose et une blanche.)

  4. ZaZa dit :

    L´amour et la compréhension est plus qu´un héritage! Belle journée, Brigitte.
    ZaZa

  5. Fiorenza dit :

    Belle découverte, ce matin, que je me suis empressée de réexpédier au mari
    d’une amie très chère, décédée il y a trois ans !

    Née également à Saïgon, elle me parlait de son pays avec les mêmes mots,
    les mêmes images, les mêmes fêlures et…la même sagesse .

    Merci, chère Brigitte, vos textes précieux et originaux nous aident à méditer et
    à nous souvenir !

    Belle journée réchauffée par l’amitié !

  6. Aifelle dit :

    Un beau souvenir de lecture ce livre, une plume délicate et sensible, qui fait approcher de plus près ce que peut être l’exil et le déracinement.

  7. eki eder dit :

    Merci pour ce partage de livre et de cette image fleurie.
    Bon lundi

  8. daniel dit :

    Je crois qu’il faut traverser la vie sans trop chercher à posséder, à amasser. Tout cela alourdit, peut créer la peur de perdre. Liberté et possession ne font pas bon ménage !!

  9. Merci Brigitte pour ce texte que je trouve si poétique !
    « Léguer des pieds à nos enfants pour marcher jusqu’à leurs rêves » une philosophie de vie si vraie !
    Merci aussi pour tes illustrations toujours en juste harmonie avec tes textes.
    Je te souhaite une belle journée (humide et froide chez nous) et je t’embrasse.Claudie.

  10. Colo dit :

    Dépouillés de tout, même leur nom, prononcé en français, devient étranger. C’est si vrai!

    Je garde beaucoup de phrases de ce beau texte, mais celle-ci en particulier:  » …C’est peut-être suffisant comme bagage pour continuer notre voyage par nous-mêmes.  »
    Bonne journée Brigitte.

  11. Les dernières lignes sont vraiment fulgurantes.

  12. christinegio dit :

    Suggestion de fille d’immigrés qui ose l’ouvrir :
    « Je garde mes cheveux longs, je laisse mes peurs sur le bord de la route et je contemple les fleurs d’azalée. »
    Que faire d’autre ?
    Bises

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