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« … Trois balles de fourrures de zibeline et de martre, cent douze panni de laine, neuf rouleaux de satin de Bergame, autant de velours florentin doré, cinq barils de nitre, deux caisses de miroirs et un petit coffre à bijoux : voilà ce qui débarque après Michelangelo Buonarroti dans le port de Constantinople le jeudi 13 mai 1506…
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… Cela commence par des proportions. L’architecture est l’art de l’équilibre ; tout comme le corps est régi par des lois précises, longueur des bras, des jambes, position des muscles, un édifice obéit à des règles qui en garantissent l’harmonie. L’ordonnancement est la clé d’une façade, la beauté d’un temple provient de l’ordre, de l’articulation des éléments entre eux. Un pont, ce sera la cadence des arches, leur courbe, l’élégance des piles, des ailes, du tablier. Des niches, des gorges, des ornements pour les transitions, certes, mais déjà, dans le rapport entre voûtes et piliers, tout sera dit…
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… Je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l’amour ; au vide, ils répondent en construisant des châteaux et des temples. Ils s’accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards ; chacun fait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d’éléphants et d’êtres merveilleux ; en leur racontant le bonheur qu’il y aura au-delà de la mort, la lumière vive qui a présidé à leur naissance, les anges qui leur tournent autour, les démons qui les menacent, et l’amour, l’amour, cette promesse d’oubli et de satiété. Parle-leur de tout cela, et ils t’aimeront ; ils feront de toi l’égal d’un dieu…
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… En retraversant la Corne d’Or, Michel Ange a la vision de son pont, flottant dans le soleil du matin, si vrai qu’il en a les larmes aux yeux. L’édifice sera colossal sans être imposant, fin et puissant. Comme si la soirée lui avait décillé les paupières et transmis sa certitude, le dessin lui apparait enfin.
Il rentre presqu’en courant poser cette idée sur le papier, traits de plume, ombre au blanc, rehauts de rouge.
Un pont surgit de la nuit, pétri de la matière de la ville…
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… Le seul objet qu’il a emporté, c’est son carnet sur lequel il note quelques derniers mots, alors que le navire passe la pointe du Sérail.
Apparaître, poindre, briller.
Consteller, scintiller, s’éteindre… »
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Apparaître, poindre, briller, consteller, scintiller…
dans la joie et la légèreté,
c’est ce que je vous souhaite au seuil de 2017.
BELLE NOUVELLE ANNÉE À TOUTES ET À TOUS !
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Extraits de : « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants. » 2010 Mathias Enard.
Illustrations : 1/« Constantinople la mosquée de Top-Kahné » Yvan Aïvazovski 1817-1900 2/« Phare d’Ahirkapi à la pointe du Sérail » Michael Zeno Diemer 1867-1939.
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Lancer des ponts avec légèreté…
BVJ – Plumes d’Anges.