Humanités…

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« Pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive. »

(Quatrième de couverture)

Avers – Des nouvelles des indésirables

JMG LE CLÉZIO – 2023.

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« … La nuit, c’était l’hiver, il faisait si froid qu’ils n’arrivaient pas à dormir. Marwan a allumé un feu de brindilles, et ils se sont couchés l’un contre l’autre, la tête tournée vers les flammes. Mehdi avait toujours peur de la nuit, il ne s’endormait qu’au petit jour. Il ne pouvait pas rester seul. Quand Marwan se levait pour uriner, Mehdi venait aussi. Marwan avait accepté tout cela, il ne le repoussait plus, et souvent même, il oubliait de l’injurier. Il restait les yeux ouverts, regardant la nuit. Mehdi parlait. Il voulait savoir des choses impossibles. Il demandait : « Quand est-ce-qu’on arrivera à la ville où il y a le bateau ? » Marwan disait : « Il n’y a pas de bateau, tu ne vas pas croire à cette histoire de bateau ? » Il avait beau dire cela durement, en levant le poing comme s’il allait frapper, Mehdi continuait à croire au bateau. Plus tard il en parlait encore, et des pays où il n’y avait pas de guerre, pas de voleurs. C’était toute une histoire, et dans cette nuit noire, glaciale, avec les étoiles qui scintillaient au dessus d’eux, il arrivait cette chose étrange, Marwan lui-même se laissait prendre par le bruits des paroles, et il commençait à croire, comme on glisse dans un rêve. C’était maintenant lui qui parlait des pays : « De l’autre côté de la mer, on arrivera dans une grande ville pleine de jardins et de maisons, des maisons où on pourra entrer, parce que tout le monde nous attendra… »

« Il y aurait des arbres, on pourrait vivre dans les arbres… »

« Oui, il ne ferait pas froid, on ne serait jamais malade. »

« Il y aurait beaucoup d’enfants, chacun pourrait avoir sa famille… »

« On dormirait dehors sous les arbres… »

« Ou bien dans de grandes chambres avec des lits, des coussins, des rideaux. »

« On n’aurait pas besoin d’argent pour vivre, on aurait à manger tout ce qu’on veut, même si on ne voulait pas travailler. »

« Il n’y aurait jamais d’avions. »

« Une ville sur un grand lac d’eau douce, et les gens vont dans des barques, ils apportent les fruits, les légumes dans les barques… »

« Les enfants ont des jardins immenses, il y a une fête chaque jour, de la musique, les filles vont danser. »

« On peut aller à l’école, on sait lire les livres. »

« Il n’y a plus de batailles, personne n’est ennemi. »

« On a chacun son cheval, on peut galoper dans les forêts. »

« Les animaux sont apprivoisés, même les serpents, même les chacals. »

Mehdi écoutait, les yeux grands ouverts dans la nuit. Quand l’aube venait, Mehdi s’endormait enfin. Marwan écoutait la respiration calme de son frère, il sentait contre lui le poids de sa tête. Alors il s’endormait lui aussi, tandis que la lumière grandissait au dessus-des collines. Il n’y avait jamais de mal, ni d’avions le matin. C’était une heure pour les bergers, pour les fillettes qui vont chercher de l’eau… »

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Parler de sujets graves avec un infini respect et une langue toujours magnifique, montre le grand talent et la profonde humanité de l’auteur.

Huit nouvelles nous emmènent sur des chemins difficiles aux quatre coins du monde, on y rencontre Maureez qui, à la mort de son père, fuit deux odieux personnages (sa belle mère et son nouvel amant), sa voix et le chant la sauveront. On y rencontre Chuche et Juanico, deux enfants qui fuient la société des hommes et les abus  de ces derniers, un vieil homme les recueillera un soir de Noël, il leur restituera leur dignité. On y rencontre « Les rats des rues » : le chemin des rêves – et celui des tragédies – va passer par les égouts entre le Mexique et les États Unis  (texte de 2003 publié dans un recueil d’Amnesty International, Nouvelles pour la liberté), on y rencontre beaucoup d’autres « indésirables », ceux dont on ne parle pas, ceux que l’on n’ose regarder…

Ces histoires marquent notre esprit et notre cœur : la loi du plus fort écrase les innocents, enfants ou adultes. Ils vivent dans de lointains pays ou tout près de nous dans les grandes villes, ils vivent la peur, l’injustice, la violence, la guerre toujours intolérable, la souffrance, la trahison, l’abandon, les abus de pouvoir, ils sont marqués à jamais et l’Histoire se répète…

Au milieu de ces chaos, de petites étoiles s’allument parfois, des brins d’amour fleurissent, les souvenirs fragiles d’un bonheur ancien émergent, faisant place à une espérance, tout aussi fragile.

JMG LE CLÉZIO nous fait naviguer dans des mondes où certains puissants sacrifient encore et toujours les autres, où chaque « indésirable » tente de survivre. La survie n’est pas la vie, l’auteur dit et veut que l’on sache, qu’on n’oublie pas ces invisibles, ces abandonnés, ces humbles… L’émotion est vive au fil des pages, AVERS est une belle et riche lecture.

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Illustrations : 1/ « Arbres et village »  2/ « Arbres »  3/ « Troncs d’arbres »  Sohrâb Sepehri  – peintre et poète iranien – 1928-1980.

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Vouloir la paix, passionnément…

BVJ – Plumes d’Anges.

14 commentaires sur “Humanités…”

  1. Fiorenza dit :

    Une seule pensée envoûtante à la lecture de ces lignes, chère Brigitte,
    c’est la phrase extraite du « Chant des partisans » que j’aimais tant fredonner
    à mon père les dernières années de sa vie :
    – il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves…
    J.M.G. Le Clézio porte cette image jusqu’à l’incandescence !

    Merci pour « les petites étoiles » que tu réussis toujours à dessiner
    dans les ciels d’Orient ou d’Occident ✨✨✨

  2. daniel dit :

    Et oui, le monde est ainsi. Chacun pour soi. Notre terre mériterait plus de solidarité et de paix….Mais non la guerre est toujours là, bientôt à notre porte…..

  3. Cathie Flore dit :

    Je n’ai jamais été déçue par Le Clézio dont la lecture profondément humaniste est parfois envoûtante. Étoile errante, Le chercheur d’or, La quarantaine… Et maintenant ces nouvelles des indésirables pour faire naître en nous un sentiment de révolte face au gâchis des vies sacrifiées, brisées. Heureusement que brillent des étoiles…

  4. thé ache dit :

    l’écriture donne à ressentir, à faire vivre, j’imagine ce que ressent l’auteur, je sais ce que reçoivent les lecteurs, mais les interprétations posent des problèmes, il est des textes qui sont complètement trahis à la lecture, dans un sens d’humanité ou tout au contraire, en parler ensuite échanger (ce que nous faisons) est la voie : la voix qui s’inscrit ensuite ?

  5. Dédé dit :

    Coucou. Combien d’indésirables sur cette planète? Et quand on sait que les Etats-Unis risquent de voter une nouvelle fois un président qui ne sait être ouvert de coeur… et d’esprit, on est en droit de se poser quelques questions sur l’avenir de notre humanité. Heureusement, il reste encore quelques petites bulles de douceur ici et là. Bises alpines.

  6. manou dit :

    Il a l’air magnifique ce livre de nouvelles. Il faut dire que l’auteur a une belle plume et sait particulièrement nous émouvoir. Merci pour ces extraits choisis qui sont tout simplement magnifiques.

  7. Marie Minoza dit :

    Un auteur que j’aime beaucoup…ce livre je ne l’ai pas lu merci de me le faire connaître…
    envie de relire ceux que j’ai dans ma bibliothèque…

  8. Tania dit :

    Ces nouvelles sont remarquables, j’ai gardé quelques images fortes de cette lecture et je te rejoins pour admirer l’art avec lequel Le Clézio donne une voix, une silhouette, une place à ces indésirables.
    Très beaux, ces arbres de Sohrab Sepehri – tu me fais découvrir cet artiste iranien. Merci, Brigitte.

  9. Aifelle dit :

    Magnifique illustration d’arbres. J’ai déjà noté ce recueil de nouvelles. On aimerait tant les lire en se disant que c’est du passé. Hélas l’actualité nous rappelle que l’humain a de gros progrès à faire. Bises Brigitte.

  10. yannn dit :

    J’ai beaucoup aimé la description du monde Idyllique.
    Il n’y aurait pas d’avions, tout le monde saurait lire, et aurait à manger à façon.
    On se logerait dans les arbres …. Personne ne serait ennemi …. Et nous raclette à midi :-))
    Amic@lement. > Yann

  11. Anne G dit :

    Je ne suis pas du tout là- dedans, d’ailleurs cela fait longtemps que je n’ai pas lu Le Clézio…Tu m’en donnes un peu envie, mais il faut laisser mûrir. Je vins de finir un bouquin de Dhôtel (que Bobin aimait tant) et j’ai entamé un François Cheng……….Quand reviennent les âmes errantes dont on m’a dit tant de bien.
    En revanche, j’ai découvert et aimé ces tableaux du peintre iranien; merci pour la découverte!

  12. Bridg dit :

    Donnez nous de la lumière, des étincelles d’espérance, des sourires d’humanité, pour croire que le monde peut changer…
    Oui « vouloir la paix passionnément »
    Je te souhaite un week-end plein de lumière et d’esperance. Bisous

  13. eMmA MessanA dit :

    Merci, tu m’as convaincue et je vais lire ce recueil d’un si grand auteur !
    Bon week-end,
    eMmA

  14. Ulysse dit :

    Merci Brigitte de nous faire découvrir ce recueil de nouvelles d’un auteur que j’apprécie beaucoup mais qui se fait discret et que j’avais un peu oublié Beau week end

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